Depuis le début du conflit, les négociations secrètes n’ont pratiquement jamais cessé. TelQuel vous en livre les détails, les mécanismes et les résultats. Exclusif, de bout en bout. Par Karim Boukhari, avec Driss ksikes
On parle beaucoup de Sahara, ces temps-ci. D’abord l’Afrique du Sud qui, sans crier gare, établit des relations diplomatiques avec la "république sahraouie", occasionnant le rappel de l’ambassadeur marocain à Pretoria (lire en page 8). Ensuite le nouveau représentant de Kofi Annan, Alvaro De Soto qui lance, à Alger ( !) que la solution ne peut être fondée que sur "le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui". Enfin, l’attitude crispée d’Alger, qui refuse d’abandonner le visa et de rouvrir les frontières avec le Maroc, tout en réaffirmant pompeusement à l’ONU que le conflit du Sahara est une "affaire de décolonisation"… Dans tout cela, il n’y a que le brave Miguel Angel Moratinos, ministre espagnol des Affaires étrangères, pour remonter un peu le moral des Marocains en déclarant que le référendum est une "référence", mais n’est pas "sacro-saint"…
Mardi 21 septembre prochain, le roi Mohammed VI va présenter, selon diverses sources, une nouvelle solution au problème du Sahara. Elle risque d’être, sinon définitive, du moins spectaculaire. Espérons-le, en tout cas, puisque le roi compte la présenter à l’ONU même, à New York. Il serait fâcheux d’aller jusque là pour ne rien dire de nouveau…
Et si la solution n’était pas au-devant du rideau, mais bel et bien derrière ? Plus clairement : et si ni l’Afrique du Sud, ni Alvaro De Soto, Ni Miguel Angel Moratinos, ni même Abdelaziz Bouteflika n’étaient les vrais interlocuteurs ? Et si on leur parlait directement, à ces gens du Polisario ? Ce ne serait pas une première. Depuis le début du conflit, les négociations secrètes n’ont pratiquement jamais cessé. Si aucune n’a abouti à une solution définitive, toutes ont accouché de petites victoires et de petites défaites, pour les deux camps, que le public ne connaît pas comme telles. Voire ne connaît pas du tout. Remontons l’histoire…
1972-1975. Ils veulent du Maroc, mais le Maroc ne veut pas d’eux
Dans le Maroc crispé du début des années 70, les étudiants sahraouis ne passent pas inaperçus. La plupart sont des fils de notables, pris en charge par des allocations de l’ancienne armée de libération du sud. A Rabat où ils fréquentent pour l’essentiel la faculté de lettres, leur statut particulier leur permet de mener un train de vie confortable. Pour le reste, ils sont bien dans l’air du temps : bons vivants, frondeurs et largement marqués par le courant marxiste. Tout serait pour le mieux s’il n’y avait un problème récurrent : à chaque congé universitaire, les étudiants souffrent le martyre pour rejoindre leurs familles restées au Sahara, alors sous occupation espagnole. "Nous n’en pouvons plus des tracasseries administratives imposées par les Espagnols, il est temps de libérer le Sahara", lancent-ils alors, à peine sérieux, à leurs amis étudiants, notamment dans les rangs de l’UNEM, syndicat très proche de l’UNFP et de l’ancien parti communiste. C’est parti de là. La revendication grossit, se propage et gagne rapidement jusqu’aux cercles politiques. Nous sommes en 1972. El Ouali Mustapha Sayed, surnommé le Che (barbiche, idées révolutionnaires, études de médecine), et ses amis ne sont plus ces étudiants "bleus" venus du désert mais des "militants" qui s’activent, fondent des associations et ruent dans les brancards. Les discussions animées du "Chateaubriand", le célèbre bar-restaurant célèbre de Rabat où ils avaient leurs habitudes, gagnent la cité universitaire et les partis d’opposition. Les hommes bleus refusent d’intégrer les partis existants, de peur de devenir une minorité noyée dans la masse. Ils constituent une délégation et vont taper à la porte de l’Istiqlal et de l’UNFP. Prudents, les Allal El Fassi, M’hamed Douiri, Abderrahim Bouabid ou Omar Benjelloun, qui les reçoivent, leur renvoient à peu près le même écho : "La priorité du moment est à la récupération de Sebta et Melilia". Les jeunes Sahraouis refusent le différé qu’on leur propose et tentent le coup, une dernière fois, avec un membre éminent de l’entourage royal : Ahmed Balafrej. Hassan II est, à l’époque, encore sous le choc de Skhirat. La réponse qu’il transmet aux jeunes Sahraouis, via Balafrej, ne diffère guère de celle des partis : "Revenez plus tard". Pour El Ouali et ses amis, le divorce avec la monarchie, et les partis politiques, est alors consommé. Mais le pire est encore à venir. Toujours en 72, les vacances de fin d’année sont marquées par des troubles à l’université : à l’UNEM, la question du Sahara revient comme un leitmotiv. Dans les interventions les plus enflammées, la libération du territoire est placée sur le même pied d’égalité que la faillite du système Hassan II. Le principe de l’autodétermination bourgeonne déjà. Cela tourne mal, la police intervient et procède à des arrestations. Le point de non-retour est atteint. El Ouali et ses amis, entre-temps retournés au Sahara, décident de couper, définitivement, les ponts avec le royaume, abandonnant jusqu’à leurs études (on est en plein milieu de l’année universitaire). Le long ballet de la diplomatie clandestine, parallèle, empruntant tant aux canaux politiques qu’économiques, voire policiers, peut commencer.
