Ce mercredi, le président de la FNSEA s'est inquiété que le gouvernement donne son aval à l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur, la Communauté économique des pays d'Amérique du Sud. Un compromis aurait été proposé à la France sous la forme d'un fonds de compensation à destination des agriculteurs. Une solution qui ne convient pas à ces derniers.
Les agriculteurs sont farouchement opposés à cet accord de libre-échange, craignant une concurrence déloyale avec les pays provenant du Mercosur. (Crédits : Reuters)Il y a de quoi remettre le feu aux poudres du côté des agriculteurs, déjà vent debout contre le nouveau plan qui se trame dans cette Union européenne dont ils se sentent si mal compris. « Ce qui est en train de se passer est totalement absurde. Nous agriculteurs ne pouvons l'accepter ! », met en garde Arnaud Rousseau, le président du syndicat agricole majoritaire, la FNSEA.
Selon le média Politico, l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur - la Communauté économique des pays d'Amérique du Sud -, en négociation depuis des années, et auquel plusieurs filières agricoles sont farouchement opposées, pourrait être rapidement adopté au sein des 27. Alors que s'est tenue, les 7 et 9 octobre derniers, une réunion des négociateurs en chef UE-Mercosur à Brasilia, un compromis aurait été proposé à la France, qui, jusqu'à présent, s'y est opposée en raison du risque de voir affluer des tonnes de viandes sud-américaines faisant concurrence aux éleveurs français. Il s'agirait de la mise en place d'un fonds de compensation à destination des agriculteurs pénalisés par la mise en oeuvre du traité commercial.
« Un combat existentiel pour l'agriculture »
Bruxelles se montrerait ainsi peu à l'écoute des vraies préoccupations dans les campagnes. « Nous sommes devant un combat existentiel pour l'agriculture : d'un côté, on continue d'imposer aux agriculteurs français tout un tas de normes sur l'environnement, et, de l'autre, on considère que ce n'est pas un problème d'importer de la nourriture produite avec des moyens interdits en Europe qui ne respectent pas nos critères et standards de qualité ! », explique Arnaud Rousseau.
« Alors que les agriculteurs ne perçoivent pas explicitement les résultats de leur mobilisation de cet hiver dans leurs exploitations, qu'on ne vienne pas nous embêter dans nos fermes avec des contrôles de l'Office national de la biodiversité » poursuit-il, en promettant de « prendre à témoin les consommateurs, les politiques, tout le monde ».
Un nouveau coup de pression au gouvernement, qui cherche à ménager son agriculture, seul secteur économique à bénéficier d'allègements fiscaux dans le cadre du projet de loi de financement (PLF) 2025, malgré l'objectif de réaliser 60 milliards d'euros d'économies l'année prochaine.
« Il y aura un bras de fer », assurait Bruno Le Maire
C'est aussi une source d'embarras, alors que l'ancien exécutif s'était montré particulièrement attentif aux inquiétudes des agriculteurs face à un accord UE-Mercosur. « Il y aura un bras de fer, et la France fera le nécessaire pour que le Mercosur tel qu'il est ne soit pas signé », assurait, en janvier dernier, Bruno Le Maire, alors ministre de l'Economie. « Tant qu'on n'a pas de réponse claire, et tant qu'on n'a pas quelque chose qui évite de livrer nos producteurs français à une concurrence déloyale, il ne peut pas y avoir d'accord du Mercosur », avait appuyé son confrère de l'Agriculture Marc Fesneau.
Le projet de traité, dont les discussions ont commencé en 1999, entend supprimer la majorité des droits de douane entre les deux zones en créant un espace de plus de 700 millions de consommateurs. Après un accord politique en 2019, l'opposition de plusieurs pays dont la France a bloqué son adoption définitive. De même, début février dernier, Bruxelles a signifié que les conditions n'étaient pas réunies pour conclure cet accord commercial entre l'Europe et les pays du Mercosur, à savoir l'Argentine, le Brésil, l'Uruguay, la Bolivie et le Paraguay.
Ce dont Emmanuel Macron s'était dit satisfait, réaffirmant la position de la France, de stricte opposition à l'accord de libre-échange. « On demande simplement que les règles environnementales et sanitaires soient les mêmes [pour tous] sinon ce n'est pas juste. La position française est une position de clarté », avait-il insisté. Présent au Brésil, le chef de l'Etat avait ainsi plaidé pour « un accord de nouvelle génération avec des clauses miroirs qui facilitera l'accès au marché européen de vos entreprises (...) et qui sera plus exigeant de part et d'autre avec nos agriculteurs, nos industriels », insistant également sur la nécessité de « prendre en compte le sujet de la biodiversité et du climat ». « C'est pour cela que je dis qu'il n'est pas bon », avait-il martelé, sans toutefois fermer totalement la porte.
L'Allemagne estime que « nous avons besoin de tels accords »
La position de la France se heurte à celle de certains de ses voisins qui aimeraient bien voir l'accord entrer en vigueur. À commencer par l'Espagne et l'Allemagne. Cette dernière « est très attaché(e) au libre-échange (...) et je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que nous avons besoin de tels accords, car ils ont une grande importance géostratégique », avait d'ailleurs déclaré le chancelier allemand, Olaf Scholz, lors d'une conférence de presse commune avec le Premier ministre français de l'époque, Gabriel Attal.
« Les négociations avec les pays du Mercosur sont en cours depuis 20 ans déjà. Il n'est pas si étonnant qu'on ait le sentiment qu'elles doivent aboutir et que l'on souhaite qu'elles aboutissent », avait-il insisté.
D'autres pays ont montré leurs réticences comme l'Autriche ou encore les Pays-Bas. Pour s'opposer à l'adoption du texte, il faudrait que la France obtienne une minorité de blocage au sein de l'UE. « Il faut donc qu'ils aient avec eux 45% des Etats qui représentent 35% de la population européenne », résumait il y a deux jours l'eurodéputée la France Insoumise Manon Aubry. Interrogée par La Tribune, elle regrette que « la France ait déjà acté sa défaite avant même d'avoir mené la bataille », reprochant à Emmanuel Macron de « vouloir acheter les agriculteurs avec une poignée de cacahouètes », ce qui « ne suffira pas à faire taire le scandale et l'impact de cet accord », estime-t-elle.
De son côté, la Commission européenne, interrogée à ce sujet par La Tribune, ne souhaite pas « commenter les négociations en cours ». Elle indique néanmoins que sa présidente, Ursula von der Leyen a tenu des réunions bilatérales avec l'Argentine, le Brésil et le Paraguay durant lesquelles elle a « réitéré l'engagement de l'UE à conclure les négociations », tout en assurant le respect « des objectifs de durabilité de l'UE et les sensibilités de l'UE dans le secteur agricole ».
Giulietta Gamberini et Coline Vazquez