L'Espagne se déchire à nouveau après la décision du juge Baltasar Garzon, annoncée jeudi 16 octobre, d'ouvrir une instruction sur la disparition de 114 266 républicains pendant la guerre civile et les premières années de la dictature franquiste, c'est-à-dire entre 1936 et 1952 malgré la loi d'amnistie.
Dans un acte d'une soixantaine de pages, le magistrat vedette de l'Audience nationale, la plus haute juridiction pénale espagnole, s'est déclaré compétent pour enquêter sur les exactions du franquisme, ordonnant l'ouverture de 19 fosses communes, dont celle où le poète Federico Garcia Lorca est censé être enterré, près de Grenade (Le Monde du 20 septembre).
Les partis de droite ont aussitôt critiqué une initiative qui "rouvre inutilement les blessures du passé", alors que la guerre civile "fut une tragédie collective avec des victimes des deux côtés". Le fondateur du Parti populaire (PP, droite), Manuel Fraga, 86 ans, qui fut ministre de l'information et du tourisme de Franco pendant sept ans, a dénoncé "une erreur très grave, une sottise", personne ne pouvant, selon lui, se déclarer compétent sur ce sujet "puisqu'il y a eu une loi d'amnistie". Voté en 1977, deux ans après la mort du dictateur, le texte, que les associations de familles de victimes ont baptisé "pacte du silence", était censé favoriser la réconciliation et la transition démocratique en cours.
C'est en vertu de cette même loi d'amnistie visant "les crimes politiques" commis avant le 15 décembre 1976 que le parquet, dépendant du gouvernement dirigé par le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero, a annoncé son intention de faire appel de la décision du juge Garzon.
Ce dernier anticipe l'argument : "L'Etat ne peut ni ne doit effacer ses propres crimes ni ceux de ses agents quand ils ont été dirigés contre ses propres citoyens", écrit-il dans son acte judiciaire, précisant que " toute loi d'amnistie qui cherche à effacer un crime contre l'humanité, qui ne peut être assimilable à un crime ou délit politique, sera nulle de plein droit."
Certes, la guerre civile espagnole est antérieure à la notion de crime contre l'humanité, admise pour la première fois lors des procès de criminels nazis de Nuremberg après la Libération. Mais le raisonnement juridique de Baltasar Garzon fait valoir que, dans l'esprit de la Convention de Genève, les violences commises après le soulèvement militaire du 17 juillet 1936 "avaient déjà à cette époque la qualité d'actes prohibés par le droit de la guerre". Le fait qu'on ignore encore où se trouvent la plupart des cadavres, jetés dans des fosses communes après leur exécution sommaire, en ferait des délits "continus", donc imprescriptibles.
Témoignages d'historiens à l'appui, M. Garzon considère que la répression obéissait à une volonté d'élimination "planifiée" des républicains. Dans l'impossibilité de poursuivre Francisco Franco et les principaux responsables de son régime, le juge Garzon a demandé au ministère de l'intérieur l'identification d'ex- hauts dirigeants encore en vie de la Phalange aux fins d'éventuelles poursuites.
C'est la première fois que la justice espagnole ouvre une enquête judiciaire sur cette période douloureuse de l'histoire du pays, alors qu'elle s'est reconnue depuis 2005 une compétence universelle pour juger les crimes contre l'humanité et les génocides. Une dizaine de plaintes sont actuellement instruites en Espagne pour des génocides présumés commis en Amérique latine, en Afrique et au Tibet.
Mondialement connu depuis qu'il a provoqué il y a dix ans, le 18 octobre 1998 à Londres, l'arrestation de l'ancien dictateur chilien Augusto Pinochet, Baltasar Garzon est plus que jamais la bête noire de la presse espagnole de droite. Tandis que le quotidien conservateur ABC dénonce "les graves contradictions légales et le manque de rigueur technique préoccupant" de son dossier, le magistrat est pour El Mundo (droite ultra libérale) "ni moralement ni mentalement apte à juger quiconque".
"Le lynchage public dont fait l'objet Garzon donne une idée du déficit démocratique dont souffre l'Espagne", écrit El Pais, vendredi 17 octobre. Le quotidien proche de la gauche ajoute que, malgré les soixante-dix années qui se sont écoulées depuis la guerre civile, "le procès virtuel de Franco est indispensable dans un pays qui n'a pas été capable d'affronter les misères de son passé".
