Les vulnérabilités se multiplient et commencent à toucher tous les secteurs. Dans Pénuries, quand tout vient à manquer (Payot), Renaud Duterme, enseignant en géographie déjà auteur du Petit manuel pour une géographie de combat (2020) et de Nos mythologies écologiques (2021), dresse l’état de la raréfaction des ressources nécessaires à nos sociétés productivistes, en tire les conséquences en ce qui concerne les énergies et nos modes de vie, tout en insistant sur le danger qu'une conjonction de toutes ces fragilités pourrait constituer.
Laurent Ottavi (Élucid) : De récents événements comme la crise Covid, la guerre en Ukraine ou encore le blocage du canal de Suez par un porte-conteneur, ont à la fois créé et révélé les grandes fragilités de la mondialisation. Pouvez-vous en donner des exemples et en évaluer la portée ?
Renaud Duterme : Jusqu’ici, les vulnérabilités de notre temps n’ont pas encore donné lieu à des pénuries majeures, davantage à des craintes, et les perturbations ont été surmontées. Cependant, la prise de conscience demeure encore très limitée. L’impression d’un système résilient – ce qu’il est effectivement dans une certaine mesure – l’emporte, alors que les vulnérabilités se multiplient et qu'elles commencent à toucher tous les secteurs.
Le fait est que l'approche interdisciplinaire manque à beaucoup d’analyses, et a fortiori dans le débat public, où on invite par exemple un économiste pour parler d’économie et un climatologue pour évoquer le réchauffement climatique. Or, les fragilités de notre temps résultent de causes très variées, des tensions géopolitiques aux perturbations climatiques en passant par la raréfaction des ressources ou les mouvements sociaux, au point que, quel que soit le fil que l’on tire, cela perturbe tous les autres.
Plus encore que d’interdisciplinarité, nous manquons d’une approche globale et systémique. Les différentes vulnérabilités auxquelles nous faisons et ferons face sont encore plus préoccupantes une fois combinées. Elles s’alimentent les unes les autres. Le château de cartes est capable de tenir debout malgré quelques cartes en moins, mais il y a de quoi nourrir des inquiétudes quant à la solidité de l’ensemble de la structure.
Élucid : Dans votre ouvrage, vous vous étonnez de la sous-estimation dont le pétrole fait l’objet, alors que celui-ci représente le « sang de nos économies » pour reprendre l’expression de Matthieu Auzanneau. Pouvez-vous rappeler l’importance du pétrole dans notre économie et les conséquences d’une raréfaction de ses stocks ?
Renaud Duterme : Beaucoup de malentendus circulent autour du pic pétrolier. Le pétrole sera présent en sous-sol pour encore très longtemps. En revanche, depuis le premier choc dans les années 1970, la raréfaction du pétrole le rend de moins en moins disponible et de plus en plus difficile à aller chercher, ce qui coûte de plus en plus cher (même en tenant compte d'éventuelles phases de baisse, l’évolution des prix n’étant pas linéaire). Aujourd’hui, nous considérons que le prix du pétrole est relativement bas lorsqu'il se situe autour des 80 dollars le baril, alors qu’un tel prix, il y a quelques années, aurait été considéré comme très élevé. Les choses vont s’intensifier à l’avenir avec des montagnes russes sur les prix du pétrole (qui sera en baisse lorsque la contraction économique générée par des prix trop élevés fera baisser la demande) et une trajectoire générale qui sera à la hausse.
De ce fait, la raréfaction du pétrole risque donc d’avoir deux conséquences majeures. La première est une remise en cause du système de délocalisation basé sur un pétrole bas marché afin d’alimenter les porte-conteneurs, les camions, les avions, etc., qui font fonctionner la mondialisation. La seconde conséquence a bien été mise en évidence par la guerre en Ukraine. Dans un contexte d’abondance pétrolière avec des gisements rentables un peu partout, la perturbation générée chez un producteur pose peu problème, car il est toujours possible de se reporter sur un autre. Si la guerre en Ukraine, par exemple, avait eu lieu il y a une ou deux décennies, les tensions auraient sans doute été moins importantes, car on aurait pu se fournir en pétrole auprès d’autres producteurs.
