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Éolien offshore : avis de fort coup de vent, avec risque de tempête .

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  • Éolien offshore : avis de fort coup de vent, avec risque de tempête .

    Analyses.

    JACQUES RIGAUDIAT


    Dans le débat sur la transition électrique, la question du coût économique comparé[1] des différentes filières est bien sûr l’une des interrogations centrales. Nous avons vu dans le précédent billet ce qu’il pouvait en être. Depuis le début de l’année 2023, un certain nombre d’évènements sont intervenus qui permettent d’y voir un peu plus clair.

    D’abord, un rapport remis par la CRE au Gouvernement[2] estime que le coût de production du parc nucléaire sera très précisément de 60,7€/MWh d’ici à 2030, 59,1 €/MWh de 2030 à 2035 et 57,3 €/MWh de 2035 à 2040. Cette estimation intègre les coûts du « Grand carénage » et de Flamanville, mais, comme le précise la CRE, elle « ne couvre en revanche pas les besoins relatifs au financement du développement de nouveaux réacteurs nucléaires ».
    Ensuite, dans la perspective de la fin du dispositif ARENH à fin 2025, un accord – particulièrement difficile à conclure- a été trouvé à mi-novembre entre le Gouvernement et EDF sur un prix de référence de 70 €/MWh pour la production électronucléaire, pour quinze ans, de 2026 jusqu’en 2040. Ce niveau est supposé permettre à EDF de disposer de marges suffisantes pour financer son effort d’investissement des années à venir dans le « nouveau nucléaire », sans qu’il soit nécessaire de recourir à un endettement excessif, ou à une recapitalisation ; il est donc logiquement supérieur au coût de production. Telles sont, s’agissant du nucléaire, les estimations les plus actuelles.

    Face à cela, -c’est le dernier élément nouveau- alors que le parc de St Nazaire, seul parc raccordé à ce jour, avait été attribué à 150 €/MWh, les derniers appels d’offres pour les parcs offshore se sont conclus à des prix garanti[3] très fortement en baisse, de l’ordre de 45 €/MWh. L’éolien offshore peut ainsi apparaître assurer une production d’électricité très sensiblement moins onéreuse que le nucléaire.
    C’est l’objet de ce billet de blog comme de celui qui va le suivre que de montrer que ce n’est pourtant guère le cas.

    Les prix de référence garantis par les contrats issus des appels d’offres offrent, en effet, une vision en trompe l’œil qu’il faut analyser de près, car le diable se niche toujours dans les détails. Or, c'est l'objet de ce premier billet, ce trompe l’œil (I) est, de plus, double : d’abord, parce que les périmètres de comparaison entre filières ne sont pas identiques et qu’ainsi les LCOE affichés sont, au moins pour partie, fallacieusement à l’avantage de l’éolien ; ensuite, parce que les modalités mêmes des appels d’offres aboutissent à des prix de façade, inférieurs à ce qu’ils seront réellement au cours de la durée de vie des équipements, ce dont la CRE a d’ailleurs été amenée à quelque peu s’émouvoir. Il y a donc ainsi double sous-estimation.

    Enfin, cette perspective de faibles prix, -en fait et pour plusieurs raisons désormais fortement inférieurs aux coûts réels de production-, plonge la filière offshore, et plus largement éolienne, européenne dans la tourmente (II) ; ce sera l’objet du billet suivant. Avis de fort coup de vent avec risque de tempête, donc.

    Des prix doublement biaisés.

    Après celui de Dunkerque en 2019, qui s’était conclu sur un prix de 44 €/MWh, le plus récent des appels d’offres concernant l’offshore en France, celui dit de « Centre Manche » - un parc de 1 GW destiné à être raccordé en 2031- s’est quant à lui conclu une nouvelle fois au profit d’un consortium emmené par EDF, à un prix de 44,9 €/MWh.

    Cette situation est très loin d’être spécifique à la France. Elle est, en effet, générale en Europe : en Angleterre des appels d’offres se sont conclus à 37 €/MWh, de même en Écosse, aux Pays-Bas et en Allemagne ; c’est aussi ce qui a pu être constaté aux États-Unis.
    Et beaucoup, alors, d’en conclure à un avenir radieux de l’éolien offshore, qui serait en train de changer la donne…

    Des prix n’intégrant pas les coûts de raccordement.

