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Guerre en Ukraine : le fiasco du départ des entreprises françaises de Russie

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  • Guerre en Ukraine : le fiasco du départ des entreprises françaises de Russie

    Bérézina économique!

    Des multinationales spoliées après leur retrait précipité, d’autres qui font semblant d’être parties, et toutes celles qui tentent de justifier leur présence… le destin russe des sociétés tricolores depuis l’attaque de février 2022 n’est pas très glorieux.

    Par Marc Angrand, Julien Bouissou, Emeline Cazi, Sophie Fay, Juliette Garnier, Laurence Girard, Adrien Pécout, Cécile Prudhomme et Benoît Vitkine (Moscou, correspondant)



    La retraite de Russie s’est transformée en débâcle pour les entreprises françaises, qui s’enorgueillissaient, avant l’invasion de l’Ukraine, le 24 février 2022, d’être les premiers employeurs étrangers du pays. Un nom résume ce traumatisme : celui de Danone. Fin juillet 2023, quatre jours seulement après la signature d’un décret présidentiel entérinant la prise de contrôle des douze usines du groupe agroalimentaire, les dirigeants locaux ont vu débarquer dans leurs bureaux Yakoub Zakriev, nouveau repreneur de fait et ancien ministre de l’agriculture tchétchène, neveu du dirigeant de la Tchétchénie, Ramzan Kadyrov.

    Selon le Financial Times, Danone aurait entamé des discussions pour céder les actifs à Murtimer Mingazov, un proche de ce neveu de M. Kadyrov. Cette « mise sous tutelle » provisoire gérée par Rosimouchtchestvo, l’agence fédérale des participations de l’Etat, a été vue par les dirigeants d’entreprises occidentales comme une manœuvre d’expropriation pure et simple, résultat à la fois d’un départ mal négocié par le groupe français, de considérations politiques difficiles à déchiffrer et des appétits voraces d’acteurs locaux qui savent sentir les vulnérabilités.

    En clair, l’épisode a montré qu’il n’existe aucune garantie de départ réussi, même en jouant selon les règles. Danone a déprécié ses activités russes à hauteur de 500 millions d’euros dès 2022 et de 200 millions d’euros supplémentaires en 2023.

    Expérience douloureuse


    L’expérience vécue par Renault, qui a échappé à l’expropriation, est tout aussi douloureuse. Le groupe français avait racheté à la fin du XXe siècle, à Moscou, l’usine Moskvitch, alors abandonnée, avant de la réaménager et de l’équiper pour y assembler plus de 100 000 modèles par an à partir de 2010. En 2008, il avait fait une deuxième acquisition, pour 1 milliard d’euros, d’une partie du capital d’AvtoVAZ, le fabricant de la Lada, propriétaire d’une immense usine au cœur de la « vallée de l’automobile » dans la région de Samara, dans le sud-ouest de la Russie.

    Renault éponge les dettes, trouve de nouveaux fournisseurs, licencie, réembauche, forme. Il employait sur place 45 000 personnes au moment de l’invasion russe en Ukraine. Le 16 mai 2022, le groupe prend la décision de céder, sans oser en dévoiler le montant, sa première usine à la ville de Moscou et sa participation dans la seconde à l’Institut central de recherche et de développement des automobiles et des moteurs, un organisme public.

    Il fait une croix sur son deuxième plus grand marché, en volume, après la France, avec une perte de 2,3 milliards d’euros sur son résultat 2023. Ultime camouflet : leministre russe de l’industrie et du commerce, Denis Manturov, révèle plus tard que les deux entités de Renault ont été cédées pour… 1 rouble (1 centime d’euro) chacune.

    Sortie « coûteuse »


    En 2006, Daniel Bouton, alors patron de la Société générale, voyait dans la Russie « l’un des marchés les plus prometteurs », avant d’entamer toute une série d’acquisitions, dont celle de Rosbank. Le 11 avril 2023, la banque française annonce l’arrêt total de ses activités, évoquant une « décision difficile et douloureuse ».

    Le désengagement du capital de Rosbank est vite bouclé, puisque Société générale brade ses parts à l’oligarque Vladimir Potanine, celui-là même à qui il les avait achetées quelques années plus tôt pour 4 milliards d’euros. La transaction a le mérite de permettre à la banque française une sortie « ordonnée » du marché russe. Ordonnée mais coûteuse : elle se soldera par une perte nette de 3,2 milliards d’euros dans les comptes du groupe.

    Certains départs ressemblent à des faux départs. L’Oréal, par exemple, rappelle avoir cessé la vente directe aux consommateurs, arrêté de « commercialiser la grande majorité de ses marques » et « suspendu ses investissements industriels », mais il a maintenu sa production en Russie.

    Tout en affirmant sa « condamnation la plus ferme de l’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine », TotalEnergies a conservé ses principaux actifs dans le pays. Il détient toujours des parts (à 19,4 %) de la société privée Novatek, et se retrouve ainsi actionnaire minoritaire de deux grands sites de production de gaz naturel liquéfié, Yamal LNG et Arctic LNG 2. Sur ce dernier site, TotalEnergies ne prévoit cependant « aucun enlèvement de gaz naturel liquéfié » en 2024.