Aujourd’hui, la majorité des grands producteurs de pétrole ont déjà passé leur pic de production. En cas de perturbation chez l’un d’entre eux, il devient bien plus difficile de compenser par l’achat de pétrole ailleurs. Nous nous rabattons sur les États-Unis pour le gaz et sur le Moyen-Orient pour le pétrole, mais l’actualité vient nous rappeler l’instabilité du monde et en particulier de certaines régions. Un potentiel élargissement du conflit israélo-palestinien, notamment à l’Iran, aurait d’énormes conséquences, car deux des principales sources de pétrole pour le continent européen se tariraient ou deviendraient fortement perturbées.
L’électricité est une autre carte maîtresse de l'édifice mondialisé. Quel état des lieux faites-vous quant à cette énergie et quelles sont selon vous les perspectives à moyen terme ?
C’est plus ou moins la même chose. L’électricité est seulement un vecteur énergétique, alimenté par des énergies primaires. Elle est donc sujette aux tensions géopolitiques et l’on sait par exemple que des pays comme la Belgique et l’Allemagne sont fortement dépendants du gaz pour produire de l’électricité. L’impact climatique de notre production d’électricité impose, de plus, qu’elle soit de plus en plus décarbonée si l’on veut tenir les engagements internationaux et limiter les conséquences du réchauffement climatique.
D’autre part, toutes les sources d’électricité décarbonées ont un certain nombre de contraintes climatiques ou physiques. On peut penser notamment à l’intermittence des énergies éoliennes et solaires, qui doivent être compensées soit par des centrales à gaz – ce qui renvoie à la question de la dépendance géopolitique vis-à-vis d’autres producteurs – soit par des centrales à charbon, ce qui amplifie le problème climatique, soit par les centrales nucléaires. Sur ce dernier point, la question n’est pas d’être pour ou contre le nucléaire, comme il n’est pas question d’être pour ou contre telle ou telle énergie en général, mais de l’inscrire dans un contexte de contraintes physiques et climatiques beaucoup plus large.
Le nucléaire équivaut à plus ou moins 5 % des besoins énergétiques mondiaux aujourd’hui. L’illusion est de penser qu’on pourra continuer nos modes de vie actuels et compenser uniquement par le nucléaire. Même dans un pays comme la France, un des plus nucléarisés au monde, toute une série de contraintes est déjà là : l’assèchement des cours d’eau qui a déjà provoqué l’arrêt de plusieurs centrales, le désamour de la filière chez de nombreux ingénieurs, le vieillissement des centrales (donc de plus en plus souvent en panne et de plus en plus compliquées à réparer dans un contexte où la main-d’œuvre manque), les contraintes de délais dues à la construction d’une centrale, au repérage et à la faible acceptation sociale par la population locale. La seule solution sera la sobriété, voire la décroissance, c’est-à-dire la réduction drastique de nos besoins en électricité.
Après avoir analysé la question de la pénurie à l’aune du pétrole et de l’électricité, qu'en est-il en ce qui concerne les minerais ?
Ils constituent le second pilier de nos sociétés modernes, car celles-ci dépendent de flux énergétiques et des flux de matières. Or, la totalité de ces minerais est également non renouvelable. Comme pour le pétrole, l’épuisement total et soudain des ressources est un scénario illusoire. Les gisements seront de moins en moins concentrés, donc de plus en plus rares. Les prix augmenteront fortement, car, tout comme il faut plus d’énergie pour exploiter plus d’énergie, il faut plus de minerais pour exploiter plus de minerais. Les conséquences environnementales seront aussi d’autant plus importantes pour les extraire.
Le secteur de la mine est vorace en eau alors que de nombreux gisements miniers se trouvent dans des zones à fort stress hydrique : le Chili pour le cuivre, l’Amérique du Nord, la Chine. La conjonction de problèmes, à nouveau, sur fond de contraintes diverses (énergétiques, hydriques, etc.) et de moindre concentration des minerais, risque de rendre l’exploitation de certains minerais de plus en plus compliquée. Il nous faudra faire des arbitrages. Il est de ce fait fondamental de s’interroger sur la pertinence de la numérisation croissante de la société et de l’électrification promise de l’ensemble du parc automobile.