    Il faut d’abord rappeler une exigence méthodologique minimale : pour que l’on puisse comparer les prix de production de l’électricité selon les différentes filières, il faudrait que les périmètres pris en compte soient identiques. Or, ils ne le sont pas. D’un côté, les LCOE (les « coûts complets de production ») sont évalués en comprenant les coûts de raccordement au réseau, c’est le cas de toutes les filières, à l’exception de l’éolien offshore ; de l’autre, le seul éolien offshore, pour lequel le raccordement est mis à la charge du gestionnaire du réseau de transport (RTE en France), cela fait même l’objet d’une disposition spécifique du Code de l’énergie (L. 342-7). Que ce soit à RTE via le TURPE[4], ou au producteur via le tarif réglementé, dans tous les cas de figure, le consommateur paiera et cette subtilité, en définitive, ne le concerne guère ; mais l’analyse des coûts de production en est, elle, biaisée d’autant.

    Or, la différence n’est pas mince. Ce qui est en cause, ce qui est de la responsabilité de RTE, c’est de tirer un câble depuis la sous-station en mer, -qui récupère les arrivées des éoliennes et est à la charge du producteur-, jusqu’à la terre, de construire la sous-station d’atterrage et assurer le raccordement final au réseau. Comme le coût du dispositif est destiné à être intégré au TURPE (cf. note 2), les investissements sont audités et autorisés par la CRE ; il sont donc parfaitement connus, il suffit pour cela d’éplucher les délibérations de la Commission : 244,4 M€ pour le parc de St Brieux, 285,1 M€ pour St Nazaire, 393,6 M€ pour Ile d’Yeu- Noirmoutier, 276,5 M€ pour Dieppe -Le Tréport….

    Plus globalement, dans son schéma de développement du réseau[5], RTE a estimé à pas moins de 7 Md€ l’ensemble des coûts de raccordement de l’éolien offshore d’ici à 2035 : « Pour les parcs éoliens en mer, les coûts de réseau qui s’ajoutent aux prix issus des appels d’offres représentent un montant supplémentaire de l’ordre de 10 à 20 €/MWh selon la proximité des sites et la disponibilité du réseau à terre (…) [ qui] s’explique par le fait que la totalité du raccordement de ces installations est désormais pris en charge par RTE via le TURPE. » Dans un récent rapport[6], la Cour des comptes a de son côté revu à la hausse cette évaluation déjà un peu ancienne et estimé que ce coût devrait plutôt s’établir « dans une fourchette de 7,7 Md€ à 10,1 Md€ » …

    A suivre, a minima, RTE, les LCOE de l’éolien terrestre issus des appels d’offres seraient donc, en réalité et selon l’éloignement des sites, de l’ordre de :
    45 €/MWh + 10/20 €/MWh = 55/65 €/MWh
    Enfin, a maxima, le haut de la fourchette de la Cour ferait approcher les 75 €/MWh …

    Les prix de production comparés du nucléaire et de l’éolien offshore, évalués sur des périmètres rendus comparables se chevauchent donc singulièrement. Mais il ne s’agit ici que de la première des deux rectifications …

    Des prix de référence qui ne disent pas tout …

    Le dernier appel d’offres Centre Manche, parc de 1 GW identique à celui de Dunkerque, a été emporté à un prix de 44,9 €/MWh pour 20 ans ; comme celui-ci, il l’a été par un consortium emmené par EdF. Ce parc est le premier en ZEE (32 Kms des côtes) et non à l’intérieur des limites des eaux territoriales. Aussi ce prix étonne-t-il manifestement la concurrence, car « selon plusieurs énergéticiens, ce parc normand est plus onéreux à construire, compte tenu de la configuration des fonds marins et de l’éloignement des côtes »[7]. Cette adjudication s’est faite dans des conditions de cahier des charges similaires à celle de Dunkerque, qui a été fermement critiqué par la Cour des comptes.
    Les récriminations de la concurrence portent sur deux points :
    • C’est un prix de dumping. Désormais détenu à 100% par l’État, EDF peut s’en remettre au contribuable qui le recapitalisera, le cas échéant. Les opérateurs privés ne peuvent évidemment pas se permettre une telle facilité. L’appel d’offres est donc pour eux faussé.
    • La durée du contrat de complément de rémunération (20 ans) est inférieure à celle du parc, amorti normalement sur 25 ans. Cette période quinquennale terminale est de liberté des prix, elle permet d’espérer se refaire alors une santé financière …
    Ce qui est sûr c’est que, à la suite de ces récriminations qui se sont traduites par des recours formels devant elle, la CRE a fait des propositions de modifications pour les futurs cahiers des charges et les procédures concernant l’éolien offshore [8]. Son principal attendu dévoile le pot aux roses :
    « Plusieurs candidats ont fait le choix de proposer un niveau de tarif de référence conduisant à une rémunération nulle des actionnaires pendant la durée du contrat de complément de rémunération. La rentabilité du projet pour ses actionnaires repose alors intégralement sur la période qui sépare la fin du contrat de complément de rémunération et la fin de vie de l’installation, pendant laquelle la production du parc sera vendue librement sur le marché. Le temps de retour sur investissement est ainsi repoussé par rapport aux offres faites (…), en lien notamment avec l’allongement de la durée de vie des parcs éoliens en mer. »
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  • #2

