Importer l’énergie fournie par le soleil saharien : les pays européens en rêvent depuis le XIXe siècle. Cette utopie est aujourd’hui en passe de se réaliser. En Tunisie, une centrale solaire géante développée par l’entreprise TuNur pourrait voir le jour dans les années à venir, avec l’ambition de fournir de l’électricité à bas prix à deux millions de foyers du Vieux continent. En plus de répondre à des logiques évocatrices d’un extractivisme colonial que l’on croyait révolu, ce projet ne sera pas sans conséquences sur les populations et les ressources locales.
Nous sommes dans le Saharien tunisien. Sur la route qui mène à Rjim Maatoug, à la lisière avec l’Algérie, les camions-citernes à hydrocarbures se croisent dans un ballet incessant, entre les différents gisements de la région. Sous administration militaire depuis les années 1980, ce territoire lunaire semé de palmeraies pourrait bientôt troquer son or noir contre les promesses de l’énergie verte. C’est ici, loin des regards et sur des terres collectives ayant autrefois abrité des populations nomades, que l’entreprise tuniso-britannique TuNur ambitionne d’implanter l’un des plus grands projets de centrale solaire thermodynamique au monde.
« Les énergies solaire et éolienne sont infinies, et la Tunisie dispose des deux enabondance », affirme ainsi l’entreprise dont l’ambition est de produire 4.5 GWh d’électricité vouée à l’exportation vers l’Italie, la France et Malte. Qualifié d’irréaliste par certains observateurs, ce projet titanesque pourrait bien bénéficier de la crise énergétique actuelle. Avec le déclenchement de la guerre en Ukraine il y a désormais plus de deux ans, les marchés énergétiques européens ont dû brutalement se restructurer, et le sud de la Méditerranée, aussi proche que riche en ressources naturelles, est devenu attractif.
Des pays tels que le Maroc, l’Égypte ou l’Arabie saoudite se disputent le titre de « nouveau hub énergétique ». Et si la crise a fait de l’Afrique du Nord un fournisseur très courtisé, comme c’est le cas pour l’Algérie, ce n’est pas uniquement pour le gaz naturel. Alors que le prix du baril de pétrole reste élevé et que les défis d’approvisionnement s’accumulent, l’Europe cherche pragmatiquement à accélérer la transition vers des énergies renouvelables moins coûteuses. Le Vieux Continent ne compte cependant pas satisfaire tous ses besoins en énergie verte sur son propre territoire, et convoite désormais les rayonnements qui se déversent sur ses voisins du sud de la Méditerranée, région possédant l’un des potentiels solaires les plus élevés au monde.
« L’Afrique sera certainement le partenaire le plus important pour l’Europe en ce qui concerne le développement des énergies renouvelables », estimait à ce sujet M. Frans Timmermans — alors commissaire européen à l’action pour le climat — lors d’un congrès organisé par l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena) à Abou Dhabi, en janvier 2023. Une déclaration qui faisait écho aux engagements pris dans le cadre du pacte vert pour l’Europe signé fin 2019. Quelques mois plus tard, lors de la COP28 à Dubaï, le vice-président de la Commission européenne Maroš Šefčovič annonçait un investissement de plus de 20 milliards d’euros pour l’Initiative Afrique-Union européenne pour les énergies vertes (AEGEI).
En Tunisie, ces annonces ambitieuses commencent à se concrétiser. Le 16 juillet 2023, le pays a signé avec l’Union européenne un protocole d’accord pour un « partenariat stratégique complet ». Parmi les grandes lignes évoquées — outre le contrôle de l’immigration — figure l’investissement dans les énergies renouvelables : « L’objectif est d’améliorer la sécurité de l’approvisionnement et de fournir à notre population et à nos entreprises une énergie propre à des prix abordables », affirmait à cette occasion Mme Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. Bien entendu, cette dernière se veut rassurante pour ses interlocuteurs du Sud. Selon elle, il s’agira aussi de « créer de bons emplois localement » dans « une situation gagnant-gagnant » et dans l’ « intérêt de tous ». Pour autant, cet accord fait explicitement référence à une initiative dont les bénéfices risquent d’être essentiellement européens. Il s’agit du projet Elmed, un câble sous-marin d’une capacité de 600 MW qui reliera les réseaux électriques tunisien et italien, un prototype que Rome voudrait également dupliquer avec la Libye.
