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Riz : une crise qui “risque d’être plus grave encore” que celle de 2008

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  • Riz : une crise qui “risque d’être plus grave encore” que celle de 2008


    Alimentation.

    Dérèglement climatique, croissance démographique, tentations protectionnistes… Depuis cet été, raconte le “Financial Times”, tous les signaux sont au rouge. Et laissent à penser que la crise alimentaire qui vient sera équivalente à celle de 2008, qui avait conduit à des bouleversements politiques. Voire pire.


    Le riz frit est un des plats les plus prisés à Lagos, la capitale économique du Nigeria. Mais depuis quelque temps, explique Toni Aladekomo, gérant du restaurant Grey Matter Social Space dans le quartier d’affaires très chic de Victoria Island, les clients qui en commandent se font de plus en plus rares. À 4 000 nairas [4,40 euros] contre 1 500 il y a un an, il a cessé d’être “abordable pour beaucoup de monde”, poursuit-il. Au Nigeria, le riz est l’aliment le plus consommé et la base du plat national, le riz jollof. Mais, selon les chiffres les plus récents de l’Agence nationale des statistiques, un kilo importé coûtait 46,34 % plus cher en août dernier qu’en août 2022.

    Le Nigeria enregistre en ce moment son taux d’inflation le plus élevé depuis vingt ans et tous les prix se sont envolés. Mais la flambée du celui du riz, aliment de base consommé quotidiennement, est provoquée par les restrictions mises en place par le premier exportateur mondial de riz, l’Inde, qui craint une baisse de production et une explosion des prix sur son marché intérieur. Tout a commencé l’an dernier, lorsque le gouvernement de Narendra Modi a cessé d’exporter les brisures de riz, une denrée bon marché achetée notamment par les pays les plus pauvres, dont le Bangladesh et le Bénin. L’interdiction est toujours en place.

    À la fin de juillet, l’Inde a également interdit les exportations de riz blanc hors basmati. Puis, en août, elle a instauré un prix plancher pour la variété basmati et une taxe de 20 % sur les exportations de riz étuvé, qui a été prolongée jusqu’en mars 2024.

    Les prix du riz blanc s’envolent. FINANCIAL TIMES/COURRIER INTERNATIONAL

    “Lorsqu’un pays qui représente 40 % du commerce mondial du riz cesse d’en exporter la moitié et impose une taxe sur l’autre moitié, cela génère une situation très difficile”, explique Joseph Glauber, de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (International Food Policy Research Institute, Ifpri) et ancien économiste en chef au ministère de l’Agriculture américain. L’interdiction d’exporter du riz blanc hors basmati a eu deux conséquences immédiates : des “achats de panique” des consommateurs en Asie et en Amérique du Nord, et la prise de mesures par les autres pays grands producteurs en vue de s’adapter à la nouvelle donne.

    L’influence d’El Niño


    La récolte du riz est en cours en Inde. Les pays importateurs nets espèrent que les rendements seront meilleurs que prévu et que le gouvernement assouplira les restrictions. Mais des élections auront bientôt lieu [au printemps 2024], et le prix des denrées alimentaires est un sujet explosif pour Modi. De plus, le retour du phénomène météorologique El Niño, qui entraîne une montée des températures de l’océan Pacifique et des sécheresses accrues, menace les récoltes de l’année prochaine.

    Si l’Inde maintient les interdictions actuelles et que d’autres pays producteurs lui emboîtent le pas, les analystes craignent que le monde ne revive une crise comme celle de 2008. Cette année-là, une vague de politiques protectionnistes avait multiplié les cours par trois en six mois, entraînant une flambée de l’inflation dans le monde entier et des émeutes en Afrique du Nord, en Asie du Sud et dans les Caraïbes. Mais cette fois la crise risque d’être plus grave encore parce que la hausse de la demande, due à la croissance démographique, se heurtera aux conséquences d’un dérèglement climatique de plus en plus menaçant.