    Bref, avec ce système tout le monde, et pas seulement EDF, espère que le projet trouvera sa rentabilité après la fin du CFD, mais, à la différence des autres, EdF peut faire du dumping pendant les 20 premières années….

    Le montant du prix de référence gravé dans le marbre du contrat n’est ainsi que la partie émergée de l’iceberg, un trompe l’œil : car si nul ne sait à quel montant se situera le prix du marché au-delà des vingt premières années, tous l’espèrent hautement rémunérateur !
    Ceci souligne utilement que pour se préoccuper de l’avenir de la planète, comme elles aiment à le mettre en avant, les entreprises de l’éolien n’en sont pas moins des entreprises capitalistes comme les autres. Que les marchés financiers puissent être amenés à le leur rappeler, y compris brutalement, c’est ce que l’on verra dans le prochain billet.

    [1] Dans cette série de billets, il ne sera question que des seuls LCOE, coûts économiques dits (improprement) « complets ». Comme on l’a vu dans les billets précédents, pour être véritablement complète, la comparaison économique des différentes filières devrait, en effet, aussi tenir compte des coûts système spécifiquement induits par les sources renouvelables intermittentes : coûts de flexibilité/stockage, et coûts de réseau (renforcement de la puissance, stabilisation de la fréquence, bidirectionnalité des réseaux). Aucun de ces deux aspects ne sera abordé ici.

    [2] CRE « Rapport sur le coût du parc nucléaire existant », 27 juillet 2023 : https://www.cre.fr/actualites/la-cre...u-gouvernement
    [3] Les appels d’offres se concluent désormais sous la forme de contrats de complément de rémunération (en français : CDR ; en anglais, « contract for difference », d’où l’acronyme CFD fréquemment utilisé). Ces contrats fixent un prix garanti, prix de référence d’équilibre de long terme permettant de rémunérer le producteur. Si les prix de marché auxquels il vend sa production sont inférieurs, il perçoit une subvention de complément de rémunération à hauteur de la référence contractuelle ; s’ils sont supérieurs, il doit verser la différence au régulateur, qui l’utilisera pour subventionner le prix payé par le consommateur. Ce dispositif permet de stabiliser les prix par rapport à la volatilité du marché, du moins pendant la durée du contrat !

    [4] TURPE, Tarif d’utilisation du réseau public d’électricité. Il s’agit du péage payé par le consommateur pour l’acheminement de son électricité, qu’il s’agisse du transport (RTE) ou de la distribution (Enedis). Ce péage est fixé par la CRE, en sorte qu’il assure l’équilibre de financement des investissements.
    [5] RTE, « Schéma décennal de développement du réseau », 2019.
    [6] Cour des comptes, « Les soutiens à l’éolien terrestre et maritime », mars 2023, https://www.ccomptes.fr/sites/defaul...s-eolien_0.pdf
    [7] « Les Échos » du 27/03/2023.
    [8] CRE « Délibération de la CRE du 9 mars 2023 relative à l’instruction des offres remises dans le cadre du dialogue concurrentiel n°1/2020 portant sur des installations éoliennes de production d’électricité en mer dans une zone au large de la Normandie » ; https://www.cre.fr/recherche?search_...%5BendDate%5D=

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    • #3

      Suite et fin .



      C’est peu de dire qu’en cette fin d’année 2023, l’accueil fait par les marchés aux entreprises européennes de l’éolien est frais, très frais même !

