Depuis son installation en 2012, le hard-discounter hollandais a ouvert plus de 800 magasins en France. S’y pressent toutes les couches de la société à la recherche des plus bas prix. Comme un symbole de la paupérisation française.
Khedidja Zerouali
ersonnePersonne au rez-de-chaussée et la cohue au deuxième étage. Ce 29 janvier chez Domus, le centre commercial de Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) dédié à l’aménagement et à l’équipement de la maison, les boutiques sont vides à l’exception d’Action. À 16 heures, en plein jour de semaine, chacune des six caisses du magasin spécialisé dans le « hard-discount » des produits de consommation courante (hors alimentation) affiche complet.
Le week-end, certains rayons sont dépouillés dès le début de l’après-midi. Sans grand effort de communication ni soldes d’aucune sorte. Les clientes s’en chargent elles-mêmes, inondant TikTok et YouTube de « haul » Action, du nom des vidéos qui pullulent sur Internet où des quidams partagent avec la terre entière leurs derniers coups de cœur et achats, cumulant parfois plusieurs millions de vues. « Ça nous arrive tout le temps que des personnes viennent nous demander les produits qu’elles ont découverts sur TikTok »,glisse une vendeuse épuisée.
Dans le mall, dont Libération a récemment décrit le naufrage, Maisons du monde, Saint-Maclou, Boulanger ont beau retapisser leurs vitrines d’offres promotionnelles, aucune ne connaît le succès du discounter hollandais. « J’aime bien travailler ici,assure Arnaud*, vigile congolais, chargé de surveiller les allées du centre commercial depuis quelques mois. C’est très calme, sauf Action et Decathlon. Parce que c’est les deux magasins où les gens peuvent acheter, dans les autres boutiques, c’est trop cher. »
Agrandir l’image : Illustration 1Un magasin Action dans les Landes, en juin 2022. © Photo Valentino Belloni / Hans Lucas via AFP
À la sortie d’Action, les profils sont variés. Des professeur·es, des salarié·es du privé, des ouvriers et ouvrières, ainsi que des cadres. « Même si je ne suis pas la plus à plaindre, l’inflation me touche également et je dois faire des économies partout. Le fait que nous aussi on vienne à Action, c’est un signe de la paupérisation globale », assure Florence*, salariée d’un musée national, payée quelque 2 100 euros par mois après vingt ans d’ancienneté.
Si depuis le début de la vague inflationniste en 2021, les Français·es consomment de moins en moins, y compris la nourriture, nombreux sont celles et ceux à se presser dans les magasins Action pour trouver les plus bas prix. En dix ans, la France est devenue le premier marché de l’enseigne internationale. Depuis son installation dans le pays en 2012, elle y a ouvert plus de 800 succursales et y compte désormais 18 000 salarié·es.
Des sprays nettoyants à 1,39 euro, des poêles à crêpes Tefal à 8,95 euros, la mayonnaise Heinz à 2,99 euros, les magasins de la marque vendent « une variété de près de 6 000 articles en perpétuelle évolution ».Très peu de produits alimentaires, mais toutes sortes d’ustensiles pour la cuisine ou la salle de bains, des tapis, tout un tas de rangements, des draps, des sous-vêtements, du maquillage, de la vaisselle ou encore des pinceaux et des toiles au rayon loisirs créatifs… En gras et en majuscules, on peut lire sur les affiches : « Prix extrêmement bas ».
Lassane, technicien Enedis, habitant de Rosny-sous-Bois et payé 2 800 euros par mois, sort de l’enseigne un sac plein de chaussettes et de caleçons pour ses cinq enfants, âgés de 4 à 10 ans. Les trois paires coûtent 2,29 euros. « J’achète tous les sous-vêtements ici parce qu’avec cinq enfants c’est trop cher pour nous de les avoir ailleurs. » Depuis que l’inflation est au plus haut, il a pris de nouvelles habitudes pour faire les courses. Il achète en gros le poulet, la viande rouge, le poisson, commandés par cartons entiers. Il partage ensuite les frais et les denrées avec sa famille.
Florence est arrivée à pied depuis Montreuil, à plusieurs kilomètres de là, et repart le sac à dos plein de produits pour ses deux chats. « Chez Action, je viens chercher les prix. La litière a beaucoup augmenté, avant j’obtenais les 5 litres à 5 euros, maintenant elle en coûte 7. Depuis que j’ai découvert Action, je ne l’achète qu’ici. » Au prix de 2,99 euros les 6 litres.