Ces mégaprojets ne seront toutefois pas sans impact sur les populations et les ressources locales. Alors que seulement 3 % de l’électricité en Tunisie est produite à partir des énergies renouvelables, loin des ambitions officielles (atteindre 35 % d’ici 2030), et que le pays, empêtré dans une crise financière, peine à honorer ses objectifs climatiques, de nombreux investisseurs étrangers convoitent les ressources solaires tunisiennes, mais essentiellement à des fins d’exportation vers le nord. Derrière leur label écologique, les miroirs utilisés pour concentrer les rayons du soleil et créer de l’électricité éveillent le spectre d’un extractivisme européen avide des ressources de ses voisins. Ce schéma n’est pas sans rappeler celui à l’œuvre dans l’exploitation des énergies fossiles.
La Méditerranée, pont énergétique à sens unique ?
Au nom du principe d’exportation d’énergie « propre » du sud vers le nord, les annonces de construction de câbles électriques sous-marins entre les deux rives de la Méditerranée se sont multipliées ces dernières années. Au Maroc, l’entreprise britannique Xlinks a annoncé l’édification du plus long réseau de câbles maritimes au monde — 3 800 km d’ici 2029 —, ainsi que l’installation d’une centrale solaire de 10,5 GWh visant à fournir de l’électricité à 7 millions de foyers britanniques, soit 8 % des besoins en électricité de l’île. L’Égypte a, elle aussi, entamé la réalisation d’une ligne maritime d’interconnexion électrique avec Chypre et la Grèce. L’Algérie a également émis le projet d’approvisionner l’Italie et une partie de l’Europe en énergie électrique propre par le biais d’un nouveau câble sous-marin.
Une seule proposition de ce type a cependant déjà dépassé le stade des annonces : celui d’Elmed qui relie les villes de Kélibia (Cap Bon, Tunisie) et de Partanna (Sicile, Italie) et devrait bientôt interconnecter les réseaux électriques italien et tunisien. « Aubaine » et « projet du siècle » selon une presse tunisienne enthousiaste, le chantier à venir donnera naissance, à en croire Mme Giorgia Meloni, la présidente du conseil italien, à « un nouveau corridor énergétique entre l’Afrique et l’Europe, favorisant la sécurité d’approvisionnement en énergie et l’augmentation des échanges d’énergie à partir des sources renouvelables ».
Après l’approbation d’une première tranche de financements d’un montant de 268 millions de dollars par la Banque mondiale en juin 2023, Terna, la société qui gère le réseau italien de transport d’électricité, et la STEG, la Société tunisienne de l’électricité et du gaz, ont signé en novembre un autre accord financier à hauteur de 307 millions d’euros permettant le démarrage des travaux. « Pour la première fois, des fonds du programme de financement de l’Union européenne “Connecting Europe Facility” pour le développement de projets clés visant à moderniser l’infrastructure énergétique européenne ont été alloués à un projet entre un État membre et un État non membre », relève à ce sujet Mme Kadri Simson, commissaire européenne à l’énergie, lors des PCI (Projects of Common Interest) Energy Days. Si le projet d’interconnexion avec l’Italie progresse rapidement, les centrales solaires ou éoliennes manquent cependant toujours pour alimenter le réseau électrique national, largement tributaire du gaz algérien. Mais pour l’heure, l’entrée de devises étrangères via l’exportation d’énergies renouvelables semble prendre le pas sur les impératifs de sécurité et d’autosuffisance énergétiques. À l’inverse de ses voisins algériens et libyens, Tunis ne peut compter sur les revenus des hydrocarbures et parie sur l’exportation d’énergies renouvelables pour se retrouver à la pointe de la transition énergétique.
