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L’industrie allemande en plein marasme existentiel

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  • L’industrie allemande en plein marasme existentiel


    Le gouvernement fédéral allemand a révisé fortement à la baisse ses prévisions de croissance pour 2024 après une baisse du PIB en 2023. L’industrie, jadis joyau de la première économie européenne, est désormais à la peine. Et aucun signe de reprise ne se fait jour.

    Romaric Godin


    IlIl est rare qu’un ministre de l’économie reconnaisse que la situation de son pays est désastreuse. Et quand il en est réduit à le faire, on peut commencer sérieusement à s’inquiéter. Et c’est précisément ce qu’a fait, le 14 février, Robert Habeck, ministre fédéral allemand de l’économie, en parlant d’une « situation économique dramatiquement mauvaise ».

    Une semaine plus tard, le 21 février, ce même ministre annonçait une révision vertigineuse des prévisions de croissance du gouvernement fédéral pour 2024 et 2025. Pour l’année en cours, il n’est plus question que d’une hausse de 0,2 % du PIB, contre 1,3 % prévu par le budget jusqu’ici. Pour l’année prochaine, la croissance est révisée à la baisse de 1,9 à 1 %.

    Une croissance de 0,2 % en 2024 serait un chiffre d’autant plus mauvais que le pays a vu son PIB se contracter de 0,3 % l’an passé. Le chiffre a été confirmé par l’agence fédérale des statistiques Destatis vendredi 23 février. C’est la première baisse annuelle de cet indicateur – hors crise sanitaire – depuis 2009, année de la crise financière.

    En réalité, un simple coup d’œil sur le graphique du PIB trimestriel allemand permet de saisir l’ampleur du problème. Depuis 2017, le pays est entré dans une quasi-stagnation qui s’est amplifiée après la crise sanitaire. Entre le dernier trimestre 2017 et celui de 2019, soit en deux ans, le PIB trimestriel réel allemand n’a progressé que de 1,06 %. Dans les quatre années qui ont suivi, cette hausse n’a été que de 0,13 %.

    Résultat : le PIB allemand était, au dernier trimestre 2023, 8 % en deçà du niveau qui aurait été le sien si le rythme de croissance allant de début 2009 à fin 2017 avait été le même. La crise allemande n’est donc pas simplement conjoncturelle, elle est structurelle.

    Sombres perspectives


    Jeudi 22 février, la publication des indicateurs avancés des directeurs d’achat de l’entreprise d’analyse financière S&P, les PMI, est venue confirmer l’existence d’un mal allemand au cœur de l’Europe. Alors que la plupart des grandes économies européennes connaissent un léger mieux, y compris dans le domaine industriel, les perspectives allemandes continuent de plonger.

    L’indice PMI manufacturier allemand a ainsi chuté de 45,5 à 42,3 en un mois en février. Un indice en dessous de 50 signale une contraction de l’activité et plus il est bas, plus cette activité est faible. Les économistes s’attendaient plutôt à une légère remontée de cet indice, comme cela a été le cas, par exemple en France, où il est remonté en février de 41 à 46,3. Mais le PMI manufacturier allemand a replongé, revenant à son niveau d’il y a quatre mois, proche des plus bas de ces quinze dernières années.



    Agrandir l’image : Illustration 2L’indice PMI manufacturier allemand. © Infographie S&P

    Le lendemain, l’indice du climat des affaires calculé par l’institut Ifo, un des baromètres les plus suivis pour prendre le pouls de l’économie allemande, confirme le malaise dans l’industrie. Si l’indice général remonte légèrement en février, passant de 85,2 à 85,5, le sous-indice manufacturier continue de plonger. Les opinions négatives sur la situation dépassent de 17,4 points les opinions positives. Ce solde est négatif sans discontinuer depuis mai 2023. Pire encore, le solde négatif sur les perspectives du secteur manufacturier est de 26 points…

    Comme le résume l’institut Ifo, « l’économie allemande se stabilise à un niveau très bas ». Une stabilisation qui ne tient que grâce au secteur des services. Mais l’industrie, le joyau de l’Allemagne contemporaine, va de mal en pis. Et sans industrie, l’économie allemande ne peut croître.