Son conjoint est enseignant à l’université, fonctionnaire de catégorie A (un haut grade de la fonction publique) et ils ont une fille de 12 ans. Sur le dos, un crédit de 1 500 euros par mois pour rembourser leur logement à Montreuil et depuis quelques années, des vacances dans le nord de la France seulement, où les parents de Florence ont un appartement, pour ne pas payer de location. Florence a aussi arrêté le fromage de bonne qualité, devenu une denrée de luxe pour elle. De décembre 2020 à décembre 2023, selon l’Insee, le prix des fromages a augmenté de 27 %.
Les factures gonflent, les salaires stagnent
Pour Florence comme pour son conjoint, les factures gonflent et les revenus stagnent. Et impossible de négocier. « Dans mon musée,reprend-elle, ils ont fait une grille des salaires où ils ont tenté de trouver des équivalents de ce que l’on faisait dans la fonction publique. Mais mon métier est très spécifique, il n’existe pas dans ce référentiel. Ils nous ont tous placés sur cette grille plus bas qu’on devait l’être. Et maintenant, quand on demande une augmentation, on nous dit que c’est impossible à cause de la grille. »
Samira* est salariée de la Société générale. Elle sort du magasin Action avec un carnet à dessin pour sa fille, payé 1,99 euro. Quand on l’aborde en lui parlant d’inflation, elle s’arrête tout de suite, c’est un sujet qui lui tient à cœur et qui, à plusieurs reprises, est venu chambouler ses plans ces derniers mois. « Pourtant, je ne suis pas la plus à plaindre,confie-t-elle. Mon mari est technicien dans l’aéronautique. Lui et moi, nous gagnons 5 000 euros à deux, je considère qu’on est aisés. Mais l’inflation est tellement forte que même nous on a été rattrapés. »
En octobre 2023, l’inflation a même poussé Samira et son conjoint à lancer une drôle de négociation. Se retrouvant dans l’incapacité de payer l’entièreté de leur taxe foncière, ils se sont mis autour d’une table pour décider ce à quoi ils allaient renoncer en 2024.
Ils ont supprimé les sorties et les restaurants : « On aimait bien aller dans de bons restaurants, parfois on y laissait 100 euros ou plus, c’était notre petit plaisir. Depuis la fin 2023, on ne le fait plus. » Plus de cinéma, plus de musées… La famille devait partir en vacances fin décembre 2023, ils ont repoussé à plus tard. Et, dans la bouche de Samira, la liste des renoncements ne cesse de s’allonger.
Pendant que Samira raconte ce que l’inflation vient grignoter de sa vie personnelle, Arnaud continue d’arpenter les allées vides du centre commercial. Payé 1 500 euros net par mois, soit une centaine d’euros au-dessus du Smic, le vigile travaille dans un lieu où il ne peut rien acheter.
Entre la pension alimentaire de 150 euros pour sa fille, son loyer de 650 euros pour son petit appartement dans le Val-de-Marne, à plus d’une heure et demie de son travail, et le prix des denrées alimentaires, il ne lui reste jamais grand-chose sur le compte en banque à la fin du mois.
Même à très bas prix, les babioles vendues par Action demeurent un luxe qu’il ne peut pas se permettre : « Je vis avec les moyens que j’ai et je ne dépense que pour manger. Je ne vais plus du tout au restaurant et j’achète moins de viande. » Selon l’Insee, le kilo de viande a augmenté de 21 % entre décembre 2020 et décembre 2023.
Les jours où il ne travaille pas, Arnaud fait ses courses dans le magasin Auchan proche de chez lui, « où le pain complet est un peu moins cher qu’ailleurs ». Il a récemment résilié son abonnement à la salle de sport, qui lui coûtait 25 euros par mois. « C’est vrai que la salle me manque… Je cours dehors, ça coûte moins cher, et je fais les exercices musculaires à la maison. »
Des économies sur le dos des salariés
En arrière-plan, les grandes vitrines d’Action laissent entrevoir un ballet sans fin : les salariées** ne restent parfois qu’une dizaine de minutes en caisse avant d’être appelées pour ranger les rayons. On les voit de nouveau apparaître à la caisse quand les clientes et clients se font trop nombreux, puis dans la demi-heure suivante elles déballent des cartons et nettoient des étagères. Pas une minute qui ne soit optimisée.
Si Action vend à si bas prix, c’est parce qu’elle se repaît des fins de série et des excès de production de l’industrie, mais aussi et surtout car elle exerce une pression constante sur la masse salariale (comme l’expliquaient nos confrères du Monde en octobre 2023, et ceux de France 2 il y a quelques semaines).