      Déroutes boursières et remises en cause des projets.

      En l’espace de moins de trois années et essentiellement pendant les six derniers mois, leurs cours de Bourse ont, en effet, totalement dévissé. Les pertes sont considérables et nul n’en est exempté : de janvier 2021 à novembre 2023 ; elles s’étagent de – 50% (Vestas) à – 80% (Siemens Energy, Oersted) ; entre ces deux extrêmes, les autres entreprises de l’éolien se situent aux alentours de -60% (Nordex, -57% ; Néon, - 58% ; Voltalia -67%) …. Mais à vrai dire, même si l’éolien offshore est le plus touché, cette déconfiture touche toutes les énergies renouvelables sans exception. L’évolution de l’indice Standard&Poor « Global clean energy », qui recense les 100 plus grande capitalisations du secteur, est sans doute ce qui résume le mieux cette déconfiture : à fin novembre – 58% par rapport à son maximum de début janvier 2021…

      De cette situation difficile, la presse nationale s’est très largement fait l’écho : « Aux USA, la bulle des énergies renouvelables explose » (Le Monde du 9 octobre 2023), « Transition verte, la douche froide » (Le Figaro du 21 novembre).

      Cette situation financière est d’abord à lire au regard des renoncements qui se multiplient, qu’il s’agisse de projets à venir qui avortent, ou de contrats déjà passés pour lesquels l’opérateur se dédit. Après que Vattenfall a renoncé en juillet à développer le site de Norfolk Boréas au large de la Grande-Bretagne dont il venait de remporter l’appel d’offres, c’est Iberdrola qui préfère payer un dédit de plusieurs millions de dollars pour se désengager d’un projet au large du Massachussetts dont il était le titulaire. Du côté de l’éolien terrestre, ce n’est pas mieux : Markbygden, le « plus grand parc éolien au monde », prévu pour une puissance de 9 GW, est en très grande difficulté financière, le contrat n’étant pas rentable …

      Quant aux projets futurs, l’exemple du dernier appel d’offres de septembre (2023) de la Grande Bretagne est particulièrement démonstratif, puisqu’il s’est soldé par un échec retentissant : aucun dossier n’a, en effet, été conclu, les potentiels candidats jugeant insuffisants les prix de référence proposés[1] …. Aussi, afin de relancer un appel d’offres en janvier prochain et pouvoir l’espérer fructueux, le gouvernement britannique a annoncé [le 23/11] une hausse de ses prix plafond de … 66% pour l’éolien posé ; cette révision drastique concernant d’ailleurs toutes les filières renouvelables sans exception : +52% pour l’éolien flottant, + 30% pour le solaire PV !

      Toutes les entreprises de l’éolien sont donc lourdement touchées ; on a même pu voir Siemens Energy, plombé de surcroît par des problèmes génériques multiples sur ses turbines (vibration des pales et roulements de rotor défectueux à l’origine d’incendies), être en situation de devoir demander 15 Md€ d’aide au gouvernement allemand pour pouvoir surmonter cette passe particulièrement difficile ; ce que ce dernier promptement accordé sans chercher à tergiverser : 7,5 Md€ d’aides publiques et autant de garanties sur des prêts bancaires !

      Des causes bien réelles : le retour de l’économie.

      Cette déroute financière générale n’est en fait que la traduction inéluctable d’une situation économique réelle qui s’est profondément dégradée au cours des derniers mois, cela du fait de trois causes essentielles.

      La première tient à la flambée du prix des matières premières depuis fin 2021. Car même si les choses se sont un peu tassées depuis le pic de fin S2 2021/ S1 2022 pendant lequel sortie du Covid et début de la guerre en Ukraine se sont conjugués, il n’en demeure pas moins que l’addition reste salée : par rapport à novembre 2019, le prix des matières premières essentielles tant pour les éoliens que pour le solaire PV ont flambé : +32% pour l’aluminium, + 45% pour le cuivre, + 80% pour l’acier … Ernst&Young vient d’ailleurs de publier une étude selon laquelle les projets éoliens ont subi une hausse de 38% depuis 2020… Quant aux panneaux solaires, leur coût a augmenté de 23% au cours de la seule année 2023.