    Avec le blé et le maïs, le riz est l’une des trois céréales les plus cultivées dans le monde. CATHERINE DOUTEY/COURRIER INTERNATIONAL

    Le prix du riz ne s’envole pas qu’en Inde. En Thaïlande et au Vietnam, deuxième et troisième exportateurs mondiaux, il a respectivement enregistré un bond de 14 % et 22 % depuis les interdictions décrétées par l’Inde. Arif Husain, économiste en chef du Programme alimentaire mondial des Nations unies (PAM), estime que les pays qui risquent d’être les plus affectés par ces mesures sont déjà confrontés à de nombreux fléaux, notamment un coût élevé des denrées alimentaires, une dette galopante et une dépréciation de leur monnaie :

    “Le résultat est un produit de base que des millions de personnes n’auront plus les moyens d’acheter.”
    L’Inde n’en est pas à son coup d’essai. En 2007, elle avait été la première à réagir quand les prix des denrées de base, comme le blé et le maïs, avaient grimpé en flèche en raison de mauvaises conditions météorologiques qui faisaient peser une menace sur les rendements. L’offre de riz était abondante, mais la pression à la hausse sur les prix alimentaires faisait paniquer les gouvernements de la planète. New Delhi a rapidement décrété des restrictions à l’exportation. Le Vietnam, qui était alors le deuxième plus grand exportateur du monde après la Thaïlande, en a fait autant en janvier 2008 et les exportateurs de second ordre, comme l’Égypte et le Pakistan, ont pris à leur tour des mesures similaires. Pendant que les entrepôts des agriculteurs se remplissaient et que les gouvernements et les consommateurs faisaient des réserves, le cours mondial du riz s’est envolé jusqu’à atteindre le record de 1 000 dollars la tonne.

    Une colère qui a nourri le mécontentement politique


    Il n’y avait plus un seul paquet de riz dans les rayons des supermarchés, se souvient Frederic Neumann, économiste en chef pour l’Asie chez HSBC à Hong Kong. Dans plusieurs pays, les citoyens affamés sont descendus dans la rue. En Haïti, les “émeutes de la faim” d’avril 2008 ont entraîné la destitution du Premier ministre, Jacques-Édouard Alexis. La colère suscitée par la flambée des prix alimentaires a persisté et nourri le mécontentement politique. Elle a contribué trois ans plus tard au “printemps arabe”, au cours duquel quatre dirigeants du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord ont été renversés.

    La leçon est gravée dans la mémoire de nombreux responsables politiques actuels. En Inde, le Bharatiya Janata Party (BJP) de Narendra Modi a fait du contrôle des prix alimentaires une priorité absolue en prévision des rendez-vous électoraux qui l’attendent. L’inflation alimentaire est depuis longtemps une question politiquement sensible dans ce pays, où le riz reste l’aliment le plus consommé.

    Le gouvernement indien justifie les interdictions d’exportation par la nécessité de protéger la sécurité alimentaire du pays dans un contexte inquiétant d’inflation et de récoltes plus faibles en raison du dérèglement climatique. Une grande partie des 1,4 milliard d’Indiens est en proie à la pauvreté et à la malnutrition : des céréales sont distribuées gratuitement à environ 800 millions de personnes dans le cadre d’un programme d’aide alimentaire.

    “Les responsables politiques prennent des précautions supplémentaires en raison des élections qui vont avoir lieu prochainement dans certains États, et dans tout le pays en 2024”, explique Avinash Kishore, chercheur à l’Ifpri à New Delhi. Le cours du pétrole étant également en hausse, ajoute-t-il, “ils ne veulent pas tenter le diable”.

    Protéger ses approvisionnements


    La communauté internationale a dénoncé les mesures prises par l’Inde. Le Fonds monétaire international (FMI) a demandé à New Delhi de revenir sur sa politique rizicole en la qualifiant de “préjudiciable”. Lors d’une réunion de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en septembre, les États-Unis et d’autres pays ont remis en question la nécessité des restrictions alors que l’Inde dispose de stocks suffisants. L’une des principales craintes est que les interdictions d’exportation n’entraînent une crise plus grave que celle de 2008.

    Selon les données du ministère de l’Agriculture américain analysées par HSBC, non seulement la part de l’Inde dans les exportations mondiales de riz a crû, mais le volume de riz commercialisé entre pays a doublé, passant d’environ 5 % en 1999 à plus de 10 % aujourd’hui. Cette configuration rend les risques de contagion d’une crise plus élevés, insiste Frederic Neumann :

    “La menace d’une répétition de la situation de 2008 est bien réelle.”
    D’autres pays d’Asie ont décidé d’emboîter le pas à l’Inde. À la fin d’août, la Birmanie, cinquième exportateur mondial, a annoncé suspendre ses exportations pendant “environ quarante-cinq jours”. Quelques jours plus tard, les Philippines ont imposé un plafond sur les prix du riz afin de limiter l’impact de la hausse sur les consommateurs.

