Malgré la guerre en Ukraine, la France continue d’acheter d’énormes quantités d’uranium à l’entreprise d’État Rosatom. Peut-on prétendre soutenir Kyiv tout en versant plusieurs centaines de millions d’euros par an à son ennemi ? Des députés appellent à en finir.
Jade Lindgaard
La France devrait profiter du Conseil européen, jeudi 21 mars, pour réaffirmer son indéfectible soutien à l’Ukraine « aussi longtemps qu’il le faudra et aussi intensément que nécessaire »,fait savoir l’Élysée. Le même jour, elle paradera au sommet sur la relance du nucléaire que le gouvernement belge et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) organisent à Bruxelles. Avec la plus grosse délégation du continent, Paris veut y promouvoir l’atome au nom du climat et de la souveraineté énergétique.
Mais il y a un hic : la France continue d’importer chaque année d’énormes quantités d’uranium russe, remplissant ainsi les caisses de l’entreprise d’État Rosatom. C’est l’un des secrets les plus gênants du nucléaire français alors que la guerre en Ukraine dure depuis plus de deux ans et que Volodymyr Zelensky vient de protester contre « les pays qui sont [leurs] partenaires, mais qui financièrement sont les partenaires de la Russie dans cette guerre ».
Le président ukrainien appelle l’Union européenne à renforcer ses sanctions contre la Russie, et à y intégrer les dirigeants de Rosatom, qui ont pris la direction de la centrale nucléaire de Zaporijjia – l’AIEA y a documenté de nombreuses atteintes aux droits humains infligées au personnel ukrainien.
Agrandir l’image : Illustration 1Des cylindres d'uranium en provenance de Russie sont chargés sur un camion de transport au port de Dunkerque, dans le nord de la France, le 20 mars 2023. © Photo Sameer Al-Doumy / AFP
En 2023, les importations russes par la France ont représenté l’équivalent d’un peu moins d’un tiers de la quantité d’uranium enrichi nécessaire à faire tourner ses 56 réacteurs, autour de 223 tonnes. Ce sont les fichiers des douanes françaises qui révèlent ce chiffre, consultable en ligne (voir en Boîte noire nos explications). Ces achats d’uranium enrichi à Moscou lui ont rapporté un peu moins de 400 millions d’euros, selon les mêmes tableaux. Pour faire tourner les réacteurs des centrales d’électricité, il faut en effet augmenter la radioactivité du combustible par une série d’opérations chimiques que l’industrie appelle « enrichissement ».
Ce n’est pas une singularité : en 2022, la France avait déjà acheté à la Russie 312 tonnes d’uranium enrichi, pour un montant de 358 millions d’euros, comme l’avait découvert Greenpeace, qui avait analysé les données des douanes françaises sur plusieurs années. Résultat : « Alors que des années 2000 à 2021, la part des importations d’uranium enrichi de la France en provenance de Russie s’élevait à 41 %, elle a bondi à 57 % en 2022. » Avant de légèrement redescendre en 2023, autour de 54 %.
Autrement dit : « En 2022, en pleine invasion de l’Ukraine, les importations d’uranium enrichi russe ont quasiment doublé par rapport à leur taux annuel ces 20 dernières années », écrit l’ONG écologiste dans son rapport. « La France continue à se faire livrer de l’uranium enrichi de Russie et donc, jusqu’à preuve du contraire, cela montre une dépendance vis-à-vis de ce pays, analyse Pauline Boyer, chargée de campagne nucléaire à Greenpeace. Le commerce continue avec Rosatom, l’entreprise d’État qui domine tout le nucléaire russe, malgré la guerre en Ukraine, comme si la Russie n’occupait pas la centrale de Zaporijjia, et ne menaçait pas l’Europe d’une catastrophe nucléaire. C’est inadmissible. »
Au sein du monde nucléaire hexagonal, c’est le grand déni. Interrogé par Mediapart, le cabinet de Bruno Le Maire, désormais chargé du nucléaire, semble tomber de sa chaise : « C’est complètement faux, la France ne dépend pas de la Russie pour l’enrichissement de son uranium. » Et invite à se méfier de Greenpeace car « cette association a toujours tout fait pour décrédibiliser le nucléaire français ».