    La situation incertaine a conduit le géant pétrogazier français à déprécier ses actifs en Russie, avec des provisions exceptionnelles de l’ordre de 14,8 milliards de dollars (13,7 milliards d’euros) pour 2022. Le groupe a d’abord annoncé, en juillet 2022, la cession de ses participations (20 %) dans le champ pétrolier de Kharyaga, dans le nord de la Russie ; puis dans la société Terneftegaz, en août 2022, deux jours après les révélations par Le Monde de la vente de condensats de gaz servant à fabriquer du kérosène, utilisé par les avions de combat russes en Ukraine. Des informations démenties par TotalEnergies.

    « Leroy Kremlin »


    La famille Mulliez a fait de ces « faux départs » une spécialité. Elle détient Leroy Merlin, première entreprise étrangère de Russie avec ses 115 magasins, ses 45 000 salariés et un chiffre d’affaires de 5 milliards d’euros en 2021. Vilipendée et qualifiée de« Leroy Kremlin » sur les réseaux sociaux, l’enseigne de bricolage décide de céder, en mars 2023, le « contrôle opérationnel » de sa filiale au « management local ».

    En fait, selon une enquête de L’Express parue mardi 20 février, la quasi-totalité du capital est contrôlée par une société domiciliée aux Emirats arabes unis et dirigée par Laurent Desfassiaux, le patron de la filiale russe de Leroy Merlin, elle-même contrôlée par une mystérieuse holding financière enregistrée elle aussi aux Emirats. Des « allégations contestées avec la plus grande fermeté » par l’enseigne.

    En revanche, la famille a fermé les 60 magasins Decathlon, même si elle continuait à approvisionner l’enseigne russe Desport avec ses marques Kalenji ou Wedze, comme l’a révélé l’enquête du média Disclose en décembre 2023. Une enquête du Monde, en février 2023, a révélé qu’Auchan, l’autre enseigne détenue dans le pays par la famille Mulliez,aurait participé à l’effort de guerre russe. Une information qu’elle a démentie.

    « Valait-il mieux en faire cadeau aux Russes ? »


    Parmi les entreprises toujours présentes en Russie, Vinci laisse entendre qu’elle n’a pas le choix, car tous les acquéreurs intéressés par la reprise de ses parts minoritaires (40 %) dans trois concessions de l’autoroute Moscou-Saint-Pétersbourg étaient sur la liste des sanctions. « Il était impossible de nous en débarrasser légalement, donc valait-il mieux en faire cadeau aux Russes ? », fait-on valoir chez le géant de la construction. L’entreprise minimise sa présence sur place : elle n’y emploie aucun expatrié, et le chiffre d’affaires dans ce pays est si faible qu’il n’est pas consolidé dans les résultats annuels.

    Yves Rocher poursuit aussi ses activités sur le marché russe, qui représentait 15 % de son chiffre d’affaires voilà deux ans. « Par devoir » et pour « prendre soin » de ses collaborateurs, avait précisé au Monde le groupe en mai 2022. Alexeï Navalny n’a pas eu droit à ce traitement de faveur. L’enseigne a porté plainte, en 2012, pour « escroquerie » contre une société qu’il codétenait. Le principal opposant à Vladimir Poutine est mort en prison, vendredi 16 février. « Il n’y a aucun lien entre ce drame et la procédure », assure au Monde une porte-parole du groupe.

    Les entreprises qui poursuivent leurs activités sont accusées de contribuer à la machine de guerre russe, par le biais de leurs impôts, la mobilisation de leur personnel ou des réquisitions. D’autres sont contraintes au départ par les sanctions, notamment celles qui visent les marchandises à double usage, civil et militaire, ou par les difficultés d’approvisionnement qui perturbent leurs activités.



    Un rabais imposé sur la valeur de l’actif


    Au sein de l’Association Of European businesses, qui représente les intérêts des entreprises européennes en Russie, environ 20 % des membres ont cessé de payer leur cotisation et auraient donc quitté la Russie. « Plusieurs dizaines de sociétés françaises se sont engagées dans des opérations de retrait », explique Bercy. Elles ne représentent que 3,9 % des départs d’entreprises occidentales depuis l’invasion russe en Ukraine, loin derrière les Etats-Unis (32 %), le Royaume-Uni (10,6 %), l’Allemagne (7,8 %) ou même la Finlande (4,8 %), selon la dernière liste mise à jour par l’université américaine Yale. Certains secteurs, comme l’aéronautique, directement soumis aux sanctions occidentales, sont plus touchés que d’autres par les départs.


    Le Kremlin cherche à freiner ces retraits. Toute cession doit recevoir le feu vert de plusieurs ministères. La vente aux équipes dirigeantes de l’entreprise est désormais interdite, car elle est considérée comme une forme de contrôle déguisée, tout comme les options de rachat ultérieur. Il y a ensuite le coût de l’opération, particulièrement dissuasif. Un rabais est imposé sur la valeur de l’actif, qui est passé de 20 % à plus de 50 %, auquel il faut ajouter une « taxe de sortie » de 15 % sur le montant de la vente.

    « A la fin, vous vous en sortez souvent en slip, résume un connaisseur de ces procédures, et c’est encore plus dur et coûteux si les activités de la société touchent à la banque, ou de près ou de loin à l’énergie. » Entre 300 et 500 dossiers français – des demandes de rapatriement de dividendes ou de cession d’entreprises, en passant par des ventes de biens immobiliers − attendraient l’agrément de Moscou, selon une source du Monde. Grâce à la vente au rabais de leurs actifs, de nouveaux empires russes se sont formés, avec à leur tête des oligarques proches du Kremlin.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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