    La région cherche à protéger ses propres approvisionnements. En septembre, les membres de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Asean), parmi lesquels figurent trois des cinq plus grands exportateurs de riz, se sont engagés à ne pas utiliser de barrières commerciales “injustifiées”. Mais en octobre le ministre de l’Agriculture malaisien a déclaré aux médias d’État que les dirigeants de l’Asean avaient convenu de donner la priorité aux exportations de riz vers les autres pays du bloc.

    Les pays d’Afrique de l’Ouest particulièrement en danger


    Ce protectionnisme fait peser une menace de taille sur les pays d’Afrique de l’Ouest, que les prix trop élevés risquent d’exclure du marché. Les restrictions imposées sur les exportations les mettent particulièrement en danger, souligne Arif Husain, du PAM. Près 88 % du riz importé par le Togo en 2022 venait d’Inde, ainsi que 61 % de la quantité consommée au Bénin, le plus grand importateur mondial de brisures de riz indien. Au Sénégal, 47 % des importations de riz viennent d’Inde. Pour Cheikh Bamba Ndaw, directeur du commerce intérieur au ministère du Commerce sénégalais, les difficultés d’approvisionnement de son pays ne sont pas dues à “un problème de riz, mais de prix”.


    Sur un marché de Lagos, au Nigeria, en juin 2021. PHOTO BENSON IBEABUCHI/AFP

    Il se passe peu ou prou la même chose qu’au printemps dernier avec le blé, reprend Arif Husain. Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, qui en assurait 10 % des exportations mondiales, le prix de cette céréale a bondi et mis en péril la sécurité alimentaire de nombreux pays.

    a dernière crise du riz a pris fin lorsque le Japon, la Thaïlande et le Vietnam se sont engagés à reprendre les exportations de riz et que les coûts de transport ont baissé. Mais, mettent en garde des analystes, la situation actuelle ne sera pas aussi simple à résoudre. Il y a quinze ans, le monde ne manquait pas de céréales. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La population de la planète devrait avoisiner les 10 milliards d’habitants en 2050, l’Afrique et l’Asie étant les principaux moteurs de cet accroissement. D’après les estimations, cela entraînera une hausse de près d’un tiers de la demande en riz.

    Mais les rendements ne suivent pas. Selon une étude publiée récemment dans la revue Nature Food, après avoir connu une progression rapide pendant quelques décennies grâce au développement de nouvelles variétés, les rendements stagnent aujourd’hui dans quatre grands pays producteurs d’Asie du Sud-Est. D’après les chiffres de l’ONU, la production mondiale a progressé en moyenne de 0,9 % par an entre 2011 et 2021, contre 1,2 % par an entre 2001 et 2011.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2

    Le réchauffement fait baisser les rendements


    La principale cause de ce recul est le dérèglement climatique. Comme le riz pousse dans des climats chauds (90 % de la production mondiale est cultivée en Asie), on pense souvent que quelques degrés de plus n’auront aucune incidence, relève Bjoern Ole Sander, climatologue [et directeur de l’Institut international de recherche sur le riz, Irri] en Thaïlande. Ce n’est pas le cas. Au-dessus d’une certaine température, explique-t-il, les rendements chutent. Et la plante est particulièrement sensible à la chaleur nocturne.


    L’augmentation du nombre de jours au-dessus de 35 °C menace la production. FINANCIAL TIMES/COURRIER INTERNATIONAL

    Une étude réalisée en 2017 a montré qu’un réchauffement planétaire de 1 °C ferait baisser la production de riz de 3,3 % en moyenne. Les températures à la surface du globe ont déjà augmenté de 1,1 °C au moins depuis l’époque préindustrielle. Selon les prévisions de la société Gro Intelligence, qui analyse des données sur les matières premières, les principaux pays exportateurs de riz d’Asie enregistreront un nombre nettement plus élevé de jours avec des températures supérieures à 35 °C. Le scénario le plus pessimiste donne cent quatre-vingt-huit jours de plus au-dessus de ce seuil en Thaïlande.

    Dans les deltas rizicoles de l’Asie, du Mékong au Gange, le dérèglement climatique entraînera d’autres complications. Sous l’effet de la hausse des températures, le niveau des océans monte et l’eau salée pénètre dans les rivières, les canaux d’irrigation et les sols, réduisant les rendements ou rendant la culture tout bonnement impossible.

    Cette année, les agriculteurs vont également être confrontés à El Niño. Ce phénomène météorologique aggrave les effets du dérèglement climatique, reprend Sander, et peut provoquer une baisse des précipitations dans les régions rizicoles. Or moins de pluie signifie moins d’eau douce venant des rivières pour enlever l’excès de sel.