Du Kazakhstan, d’Ouzbékistan et de Sibérie
L’Élysée contourne l’obstacle en expliquant que « le président de la République a été extrêmement clair sur sa volonté de renforcer la souveraineté de la France et de réduire la dépendance sur l’ensemble de la chaîne de valeur industrielle car le nucléaire est un élément constitutif de notre souveraineté ». Mais si au nom de cette souveraineté nucléaire, Paris importe de plus en plus d’uranium russe, n’est-ce pas plutôt le signe d’une grave dépendance au pays le plus belliqueux et dictatorial du continent ?
« Oncontinue de nous berner avec la souveraineté énergétique alors qu’une bonne partie de notre uranium vient de Russie, c’est scandaleux,proteste Maxime Laisney, député LFI et chef de file de son groupe sur le nucléaire. Quand on veut affaiblir Poutine, on arrête de passer par lui pour se fournir en uranium. »
En 2022, près de la moitié de l’uranium naturel importé en France provenait du Kazakhstan et d’Ouzbékistan. Or « la quasi-totalité de l’uranium naturel en provenance du Kazakhstan, et une partie considérable de celui venant d’Ouzbékistan passent entre les mains de Rosatom qui contrôle le transport de toutes les matières nucléaires transitant sur le sol russe », décrit Greenpeace dans son rapport.
Par ailleurs, la France importe aussi de l’uranium de retraitement enrichi dans une usine secrète de Sibérie à Seversk, la seule au monde disposant de la technologie nécessaire pour cette action. Députée et cheffe de file des Écologistes sur le nucléaire, Julie Laernoes ironise : « On dit que les énergies renouvelables nous rendent dépendants des Chinois et que c’est mauvais pour l’industrie française, mais pour l’uranium que nous fournit Vladimir Poutine, il n’y aurait pas de problème ? »
Elle ajoute avoir été « estomaquée » à l’écoute d’Henri Proglio, ancien PDG d’EDF, qui a expliqué en décembre 2022 à la commission d’enquête parlementaire sur la souveraineté énergétique qu’il siégeait au conseil consultatif international de Rosatom « parce qu[’il] y trouve un intérêt intellectuel, d’une part, qu’[il] connaî[t] ces personnes depuis toujours, d’autre part » : « Je ne vois donc pas pourquoi je leur ferais l’affront de démissionner, que cela fasse plaisir ou pas à certains. » Et d’ajouter : « EDF et le nucléaire français continuent de travailler avec le nucléaire russe, et elle devra encore durablement travailler avec les nucléaires russe et chinois, ne vous en déplaise ! » Ces déclarations devant la représentation nationale ont été tenues neuf mois après l’entrée en guerre de la Russie contre l’Ukraine.
![](https://static.mediapart.fr/etmagine/article_thumbnail/files/2024/03/20/240320-nucleaire-cet-uranium-russe-que-la-france-continue-d-importer.jpg)
Agrandir l’image : Illustration 2Des cylindres d'uranium sont déchargés du cargo russe « Baltiyskiy 202 » au port de Dunkerque, le 20 mars 2023. © Photo Sameer Al-Doumy / AFP
Ancien président de cette commission parlementaire, le député (Les Républicains) Raphaël Schellenberger explique aujourd’hui « qu’il faut sortir des achats russes » : « Acheter à Rosatom amène de la valeur ajoutée à la Russie, et c’est ce contre quoi il faut lutter. » Selon lui, cette sortie est possible car « on a en France largement la capacité d’enrichir tout ce qu’il faut en uranium pour couvrir nos besoins ».
