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Hébron : une situation explosive

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  • Hébron : une situation explosive

    La situation d’Hébron, même si paroxystique, est illustrative de la situation en Cisjordanie.

    La ville d’Hébron a de nouveau mobilisé l’attention médiatique au cours de ces derniers jours. En application d’une décision de la Cour suprême israélienne, quelques 250 colons occupant depuis vingt mois un bâtiment de quatre étages qu’ils avaient nommé « la maison de la paix » - une grande partie de la presse israélienne évoque pour sa part la « maison de la discorde » - ont été évacués manu militari par la police anti-émeutes ce 4 décembre. A l’origine, nous explique-t-on, un conflit de propriété : le propriétaire palestinien conteste en effet la validité juridique de la transaction immobilière et de la vente de son immeuble.

    Depuis quelques semaines cette maison était devenue un symbole pour les colons les plus radicaux qui n’hésitaient pas à recourir à des provocations systématiques : agressions contre les Palestiniens passant à leur portée, bris de vitres de la mosquée voisine et inscriptions sur ses murs de slogans infamants, Croix de David peintes sur les tombes du cimetière musulman, jets de pierres contre les soldats israéliens eux-mêmes se trouvant sur place... La situation semblait devenir explosive, d’autant qu’elle se situe dans une période électorale israélienne à l’issue incertaine. Mais au-delà de ces faits, il est nécessaire de replacer ces événements dans leur contexte.

    Celui d’Hébron tout d’abord : cette ville possède une forte charge symbolique et incarne la dégradation de la situation en Cisjordanie. Occupée par les Israéliens depuis 1967, Hébron possède une particulière singularité : peuplée d’environ 130 000 Palestiniens, la présence de quelques 500 à 600 colons israéliens protégés en permanence par plusieurs milliers de militaires est un lieu de tensions permanentes. La présence du Tombeau des Patriarches, lieu quasiment aussi vénéré par les juifs que le Mur des Lamentations de Jérusalem, est le point de cristallisation de cette situation. Lieu saint commun aux juifs et aux musulmans, l’accès en est pourtant interdit à ces derniers depuis qu’en 1994 Baruch Goldstein, vivant dans la colonie voisine de Kyriat Arba, avait fait irruption en uniforme dans le sanctuaire et mitraillé les musulmans accomplissant leur prière, faisant 29 morts. Depuis lors, la situation s’y est continuellement dégradée.
    Jadis principal centre commercial du Sud de la Palestine, Hébron s’est dévitalisée. Le centre de la ville, notamment, a perdu toute activité économique. Du fait de la présence des colons, il est sous contrôle permanent de l’armée israélienne, alors que le reste de la ville est administrée par l’Autorité palestinienne. Le centre, dit zone H2, subit couvre-feu, restriction de déplacement, fermeture graduelle de plus de 1 000 commerces et du souk à cause des agressions dont sont victimes leurs propriétaires palestiniens. Sur les 35 000 Palestiniens vivant dans le centre de la ville, 25 000 auraient été obligés de partir. Selon l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme, B’Tselem, 58% des appartements sont vides en raison de la difficulté de vivre sous état de siège permanent, et 77% des commerces ont été fermés sur ordre de l’armée. Selon une enquête menée par le CICR, 86,7% des 7 000 habitants de la zone H2 vivent en dessous du seuil de pauvreté et 71% sous le seuil d’extrême pauvreté (soit 60 euros par mois selon les critères de la Banque mondiale). 14% seulement auraient un travail fixe...

    La situation d’Hébron, même si paroxystique, est illustrative de la situation en Cisjordanie. Un an presque jour pour jour après la conférence d’Annapolis dont on nous avait expliqué qu’elle relançait le processus de paix et permettrait d’aboutir à la création d’un Etat palestinien avant la fin de l’année 2008... les choses vont de mal en pis. Les contacts entre Palestiniens et Israéliens indiquent des approches radicalement antinomiques. Les premiers partent du droit international et des frontières de 1967 et accepteraient quelques aménagements sur ces bases pour parvenir à un accord de paix, les seconds partent des faits accomplis sur le terrain et considèrent qu’ils possèdent un titre de propriété sur Eretz Israël.

    C’est au nom de cette logique que la multiplication ou l’agrandissement des colonies est devenue une réalité quotidienne. Depuis la mise en place du gouvernement Olmert, 4 000 unités d’habitation ont été construites, dont au moins 1 300 à l’Est de la « barrière de sécurité » édifiée en terre palestinienne. A Jérusalem-Est, point particulièrement sensible, les autorités israéliennes s’évertuent à compléter la ceinture de colonies qui pourrait à court terme totalement couper la ville du reste de la Cisjordanie. Ceci en totale violation des préconisations de la Feuille de route, le plan de paix international soi-disant réactivé au cours de la conférence d’Annapolis. Depuis cette conférence les appels d’offre pour la construction de nouvelles unités d’habitation n’ont ainsi cessé d’être publiés. Même les demandes réitérées de Condoleeza Rice pour geler ce processus de colonisation continu n’y ont rien fait. On comprend dans ces conditions qu’aucune avancée n’ait été possible pour une véritable relance d’un processus de paix.

    C’est à la lumière de ces éléments que l’on peut comprendre ce qui se passe à Hébron. De nombreux commentaires insistent sur le caractère extrémiste ou « ultra-nationaliste » de celles et ceux qui occupaient cette « maison de la discorde ». C’est probable. Les déclarations du ministre de la Défense Ehoud Barak et du Premier ministre Ehoud Olmert quant à l’obligation pour ces colons de se plier aux décisions de la Cour suprême israélienne ont été prononcées. Dont acte. Mais qui ne comprend que les exactions de ces colons à Hébron ne sont que le produit d’une situation plus générale où la dégradation sur le terrain se fait chaque jour un peu plus insupportable pour les Palestiniens ? Ehoud Olmert lui-même a récemment accordé un long entretien au quotidien Yedioth Ahronoth, dont le contenu ne manque pas d’étonner et au cours duquel il préconise, entre autre, le retrait de la quasi totalité des territoires occupés depuis 1967, et un arrangement particulier pour ce qui concerne le statut de Jérusalem. Mais que n’a-t-il pas avancé dans cette voie depuis qu’il est devenu Premier ministre en 2006 ?

    Il est impossible de dissocier la situation à Hébron de ce qui se déroule dans le reste de la Cisjordanie. Si un coup d’arrêt a été effectivement donné à l’occupation de cette maison, combien d’autres bâtiments sont quotidiennement agrandis ou construits par les colons ? Ce mouvement de colonisation est d’une extrême sensibilité parce que c’est le point de contact physique entre l’occupant et l’occupé. Qui des principaux candidats aux élections législatives israéliennes aura le courage de prendre ce dossier à bras-le-corps pour enfin initier des avancées significatives ? Si la dégradation continue de la situation est en premier lieu insupportable aux principales victimes que sont les Palestiniens, il faut comprendre qu’elle est aussi préjudiciable à la société israélienne qui voit ses propres valeurs se déliter en faisant la part belle aux extrémistes.

    Depuis l’expulsion de la « maison de la discorde », les violences contre les Palestiniens et leurs biens n’ont fait que s’amplifier. La situation devient des plus préoccupante. Ladite communauté internationale, le Quartet et son principal responsable Tony Blair, ont fait preuve d’un assourdissant silence. Il devient urgent de réagir si l’on veut juguler de nouvelles exactions.

    Didier Billion IRIS
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