    Le 21 février, la Bundesbank, la banque centrale allemande, a prévenu que le PIB allemand devrait encore se contracter au premier trimestre 2024, confirmant l’entrée du pays en récession « technique » (définie par deux trimestres consécutifs de baisse du PIB). Le décrochage allemand ne semble donc pas en mesure de s’améliorer à court ou même à moyen terme. Le pessimisme de Robert Habeck semble bien justifié.

    De la « locomotive » au « poids mort » de la zone euro

    Le changement de décor est impressionnant. Dans les années 2010, l’Allemagne pouvait se présenter comme un modèle pour le reste de la zone euro. Les gouvernements néolibéraux européens étaient d’ailleurs fort heureux de pouvoir calquer leurs décisions et leurs politiques économiques sur les désirs et les actes des dirigeants allemands qui prétendaient tracer le chemin de la croissance et de la réussite de l’union monétaire.

    On se souvient, pour le seul cas français que, de Nicolas Sarkozy à Emmanuel Macron, en passant par François Hollande, le « modèle allemand » était le Saint Graal permettant de justifier les « réformes structurelles ». L’histoire est souvent pleine d’ironie. Voici qu’à présent, ces mêmes dirigeants prétendent que suivre le modèle allemand aurait permis de faire mieux que l’Allemagne qui s’enfonce dans la crise.

    La réalité est bien différente. Les « réformes » n’ont pas permis le décollage promis de la croissance, qui s’affaiblit partout en Europe. Mais les pays qui sont le plus alignés sur l’Allemagne, dont le modèle est le plus proche du mercantilisme allemand et qui dépendent le plus des commandes de ce pays en paient clairement le prix aujourd’hui.

    Agrandir l’image : Illustration 3Le PIB réel allemand. © Infographie FRED (Réserve fédérale de Saint-Louis)

    Les « satellites » de l’Allemagne font grise mine. En 2023, le PIB néerlandais n’a augmenté que de 0,1 %, celui de la République tchèque de 0,4 %, celui de l’Autriche de 0,7 %, et celui de la Finlande de 0,5 %… La France, qui s’est engagée dans une forme de « germanisation » de sa politique économique, résiste un peu mieux, mais elle a aussi décroché au regard de la tendance d’avant la crise sanitaire.

    Le « génie » économique allemand est devenu une faiblesse et la « locomotive » de la zone euro est devenue sa voiture-balai. Ce retournement de situation n’est pas le fruit du hasard, mais bien de la stratégie mise en place outre-Rhin depuis un quart de siècle. Le modèle était fondé sur des faiblesses majeures qui se sont retournées contre lui-même, et c’est ce que ses défenseurs acharnés en France ou ailleurs ont refusé obstinément de voir, trop occupés qu’ils étaient à « discipliner » la force de travail nationale.

    Les illusions du « modèle allemand »

    Qu’était-ce donc que ce « modèle allemand » ? À la fin des années 1990 et au début des années 2000, le pays, qui doit digérer la réunification, est déjà qualifié par le président de l’Ifo de l’époque, Hans-Werner Sinn, « d’homme malade de l’Europe ».

    Pour redresser la barre, le capital industriel allemand impose alors une stratégie mercantiliste, c’est-à-dire une stratégie fondée sur la priorisation de l’excédent commercial. Pour cela, la priorité est de comprimer les salaires et donc la demande intérieure. L’effet est non seulement d’améliorer la compétitivité-coût des produits allemands, mais aussi de réduire la demande d’importations.

    En améliorant l’excédent extérieur, on améliore à la fois les profits et le solde budgétaire. C’est là la clé de la pensée ordolibérale qui domine outre-Rhin depuis les années 1950 : la volonté de l’excédent budgétaire et celle de l’excédent commercial vont de pair. La modération salariale est donc imposée dès la fin des années 1990, tandis qu’entre 2002 et 2004, les réformes Hartz de Gerhard Schröder permettent d’assurer le maintien de salaires faibles dans les services, tout en limitant la croissance des dépenses publiques sociales.