Jean-Claude Zerbib, membre de l’association Global Chance
Interrogée par Mediapart, EDF explique acheter chaque année près de 7 000 tonnes d’uranium (de tous types, enrichi ou pas), pour ses activités en France et dans le monde, ainsi que les services de transformation associés (enrichissement, fabrication de combustibles, recyclage). Et que « dans un souci de sécurité d’approvisionnement en combustible des centrales nucléaires, EDF maximise la diversification de ses sources géographiques et de ses fournisseurs » afin de n’être dépendants « d’aucun site, d’aucune société et d’aucun pays pour assurer [sa] sécurité d’approvisionnement ».Cet uranium russe se retrouve-t-il dans les réacteurs des centrales nucléaires, ou est-il revendu à des clients ? Impossible de le savoir auprès de l’industriel : « compte tenu du caractère confidentiel » de ces informations.
Mais fin novembre 2022, lors d’une livraison d’uranium russe au port de Dunkerque, Framatome, filiale à 75,5 % d’EDF, avait expliqué à Mediapart qu’il s’agissait d’une « livraison de matière pour la fabrication de combustibles nucléaires » à destination de son usine de Romans-sur-Isère (Drôme). Et que ces produits seraient ensuite destinés à ses clients, « et notamment le parc nucléaire français ».
La filière française ne produit-elle pas assez d’uranium enrichi pour fabriquer les assemblages de combustibles dont ont besoin ces 56 réacteurs nucléaires ? Selon Jean-Claude Zerbib, membre de l’association Global Chance, spécialisée en expertise sur la transition énergétique, « l’usine d’enrichissement par centrifugation d’Orano [anciennement appelé Areva – ndlr] au Tricastin (usine Georges-Besse II) pourrait enrichir le millier de tonnes d’uranium enrichi en isotope 235 dont EDF a besoin chaque année ». Sa capacité de production est suffisante.
Un projet d’extension de capacité de ce site a d’ailleurs été décidé en octobre dernier et vise à augmenter de 30 % les capacités d’enrichissement d’Orano, explique l’industriel : « Il répond à la demande de certains de nos clients de réduire leur dépendance vis-à-vis de la Russie. »
Ce chantier devrait débuter d’ici à la fin de l’été, pour un démarrage de production prévu en 2028. Par ailleurs, le groupe assure disposer de deux modules d’enrichissement de l’uranium de retraitement dans cette même usine et assure ne disposer d’aucun contrat d’enrichissement en cours avec la Russie, que ce soit pour de l’uranium naturel ou de l’uranium de retraitement.
Alors pourquoi continuer d’acheter autant d’uranium transformé à Rosatom ? L’ancienne ministre de l’énergie, Agnès Pannier-Runacher, y avait répondu devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, lors de l’examen de la loi d’accélération du nucléaire, en mars 2023. « EDF est liée par contrat avec une entreprise russe et la non-exécution de ce contrat apporterait plus d’argent à la Russie que son exécution minimale, avait-elle expliqué. Nous ne sommes pas idiots : nous donnons le minimum d’argent à la Russie. C’est aussi simple que cela. »
Idiote ou pas, un an après, la question du business as usual avec Moscou revient inévitablement, chargée du poids de la destruction d’un pays et de la mort de tant de ses habitantes et habitants.
Jade Lindgaard
Boîte noire
Pour connaître la quantité d’uranium importée par la France en provenance de Russie, il suffit de se rendre sur le site des douanes françaises, qui publient toutes leurs données.
En cherchant par pays, on peut télécharger la totalité des importations depuis la Russie, présentées sous la forme d’un tableau Excel. Il ne vous reste plus qu’à chercher par la nomenclature correspondant à « l’uranium enrichi en U235 et ses composés », à savoir : 28 44 2035. Les masses importées sont données en kilos, il ne vous reste plus qu'à les convertir en tonnes.
Ce résultat annuel peut ensuite être comparé à la quantité totale de combustibles dont le parc nucléaire civil a besoin chaque année : environ 1 030 tonnes d’uranium naturel enrichi (appelé UNE), selon le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN).