Paris, 1973. Parmi les opposants en exil dans la capitale française, figure un certain Mohamed Bensaïd Aït Idder, alors en rupture de ban avec l’UNFP. Bensaïd a été l’un des principaux artisans de l’armée de libération, il connaît l’histoire politique du Sahara par cœur. Le futur fondateur de l’OADP reçoit, un jour, la visite de Mohamed Bahi, lui aussi en froid avec l’UNFP. D’origine mauritanienne, Bahi connaît le Sahara et ses hommes sur le bout des doigts. Il profite du passage d’El Ouali par Paris pour organiser une rencontre clandestine avec Bensaïd et ses amis. Octobre 1973, Bensaïd, Bahi, El Ouali et quelques autres se posent autour de la même table. L’un des participants à cette dernière tentative de circonscrire le mal se souvient : "El Ouali a eu cette phrase que l’on n’oubliera jamais : Le Sahara est une appendicite non traitée qui menace d’exploser. Il voulait dire que le problème, à la base, aurait pu être résolu dans un cadre marocain…". El Ouali croit encore que le Polisario, qui n’a alors que cinq mois d’existence et ressemble à une coquille vide, pourrait devenir une plate-forme pour un "occident arabe" ralliant l’avant-garde révolutionnaire des cinq pays du maghreb. Utopie. Un moment lâché par tous, le Che du désert, en quête de couverture, se tourne vers le réseau algéro-libyen, lequel fait appel… à son réseau d’opposants marocains en exil ! C’est en effet grâce, entre autres, aux médiations d’un Fqih Basri, voire un Brahim Ouchelh, qu’El Ouali se "connecte" à Alger et à Tripoli qui mettent, toutefois, du temps avant de comprendre l’aubaine que lui et le tout nouveau Polisario représentent. Notons que durant toute cette période trouble, qui s’étend jusqu’à la Marche verte, le Maroc officiel reporte tous ses espoirs sur la Cour internationale de justice (1974), et ensuite la guerre, pour régler le sort du Sahara.
On parle beaucoup de Sahara, ces temps-ci. D’abord l’Afrique du Sud qui, sans crier gare, établit des relations diplomatiques avec la "république sahraouie", occasionnant le rappel de l’ambassadeur marocain à Pretoria (lire en page 8). Ensuite le nouveau représentant de Kofi Annan, Alvaro De Soto qui lance, à Alger ( !) que la solution ne peut être fondée que sur "le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui". Enfin, l’attitude crispée d’Alger, qui refuse d’abandonner le visa et de rouvrir les frontières avec le Maroc, tout en réaffirmant pompeusement à l’ONU que le conflit du Sahara est une "affaire de décolonisation"… Dans tout cela, il n’y a que le brave Miguel Angel Moratinos, ministre espagnol des Affaires étrangères, pour remonter un peu le moral des Marocains en déclarant que le référendum est une "référence", mais n’est pas "sacro-saint"…
Mardi 21 septembre prochain, le roi Mohammed VI va présenter, selon diverses sources, une nouvelle solution au problème du Sahara. Elle risque d’être, sinon définitive, du moins spectaculaire. Espérons-le, en tout cas, puisque le roi compte la présenter à l’ONU même, à New York. Il serait fâcheux d’aller jusque là pour ne rien dire de nouveau…
Et si la solution n’était pas au-devant du rideau, mais bel et bien derrière ? Plus clairement : et si ni l’Afrique du Sud, ni Alvaro De Soto, Ni Miguel Angel Moratinos, ni même Abdelaziz Bouteflika n’étaient les vrais interlocuteurs ? Et si on leur parlait directement, à ces gens du Polisario ? Ce ne serait pas une première. Depuis le début du conflit, les négociations secrètes n’ont pratiquement jamais cessé. Si aucune n’a abouti à une solution définitive, toutes ont accouché de petites victoires et de petites défaites, pour les deux camps, que le public ne connaît pas comme telles. Voire ne connaît pas du tout. Remontons l’histoire…
1972-1975. Ils veulent du Maroc, mais le Maroc ne veut pas d’eux