« Ils font des économies partout, surtout sur le dos des salariés », raconte à Mediapart Mélanie Basty-Ghuysen, salariée d’un magasin Action situé en Ardèche et représentante CGT au comité d’entreprise central. « On est en sous-effectif partout, ils nous payent tous au Smic ou quelques dizaines d’euros au-dessus. Les seules réelles augmentations qu’on touche sont celles du Smic, automatiques et obligatoires… C’est en faisant toutes ces économies qu’ils arrivent à vendre à bas prix. »
Sabrina* est vendeuse dans un magasin Action parisien depuis juillet 2022. Pour 30 heures de travail par semaine, elle est payée 1 170 euros mensuels net, les 42 euros de remboursement de transport compris. « Heureusement que ma mère et le père de ma fille m’aident, sinon ce n’est pas possible de vivre avec aussi peu. Mon loyer est de 670 euros. J’habite dans un appartement mal isolé et depuis que l’électricité a augmenté, je n’utilise jamais le chauffage, je préfère rester en pull chez moi pour ne pas payer les factures. »
Avant d’être licencié pour inaptitude, Ahmed* était responsable adjoint d’un magasin en région parisienne. Il a été embauché en 2019, 35 heures payées 1 600 euros net par mois. Le jour de son licenciement fin 2023, son salaire n’avait pas évolué d’un iota. Il a gardé d’Action de nombreuses douleurs physiques et une grande amertume.
Ahmed se souvient de l’obsession de la responsable de son magasin pour la « productivité des équipes » : « Les responsables de magasins d’une même région se voient une fois par semaine, et son objectif était toujours d’avoir le taux de productivité le plus important. Ce qui l’animait, c’était d’avoir le meilleur taux de productivité, même si elle devait épuiser ses équipes pour ça. » Selon Le Monde, le taux de turnover au sein de l’enseigne en France est de 59 %, bien au-dessus des 14 % de moyenne dans la branche du commerce et de la distribution (en 2021).
Comme les autres personnes interrogées, Sabrina pense que si Action arrive à tirer aussi bas ses prix, c’est en pesant très fort sur les conditions salariales. Et pourtant, elle aussi achète dans les rayons où elle s’épuise : « On a – 15 % sur les produits, et puis Action ça reste vraiment pas cher. C’est comme si on cautionnait ce qu’ils nous font subir en achetant là-bas, mais nous non plus on n’a pas le choix. On va au moins cher. »
Khedidja Zerouali
ersonnePersonne au rez-de-chaussée et la cohue au deuxième étage. Ce 29 janvier chez Domus, le centre commercial de Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) dédié à l’aménagement et à l’équipement de la maison, les boutiques sont vides à l’exception d’Action. À 16 heures, en plein jour de semaine, chacune des six caisses du magasin spécialisé dans le « hard-discount » des produits de consommation courante (hors alimentation) affiche complet.
Le week-end, certains rayons sont dépouillés dès le début de l’après-midi. Sans grand effort de communication ni soldes d’aucune sorte. Les clientes s’en chargent elles-mêmes, inondant TikTok et YouTube de « haul » Action, du nom des vidéos qui pullulent sur Internet où des quidams partagent avec la terre entière leurs derniers coups de cœur et achats, cumulant parfois plusieurs millions de vues. « Ça nous arrive tout le temps que des personnes viennent nous demander les produits qu’elles ont découverts sur TikTok »,glisse une vendeuse épuisée.
Dans le mall, dont Libération a récemment décrit le naufrage, Maisons du monde, Saint-Maclou, Boulanger ont beau retapisser leurs vitrines d’offres promotionnelles, aucune ne connaît le succès du discounter hollandais. « J’aime bien travailler ici,assure Arnaud*, vigile congolais, chargé de surveiller les allées du centre commercial depuis quelques mois. C’est très calme, sauf Action et Decathlon. Parce que c’est les deux magasins où les gens peuvent acheter, dans les autres boutiques, c’est trop cher. »
![](https://static.mediapart.fr/etmagine/article_google_discover/files/2024/01/30/080-hl-vbelloni-1779993.jpg)
À la sortie d’Action, les profils sont variés. Des professeur·es, des salarié·es du privé, des ouvriers et ouvrières, ainsi que des cadres. « Même si je ne suis pas la plus à plaindre, l’inflation me touche également et je dois faire des économies partout. Le fait que nous aussi on vienne à Action, c’est un signe de la paupérisation globale », assure Florence*, salariée d’un musée national, payée quelque 2 100 euros par mois après vingt ans d’ancienneté.