      La seconde est due à l’augmentation des taux d’intérêt sous l’effet de l’action des banques centrales supposées combattre l’inflation. Contrairement à ce que l’on peut spontanément penser, les énergies renouvelables intermittentes (EnRi) sont en fait très capitalistiques, plus même que le nucléaire. Car si l’investissement dans une centrale nucléaire est énorme, encore faut-il le rapporter à la puissance installée et plus encore à ce sur quoi il peut s’amortir : les MWh produits. Il faut alors tenir compte de la durée de vie des équipements et des facteurs de charge spécifiques. En définitive, les CAPEX (coûts en capital) / MWh sont actuellement plus élevés pour les EnRi, toutes, que pour le nucléaire.

      A titre purement illustratif, un petit calcul de coin de table, a priori peu favorable au nucléaire, comparant Flamanville et le parc éolien de Saint Nazaire permet de s’en assurer.

      L’EPR de Flamanville est estimé par la Cour des comptes[2] devoir coûter près de 20 Md€, dont 12,4 Md€ de coût de construction proprement dit et 6,7 Md€ d’intérêts financiers (dont 4,2 d’intérêts « intercalaires » dus aux multiples retards successifs du chantier) ; soit, pour une centrale de 1650 MW, de l’ordre de 12 M€/MW. Avec un facteur de charge de 80% et une durée de vie de 40 ans, on obtient ainsi un CAPEX[3] de l’ordre de 43 €/MWh.
      Le parc éolien de St Nazaire est, lui, donné par ses promoteurs avoir coûté 2 Md€, auxquels il faut, comme on l’a vu dans le billet précédent, ajouter 300 M€ pour le raccordement à la charge de RTE, cela pour une puissance installée de 480 MW ; on a donc 4,8 M€/MW. Mais avec une durée d’amortissement des installations de 25 ans et un facteur de charge de 40%, les choses changent du tout au tout, puisqu’on obtient ainsi un CAPEX de 55€/MWh, à comparer aux 43€/MWh de Flamanville, dont la facture est pourtant singulièrement et, il faut l’espérer, anormalement lourde…

      Les EnRi sont donc logiquement particulièrement sensibles à toute variation des taux, d’autant que, s’agissant d’entreprises privées, les intérêts versés (en hausse) viennent naturellement en concurrence avec les dividendes (donc en baisse, du fait de la hausse des taux) destinés aux actionnaires. Dans le cadre contractuel des CFD, le prix de vente est, en effet, un prix de référence fixe garanti sur plusieurs décennies, même si indexé sur l’inflation[4] ; sauf à sortir du contrat, ce prix, il n’est donc pas loisible à l’opérateur de l’augmenter … Il n’est ainsi pas très étonnant que dans une telle situation, pris en sandwich, les caves -les actionnaires- se rebiffent !

      D’autant, et c’est la troisième raison, que dans la période récente les contrats ont été conclus dans une certaine euphorie, - la conviction alors largement ancrée que la décroissance tendancielle des prix de production des filières EnRi allait se poursuivre indéfiniment-, qui s’est traduite par des pratiques qui, comme on l’a vu dans le billet précédent, reportaient la rentabilité des projets au-delà du terme des 20 ans assigné par le contrat au prix de référence ! Leur équilibre économique était donc, même dans les conditions « d’avant », déjà particulièrement fragile, et pas seulement pour l’éolien offshore. C’est cet édifice qui est désormais à la peine.

      France : une hausse systématique des prix issus des appels d’offres.

      Les mêmes causes produisant les mêmes effets, cette hausse conséquente des coûts des EnRi est, au-delà de l’éolien offshore, tout aussi systématiquement constatée en France ; les historiques des appels d’offres lancés par la CRE pour l’éolien terrestre comme pour le photovoltaïque en témoignent éloquemment (Cf figures ci-dessous, tirés des comptes-rendus des délibérations de la CRE).

