Un ancien voisin du beau-frère à ma belle-sœur me racontait la dernière fois comment il a été soulagé d’une coquette somme de 450 000 dinars qu’il transportait dans la boîte à gants de son véhicule et qui était destinée à régler l’achat de quelques meubles qu’il venait de choisir chez un marchand de la capitale. Le propos ici n’est pas tant la détresse du bonhomme puisqu’il a miraculeusement récupéré son bien grâce à une opération de police tout aussi miraculeuse. Dans la discussion entre deux vieilles connaissances que j’ai eue avec lui, il était surtout question du terrible retard dans notre vaste et beau pays en matière de modes de paiement. Quand il a appris dans la foulée que dans les pays développés les gens peuvent payer leur sandwich, voire leur café avec une carte bancaire, que le chèque était déjà une vieillerie d’apothicaire, que tout peut se régler à partir d’un téléphone portable, il est devenu inconsolable. Comme la question est d’actualité, puisque le e-paiement sera, paraît-il, généralisé d’ici la fin de l’année au plus tard, nous avons évoqué les dernières informations en la matière, puis nous nous sommes mis à délirer… sérieusement. À tout seigneur tout honneur, il s’est mis à me raconter la version romancée la plus vraisemblable de son aventure. Dans cette « copie », il s’est vu sortir de chez lui, le cœur et les… poches légers, la carte « Dahabia » dans la pochette de la chemise et les yeux brillants de sérénité. Le voilà chez le marchand de meubles qui le reçoit avec le sourire et la courtoisie d’usage, avant de prendre son document, le passer dans la machine et lui annoncer la somme qui vient d’être débitée de son compte. Au revoir, merci et au plaisir de vous revoir dans la maison. Dans une heure au plus tard, ses achats sont livrés au pied de chez lui. Et si nous allions au resto maintenant ? Tu n’as pas de liquide ? Déconne pas, mon frère, personne ne s’encombre plus de liasses. « Les feuilles », comme disent nos amis oranais, c’est sympa mais c’est tout de même une vieille histoire. T’as acheté ton billet d’avion ? Oui, mais il faut que je confirme ça. Tu sais, ces histoires de paiement sur un clic, je n’arrive pas à m’y faire. Mon niveau de maîtrise technologique est plutôt primaire et je ne peux pas prendre le risque de rater mon vol. Mais tu ne peux plus payer autrement, mon frère, le tiroir-caisse, la caisse enregistreuse, c’est l’âge de la pierre. Tu dois mettre à jour ton logiciel, mon frère, et définitivement, sinon tu seras vite dépassé. Mais c’est tout le pays qui est déjà dépassé, non ? Et si on commençait par le chèque, c’est une bonne idée, non ? T’as tout faux, on peut même commencer par quelque chose qui n’existe pas encore. La technologie, on s’y adapte rapidement. Reste la volonté politique, celle-là, on l’a ou on ne l’a pas. Et puis les intérêts. Euh, c’est pour quand déjà, le… machinpaiement dont tu parlais, mon frère ?
S. L
S. L