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Manger « Made in France » : le renoncement du gouvernement

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  • Manger « Made in France » : le renoncement du gouvernement


    Depuis 2021, la loi sanctionne en théorie l’affichage de drapeaux tricolores sur les aliments dont les ingrédients ne sont pas produits en France. Mais le gouvernement n’a jamais publié le décret, qu’il estime contraire au droit européen. En magasin, des marques exploitent la faille.

    Benjamin Douriez


    Fabriquées« Fabriquées en France. » Accompagnée d’un drapeau bleu-blanc-rouge, la promesse est en évidence sur l’emballage de ces pâtes fraîches – les tagliatelles aux œufs de plein air, de la marque Lustucru Sélection. Il faut de bons yeux, en revanche, pour repérer une minuscule mention sur le côté : « Semoule de blé origine UE, œufs origine UE. » Des ingrédients importés, donc. De quoi relativiser le patriotisme de Lustucru, même si les tagliatelles sont bien produites dans une usine de l’Hexagone. Comme elles se targuent de contenir « trois ingrédients et c’est tout », le seul composé 100 % français qu’elles incorporent est donc de l’eau !

    Dans les rayons des grandes surfaces, l’exemple est loin d’être isolé. Les jolis drapeaux garnissant les emballages ou les promesses de fabrication hexagonale ne signifient pas toujours que les ingrédients utilisés ont bien été produits en France. Des abus qui font mauvais effet alors que, dans sa panoplie de réponses à la colère des agriculteurs et agricultrices, l’exécutif a justement sonné la mobilisation sur l’origine française des produits.

    Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a promis « 10 000 contrôles » par les agent·es de la répression des fraudes, et sa ministre déléguée Olivia Grégoire entend mettre sur pied un affichage volontaire, pour rendre plus transparente l’origine des aliments industriels.

    Agrandir l’image : Illustration 1Affichage d’un drapeau français sur l’emballage alors que la viande provient de l’Union européenne. © Photomontage Mediapart

    Pas sûr cependant que ces déclarations inquiètent Lustucru et consorts. Car depuis des mois, Bercy a discrètement renoncé à mettre en œuvre une arme juridique contre ce type de « francisation » abusive des aliments industriels. En principe, pourtant, le bleu-blanc-rouge sur nos tagliatelles est illégal, selon l’article 12 de la deuxième loi Egalim, adoptée en octobre 2021.

    « Faire figurer un drapeau français, une carte de France ou tout autre symbole représentatif de la France sur les emballages alimentaires » n’est plus permis lorsque les « ingrédients primaires […] ne sont pas d’origine française », précise la loi. Une telle mise en scène relève de la « pratique commerciale trompeuse » et est en théorie passible de 300 000 euros d’amende et de deux ans de prison.

    Problème : le décret qui devait préciser les contours de l’interdiction et ses exceptions, dont la publication était « envisagée en juillet 2022 », est introuvable. L’interdiction est donc inapplicable. Le décret aurait-il été oublié ? Son élaboration « a été suspendue du fait de son incompatibilité avec le droit européen », répond Bercy à Mediapart. Autrement dit, le ministère a renoncé. La révision en cours du règlement européen sur l’étiquetage des denrées alimentaires serait le principal écueil.

    L’escamotage passé sous les radars


    L’association de consommateurs Foodwatch, qui avait applaudi la mesure, déplore son abandon en catimini. « La demande a-t-elle au moins été portée politiquement auprès de Bruxelles ? La France a-t-elle fait une demande officielle ? », s’interroge Camille Dorioz, son directeur des campagne. Il rappelle que cette interdiction des drapeaux français abusifs émanait d’un amendement parlementaire, adopté contre l’avis du gouvernement.

    Dans un rapport sur l’application de la loi Egalim publié à l’été 2022, les députés Nicole Le Peih (Renaissance) et Grégoire de Fournas (Rassemblement national) avaient identifié les réticences de l’exécutif dues à cette potentielle non-conformité au droit européen. Mais ils s’insurgeaient par avance : « Les difficultés juridiques ne sauraient en aucun cas dispenser le pouvoir réglementaire de prendre toutes les dispositions nécessaires à l’application de la loi. »

    Pour traquer le patriotisme trompeur des grandes marques, les inspecteurs et inspectrices de la répression des fraudes peuvent toujours s’appuyer sur « les principes élémentaires du droit de la consommation en matière de loyauté », précise Bercy. Mais ils sont de fait privés d’une arme contre les abus les plus criants. L’escamotage de la mesure semble être passé sous les radars. Ces dernières semaines, à la faveur du mouvement des agriculteurs, plusieurs médias ont rappelé cette interdiction, comme si elle était réellement en vigueur.
    Père Dodu affiche le drapeau tricolore sur tous ses cordons bleus. La volaille de certains d’entre eux a pourtant franchi des frontières.