Au regard de l’ensemble des contraintes, ne serait-il pas plus judicieux d’envisager des politiques de sobriété pour ces deux secteurs, ce qui passe notamment par un débat démocratique sur la pertinence de l’utilisation accrue du numérique dans de nombreux secteurs (enseignement, santé, agriculture, objets quotidiens, etc.) ainsi que sur la pertinence de politiques visant à réduire notre dépendance à la voiture.
Votre panorama signifie un retour des limites après une surexploitation irresponsable. Vous avez souligné au début de l’entretien le manque de conscience vis-à-vis des vulnérabilités de notre temps. Comment qualifieriez-vous les mesures annoncées par les gouvernements et leurs objectifs affichés sur ces questions ?
Nous mettons clairement des rustines sur des problèmes systémiques. Le cas de la voiture électrique, qui sert à relancer un marché, est significatif, sans même parler des camions, des avions ou des porte-conteneurs si essentiels au système actuel. De manière générale, l’option mise en avant est celle du solutionnisme technologique, qui cherche surtout à créer de nouveaux marchés pour relancer la machine économique. Elle est intenable à de multiples points de vue. Elle demande des délais considérables pour remplacer les infrastructures physiques.
On ne parle pas non plus des externalités sociales des solutions que l’on avance. Depuis des années déjà, nous avons délocalisé les activités polluantes dans des pays souvent pauvres et lointains. Nous proposons aujourd’hui des mesures qui aggravent les problèmes ailleurs. Je pense à l’extraction du cobalt ou à la fabrication des batteries. Je pense aussi à ce que nous allons faire des vieilles voitures. Des voitures qui ne sont plus aux normes et sont remplacées par des voitures dites « propres », mais qui ne le sont pas tant que cela au regard du cycle de production, partiraient à l’exportation, principalement pour aller polluer l’Afrique.
Enfin, les mesures et les objectifs affichés ignorent le sujet fondamental du manque de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs stratégiques, sans laquelle nos sociétés ne peuvent pas fonctionner. Je pense à l’agriculture, au transport routier et au domaine médical. Lesdites pénuries trouvent principalement leur cause dans le capitalisme mondialisé où l’économie prime sur tout le reste avec des emplois qui perdent leur sens, sont pris dans des logiques comptables, et où le fantasme de la dématérialisation laisse penser qu’il serait possible d’avoir des sociétés faites de cadres, d’influenceurs et d’intellectuels. En bref, une négation du rôle primordial de l’industrie, de l’agriculture et des classes populaires.
Laurent Ottavi (Élucid) : De récents événements comme la crise Covid, la guerre en Ukraine ou encore le blocage du canal de Suez par un porte-conteneur, ont à la fois créé et révélé les grandes fragilités de la mondialisation. Pouvez-vous en donner des exemples et en évaluer la portée ?
Renaud Duterme : Jusqu’ici, les vulnérabilités de notre temps n’ont pas encore donné lieu à des pénuries majeures, davantage à des craintes, et les perturbations ont été surmontées. Cependant, la prise de conscience demeure encore très limitée. L’impression d’un système résilient – ce qu’il est effectivement dans une certaine mesure – l’emporte, alors que les vulnérabilités se multiplient et qu'elles commencent à toucher tous les secteurs.
Le fait est que l'approche interdisciplinaire manque à beaucoup d’analyses, et a fortiori dans le débat public, où on invite par exemple un économiste pour parler d’économie et un climatologue pour évoquer le réchauffement climatique. Or, les fragilités de notre temps résultent de causes très variées, des tensions géopolitiques aux perturbations climatiques en passant par la raréfaction des ressources ou les mouvements sociaux, au point que, quel que soit le fil que l’on tire, cela perturbe tous les autres.
Plus encore que d’interdisciplinarité, nous manquons d’une approche globale et systémique. Les différentes vulnérabilités auxquelles nous faisons et ferons face sont encore plus préoccupantes une fois combinées. Elles s’alimentent les unes les autres. Le château de cartes est capable de tenir debout malgré quelques cartes en moins, mais il y a de quoi nourrir des inquiétudes quant à la solidité de l’ensemble de la structure.
Élucid : Dans votre ouvrage, vous vous étonnez de la sous-estimation dont le pétrole fait l’objet, alors que celui-ci représente le « sang de nos économies » pour reprendre l’expression de Matthieu Auzanneau. Pouvez-vous rappeler l’importance du pétrole dans notre économie et les conséquences d’une raréfaction de ses stocks ?