    L’effet sur la compétitivité de la production allemande va être rapide dans les années 2000. De bonne qualité et désormais plutôt bon marché, l’industrie allemande gagne d’immenses parts de marché. Mais l’équation est facilitée par trois éléments conjoncturels qui ont été, en réalité, les vrais moteurs du « modèle allemand » : la création de la zone euro en 1999, qui empêche toute dévaluation compétitive des concurrents européens, l’apport de gaz russe bon marché pour assurer une énergie à moindre coût et l’immense croissance chinoise qui assure des débouchés massifs aux produits allemands.
    Part de l'industrie manufacturière dans la valeur ajoutée. © Infographie Banque mondiale
    Au milieu des années 2010, les piliers du modèle allemand sont fragilisés. Les salariés allemands finissent par demander une part des immenses profits réalisés par les entreprises à l’exportation et la croissance chinoise commence à ralentir, tandis que la demande européenne n’en finit plus de stagner.

    Pendant quelques années, l’économie allemande résiste grâce à l’énergie bon marché, qui permet d’encaisser en partie la hausse des salaires réels, et grâce à la politique de taux bas de la Banque centrale européenne (BCE), qui lance une vague d’achats immobiliers assez inédit dans un pays où la culture était plutôt de rester locataire. L’Allemagne connaît alors un boom immobilier qui permet de compenser en partie les premières difficultés de l’industrie. Mais l’illusion ne va pas durer longtemps.

    Après la poussée inflationniste et la remontée des taux de la BCE, la croissance du secteur de la construction est stoppée net. En 2023, l’investissement dans la construction a reculé de 2,1 %, la troisième baisse annuelle consécutive après − 1,8 % en 2022 et − 2,6 % en 2021. La martingale ne fonctionne plus, l’économie allemande ne peut plus cacher sa crise industrielle.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2

    Une industrie à la dérive

    Le 22 février 2024, le constructeur automobile allemand Mercedes-Benz, fleuron d’un des principaux secteurs exportateurs allemands, annonce que l’on doit s’attendre à une baisse de sa rentabilité de près de trois points cette année. Le groupe doit faire face à deux défis qu’il peine à relever : un marché chinois décisif pour lui mais qui devient très concurrentiel, avec des prix en baisse et une inadéquation de son offre sur le marché des véhicules électriques, où la marque ne propose que du haut de gamme, alors que le marché se développe surtout sur le bas de gamme.

    L’exemple de Mercedes-Benz est un bon résumé des maux actuels de l’industrie allemande. La stratégie mercantiliste est, on l’aura compris, une stratégie du moindre coût et, partant, du moindre investissement. Dans les années 2000 et 2010, les profits industriels n’ont été réinvestis qu’au minimum outre-Rhin, tandis que l’État fédéral, lui, faisaient des économies sur l’entretien et le renouvellement des infrastructures pour afficher avec fierté le « Schwarze Null », l’équilibre budgétaire.

    Ce sous-investissement chronique a aussi été un élément clé de la rentabilité du « made in Germany » : il permettait d’afficher des profits importants en jouant sur un quasi-monopole acquis dans certains domaines de pointe, notamment les machines-outils ou les voitures haut de gamme. Mais la situation n’a duré qu’un temps.

    Dès la fin des années 2010, le patronat allemand commence à s’alarmer de l’état de délabrement des infrastructures publiques, qui finit par peser sur la compétitivité de l’économie. En parallèle, l’industrie allemande doit faire face à de nouveaux concurrents et à de nouveaux marchés. Et son sous-investissement chronique ne l’a pas préparée à cela.



    Agrandir l’image : Illustration 5Exportations en volume en Allemagne. © Infographie FRED (Réserve fédérale de Saint-Louis)
    Pendant que des constructeurs automobiles comme Volkswagen, entre 2005 et 2013, préféraient truquer les tests de pollution plutôt que d’investir dans des technologies alternatives, la Chine, elle, préparait déjà sa montée en gamme et sa domination du secteur des véhicules électriques. On voit alors la distinction nette entre le mercantilisme chinois et le mercantilisme allemand. Le dernier, mû par le seul profit immédiat, est incapable de préparer l’avenir et d’anticiper des changements de paradigmes. Le premier est davantage capable de saisir les ruptures à venir, même si cela est loin de résoudre les problèmes importants de la Chine par ailleurs.