Jade Lindgaard
La France devrait profiter du Conseil européen, jeudi 21 mars, pour réaffirmer son indéfectible soutien à l’Ukraine « aussi longtemps qu’il le faudra et aussi intensément que nécessaire »,fait savoir l’Élysée. Le même jour, elle paradera au sommet sur la relance du nucléaire que le gouvernement belge et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) organisent à Bruxelles. Avec la plus grosse délégation du continent, Paris veut y promouvoir l’atome au nom du climat et de la souveraineté énergétique.
Mais il y a un hic : la France continue d’importer chaque année d’énormes quantités d’uranium russe, remplissant ainsi les caisses de l’entreprise d’État Rosatom. C’est l’un des secrets les plus gênants du nucléaire français alors que la guerre en Ukraine dure depuis plus de deux ans et que Volodymyr Zelensky vient de protester contre « les pays qui sont [leurs] partenaires, mais qui financièrement sont les partenaires de la Russie dans cette guerre ».
Le président ukrainien appelle l’Union européenne à renforcer ses sanctions contre la Russie, et à y intégrer les dirigeants de Rosatom, qui ont pris la direction de la centrale nucléaire de Zaporijjia – l’AIEA y a documenté de nombreuses atteintes aux droits humains infligées au personnel ukrainien.
![](https://static.mediapart.fr/etmagine/article_google_discover/files/2024/03/20/240320-nucleaire-cet-uranium-russe-que-la-france-continue-d-importer-2.jpg)
En 2023, les importations russes par la France ont représenté l’équivalent d’un peu moins d’un tiers de la quantité d’uranium enrichi nécessaire à faire tourner ses 56 réacteurs, autour de 223 tonnes. Ce sont les fichiers des douanes françaises qui révèlent ce chiffre, consultable en ligne (voir en Boîte noire nos explications). Ces achats d’uranium enrichi à Moscou lui ont rapporté un peu moins de 400 millions d’euros, selon les mêmes tableaux. Pour faire tourner les réacteurs des centrales d’électricité, il faut en effet augmenter la radioactivité du combustible par une série d’opérations chimiques que l’industrie appelle « enrichissement ».
Ce n’est pas une singularité : en 2022, la France avait déjà acheté à la Russie 312 tonnes d’uranium enrichi, pour un montant de 358 millions d’euros, comme l’avait découvert Greenpeace, qui avait analysé les données des douanes françaises sur plusieurs années. Résultat : « Alors que des années 2000 à 2021, la part des importations d’uranium enrichi de la France en provenance de Russie s’élevait à 41 %, elle a bondi à 57 % en 2022. » Avant de légèrement redescendre en 2023, autour de 54 %.
Autrement dit : « En 2022, en pleine invasion de l’Ukraine, les importations d’uranium enrichi russe ont quasiment doublé par rapport à leur taux annuel ces 20 dernières années », écrit l’ONG écologiste dans son rapport. « La France continue à se faire livrer de l’uranium enrichi de Russie et donc, jusqu’à preuve du contraire, cela montre une dépendance vis-à-vis de ce pays, analyse Pauline Boyer, chargée de campagne nucléaire à Greenpeace. Le commerce continue avec Rosatom, l’entreprise d’État qui domine tout le nucléaire russe, malgré la guerre en Ukraine, comme si la Russie n’occupait pas la centrale de Zaporijjia, et ne menaçait pas l’Europe d’une catastrophe nucléaire. C’est inadmissible. »
Au sein du monde nucléaire hexagonal, c’est le grand déni. Interrogé par Mediapart, le cabinet de Bruno Le Maire, désormais chargé du nucléaire, semble tomber de sa chaise : « C’est complètement faux, la France ne dépend pas de la Russie pour l’enrichissement de son uranium. » Et invite à se méfier de Greenpeace car « cette association a toujours tout fait pour décrédibiliser le nucléaire français ».