Si depuis le début de la vague inflationniste en 2021, les Français·es consomment de moins en moins, y compris la nourriture, nombreux sont celles et ceux à se presser dans les magasins Action pour trouver les plus bas prix. En dix ans, la France est devenue le premier marché de l’enseigne internationale. Depuis son installation dans le pays en 2012, elle y a ouvert plus de 800 succursales et y compte désormais 18 000 salarié·es.
Des sprays nettoyants à 1,39 euro, des poêles à crêpes Tefal à 8,95 euros, la mayonnaise Heinz à 2,99 euros, les magasins de la marque vendent « une variété de près de 6 000 articles en perpétuelle évolution ».Très peu de produits alimentaires, mais toutes sortes d’ustensiles pour la cuisine ou la salle de bains, des tapis, tout un tas de rangements, des draps, des sous-vêtements, du maquillage, de la vaisselle ou encore des pinceaux et des toiles au rayon loisirs créatifs… En gras et en majuscules, on peut lire sur les affiches : « Prix extrêmement bas ».
Lassane, technicien Enedis, habitant de Rosny-sous-Bois et payé 2 800 euros par mois, sort de l’enseigne un sac plein de chaussettes et de caleçons pour ses cinq enfants, âgés de 4 à 10 ans. Les trois paires coûtent 2,29 euros. « J’achète tous les sous-vêtements ici parce qu’avec cinq enfants c’est trop cher pour nous de les avoir ailleurs. » Depuis que l’inflation est au plus haut, il a pris de nouvelles habitudes pour faire les courses. Il achète en gros le poulet, la viande rouge, le poisson, commandés par cartons entiers. Il partage ensuite les frais et les denrées avec sa famille.
Florence est arrivée à pied depuis Montreuil, à plusieurs kilomètres de là, et repart le sac à dos plein de produits pour ses deux chats. « Chez Action, je viens chercher les prix. La litière a beaucoup augmenté, avant j’obtenais les 5 litres à 5 euros, maintenant elle en coûte 7. Depuis que j’ai découvert Action, je ne l’achète qu’ici. » Au prix de 2,99 euros les 6 litres.
Son conjoint est enseignant à l’université, fonctionnaire de catégorie A (un haut grade de la fonction publique) et ils ont une fille de 12 ans. Sur le dos, un crédit de 1 500 euros par mois pour rembourser leur logement à Montreuil et depuis quelques années, des vacances dans le nord de la France seulement, où les parents de Florence ont un appartement, pour ne pas payer de location. Florence a aussi arrêté le fromage de bonne qualité, devenu une denrée de luxe pour elle. De décembre 2020 à décembre 2023, selon l’Insee, le prix des fromages a augmenté de 27 %.
Les factures gonflent, les salaires stagnent
Pour Florence comme pour son conjoint, les factures gonflent et les revenus stagnent. Et impossible de négocier. « Dans mon musée,reprend-elle, ils ont fait une grille des salaires où ils ont tenté de trouver des équivalents de ce que l’on faisait dans la fonction publique. Mais mon métier est très spécifique, il n’existe pas dans ce référentiel. Ils nous ont tous placés sur cette grille plus bas qu’on devait l’être. Et maintenant, quand on demande une augmentation, on nous dit que c’est impossible à cause de la grille. »
Samira* est salariée de la Société générale. Elle sort du magasin Action avec un carnet à dessin pour sa fille, payé 1,99 euro. Quand on l’aborde en lui parlant d’inflation, elle s’arrête tout de suite, c’est un sujet qui lui tient à cœur et qui, à plusieurs reprises, est venu chambouler ses plans ces derniers mois. « Pourtant, je ne suis pas la plus à plaindre,confie-t-elle. Mon mari est technicien dans l’aéronautique. Lui et moi, nous gagnons 5 000 euros à deux, je considère qu’on est aisés. Mais l’inflation est tellement forte que même nous on a été rattrapés. »
En octobre 2023, l’inflation a même poussé Samira et son conjoint à lancer une drôle de négociation. Se retrouvant dans l’incapacité de payer l’entièreté de leur taxe foncière, ils se sont mis autour d’une table pour décider ce à quoi ils allaient renoncer en 2024.