Renaud Duterme : Beaucoup de malentendus circulent autour du pic pétrolier. Le pétrole sera présent en sous-sol pour encore très longtemps. En revanche, depuis le premier choc dans les années 1970, la raréfaction du pétrole le rend de moins en moins disponible et de plus en plus difficile à aller chercher, ce qui coûte de plus en plus cher (même en tenant compte d'éventuelles phases de baisse, l’évolution des prix n’étant pas linéaire). Aujourd’hui, nous considérons que le prix du pétrole est relativement bas lorsqu'il se situe autour des 80 dollars le baril, alors qu’un tel prix, il y a quelques années, aurait été considéré comme très élevé. Les choses vont s’intensifier à l’avenir avec des montagnes russes sur les prix du pétrole (qui sera en baisse lorsque la contraction économique générée par des prix trop élevés fera baisser la demande) et une trajectoire générale qui sera à la hausse.
De ce fait, la raréfaction du pétrole risque donc d’avoir deux conséquences majeures. La première est une remise en cause du système de délocalisation basé sur un pétrole bas marché afin d’alimenter les porte-conteneurs, les camions, les avions, etc., qui font fonctionner la mondialisation. La seconde conséquence a bien été mise en évidence par la guerre en Ukraine. Dans un contexte d’abondance pétrolière avec des gisements rentables un peu partout, la perturbation générée chez un producteur pose peu problème, car il est toujours possible de se reporter sur un autre. Si la guerre en Ukraine, par exemple, avait eu lieu il y a une ou deux décennies, les tensions auraient sans doute été moins importantes, car on aurait pu se fournir en pétrole auprès d’autres producteurs.
Aujourd’hui, la majorité des grands producteurs de pétrole ont déjà passé leur pic de production. En cas de perturbation chez l’un d’entre eux, il devient bien plus difficile de compenser par l’achat de pétrole ailleurs. Nous nous rabattons sur les États-Unis pour le gaz et sur le Moyen-Orient pour le pétrole, mais l’actualité vient nous rappeler l’instabilité du monde et en particulier de certaines régions. Un potentiel élargissement du conflit israélo-palestinien, notamment à l’Iran, aurait d’énormes conséquences, car deux des principales sources de pétrole pour le continent européen se tariraient ou deviendraient fortement perturbées.
« L’illusion est de penser qu’on pourra continuer nos modes de vie actuels et compenser uniquement par le nucléaire. »
C’est plus ou moins la même chose. L’électricité est seulement un vecteur énergétique, alimenté par des énergies primaires. Elle est donc sujette aux tensions géopolitiques et l’on sait par exemple que des pays comme la Belgique et l’Allemagne sont fortement dépendants du gaz pour produire de l’électricité. L’impact climatique de notre production d’électricité impose, de plus, qu’elle soit de plus en plus décarbonée si l’on veut tenir les engagements internationaux et limiter les conséquences du réchauffement climatique.
D’autre part, toutes les sources d’électricité décarbonées ont un certain nombre de contraintes climatiques ou physiques. On peut penser notamment à l’intermittence des énergies éoliennes et solaires, qui doivent être compensées soit par des centrales à gaz – ce qui renvoie à la question de la dépendance géopolitique vis-à-vis d’autres producteurs – soit par des centrales à charbon, ce qui amplifie le problème climatique, soit par les centrales nucléaires. Sur ce dernier point, la question n’est pas d’être pour ou contre le nucléaire, comme il n’est pas question d’être pour ou contre telle ou telle énergie en général, mais de l’inscrire dans un contexte de contraintes physiques et climatiques beaucoup plus large.
Le nucléaire équivaut à plus ou moins 5 % des besoins énergétiques mondiaux aujourd’hui. L’illusion est de penser qu’on pourra continuer nos modes de vie actuels et compenser uniquement par le nucléaire. Même dans un pays comme la France, un des plus nucléarisés au monde, toute une série de contraintes est déjà là : l’assèchement des cours d’eau qui a déjà provoqué l’arrêt de plusieurs centrales, le désamour de la filière chez de nombreux ingénieurs, le vieillissement des centrales (donc de plus en plus souvent en panne et de plus en plus compliquées à réparer dans un contexte où la main-d’œuvre manque), les contraintes de délais dues à la construction d’une centrale, au repérage et à la faible acceptation sociale par la population locale. La seule solution sera la sobriété, voire la décroissance, c’est-à-dire la réduction drastique de nos besoins en électricité.