    Dans les grandes surfaces, pourtant, la faille juridique est largement exploitée. Et parfois par des mastodontes des rayons. En plus des tagliatelles fraîches, Lustucru en profite sur de nombreuses autres références. Père Dodu affiche aussi le drapeau tricolore sur tous ses cordons-bleus, au motif qu’ils sont « préparés en France ». La volaille de certains d’entre eux a pourtant franchi des frontières : 40 % de la viande utilisée par la marque est importée, selon sa réponse à Mediapart.


    Agrandir l’image : Illustration 2Les drapeaux tricolores garnissant les emballages ne signifient pas toujours que les ingrédients utilisés ont bien été produits en France. © Photomontage Mediapart

    Même illusion sur les céréales Chocapic dans leur version bio : le géant Nestlé affiche à la fois le drapeau et la carte de l’Hexagone, autour de la mention « Fabrication française », alors qu’une partie du blé utilisé est importée. Interrogées, les trois marques assurent respecter la réglementation sur l’étiquetage et l’information des consommateurs. De fait, l’origine des ingrédients est bien indiquée, généralement en tout petits caractères – dans cette situation, c’est une obligation européenne, bien en vigueur, elle.

    « Mon impression est que les drapeaux français abusifs étaient moins nombreux dans les rayons juste après le vote de la loi, et il semble que la pratique se répande à nouveau. Les industriels ont bien intégré que la mesure n’est pas applicable », commente Camille Dorioz, chez Foodwatch.

    Une communication plus loyale n’a pourtant rien d’impossible. Ainsi, pour ses marques propres, Intermarché fait figurer le lieu de production sur la face avant des emballages : le distributeur y ajoute le drapeau tricolore si l’ingrédient principal est français, mais pas s’il est importé, selon nos constats.

    Contrôles plutôt sur les courgettes


    Face à la débauche de bleu-blanc-rouge dans les rayons, qu’attendre des contrôles de l’origine France diligentés par le gouvernement ? Le 23 février, Bercy en a communiqué les premiers résultats : sur 1 000 établissements visités, le ministère indique 372 infractions, dont 70 pourraient revêtir la qualification pénale de « pratique commerciale trompeuse ».


    Agrandir l’image : Illustration 3© Photomontage Mediapart

    Mais l’opération porte essentiellement sur l’origine de la viande, des fruits et des légumes. « Ce sont les vitrines de l’agriculture française », défend-on à la Direction de la répression des fraudes (DGCCRF). Foodwatch déplore un décalage entre l’annonce des contrôles et leur réalité : « Les contrôles sur les fruits et légumes sont essentiels, pas question de le nier. Mais le marketing du “made in France” sur les produits industriels n’est pas au cœur des contrôles actuels, notamment en raison de cette mesure inappliquée. »
    Cette focalisation présente un autre avantage pour l’exécutif : permettre d’afficher des résultats rapides. « On nous demande un maximum de contrôles pour montrer que l’on agit. Or, les contrôles sur les produits transformés sont plus longs à mener, et leur résultat plus aléatoire », précise David Sironneau, cosecrétaire général du syndicat Solidaires CCRF.

    Dit autrement, détecter une fausse origine sur un cageot de courgettes prend moins de temps que déceler une fraude sur l’ingrédient principal d’un plat préparé ou ferrailler avec un industriel pour des mentions exagérées sur ses emballages. Le responsable syndical déplore le manque de moyens pour mener ces investigations plus complexes : « Notre administration a perdu mille postes en quinze ans. »

    Concernant les produits transformés, la ministre déléguée à la consommation, Olivia Grégoire, entend défendre à Bruxelles une obligation de transparence sur l’origine. Elle réunira tous les acteurs mi-mars à Bercy, pour définir les contours d’un indicateur baptisé « Origine Score », par analogie avec le NutriScore. En attendant une décision européenne, seules les marques volontaires l’afficheraient.

    « C’est une bonne chose que la France prenne le leadership en Europe sur le sujet, tient à saluer Camille Dorioz. Même si, en pratique, la règlementation ne va pas bouger avant deux ou trois ans. » Les drapeaux tricolores abusifs ne sont pas près de disparaître des rayons.

    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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