Ils ont supprimé les sorties et les restaurants : « On aimait bien aller dans de bons restaurants, parfois on y laissait 100 euros ou plus, c’était notre petit plaisir. Depuis la fin 2023, on ne le fait plus. » Plus de cinéma, plus de musées… La famille devait partir en vacances fin décembre 2023, ils ont repoussé à plus tard. Et, dans la bouche de Samira, la liste des renoncements ne cesse de s’allonger.
Pendant que Samira raconte ce que l’inflation vient grignoter de sa vie personnelle, Arnaud continue d’arpenter les allées vides du centre commercial. Payé 1 500 euros net par mois, soit une centaine d’euros au-dessus du Smic, le vigile travaille dans un lieu où il ne peut rien acheter.
Entre la pension alimentaire de 150 euros pour sa fille, son loyer de 650 euros pour son petit appartement dans le Val-de-Marne, à plus d’une heure et demie de son travail, et le prix des denrées alimentaires, il ne lui reste jamais grand-chose sur le compte en banque à la fin du mois.
Même à très bas prix, les babioles vendues par Action demeurent un luxe qu’il ne peut pas se permettre : « Je vis avec les moyens que j’ai et je ne dépense que pour manger. Je ne vais plus du tout au restaurant et j’achète moins de viande. » Selon l’Insee, le kilo de viande a augmenté de 21 % entre décembre 2020 et décembre 2023.
Les jours où il ne travaille pas, Arnaud fait ses courses dans le magasin Auchan proche de chez lui, « où le pain complet est un peu moins cher qu’ailleurs ». Il a récemment résilié son abonnement à la salle de sport, qui lui coûtait 25 euros par mois. « C’est vrai que la salle me manque… Je cours dehors, ça coûte moins cher, et je fais les exercices musculaires à la maison. »
Des économies sur le dos des salariés
En arrière-plan, les grandes vitrines d’Action laissent entrevoir un ballet sans fin : les salariées** ne restent parfois qu’une dizaine de minutes en caisse avant d’être appelées pour ranger les rayons. On les voit de nouveau apparaître à la caisse quand les clientes et clients se font trop nombreux, puis dans la demi-heure suivante elles déballent des cartons et nettoient des étagères. Pas une minute qui ne soit optimisée.
Si Action vend à si bas prix, c’est parce qu’elle se repaît des fins de série et des excès de production de l’industrie, mais aussi et surtout car elle exerce une pression constante sur la masse salariale (comme l’expliquaient nos confrères du Monde en octobre 2023, et ceux de France 2 il y a quelques semaines).
« Ils font des économies partout, surtout sur le dos des salariés », raconte à Mediapart Mélanie Basty-Ghuysen, salariée d’un magasin Action situé en Ardèche et représentante CGT au comité d’entreprise central. « On est en sous-effectif partout, ils nous payent tous au Smic ou quelques dizaines d’euros au-dessus. Les seules réelles augmentations qu’on touche sont celles du Smic, automatiques et obligatoires… C’est en faisant toutes ces économies qu’ils arrivent à vendre à bas prix. »
Ce qui animait ma responsable, c’était d’avoir le meilleur taux de productivité, même si elle devait épuiser ses équipes pour ça.Ahmed*, ancien responsable adjoint d’un magasin Action en région parisienne
Avant d’être licencié pour inaptitude, Ahmed* était responsable adjoint d’un magasin en région parisienne. Il a été embauché en 2019, 35 heures payées 1 600 euros net par mois. Le jour de son licenciement fin 2023, son salaire n’avait pas évolué d’un iota. Il a gardé d’Action de nombreuses douleurs physiques et une grande amertume.
Ahmed se souvient de l’obsession de la responsable de son magasin pour la « productivité des équipes » : « Les responsables de magasins d’une même région se voient une fois par semaine, et son objectif était toujours d’avoir le taux de productivité le plus important. Ce qui l’animait, c’était d’avoir le meilleur taux de productivité, même si elle devait épuiser ses équipes pour ça. » Selon Le Monde, le taux de turnover au sein de l’enseigne en France est de 59 %, bien au-dessus des 14 % de moyenne dans la branche du commerce et de la distribution (en 2021).
Comme les autres personnes interrogées, Sabrina pense que si Action arrive à tirer aussi bas ses prix, c’est en pesant très fort sur les conditions salariales. Et pourtant, elle aussi achète dans les rayons où elle s’épuise : « On a – 15 % sur les produits, et puis Action ça reste vraiment pas cher. C’est comme si on cautionnait ce qu’ils nous font subir en achetant là-bas, mais nous non plus on n’a pas le choix. On va au moins cher. »
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