Du Kazakhstan, d’Ouzbékistan et de Sibérie
L’Élysée contourne l’obstacle en expliquant que « le président de la République a été extrêmement clair sur sa volonté de renforcer la souveraineté de la France et de réduire la dépendance sur l’ensemble de la chaîne de valeur industrielle car le nucléaire est un élément constitutif de notre souveraineté ». Mais si au nom de cette souveraineté nucléaire, Paris importe de plus en plus d’uranium russe, n’est-ce pas plutôt le signe d’une grave dépendance au pays le plus belliqueux et dictatorial du continent ?
« Oncontinue de nous berner avec la souveraineté énergétique alors qu’une bonne partie de notre uranium vient de Russie, c’est scandaleux,proteste Maxime Laisney, député LFI et chef de file de son groupe sur le nucléaire. Quand on veut affaiblir Poutine, on arrête de passer par lui pour se fournir en uranium. »
En 2022, près de la moitié de l’uranium naturel importé en France provenait du Kazakhstan et d’Ouzbékistan. Or « la quasi-totalité de l’uranium naturel en provenance du Kazakhstan, et une partie considérable de celui venant d’Ouzbékistan passent entre les mains de Rosatom qui contrôle le transport de toutes les matières nucléaires transitant sur le sol russe », décrit Greenpeace dans son rapport.
Par ailleurs, la France importe aussi de l’uranium de retraitement enrichi dans une usine secrète de Sibérie à Seversk, la seule au monde disposant de la technologie nécessaire pour cette action. Députée et cheffe de file des Écologistes sur le nucléaire, Julie Laernoes ironise : « On dit que les énergies renouvelables nous rendent dépendants des Chinois et que c’est mauvais pour l’industrie française, mais pour l’uranium que nous fournit Vladimir Poutine, il n’y aurait pas de problème ? »
Elle ajoute avoir été « estomaquée » à l’écoute d’Henri Proglio, ancien PDG d’EDF, qui a expliqué en décembre 2022 à la commission d’enquête parlementaire sur la souveraineté énergétique qu’il siégeait au conseil consultatif international de Rosatom « parce qu[’il] y trouve un intérêt intellectuel, d’une part, qu’[il] connaî[t] ces personnes depuis toujours, d’autre part » : « Je ne vois donc pas pourquoi je leur ferais l’affront de démissionner, que cela fasse plaisir ou pas à certains. » Et d’ajouter : « EDF et le nucléaire français continuent de travailler avec le nucléaire russe, et elle devra encore durablement travailler avec les nucléaires russe et chinois, ne vous en déplaise ! » Ces déclarations devant la représentation nationale ont été tenues neuf mois après l’entrée en guerre de la Russie contre l’Ukraine.
![](https://static.mediapart.fr/etmagine/article_thumbnail/files/2024/03/20/240320-nucleaire-cet-uranium-russe-que-la-france-continue-d-importer.jpg)
Agrandir l’image : Illustration 2Des cylindres d'uranium sont déchargés du cargo russe « Baltiyskiy 202 » au port de Dunkerque, le 20 mars 2023. © Photo Sameer Al-Doumy / AFP
Ancien président de cette commission parlementaire, le député (Les Républicains) Raphaël Schellenberger explique aujourd’hui « qu’il faut sortir des achats russes » : « Acheter à Rosatom amène de la valeur ajoutée à la Russie, et c’est ce contre quoi il faut lutter. » Selon lui, cette sortie est possible car « on a en France largement la capacité d’enrichir tout ce qu’il faut en uranium pour couvrir nos besoins ».
L’usine d’enrichissement d’Orano au Tricastin pourrait enrichir le millier de tonnes d’uranium enrichi dont EDF a besoin chaque année.