      Ainsi pour l’éolien terrestre, alors que l’appel d’offres de juin 2023 avait déjà, selon les termes mêmes de la CRE[5], abouti au « prix le plus élevé observé depuis la mise en place de l’appel d’offres en 2017 », le dernier en date, celui de septembre, a vu la hausse se poursuivre encore, avec un prix des projets retenus de 86,94 €/MWh[6]. Et la CRE à nouveau de constater : « il s’agit du prix le plus élevé observé depuis la mise en place de l’appel d’offres (…) en 2017 ». Au total, par rapport au minimum de 59,7 €MWh de novembre 2020, la hausse aura été de 45,6% ! Le prochain appel d’offres, pour une tranche de 925 MW, est prévu pour le 4 décembre, on verra alors si, une nouvelle fois, la hausse se prolonge.
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      • #4

        Figure 1 L’éolien terrestre (en €/MWh)[7]

        Figure 2 Le photovoltaïque (centrales au sol)[8]

        Il en va de même pour le photovoltaïque, -dont je n’ai ici retenu que les seuls résultats des centrales au sol, solution PV la moins onéreuse[9]-, pour lesquelles les 82,4 €/MWh des projets retenus en juillet dernier ont aussi représenté un record. Au total, depuis le minimum de 55 €/MWh de juillet 2021, la hausse aura donc été de 49,8%, pour ne pas dire 50%.... Là encore, on attend avec intérêt les résultats de l’appel d’offres qui vient d’être clôturé ….

        Autant le dire clairement, c’est une révision déchirante pour la transition qui va sans doute devoir être engagée ; les espoirs (excessifs) mis par d’aucuns sur des ENRi produisant une électricité bon marché devront, en conséquence, être singulièrement revus et corrigés.
        De ses « Futurs énergétiques 2050 », RTE tirait une conclusion absolument majeure pour l’avenir de la transition : « Rapportés au mégawattheure d’électricité consommée, les coûts complets du système électrique pourraient augmenter de l’ordre de 15 % hors inflation en 40 ans, en vision médiane, dans une fourchette s’étendant d’une quasi-stabilité à une augmentation de 30% selon les scénarios »[10]. Encore était-ce avec des hypothèses d’évolution des prix de production des EnRi en forte baisse (-30% à -40% selon les filières à l’horizon 2050) reflétant l’optimisme qui était alors de mise et elles-mêmes prolongées à partir des minimas de la période 2019-2020[11]. RTE en concluait aimablement que « Le coût rapporté au mégawattheure consommé est susceptible d’augmenter, mais dans des proportions maîtrisables ».

        Mais que se passera(it)-il si les prix de production actuellement constatés devaient l’être durablement, et, a fortiori, si la hausse des derniers mois devait se poursuivre pour quelque temps encore ? Le qualificatif de « maîtrisable » serait-il encore bien de mise ?
        Dans la lutte vitale contre « la fin du monde », celle pour « les fins de mois » ne pourrait alors que s’inviter de manière plus insistante encore…

        [1] Dans un appel d’offres pour CFD, le concédant fixe a priori un montant plafond pour les prix de référence ; les candidats doivent faire des propositions inférieures à ce plafond. Même si le prix n’est pas le seul et unique critère, il est néanmoins et de très loin le principal ; autrement dit, le moins disant l’emporte…
        [2] Cour des comptes, « La filière EPR, rapport thématique », 2020, p. 68.
        [3] Sans actualisation, autrement dit avec un taux d’actualisation implicite de 0%, ce qui signifie que, parce qu’il s’agit de projet vitaux pour l’avenir de la planète, toute préférence pour le présent est annulée. On trouvera dans RTE, « Futurs énergétiques, Chapitre 14 : l’analyse économique », p. 454-455, une analyse des effets de différents taux d’actualisation en fonction des CAPEX.
        [4] L’important est donc ici le différentiel d’évolution entre l’indice général des prix qui sert de référence au contrat et les cours des différents intrants matériels et taux d’intérêt que représente l’investissement concerné.
        [5] Délibération de la CRE du 12/6/2023.
        [6] Ministère de la transition écologique « Energies renouvelables : Agnès Pannier-Runacher annonce le soutien de l'Etat à plus de 900 MW de nouvelles capacités éoliennes terrestres », Communiqué de presse, 23-11-2023https://www.ecologie.gouv.fr/energie...lles-capacites
        [7] CRE, Délibération N°2023-321 du 19 octobre 2023.
        [8] CRE, Délibération N°2023-217 du 31 août 2023
        [9] Sur ce point cf. mon billet du 12/01/2023 sur ce blog, « Le nucléaire « l’une des énergies les plus coûteuses », vraiment ? ».
        [10] RTE, « Futurs énergétiques 2050 », Chap. 14, p.501.
        [11] RTE, « Futurs énergétiques 2050 », Chap. 11, Figures de la p. 477.
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