Du lobbying à l’export
Une ambition à laquelle TuNur entend répondre avec la construction de la plus vaste centrale solaire au monde. Derrière cette société se cachent les intérêts d’une poignée d’investisseurs bien connus du monde de la finance londonienne, scrutant de près l’avenir prometteur de la finance verte. À sa tête siège ainsi le banquier d’affaires anglais Kevin Sara, fondateur de plusieurs fonds d’investissement au Royaume-Uni. Il est également le directeur général du promoteur de projets solaires Nur Energie, société qui détient TuNur ltd aux côtés du groupe maltais Zammit.
Si la centrale solaire de TuNur n’existe encore que sur le papier, la société a déjà été active en matière de lobbying, de Tunis à Bruxelles. Implantée en Tunisie depuis 2012, elle a grandement contribué à la création d’un environnement législatif favorable aux exportations d’énergie renouvelable vers l’Europe. Elle apparaît depuis 2020 parmi les entreprises présentes dans le registre de transparence de la Commission européenne, une base de données répertoriant les organisations qui cherchent à influencer le processus législatif et de mise en œuvre des politiques des institutions européennes.
TuNur semble ainsi particulièrement s’intéresser au « Green Deal » de l’Union et au Réseau européen des gestionnaires de réseaux de transport d’électricité (ENTSO-E), une association fédérant une quarantaine d’entreprises de trente-cinq pays. « Il faut que l’État tunisien nous suive pour que l’énergie propre tunisienne soit compétitive sur le marché », assure M. Ali Kanzari, premier conseiller de TuNur en Tunisie et président de la Chambre syndicale du photovoltaïque tunisien (CSPT). Il confirme que l’entreprise démarche déjà des sociétés de distribution d’électricité en Italie et en France.
TuNur figure également parmi les projets sélectionnés dans le plan décennal de développement du réseau européen commun (TYNDP) 2022, une étape nécessaire pour espérer intégrer les rangs des projets importants d’intérêt commun (PIIEC) de l’Union dans le cadre de l’interconnexion des réseaux énergétiques européens. Une fois sélectionnés, les dossiers peuvent bénéficier d’une réglementation simplifiée et prétendre à un soutien financier de Bruxelles.
De l’autre côté de la Méditerranée, l’entreprise n’a cessé de travailler au corps les institutions tunisiennes, constituant ainsi « un puissant lobby afin d’obtenir l’inclusion de dispositions relatives aux exportations dans la législation sur les énergies renouvelables », selon le dernier rapport sur l’énergie de l’Observatoire tunisien de l’économie (OTE). Pour y parvenir, il a fallu entériner l’accès à la production et à la distribution d’électricité aux entreprises privées, qui demeurait jusque-là un monopole de la STEG, entreprise publique fortement endettée.
Approuvée en 2015, puis amendée en 2019, la loi n° 2015-12 relative aux énergies renouvelables a donc autorisé la libéralisation du marché de l’électricité en Tunisie, et ce malgré l’opposition farouche des syndicats. Conséquence de ce bras de fer, tous les projets d’énergie renouvelable approuvés par le ministère de l’énergie sont restés bloqués jusqu’à fin 2022, en raison du refus des syndicalistes de la STEG de raccorder la première centrale photovoltaïque privée du pays au réseau électrique.
Située à Tataouine, dans le Sud tunisien, cette infrastructure est gérée par Eni —multinationale italienne d’hydrocarbures —, en partenariat avec l’Entreprise tunisienne d’activités pétrolières (ETAP) et co-financée par l’Agence française de développement (AFD). « Nous demandons à l’État de revenir sur cette loi ratifiée sous la pression des multinationales. Nous ne sommes pas opposés aux énergies renouvelables, mais nous exigeons qu’elles restent à la disposition des Tunisiens, que l’électricité demeure un bien public », s’indigne M. Ramzi Khlifi, un syndicaliste ayant participé au blocage.
Dans ce contexte de tension entre la STEG, les institutions tunisiennes et les compagnies privées, TuNur a malgré tout réussi à se faire une place sur le marché local avec la construction, en 2019, d’une petite centrale solaire photovoltaïque à Gabès. En août 2022, la compagnie a annoncé un premier investissement de 1,5 milliard d’euros pour la réalisation de son projet principal.
Nous sommes dans le Saharien tunisien. Sur la route qui mène à Rjim Maatoug, à la lisière avec l’Algérie, les camions-citernes à hydrocarbures se croisent dans un ballet incessant, entre les différents gisements de la région. Sous administration militaire depuis les années 1980, ce territoire lunaire semé de palmeraies pourrait bientôt troquer son or noir contre les promesses de l’énergie verte. C’est ici, loin des regards et sur des terres collectives ayant autrefois abrité des populations nomades, que l’entreprise tuniso-britannique TuNur ambitionne d’implanter l’un des plus grands projets de centrale solaire thermodynamique au monde.
« Les énergies solaire et éolienne sont infinies, et la Tunisie dispose des deux enabondance », affirme ainsi l’entreprise dont l’ambition est de produire 4.5 GWh d’électricité vouée à l’exportation vers l’Italie, la France et Malte. Qualifié d’irréaliste par certains observateurs, ce projet titanesque pourrait bien bénéficier de la crise énergétique actuelle. Avec le déclenchement de la guerre en Ukraine il y a désormais plus de deux ans, les marchés énergétiques européens ont dû brutalement se restructurer, et le sud de la Méditerranée, aussi proche que riche en ressources naturelles, est devenu attractif.
Des pays tels que le Maroc, l’Égypte ou l’Arabie saoudite se disputent le titre de « nouveau hub énergétique ». Et si la crise a fait de l’Afrique du Nord un fournisseur très courtisé, comme c’est le cas pour l’Algérie, ce n’est pas uniquement pour le gaz naturel. Alors que le prix du baril de pétrole reste élevé et que les défis d’approvisionnement s’accumulent, l’Europe cherche pragmatiquement à accélérer la transition vers des énergies renouvelables moins coûteuses. Le Vieux Continent ne compte cependant pas satisfaire tous ses besoins en énergie verte sur son propre territoire, et convoite désormais les rayonnements qui se déversent sur ses voisins du sud de la Méditerranée, région possédant l’un des potentiels solaires les plus élevés au monde.
« L’Afrique sera certainement le partenaire le plus important pour l’Europe en ce qui concerne le développement des énergies renouvelables », estimait à ce sujet M. Frans Timmermans — alors commissaire européen à l’action pour le climat — lors d’un congrès organisé par l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena) à Abou Dhabi, en janvier 2023. Une déclaration qui faisait écho aux engagements pris dans le cadre du pacte vert pour l’Europe signé fin 2019. Quelques mois plus tard, lors de la COP28 à Dubaï, le vice-président de la Commission européenne Maroš Šefčovič annonçait un investissement de plus de 20 milliards d’euros pour l’Initiative Afrique-Union européenne pour les énergies vertes (AEGEI).
En Tunisie, ces annonces ambitieuses commencent à se concrétiser. Le 16 juillet 2023, le pays a signé avec l’Union européenne un protocole d’accord pour un « partenariat stratégique complet ». Parmi les grandes lignes évoquées — outre le contrôle de l’immigration — figure l’investissement dans les énergies renouvelables : « L’objectif est d’améliorer la sécurité de l’approvisionnement et de fournir à notre population et à nos entreprises une énergie propre à des prix abordables », affirmait à cette occasion Mme Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. Bien entendu, cette dernière se veut rassurante pour ses interlocuteurs du Sud. Selon elle, il s’agira aussi de « créer de bons emplois localement » dans « une situation gagnant-gagnant » et dans l’ « intérêt de tous ». Pour autant, cet accord fait explicitement référence à une initiative dont les bénéfices risquent d’être essentiellement européens. Il s’agit du projet Elmed, un câble sous-marin d’une capacité de 600 MW qui reliera les réseaux électriques tunisien et italien, un prototype que Rome voudrait également dupliquer avec la Libye.