Jean-Claude Zerbib, membre de l’association Global Chance
Interrogée par Mediapart, EDF explique acheter chaque année près de 7 000 tonnes d’uranium (de tous types, enrichi ou pas), pour ses activités en France et dans le monde, ainsi que les services de transformation associés (enrichissement, fabrication de combustibles, recyclage). Et que « dans un souci de sécurité d’approvisionnement en combustible des centrales nucléaires, EDF maximise la diversification de ses sources géographiques et de ses fournisseurs » afin de n’être dépendants « d’aucun site, d’aucune société et d’aucun pays pour assurer [sa] sécurité d’approvisionnement ».Cet uranium russe se retrouve-t-il dans les réacteurs des centrales nucléaires, ou est-il revendu à des clients ? Impossible de le savoir auprès de l’industriel : « compte tenu du caractère confidentiel » de ces informations.
Mais fin novembre 2022, lors d’une livraison d’uranium russe au port de Dunkerque, Framatome, filiale à 75,5 % d’EDF, avait expliqué à Mediapart qu’il s’agissait d’une « livraison de matière pour la fabrication de combustibles nucléaires » à destination de son usine de Romans-sur-Isère (Drôme). Et que ces produits seraient ensuite destinés à ses clients, « et notamment le parc nucléaire français ».
La filière française ne produit-elle pas assez d’uranium enrichi pour fabriquer les assemblages de combustibles dont ont besoin ces 56 réacteurs nucléaires ? Selon Jean-Claude Zerbib, membre de l’association Global Chance, spécialisée en expertise sur la transition énergétique, « l’usine d’enrichissement par centrifugation d’Orano [anciennement appelé Areva – ndlr] au Tricastin (usine Georges-Besse II) pourrait enrichir le millier de tonnes d’uranium enrichi en isotope 235 dont EDF a besoin chaque année ». Sa capacité de production est suffisante.
Un projet d’extension de capacité de ce site a d’ailleurs été décidé en octobre dernier et vise à augmenter de 30 % les capacités d’enrichissement d’Orano, explique l’industriel : « Il répond à la demande de certains de nos clients de réduire leur dépendance vis-à-vis de la Russie. »
Ce chantier devrait débuter d’ici à la fin de l’été, pour un démarrage de production prévu en 2028. Par ailleurs, le groupe assure disposer de deux modules d’enrichissement de l’uranium de retraitement dans cette même usine et assure ne disposer d’aucun contrat d’enrichissement en cours avec la Russie, que ce soit pour de l’uranium naturel ou de l’uranium de retraitement.
Alors pourquoi continuer d’acheter autant d’uranium transformé à Rosatom ? L’ancienne ministre de l’énergie, Agnès Pannier-Runacher, y avait répondu devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, lors de l’examen de la loi d’accélération du nucléaire, en mars 2023. « EDF est liée par contrat avec une entreprise russe et la non-exécution de ce contrat apporterait plus d’argent à la Russie que son exécution minimale, avait-elle expliqué. Nous ne sommes pas idiots : nous donnons le minimum d’argent à la Russie. C’est aussi simple que cela. »
Idiote ou pas, un an après, la question du business as usual avec Moscou revient inévitablement, chargée du poids de la destruction d’un pays et de la mort de tant de ses habitantes et habitants.
Jade Lindgaard
Boîte noire
Pour connaître la quantité d’uranium importée par la France en provenance de Russie, il suffit de se rendre sur le site des douanes françaises, qui publient toutes leurs données.
En cherchant par pays, on peut télécharger la totalité des importations depuis la Russie, présentées sous la forme d’un tableau Excel. Il ne vous reste plus qu’à chercher par la nomenclature correspondant à « l’uranium enrichi en U235 et ses composés », à savoir : 28 44 2035. Les masses importées sont données en kilos, il ne vous reste plus qu'à les convertir en tonnes.
Ce résultat annuel peut ensuite être comparé à la quantité totale de combustibles dont le parc nucléaire civil a besoin chaque année : environ 1 030 tonnes d’uranium naturel enrichi (appelé UNE), selon le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN).