Analyses.
JACQUES RIGAUDIAT
Dans le débat sur la transition électrique, la question du coût économique comparé[1] des différentes filières est bien sûr l’une des interrogations centrales. Nous avons vu dans le précédent billet ce qu’il pouvait en être. Depuis le début de l’année 2023, un certain nombre d’évènements sont intervenus qui permettent d’y voir un peu plus clair.
D’abord, un rapport remis par la CRE au Gouvernement[2] estime que le coût de production du parc nucléaire sera très précisément de 60,7€/MWh d’ici à 2030, 59,1 €/MWh de 2030 à 2035 et 57,3 €/MWh de 2035 à 2040. Cette estimation intègre les coûts du « Grand carénage » et de Flamanville, mais, comme le précise la CRE, elle « ne couvre en revanche pas les besoins relatifs au financement du développement de nouveaux réacteurs nucléaires ».
Ensuite, dans la perspective de la fin du dispositif ARENH à fin 2025, un accord – particulièrement difficile à conclure- a été trouvé à mi-novembre entre le Gouvernement et EDF sur un prix de référence de 70 €/MWh pour la production électronucléaire, pour quinze ans, de 2026 jusqu’en 2040. Ce niveau est supposé permettre à EDF de disposer de marges suffisantes pour financer son effort d’investissement des années à venir dans le « nouveau nucléaire », sans qu’il soit nécessaire de recourir à un endettement excessif, ou à une recapitalisation ; il est donc logiquement supérieur au coût de production. Telles sont, s’agissant du nucléaire, les estimations les plus actuelles.
Face à cela, -c’est le dernier élément nouveau- alors que le parc de St Nazaire, seul parc raccordé à ce jour, avait été attribué à 150 €/MWh, les derniers appels d’offres pour les parcs offshore se sont conclus à des prix garanti[3] très fortement en baisse, de l’ordre de 45 €/MWh. L’éolien offshore peut ainsi apparaître assurer une production d’électricité très sensiblement moins onéreuse que le nucléaire.
C’est l’objet de ce billet de blog comme de celui qui va le suivre que de montrer que ce n’est pourtant guère le cas.
Les prix de référence garantis par les contrats issus des appels d’offres offrent, en effet, une vision en trompe l’œil qu’il faut analyser de près, car le diable se niche toujours dans les détails. Or, c'est l'objet de ce premier billet, ce trompe l’œil (I) est, de plus, double : d’abord, parce que les périmètres de comparaison entre filières ne sont pas identiques et qu’ainsi les LCOE affichés sont, au moins pour partie, fallacieusement à l’avantage de l’éolien ; ensuite, parce que les modalités mêmes des appels d’offres aboutissent à des prix de façade, inférieurs à ce qu’ils seront réellement au cours de la durée de vie des équipements, ce dont la CRE a d’ailleurs été amenée à quelque peu s’émouvoir. Il y a donc ainsi double sous-estimation.
Enfin, cette perspective de faibles prix, -en fait et pour plusieurs raisons désormais fortement inférieurs aux coûts réels de production-, plonge la filière offshore, et plus largement éolienne, européenne dans la tourmente (II) ; ce sera l’objet du billet suivant. Avis de fort coup de vent avec risque de tempête, donc.
Des prix doublement biaisés.
Après celui de Dunkerque en 2019, qui s’était conclu sur un prix de 44 €/MWh, le plus récent des appels d’offres concernant l’offshore en France, celui dit de « Centre Manche » - un parc de 1 GW destiné à être raccordé en 2031- s’est quant à lui conclu une nouvelle fois au profit d’un consortium emmené par EDF, à un prix de 44,9 €/MWh.
Cette situation est très loin d’être spécifique à la France. Elle est, en effet, générale en Europe : en Angleterre des appels d’offres se sont conclus à 37 €/MWh, de même en Écosse, aux Pays-Bas et en Allemagne ; c’est aussi ce qui a pu être constaté aux États-Unis.
Et beaucoup, alors, d’en conclure à un avenir radieux de l’éolien offshore, qui serait en train de changer la donne…
Des prix n’intégrant pas les coûts de raccordement.
Il faut d’abord rappeler une exigence méthodologique minimale : pour que l’on puisse comparer les prix de production de l’électricité selon les différentes filières, il faudrait que les périmètres pris en compte soient identiques. Or, ils ne le sont pas. D’un côté, les LCOE (les « coûts complets de production ») sont évalués en comprenant les coûts de raccordement au réseau, c’est le cas de toutes les filières, à l’exception de l’éolien offshore ; de l’autre, le seul éolien offshore, pour lequel le raccordement est mis à la charge du gestionnaire du réseau de transport (RTE en France), cela fait même l’objet d’une disposition spécifique du Code de l’énergie (L. 342-7). Que ce soit à RTE via le TURPE[4], ou au producteur via le tarif réglementé, dans tous les cas de figure, le consommateur paiera et cette subtilité, en définitive, ne le concerne guère ; mais l’analyse des coûts de production en est, elle, biaisée d’autant.
Or, la différence n’est pas mince. Ce qui est en cause, ce qui est de la responsabilité de RTE, c’est de tirer un câble depuis la sous-station en mer, -qui récupère les arrivées des éoliennes et est à la charge du producteur-, jusqu’à la terre, de construire la sous-station d’atterrage et assurer le raccordement final au réseau. Comme le coût du dispositif est destiné à être intégré au TURPE (cf. note 2), les investissements sont audités et autorisés par la CRE ; il sont donc parfaitement connus, il suffit pour cela d’éplucher les délibérations de la Commission : 244,4 M€ pour le parc de St Brieux, 285,1 M€ pour St Nazaire, 393,6 M€ pour Ile d’Yeu- Noirmoutier, 276,5 M€ pour Dieppe -Le Tréport….
Plus globalement, dans son schéma de développement du réseau[5], RTE a estimé à pas moins de 7 Md€ l’ensemble des coûts de raccordement de l’éolien offshore d’ici à 2035 : « Pour les parcs éoliens en mer, les coûts de réseau qui s’ajoutent aux prix issus des appels d’offres représentent un montant supplémentaire de l’ordre de 10 à 20 €/MWh selon la proximité des sites et la disponibilité du réseau à terre (…) [ qui] s’explique par le fait que la totalité du raccordement de ces installations est désormais pris en charge par RTE via le TURPE. » Dans un récent rapport[6], la Cour des comptes a de son côté revu à la hausse cette évaluation déjà un peu ancienne et estimé que ce coût devrait plutôt s’établir « dans une fourchette de 7,7 Md€ à 10,1 Md€ » …
A suivre, a minima, RTE, les LCOE de l’éolien terrestre issus des appels d’offres seraient donc, en réalité et selon l’éloignement des sites, de l’ordre de :
45 €/MWh + 10/20 €/MWh = 55/65 €/MWh
Enfin, a maxima, le haut de la fourchette de la Cour ferait approcher les 75 €/MWh …
Les prix de production comparés du nucléaire et de l’éolien offshore, évalués sur des périmètres rendus comparables se chevauchent donc singulièrement. Mais il ne s’agit ici que de la première des deux rectifications …
Des prix de référence qui ne disent pas tout …
Le dernier appel d’offres Centre Manche, parc de 1 GW identique à celui de Dunkerque, a été emporté à un prix de 44,9 €/MWh pour 20 ans ; comme celui-ci, il l’a été par un consortium emmené par EdF. Ce parc est le premier en ZEE (32 Kms des côtes) et non à l’intérieur des limites des eaux territoriales. Aussi ce prix étonne-t-il manifestement la concurrence, car « selon plusieurs énergéticiens, ce parc normand est plus onéreux à construire, compte tenu de la configuration des fonds marins et de l’éloignement des côtes »[7]. Cette adjudication s’est faite dans des conditions de cahier des charges similaires à celle de Dunkerque, qui a été fermement critiqué par la Cour des comptes.
Les récriminations de la concurrence portent sur deux points :
« Plusieurs candidats ont fait le choix de proposer un niveau de tarif de référence conduisant à une rémunération nulle des actionnaires pendant la durée du contrat de complément de rémunération. La rentabilité du projet pour ses actionnaires repose alors intégralement sur la période qui sépare la fin du contrat de complément de rémunération et la fin de vie de l’installation, pendant laquelle la production du parc sera vendue librement sur le marché. Le temps de retour sur investissement est ainsi repoussé par rapport aux offres faites (…), en lien notamment avec l’allongement de la durée de vie des parcs éoliens en mer. »
JACQUES RIGAUDIAT
Dans le débat sur la transition électrique, la question du coût économique comparé[1] des différentes filières est bien sûr l’une des interrogations centrales. Nous avons vu dans le précédent billet ce qu’il pouvait en être. Depuis le début de l’année 2023, un certain nombre d’évènements sont intervenus qui permettent d’y voir un peu plus clair.
D’abord, un rapport remis par la CRE au Gouvernement[2] estime que le coût de production du parc nucléaire sera très précisément de 60,7€/MWh d’ici à 2030, 59,1 €/MWh de 2030 à 2035 et 57,3 €/MWh de 2035 à 2040. Cette estimation intègre les coûts du « Grand carénage » et de Flamanville, mais, comme le précise la CRE, elle « ne couvre en revanche pas les besoins relatifs au financement du développement de nouveaux réacteurs nucléaires ».
Ensuite, dans la perspective de la fin du dispositif ARENH à fin 2025, un accord – particulièrement difficile à conclure- a été trouvé à mi-novembre entre le Gouvernement et EDF sur un prix de référence de 70 €/MWh pour la production électronucléaire, pour quinze ans, de 2026 jusqu’en 2040. Ce niveau est supposé permettre à EDF de disposer de marges suffisantes pour financer son effort d’investissement des années à venir dans le « nouveau nucléaire », sans qu’il soit nécessaire de recourir à un endettement excessif, ou à une recapitalisation ; il est donc logiquement supérieur au coût de production. Telles sont, s’agissant du nucléaire, les estimations les plus actuelles.
Face à cela, -c’est le dernier élément nouveau- alors que le parc de St Nazaire, seul parc raccordé à ce jour, avait été attribué à 150 €/MWh, les derniers appels d’offres pour les parcs offshore se sont conclus à des prix garanti[3] très fortement en baisse, de l’ordre de 45 €/MWh. L’éolien offshore peut ainsi apparaître assurer une production d’électricité très sensiblement moins onéreuse que le nucléaire.
C’est l’objet de ce billet de blog comme de celui qui va le suivre que de montrer que ce n’est pourtant guère le cas.
Les prix de référence garantis par les contrats issus des appels d’offres offrent, en effet, une vision en trompe l’œil qu’il faut analyser de près, car le diable se niche toujours dans les détails. Or, c'est l'objet de ce premier billet, ce trompe l’œil (I) est, de plus, double : d’abord, parce que les périmètres de comparaison entre filières ne sont pas identiques et qu’ainsi les LCOE affichés sont, au moins pour partie, fallacieusement à l’avantage de l’éolien ; ensuite, parce que les modalités mêmes des appels d’offres aboutissent à des prix de façade, inférieurs à ce qu’ils seront réellement au cours de la durée de vie des équipements, ce dont la CRE a d’ailleurs été amenée à quelque peu s’émouvoir. Il y a donc ainsi double sous-estimation.
Enfin, cette perspective de faibles prix, -en fait et pour plusieurs raisons désormais fortement inférieurs aux coûts réels de production-, plonge la filière offshore, et plus largement éolienne, européenne dans la tourmente (II) ; ce sera l’objet du billet suivant. Avis de fort coup de vent avec risque de tempête, donc.
Des prix doublement biaisés.
Après celui de Dunkerque en 2019, qui s’était conclu sur un prix de 44 €/MWh, le plus récent des appels d’offres concernant l’offshore en France, celui dit de « Centre Manche » - un parc de 1 GW destiné à être raccordé en 2031- s’est quant à lui conclu une nouvelle fois au profit d’un consortium emmené par EDF, à un prix de 44,9 €/MWh.
Cette situation est très loin d’être spécifique à la France. Elle est, en effet, générale en Europe : en Angleterre des appels d’offres se sont conclus à 37 €/MWh, de même en Écosse, aux Pays-Bas et en Allemagne ; c’est aussi ce qui a pu être constaté aux États-Unis.
Et beaucoup, alors, d’en conclure à un avenir radieux de l’éolien offshore, qui serait en train de changer la donne…
Des prix n’intégrant pas les coûts de raccordement.
Il faut d’abord rappeler une exigence méthodologique minimale : pour que l’on puisse comparer les prix de production de l’électricité selon les différentes filières, il faudrait que les périmètres pris en compte soient identiques. Or, ils ne le sont pas. D’un côté, les LCOE (les « coûts complets de production ») sont évalués en comprenant les coûts de raccordement au réseau, c’est le cas de toutes les filières, à l’exception de l’éolien offshore ; de l’autre, le seul éolien offshore, pour lequel le raccordement est mis à la charge du gestionnaire du réseau de transport (RTE en France), cela fait même l’objet d’une disposition spécifique du Code de l’énergie (L. 342-7). Que ce soit à RTE via le TURPE[4], ou au producteur via le tarif réglementé, dans tous les cas de figure, le consommateur paiera et cette subtilité, en définitive, ne le concerne guère ; mais l’analyse des coûts de production en est, elle, biaisée d’autant.
Or, la différence n’est pas mince. Ce qui est en cause, ce qui est de la responsabilité de RTE, c’est de tirer un câble depuis la sous-station en mer, -qui récupère les arrivées des éoliennes et est à la charge du producteur-, jusqu’à la terre, de construire la sous-station d’atterrage et assurer le raccordement final au réseau. Comme le coût du dispositif est destiné à être intégré au TURPE (cf. note 2), les investissements sont audités et autorisés par la CRE ; il sont donc parfaitement connus, il suffit pour cela d’éplucher les délibérations de la Commission : 244,4 M€ pour le parc de St Brieux, 285,1 M€ pour St Nazaire, 393,6 M€ pour Ile d’Yeu- Noirmoutier, 276,5 M€ pour Dieppe -Le Tréport….
Plus globalement, dans son schéma de développement du réseau[5], RTE a estimé à pas moins de 7 Md€ l’ensemble des coûts de raccordement de l’éolien offshore d’ici à 2035 : « Pour les parcs éoliens en mer, les coûts de réseau qui s’ajoutent aux prix issus des appels d’offres représentent un montant supplémentaire de l’ordre de 10 à 20 €/MWh selon la proximité des sites et la disponibilité du réseau à terre (…) [ qui] s’explique par le fait que la totalité du raccordement de ces installations est désormais pris en charge par RTE via le TURPE. » Dans un récent rapport[6], la Cour des comptes a de son côté revu à la hausse cette évaluation déjà un peu ancienne et estimé que ce coût devrait plutôt s’établir « dans une fourchette de 7,7 Md€ à 10,1 Md€ » …
A suivre, a minima, RTE, les LCOE de l’éolien terrestre issus des appels d’offres seraient donc, en réalité et selon l’éloignement des sites, de l’ordre de :
45 €/MWh + 10/20 €/MWh = 55/65 €/MWh
Enfin, a maxima, le haut de la fourchette de la Cour ferait approcher les 75 €/MWh …
Les prix de production comparés du nucléaire et de l’éolien offshore, évalués sur des périmètres rendus comparables se chevauchent donc singulièrement. Mais il ne s’agit ici que de la première des deux rectifications …
Des prix de référence qui ne disent pas tout …
Le dernier appel d’offres Centre Manche, parc de 1 GW identique à celui de Dunkerque, a été emporté à un prix de 44,9 €/MWh pour 20 ans ; comme celui-ci, il l’a été par un consortium emmené par EdF. Ce parc est le premier en ZEE (32 Kms des côtes) et non à l’intérieur des limites des eaux territoriales. Aussi ce prix étonne-t-il manifestement la concurrence, car « selon plusieurs énergéticiens, ce parc normand est plus onéreux à construire, compte tenu de la configuration des fonds marins et de l’éloignement des côtes »[7]. Cette adjudication s’est faite dans des conditions de cahier des charges similaires à celle de Dunkerque, qui a été fermement critiqué par la Cour des comptes.
Les récriminations de la concurrence portent sur deux points :
- C’est un prix de dumping. Désormais détenu à 100% par l’État, EDF peut s’en remettre au contribuable qui le recapitalisera, le cas échéant. Les opérateurs privés ne peuvent évidemment pas se permettre une telle facilité. L’appel d’offres est donc pour eux faussé.
- La durée du contrat de complément de rémunération (20 ans) est inférieure à celle du parc, amorti normalement sur 25 ans. Cette période quinquennale terminale est de liberté des prix, elle permet d’espérer se refaire alors une santé financière …
« Plusieurs candidats ont fait le choix de proposer un niveau de tarif de référence conduisant à une rémunération nulle des actionnaires pendant la durée du contrat de complément de rémunération. La rentabilité du projet pour ses actionnaires repose alors intégralement sur la période qui sépare la fin du contrat de complément de rémunération et la fin de vie de l’installation, pendant laquelle la production du parc sera vendue librement sur le marché. Le temps de retour sur investissement est ainsi repoussé par rapport aux offres faites (…), en lien notamment avec l’allongement de la durée de vie des parcs éoliens en mer. »
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