Ces mégaprojets ne seront toutefois pas sans impact sur les populations et les ressources locales. Alors que seulement 3 % de l’électricité en Tunisie est produite à partir des énergies renouvelables, loin des ambitions officielles (atteindre 35 % d’ici 2030), et que le pays, empêtré dans une crise financière, peine à honorer ses objectifs climatiques, de nombreux investisseurs étrangers convoitent les ressources solaires tunisiennes, mais essentiellement à des fins d’exportation vers le nord. Derrière leur label écologique, les miroirs utilisés pour concentrer les rayons du soleil et créer de l’électricité éveillent le spectre d’un extractivisme européen avide des ressources de ses voisins. Ce schéma n’est pas sans rappeler celui à l’œuvre dans l’exploitation des énergies fossiles.
La Méditerranée, pont énergétique à sens unique ?
Au nom du principe d’exportation d’énergie « propre » du sud vers le nord, les annonces de construction de câbles électriques sous-marins entre les deux rives de la Méditerranée se sont multipliées ces dernières années. Au Maroc, l’entreprise britannique Xlinks a annoncé l’édification du plus long réseau de câbles maritimes au monde — 3 800 km d’ici 2029 —, ainsi que l’installation d’une centrale solaire de 10,5 GWh visant à fournir de l’électricité à 7 millions de foyers britanniques, soit 8 % des besoins en électricité de l’île. L’Égypte a, elle aussi, entamé la réalisation d’une ligne maritime d’interconnexion électrique avec Chypre et la Grèce. L’Algérie a également émis le projet d’approvisionner l’Italie et une partie de l’Europe en énergie électrique propre par le biais d’un nouveau câble sous-marin.
Une seule proposition de ce type a cependant déjà dépassé le stade des annonces : celui d’Elmed qui relie les villes de Kélibia (Cap Bon, Tunisie) et de Partanna (Sicile, Italie) et devrait bientôt interconnecter les réseaux électriques italien et tunisien. « Aubaine » et « projet du siècle » selon une presse tunisienne enthousiaste, le chantier à venir donnera naissance, à en croire Mme Giorgia Meloni, la présidente du conseil italien, à « un nouveau corridor énergétique entre l’Afrique et l’Europe, favorisant la sécurité d’approvisionnement en énergie et l’augmentation des échanges d’énergie à partir des sources renouvelables ».
Après l’approbation d’une première tranche de financements d’un montant de 268 millions de dollars par la Banque mondiale en juin 2023, Terna, la société qui gère le réseau italien de transport d’électricité, et la STEG, la Société tunisienne de l’électricité et du gaz, ont signé en novembre un autre accord financier à hauteur de 307 millions d’euros permettant le démarrage des travaux. « Pour la première fois, des fonds du programme de financement de l’Union européenne “Connecting Europe Facility” pour le développement de projets clés visant à moderniser l’infrastructure énergétique européenne ont été alloués à un projet entre un État membre et un État non membre », relève à ce sujet Mme Kadri Simson, commissaire européenne à l’énergie, lors des PCI (Projects of Common Interest) Energy Days. Si le projet d’interconnexion avec l’Italie progresse rapidement, les centrales solaires ou éoliennes manquent cependant toujours pour alimenter le réseau électrique national, largement tributaire du gaz algérien. Mais pour l’heure, l’entrée de devises étrangères via l’exportation d’énergies renouvelables semble prendre le pas sur les impératifs de sécurité et d’autosuffisance énergétiques. À l’inverse de ses voisins algériens et libyens, Tunis ne peut compter sur les revenus des hydrocarbures et parie sur l’exportation d’énergies renouvelables pour se retrouver à la pointe de la transition énergétique.