Par Le Monde
Dans un acte d'une soixantaine de pages, le magistrat vedette de l'Audience nationale, la plus haute juridiction pénale espagnole, s'est déclaré compétent pour enquêter sur les exactions du franquisme, ordonnant l'ouverture de 19 fosses communes, dont celle où le poète Federico Garcia Lorca est censé être enterré, près de Grenade (Le Monde du 20 septembre).
Les partis de droite ont aussitôt critiqué une initiative qui "rouvre inutilement les blessures du passé", alors que la guerre civile "fut une tragédie collective avec des victimes des deux côtés". Le fondateur du Parti populaire (PP, droite), Manuel Fraga, 86 ans, qui fut ministre de l'information et du tourisme de Franco pendant sept ans, a dénoncé "une erreur très grave, une sottise", personne ne pouvant, selon lui, se déclarer compétent sur ce sujet "puisqu'il y a eu une loi d'amnistie". Voté en 1977, deux ans après la mort du dictateur, le texte, que les associations de familles de victimes ont baptisé "pacte du silence", était censé favoriser la réconciliation et la transition démocratique en cours.
C'est en vertu de cette même loi d'amnistie visant "les crimes politiques" commis avant le 15 décembre 1976 que le parquet, dépendant du gouvernement dirigé par le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero, a annoncé son intention de faire appel de la décision du juge Garzon.
Ce dernier anticipe l'argument : "L'Etat ne peut ni ne doit effacer ses propres crimes ni ceux de ses agents quand ils ont été dirigés contre ses propres citoyens", écrit-il dans son acte judiciaire, précisant que " toute loi d'amnistie qui cherche à effacer un crime contre l'humanité, qui ne peut être assimilable à un crime ou délit politique, sera nulle de plein droit."
Certes, la guerre civile espagnole est antérieure à la notion de crime contre l'humanité, admise pour la première fois lors des procès de criminels nazis de Nuremberg après la Libération. Mais le raisonnement juridique de Baltasar Garzon fait valoir que, dans l'esprit de la Convention de Genève, les violences commises après le soulèvement militaire du 17 juillet 1936 "avaient déjà à cette époque la qualité d'actes prohibés par le droit de la guerre". Le fait qu'on ignore encore où se trouvent la plupart des cadavres, jetés dans des fosses communes après leur exécution sommaire, en ferait des délits "continus", donc imprescriptibles.
Témoignages d'historiens à l'appui, M. Garzon considère que la répression obéissait à une volonté d'élimination "planifiée" des républicains. Dans l'impossibilité de poursuivre Francisco Franco et les principaux responsables de son régime, le juge Garzon a demandé au ministère de l'intérieur l'identification d'ex- hauts dirigeants encore en vie de la Phalange aux fins d'éventuelles poursuites.
C'est la première fois que la justice espagnole ouvre une enquête judiciaire sur cette période douloureuse de l'histoire du pays, alors qu'elle s'est reconnue depuis 2005 une compétence universelle pour juger les crimes contre l'humanité et les génocides. Une dizaine de plaintes sont actuellement instruites en Espagne pour des génocides présumés commis en Amérique latine, en Afrique et au Tibet.
Mondialement connu depuis qu'il a provoqué il y a dix ans, le 18 octobre 1998 à Londres, l'arrestation de l'ancien dictateur chilien Augusto Pinochet, Baltasar Garzon est plus que jamais la bête noire de la presse espagnole de droite. Tandis que le quotidien conservateur ABC dénonce "les graves contradictions légales et le manque de rigueur technique préoccupant" de son dossier, le magistrat est pour El Mundo (droite ultra libérale) "ni moralement ni mentalement apte à juger quiconque".
"Le lynchage public dont fait l'objet Garzon donne une idée du déficit démocratique dont souffre l'Espagne", écrit El Pais, vendredi 17 octobre. Le quotidien proche de la gauche ajoute que, malgré les soixante-dix années qui se sont écoulées depuis la guerre civile, "le procès virtuel de Franco est indispensable dans un pays qui n'a pas été capable d'affronter les misères de son passé".
Par Le Monde