    Dès lors, dès 2018-2019, les premières fissures du modèle allemand se font sentir, notamment dans l’automobile. L’offre est de moins en moins adaptée à la demande. Mais le déclin est général : la production de biens d’investissement est, par exemple, en chute libre depuis 2019 (− 10 %). L’Allemagne incarne alors une industrie de moins en moins adaptée aux besoins.


    Agrandir l’image : Illustration 6Production de biens d'investissement en Allemagne. © Infographie FRED (Réserve fédérale de Saint-Louis)

    Elle est incapable de proposer des éléments clés de la production moderne, comme les semi-conducteurs ou les batteries au lithium. Elle perd aussi ses avantages compétitifs dans des créneaux où, a priori, elle pouvait s’imposer, comme les énergies renouvelables. Mais dans l’éolien comme dans le solaire, la Chine, proposant des produits de qualité comparable moins chers, a rapidement mis fin aux ambitions allemandes.

    Le choc énergétique


    On réduit souvent les maux de l’industrie allemande à la fin de l’accès au gaz russe en 2022. C’est évidemment un point important, mais on aurait tort de se limiter à ce seul facteur. Bien sûr, le choc a été rude. Habituée à consommer de l’énergie bon marché, l’industrie allemande a dû, après le début de la guerre en Ukraine, se tourner vers des approvisionnements plus coûteux, notamment le gaz liquéfié en provenance des États-Unis. En juillet 2022, les prix à la production augmentaient sur un an de 46 %.

    L’effet sur la compétitivité de l’industrie allemande va être considérable. Si l’on observe la consommation du capital fixe rapporté au PIB, on constate une augmentation entre 2019 et 2022 de 18,4 à 20,3 %. La hausse est importante : ce ratio était resté quasi stable entre 2011 et 2017.


    Agrandir l’image : Illustration 7Prix à la production avec et sans l'énergie. © Infographie Destatis

    Or, faute d’avoir préparé l’avenir, l’industrie allemande n’a pas su réagir à ce nouveau défi. En 2023, la productivité du secteur manufacturier a reculé, pour la première fois depuis le relevé de ces données par Destatis en 2005. La baisse est faible, de 0,04 %, mais elle est significative et est l’aboutissement d’un mouvement continu de ralentissement de la productivité industrielle du pays. Sur les cinq dernières années, selon Destatis, les gains de productivité n’ont atteint que 5,12 %, soità peine plus de la moitié du rythme des cinq années précédentes (+ 11,4 %).

    Ce dernier fait rappelle que la fin de l’accès au gaz russe n’est pas un facteur déclencheur, mais un facteur aggravant de la crise industrielle allemande. Cette dernière a des racines plus profondes et est clairement entrée en crise à partir de 2017. L’énergie bon marché, on l’a vu, n’était qu’un des éléments du succès allemand.

    Le problème est que les autres – l’avantage compétitif et la croissance chinoise – ont également disparu. D’ailleurs, la consommation de capital fixe a commencé à augmenter fortement en 2017. En deux ans, elle est passée de 17,7 à 18,4 % du PIB, signe d’un manque d’efficacité croissant de l’outil productif allemand.

    Agrandir l’image : Illustration 8Production industrielle en Allemagne (en bleu). © Infographie Destatis

    En 2022, tout cela se combine à un ralentissement mondial pour provoquer un choc violent sur les exportations. Ces dernières ont résisté en 2022 (+ 3,3 %), avant de reculer fortement en 2023 (− 1,8 %). Les commandes à l’industrie allemandes sont d’ailleurs dans un état désastreux. Certes, en décembre 2023, elles ont affiché un rebond mensuel de 0,5 %, sous l’effet de quelques ventes d’avions, mais les carnets de commande sont en recul sur un an de 5,1 % en volume. Or la chute est encore plus forte pour les commandes à l’exportation, qui baissent sur un an de 11 %.