Du lobbying à l’export
Une ambition à laquelle TuNur entend répondre avec la construction de la plus vaste centrale solaire au monde. Derrière cette société se cachent les intérêts d’une poignée d’investisseurs bien connus du monde de la finance londonienne, scrutant de près l’avenir prometteur de la finance verte. À sa tête siège ainsi le banquier d’affaires anglais Kevin Sara, fondateur de plusieurs fonds d’investissement au Royaume-Uni. Il est également le directeur général du promoteur de projets solaires Nur Energie, société qui détient TuNur ltd aux côtés du groupe maltais Zammit.
Si la centrale solaire de TuNur n’existe encore que sur le papier, la société a déjà été active en matière de lobbying, de Tunis à Bruxelles. Implantée en Tunisie depuis 2012, elle a grandement contribué à la création d’un environnement législatif favorable aux exportations d’énergie renouvelable vers l’Europe. Elle apparaît depuis 2020 parmi les entreprises présentes dans le registre de transparence de la Commission européenne, une base de données répertoriant les organisations qui cherchent à influencer le processus législatif et de mise en œuvre des politiques des institutions européennes.
TuNur semble ainsi particulièrement s’intéresser au « Green Deal » de l’Union et au Réseau européen des gestionnaires de réseaux de transport d’électricité (ENTSO-E), une association fédérant une quarantaine d’entreprises de trente-cinq pays. « Il faut que l’État tunisien nous suive pour que l’énergie propre tunisienne soit compétitive sur le marché », assure M. Ali Kanzari, premier conseiller de TuNur en Tunisie et président de la Chambre syndicale du photovoltaïque tunisien (CSPT). Il confirme que l’entreprise démarche déjà des sociétés de distribution d’électricité en Italie et en France.
TuNur figure également parmi les projets sélectionnés dans le plan décennal de développement du réseau européen commun (TYNDP) 2022, une étape nécessaire pour espérer intégrer les rangs des projets importants d’intérêt commun (PIIEC) de l’Union dans le cadre de l’interconnexion des réseaux énergétiques européens. Une fois sélectionnés, les dossiers peuvent bénéficier d’une réglementation simplifiée et prétendre à un soutien financier de Bruxelles.
De l’autre côté de la Méditerranée, l’entreprise n’a cessé de travailler au corps les institutions tunisiennes, constituant ainsi « un puissant lobby afin d’obtenir l’inclusion de dispositions relatives aux exportations dans la législation sur les énergies renouvelables », selon le dernier rapport sur l’énergie de l’Observatoire tunisien de l’économie (OTE). Pour y parvenir, il a fallu entériner l’accès à la production et à la distribution d’électricité aux entreprises privées, qui demeurait jusque-là un monopole de la STEG, entreprise publique fortement endettée.
Approuvée en 2015, puis amendée en 2019, la loi n° 2015-12 relative aux énergies renouvelables a donc autorisé la libéralisation du marché de l’électricité en Tunisie, et ce malgré l’opposition farouche des syndicats. Conséquence de ce bras de fer, tous les projets d’énergie renouvelable approuvés par le ministère de l’énergie sont restés bloqués jusqu’à fin 2022, en raison du refus des syndicalistes de la STEG de raccorder la première centrale photovoltaïque privée du pays au réseau électrique.
Située à Tataouine, dans le Sud tunisien, cette infrastructure est gérée par Eni —multinationale italienne d’hydrocarbures —, en partenariat avec l’Entreprise tunisienne d’activités pétrolières (ETAP) et co-financée par l’Agence française de développement (AFD). « Nous demandons à l’État de revenir sur cette loi ratifiée sous la pression des multinationales. Nous ne sommes pas opposés aux énergies renouvelables, mais nous exigeons qu’elles restent à la disposition des Tunisiens, que l’électricité demeure un bien public », s’indigne M. Ramzi Khlifi, un syndicaliste ayant participé au blocage.
Dans ce contexte de tension entre la STEG, les institutions tunisiennes et les compagnies privées, TuNur a malgré tout réussi à se faire une place sur le marché local avec la construction, en 2019, d’une petite centrale solaire photovoltaïque à Gabès. En août 2022, la compagnie a annoncé un premier investissement de 1,5 milliard d’euros pour la réalisation de son projet principal.
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