Dans le Maroc crispé du début des années 70, les étudiants sahraouis ne passent pas inaperçus. La plupart sont des fils de notables, pris en charge par des allocations de l’ancienne armée de libération du sud. A Rabat où ils fréquentent pour l’essentiel la faculté de lettres, leur statut particulier leur permet de mener un train de vie confortable. Pour le reste, ils sont bien dans l’air du temps : bons vivants, frondeurs et largement marqués par le courant marxiste. Tout serait pour le mieux s’il n’y avait un problème récurrent : à chaque congé universitaire, les étudiants souffrent le martyre pour rejoindre leurs familles restées au Sahara, alors sous occupation espagnole. "Nous n’en pouvons plus des tracasseries administratives imposées par les Espagnols, il est temps de libérer le Sahara", lancent-ils alors, à peine sérieux, à leurs amis étudiants, notamment dans les rangs de l’UNEM, syndicat très proche de l’UNFP et de l’ancien parti communiste. C’est parti de là. La revendication grossit, se propage et gagne rapidement jusqu’aux cercles politiques. Nous sommes en 1972. El Ouali Mustapha Sayed, surnommé le Che (barbiche, idées révolutionnaires, études de médecine), et ses amis ne sont plus ces étudiants "bleus" venus du désert mais des "militants" qui s’activent, fondent des associations et ruent dans les brancards. Les discussions animées du "Chateaubriand", le célèbre bar-restaurant célèbre de Rabat où ils avaient leurs habitudes, gagnent la cité universitaire et les partis d’opposition. Les hommes bleus refusent d’intégrer les partis existants, de peur de devenir une minorité noyée dans la masse. Ils constituent une délégation et vont taper à la porte de l’Istiqlal et de l’UNFP. Prudents, les Allal El Fassi, M’hamed Douiri, Abderrahim Bouabid ou Omar Benjelloun, qui les reçoivent, leur renvoient à peu près le même écho : "La priorité du moment est à la récupération de Sebta et Melilia". Les jeunes Sahraouis refusent le différé qu’on leur propose et tentent le coup, une dernière fois, avec un membre éminent de l’entourage royal : Ahmed Balafrej. Hassan II est, à l’époque, encore sous le choc de Skhirat. La réponse qu’il transmet aux jeunes Sahraouis, via Balafrej, ne diffère guère de celle des partis : "Revenez plus tard". Pour El Ouali et ses amis, le divorce avec la monarchie, et les partis politiques, est alors consommé. Mais le pire est encore à venir. Toujours en 72, les vacances de fin d’année sont marquées par des troubles à l’université : à l’UNEM, la question du Sahara revient comme un leitmotiv. Dans les interventions les plus enflammées, la libération du territoire est placée sur le même pied d’égalité que la faillite du système Hassan II. Le principe de l’autodétermination bourgeonne déjà. Cela tourne mal, la police intervient et procède à des arrestations. Le point de non-retour est atteint. El Ouali et ses amis, entre-temps retournés au Sahara, décident de couper, définitivement, les ponts avec le royaume, abandonnant jusqu’à leurs études (on est en plein milieu de l’année universitaire). Le long ballet de la diplomatie clandestine, parallèle, empruntant tant aux canaux politiques qu’économiques, voire policiers, peut commencer.
Paris, 1973. Parmi les opposants en exil dans la capitale française, figure un certain Mohamed Bensaïd Aït Idder, alors en rupture de ban avec l’UNFP. Bensaïd a été l’un des principaux artisans de l’armée de libération, il connaît l’histoire politique du Sahara par cœur. Le futur fondateur de l’OADP reçoit, un jour, la visite de Mohamed Bahi, lui aussi en froid avec l’UNFP. D’origine mauritanienne, Bahi connaît le Sahara et ses hommes sur le bout des doigts. Il profite du passage d’El Ouali par Paris pour organiser une rencontre clandestine avec Bensaïd et ses amis. Octobre 1973, Bensaïd, Bahi, El Ouali et quelques autres se posent autour de la même table. L’un des participants à cette dernière tentative de circonscrire le mal se souvient : "El Ouali a eu cette phrase que l’on n’oubliera jamais : Le Sahara est une appendicite non traitée qui menace d’exploser. Il voulait dire que le problème, à la base, aurait pu être résolu dans un cadre marocain…". El Ouali croit encore que le Polisario, qui n’a alors que cinq mois d’existence et ressemble à une coquille vide, pourrait devenir une plate-forme pour un "occident arabe" ralliant l’avant-garde révolutionnaire des cinq pays du maghreb. Utopie. Un moment lâché par tous, le Che du désert, en quête de couverture, se tourne vers le réseau algéro-libyen, lequel fait appel… à son réseau d’opposants marocains en exil ! C’est en effet grâce, entre autres, aux médiations d’un Fqih Basri, voire un Brahim Ouchelh, qu’El Ouali se "connecte" à Alger et à Tripoli qui mettent, toutefois, du temps avant de comprendre l’aubaine que lui et le tout nouveau Polisario représentent. Notons que durant toute cette période trouble, qui s’étend jusqu’à la Marche verte, le Maroc officiel reporte tous ses espoirs sur la Cour internationale de justice (1974), et ensuite la guerre, pour régler le sort du Sahara.
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