    Si l’Inde attend encore de mesurer les conséquences de la météo de cette année sur les récoltes, la Thaïlande a récemment annoncé que sa production de riz serait inférieure aux prévisions en raison de précipitations inférieures à la moyenne en septembre et en octobre.

    Selon les météorologues, le phénomène El Niño persistera une bonne partie de l’année 2024. Le résultat risque d’être un fort resserrement de l’offre mondiale de riz, avertit Frederic Neumann. Ce dont il s’agit ici, ajoute-t-il, ce n’est pas seulement du prix du riz dans un avenir immédiat. Mais bel et bien d’un avant-goût de la façon dont le monde peut réagir face à des conditions météorologiques de plus en plus imprévisibles qui accroissent la volatilité des prix alimentaires.

    Pour Arif Husain, du PAM, la solution réside dans une intensification des échanges commerciaux pour mieux répartir les denrées alimentaires sur toute la planète. Mais il craint que l’aggravation du dérèglement climatique n’incite plutôt les gouvernements à fermer les frontières et tourner le dos aux marchés mondiaux. La crise actuelle pourrait devenir une “mégacrise”, met-il en garde, à moins que “le bon sens ne l’emporte”.

    Susannah Savage, Jyotsna Singh, Benjamin Parkin et Aanu Adeoye

    Vu d’Inde : le risque d’exporter “l’instabilité”

    “Petit à petit, New Delhi a resserré l’étau autour du marché mondial du riz”, juge Mihir Sharma, économiste indien, dans une tribune publiée par Bloomberg et largement relayée dans la presse indienne. “L’Inde aime se présenter comme un leader du Sud, capable d’une empathie pour les pays en développement qui contraste fortement avec l’Occident ou la Chine, qui se soucient peu de l’impact de leurs politiques sur les pays les plus pauvres”, mais ce n’est pas “l’Occident qui souffrira de l’interdiction d’exporter du riz non basmati”, assène l’éditorialiste.

    Dans son discours à la nation à l’occasion de la fête de l’indépendance, le 15 août, le Premier ministre Narendra Modi “s’est engagé à réduire l’inflation alors qu’il brigue un troisième mandat à l’occasion des élections législatives” de 2024, rappelle le quotidien économique Mint. “Alors que l’inflation a atteint son plus haut niveau au cours des quinze derniers mois, l’Inde a pris diverses mesures, notamment des restrictions à l’exportation de certaines denrées alimentaires, pour contrôler la hausse des prix”, indique Livemint. Le gouvernement a ainsi interdit l’exportation de riz blanc hors basmati ou encore imposé une taxe de 20 % à l’export sur certaines variétés.

    Au mois de mai 2022, le gouvernement avait déjà interdit l’exportation de blé, rappelle The Hindu, après avoir pourtant affirmé que l’Inde pourrait nourrir le monde. En août 2023, un droit de douane de 40 % a été imposé sur les oignons pour limiter l’exportation de cet aliment de base de la cuisine indienne, dont on dit qu’il a le pouvoir de faire chuter les gouvernements. Cette mesure coûte néanmoins cher aux consommateurs du Bangladesh ou encore du Népal voisins, qui dépendent de l’Inde pour leur approvisionnement en bulbes. New Delhi a également restreint les exportations de sucre pour tenter d’endiguer la hausse des prix domestiques liée à de mauvaises récoltes.

    “Si vous gardez la nourriture à l’intérieur de vos frontières, vous exportez plutôt l’insécurité et l’instabilité, met en garde Mihir Sharma, associé à l’Observer Research Foundation, un groupe de réflexion basé à New Delhi. Lors de la dernière crise des céréales, en 2007-2008, quatorze pays d’Afrique avaient connu des émeutes de la faim.”
    Une “ceinture de riz coréenne” pour l’Afrique

    Partant du principe qu’en 2020 l’Afrique a consommé plus de 300 millions de tonnes de riz mais n’en a produit que 210, la Corée du Sud a lancé, en juillet, une initiative baptisée K-Rice Belt ou “ceinture de riz coréenne”. L’idée, explique The Korea Times, est de fournir à huit pays africains (le Sénégal, la Gambie, la Guinée, le Ghana, le Cameroun, l’Ouganda, le Kenya et la Guinée-Bissau) des variétés de riz à haut rendement, du savoir-faire et des machines agricoles. Une enveloppe de 80 millions de dollars sera allouée à ce projet, dont la première phase courra jusqu’en 2027. L’objectif sera de produire à cette date 10 000 tonnes de graines qui donneront du riz à 30 millions de personnes.
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