Après avoir analysé la question de la pénurie à l’aune du pétrole et de l’électricité, qu'en est-il en ce qui concerne les minerais ?
Ils constituent le second pilier de nos sociétés modernes, car celles-ci dépendent de flux énergétiques et des flux de matières. Or, la totalité de ces minerais est également non renouvelable. Comme pour le pétrole, l’épuisement total et soudain des ressources est un scénario illusoire. Les gisements seront de moins en moins concentrés, donc de plus en plus rares. Les prix augmenteront fortement, car, tout comme il faut plus d’énergie pour exploiter plus d’énergie, il faut plus de minerais pour exploiter plus de minerais. Les conséquences environnementales seront aussi d’autant plus importantes pour les extraire.
Le secteur de la mine est vorace en eau alors que de nombreux gisements miniers se trouvent dans des zones à fort stress hydrique : le Chili pour le cuivre, l’Amérique du Nord, la Chine. La conjonction de problèmes, à nouveau, sur fond de contraintes diverses (énergétiques, hydriques, etc.) et de moindre concentration des minerais, risque de rendre l’exploitation de certains minerais de plus en plus compliquée. Il nous faudra faire des arbitrages. Il est de ce fait fondamental de s’interroger sur la pertinence de la numérisation croissante de la société et de l’électrification promise de l’ensemble du parc automobile.
Au regard de l’ensemble des contraintes, ne serait-il pas plus judicieux d’envisager des politiques de sobriété pour ces deux secteurs, ce qui passe notamment par un débat démocratique sur la pertinence de l’utilisation accrue du numérique dans de nombreux secteurs (enseignement, santé, agriculture, objets quotidiens, etc.) ainsi que sur la pertinence de politiques visant à réduire notre dépendance à la voiture.
« Le techno-solutionnisme, dont l'objectif premier est de créer de nouveaux marchés pour relancer la machine économique, est juste intenable. »
Votre panorama signifie un retour des limites après une surexploitation irresponsable. Vous avez souligné au début de l’entretien le manque de conscience vis-à-vis des vulnérabilités de notre temps. Comment qualifieriez-vous les mesures annoncées par les gouvernements et leurs objectifs affichés sur ces questions ?
Nous mettons clairement des rustines sur des problèmes systémiques. Le cas de la voiture électrique, qui sert à relancer un marché, est significatif, sans même parler des camions, des avions ou des porte-conteneurs si essentiels au système actuel. De manière générale, l’option mise en avant est celle du solutionnisme technologique, qui cherche surtout à créer de nouveaux marchés pour relancer la machine économique. Elle est intenable à de multiples points de vue. Elle demande des délais considérables pour remplacer les infrastructures physiques.
On ne parle pas non plus des externalités sociales des solutions que l’on avance. Depuis des années déjà, nous avons délocalisé les activités polluantes dans des pays souvent pauvres et lointains. Nous proposons aujourd’hui des mesures qui aggravent les problèmes ailleurs. Je pense à l’extraction du cobalt ou à la fabrication des batteries. Je pense aussi à ce que nous allons faire des vieilles voitures. Des voitures qui ne sont plus aux normes et sont remplacées par des voitures dites « propres », mais qui ne le sont pas tant que cela au regard du cycle de production, partiraient à l’exportation, principalement pour aller polluer l’Afrique.
Enfin, les mesures et les objectifs affichés ignorent le sujet fondamental du manque de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs stratégiques, sans laquelle nos sociétés ne peuvent pas fonctionner. Je pense à l’agriculture, au transport routier et au domaine médical. Lesdites pénuries trouvent principalement leur cause dans le capitalisme mondialisé où l’économie prime sur tout le reste avec des emplois qui perdent leur sens, sont pris dans des logiques comptables, et où le fantasme de la dématérialisation laisse penser qu’il serait possible d’avoir des sociétés faites de cadres, d’influenceurs et d’intellectuels. En bref, une négation du rôle primordial de l’industrie, de l’agriculture et des classes populaires.
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