    Dans ce contexte difficile, la stratégie chinoise de surproduction industrielle pour assurer sa position dans certains secteurs haut de gamme vise directement l’Allemagne et laisse cette dernière dans une situation extrêmement vulnérable. En réalité, à cette surproduction chinoise correspond un recul de la production industrielle allemande, et c'est l’inverse parfait de ce qui s’est passé au début du siècle.

    Moins productive, plus chère, de plus en plus inadaptée à la demande, l’industrie allemande connaît donc une crise profonde qui, loin d’être accidentelle, est le produit de son modèle. Et pourtant, rien ne semble plus solidement ancré dans la culture économique allemande que ce modèle.

    L’aveuglement politique


    En Allemagne, le mercredi des Cendres, jour qui marque le début du carême dans la tradition catholique, est l’occasion de réunions politiques des différents partis. L’occasion de vérifier si la crise économique actuelle impacte les réflexions des formations de la coalition au pouvoir, le fameux « feu tricolore » entre les sociaux-démocrates du SPD, les libéraux du FDP et les Verts, et de l’opposition.

    Mais il semble que le carnaval de Mardi gras ait débordé sur le mercredi 14 février cette année. Pendant que le ministre-président bavarois Markus Söder proclamait son Land comme « zone libre du wokisme et du feu tricolore », le ministre fédéral des finances, président du FDP, Christian Lindner, devait reconnaître que la situation économique allemande était plus que préoccupante : « Si nous ne faisons rien, notre pays va rester en arrière. » Alors que faire ? « Réduire la bureaucratie », répond le ministre le plus puissant du gouvernement fédéral qui, un peu plus tard, proposera des « baisses d’impôts ».

    La pensée-réflexe de Christian Lindner traduit en fait l’impasse où le pays se trouve politiquement et économiquement. Alors que les défis supposeraient une redéfinition complète des orientations industrielles et de l’organisation économique du pays, les politiques tentent de rester dans le vieux champ ordolibéral qui hante l’Allemagne depuis les années 1950.

    L’épisode tragi-comique du plan d’investissement retoqué par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, cet automne, a confirmé cette situation. La Cour avait empêché la réutilisation des fonds du plan lié à la pandémie, mais la pression de Christian Lindner pour rétablir le plus tôt possible le « frein à l’endettement », cette limite constitutionnelle au déficit public, a obligé à sabrer dans les dépenses d’investissement prévues.

    Désormais, le pays doit, en plus, financer un effort militaire inédit pour rattraper son retard dans ce domaine. Les 100 milliards d’euros prévus jusqu’en 2028 pourraient ne pas suffire et le chancelier social-démocrate Olaf Scholz songe déjà à des coupes dans les retraites et les dépenses sociales pour assurer des fonds à la Bundeswehr, l’armée fédérale.

    C’est là le drame de notre voisin : confronté à des défis majeurs, il entend les relever avec, aux pieds, les poids de son orthodoxie budgétaire. La pensée ordolibérale est si ancrée qu’elle ne trouve pratiquement pas d’opposition dans le champ politique. Les Verts s’y sont rangés, la gauche est marginalisée et pas très claire sur le sujet, et l’extrême droite prétend revenir aux principes originels de « l’économie sociale de marché ».
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    • #3
      pourtant la productivité allemande est no 1....
      ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément

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      • #4

        Priorité aux profits immédiats


        Le pendant de cet aveuglement, c’est que l’affaiblissement industriel s’auto-entretient. Si l’emploi s’est maintenu outre-Rhin et a même continué d’augmenter depuis 2019, avec un taux de chômage de 2,9 % fin décembre, c’est au prix d’une fragmentation de cet emploi et d’une pression renouvelée sur les salaires. En 2022, les salaires réels ont reculé de 4 % sur l’année entière et à la fin du troisième trimestre 2023, le niveau des salaires réels était encore inférieur de 4,8 % à celui de la moyenne de 2022.

        Comme à la fin des années 1990, les salariés ont joué le rôle d’amortisseur de la crise pour les profits. Entre 2019 et 2023, la part des rémunérations dans la valeur ajoutée a reculé de 0,75 point à 70,03 %, tandis que celle des profits progressait d’autant. Le plein emploi, acquis en grande partie grâce à des emplois à temps partiel et très peu productifs, donc très mal payés, n’a pas assuré la résistance de la consommation des ménages.

        En 2023, cette dernière a reculé de 0,8 %, ôtant pas moins de 0,4 point à la croissance du PIB. Du jamais-vu dans ce siècle en dehors de la crise sanitaire. Même en 2009, la consommation, pourtant alors loin d’être le point fort de la croissance allemande, n’avait reculé que de 0,1 %. L’effet des salaires réels et les incertitudes de la crise structurelle ont détourné les Allemands de certaines dépenses, et notamment des biens durables, dont les ventes ont reculé de 6,2 %...

        Agrandir l’image : Illustration 9Indice des salaires réels en Allemagne. © Infographie Destatis

        On reconnaît bien là la poursuite de la logique mercantiliste : la compression de la demande intérieure pour sauvegarder les positions externes. Et de fait, la baisse des importations, plus forte que celle des exportations, est le seul élément positif de la croissance 2023 en Allemagne. Car, ce qui est inquiétant, c’est que, malgré la baisse réelle des salaires, l’investissement continue de rester atone. Certes, l’investissement global, en recul de 0,3 %, est pénalisé par la construction. On pourrait considérer que l’investissement en « machines et équipements » est sur la bonne voie, avec une hausse de 3 % en 2023, après 4 % en 2022. L’industrie allemande aurait-elle pris conscience de son retard ?

        Pas vraiment, ces chiffres sont gonflés par les renouvellements du parc de voitures professionnelles qui bénéficiaient d’un avantage fiscal. En réalité, dans le détail des données de Destatis, on constate que les investissements en machines, hors matériel de transport, ont reculé en Allemagne de 0,6 % en 2023 et de 0,7 % en 2024. La logique mercantiliste reste forte : il faut sauvegarder les profits existants sans penser à l’avenir.

        Là encore, la situation ne peut que se détériorer. Devant les difficultés, les grands groupes annoncent des plans d’économies, à l’image du chimiste BASF qui, le 23 février, a annoncé des licenciements et des réductions de coûts de « plusieurs milliards » d’euros. D’autres ont annoncé des investissements massifs… en Chine ou aux États-Unis.
        La puissance industrielle allemande s’effrite et commence à se déliter, sans qu’aucune solution ne semble en mesure d’être apportée en réponse.

        En 2023, les investissements allemands en Chine ont atteint des niveaux record et les groupes automobiles ont passé des accords avec les acteurs chinois du véhicule électrique pour tenter de rattraper leur retard. Un pari risqué, car, contrairement aux années 2000 et 2010, ce sont, dans ce domaine, les Chinois et non les Allemands qui mènent la danse.

        La situation allemande est par conséquent bien aussi mauvaise que ce que décrit Robert Habeck. Les chiffres de l’emploi ne doivent pas faire illusion, ils sont une partie même du problème puisqu’ils sont le fruit de la fragmentation de l’emploi et de la baisse globale de la productivité du travail (− 1 % en 2023).

        Le capital industriel allemand semble incapable de répondre à la situation, sauf en prenant des mesures qui l’aggravent au prétexte de tenter de sauvegarder les profits immédiats : pression sur les salaires qui réduit la demande intérieure et désinvestissement dans l’outil productif qui accroît son retard.

        Dans une telle situation, le seul recours ne peut être que l’État qui, dépassant le besoin de rentabilité immédiate, peut investir dans l’avenir. Mais, en Allemagne, l’obsession de l’orthodoxie budgétaire rend ce levier inopérant.

        Bien sûr, ce tableau ne doit pas laisser penser que l’industrie allemande est en voie d’effondrement. Elle dispose encore de solides positions, notamment en Europe, où la concurrence a disparu. Il ne faut pas oublier que la base industrielle allemande est évidemment bien plus diversifiée et importante que celle de la France, par exemple.

        Mais il n’empêche, la puissance industrielle allemande s’effrite et commence à se déliter, sans qu’aucune solution ne semble en mesure d’être apportée en réponse. Le risque d’une longue crise industrielle allemande se dessine donc, qui, si elle se confirme, aura inévitablement des répercussions économiques et politiques sur le reste de la zone euro.
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