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Pourquoi les start-up sont confrontées à la frilosité des investisseurs

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  • Pourquoi les start-up sont confrontées à la frilosité des investisseurs

    DÉCRYPTAGE
    Après l’euphorie de l’argent facile, les jeunes pousses font face à la hausse des taux d’intérêt. Celles qui résistent n’ont pas pu faire l’économie d’un sérieux serrage de boulons. En parallèle, les « greentech », qui répondent aux enjeux écologiques, se développent vivement.



    Un bar du 10e arrondissement de Paris, un soir de semaine. En regardant pensivement son verre de bière, le jeune homme de la table d’à côté, à peine trentenaire, se confie à sa voisine : « C’était vraiment cool au début. J’y ai cru, je me suis impliqué. A chaque fois qu’un des boss me demandait de rester tard pour terminer un projet, je l’ai fait. Mais quand ils ont commencé à licencier en expliquant que les temps étaient durs et qu’ils auraient du mal à faire la prochaine levée de fonds, je me suis rendu compte que finalement une start-up était une boîte comme une autre. Je ne sais pas si je vais rester… »

    Ce sentiment n’est pas un cas isolé. Voilà dix-huit mois que de nombreux employés de la tech déchantent et que l’étoile des jeunes pousses pâlit. La principale raison de ce désamour est à chercher du côté des financements, de la hausse des taux et de l’inflation qui ont rendu les fonds d’investissement plus parcimonieux. Depuis l’été 2022, les start-up peinent à lever des fonds auprès des investisseurs. Après une période d’euphorie, « voire d’excès » diront certains, ces difficultés les ont amenées à réduire leurs coûts et, pour plusieurs d’entre elles, à licencier. Comme ce fut le cas pour PayFit, Back Market, DocuSign, plus récemment ManoMano et bien d’autres.

    Le label French Tech, créé à l’automne 2013, célèbre ses dix ans avec une certaine gueule de bois. Age de raison, maturité entrepreneuriale ou vrai retournement de situation ? Le monde des start-up et du capital-risque en France semble être arrivé à un tournant de sa courte histoire.

    « Attention à l’effet d’optique,prévient Franck Sebag, associé du cabinet EY. S’il y a bien eu une baisse majeure en valeur, moins 49 % de fonds levés au premier semestre 2023 par rapport au premier semestre 2022, il y a eu plus d’opérations réalisées. » Dans son baromètre du capital-risque en France du 1er semestre 2023, le cabinet dénombre 395 levées de fonds contre 362 pendant la même période de l’année précédente. Les petites levées jusqu’à 20 millions d’euros, dites « d’amorçage » et « de série A », ont bien tenu, preuve que les investisseurs continuent de financer les innovations à leurs débuts.

    Place à la rentabilité !


    Ce sont surtout les levées supérieures à 100 millions d’euros, celles qui font les licornes, ces sociétés non cotées valorisées à plus d’un milliard d’euros, qui se sont faites rares. Quant à celles de plus de 300 millions d’euros, elles ont tout bonnement disparu. Cependant, Franck Sebag souligne que « les montants levés au cours des six premiers mois de cette année représentent une fois et demie ceux levés pendant toute l’année 2019. Il y a de quoi relativiser. On n’est pas dans une crise structurelle, car la croissance est toujours là, tout comme le besoin d’innovation ».

    La pandémie de Covid-19, l’inflation et la hausse des taux d’intérêt qui ont suivi expliquent un tel retournement. Portés par l’accélération de la transformation numérique et du télétravail dus aux confinements, les investissements dans la tech ont battu des records en 2021 et 2022, tant en valeur qu’en nombre d’opérations. Les plates-formes, les logiciels et les applications en ligne ainsi que les services aux particuliers, de livraison à domicile notamment, ont bénéficié d’investissements importants.

    « Cela a provoqué un saut extrêmement violent des valorisations de ces sociétés, car les investisseurs avaient trouvé une martingale de croissance. Puis la remontée des taux d’intérêt a affecté la Bourse et fait baisser le prix des actions, constate Nicolas von Bülow, managing partner de la banque d’investissement Clipperton. Nous avons eu une période de glaciation, dont nous nous remettons, mais l’explosion des valorisations pendant et après le Covid nous a valu près de deux ans d’anomalie mécanique auto-entretenue, basée sur de l’irrationnel ! »

    Conscient de cela, l’écosystème financier a revu ses priorités. Finie la course à la valorisation, place au revenu et à la rentabilité ! Plus l’argent devient cher, plus les investisseurs sont prudents et réduisent leurs prises de risque, préférant des placements moins rémunérateurs – mais plus sûrs – aux hypothétiques succès des start-up. « Dès l’été 2022, nous avions anticipé et prévenu les start-up dans lesquelles nous avions investi qu’il n’y aurait pas de fonds disponibles avant l’été 2024 », raconte Rodolphe Menegaux, partner chez Alven Capital, qui gère plusieurs fonds de capital-risque essentiellement en amorçage et en série A. Cela concerne généralement des sociétés non rentables, habituées à lever des fonds plusieurs fois assez rapidement et sans difficultés.

    Les entrepreneurs ont entendu le message, et réduit leurs coûts et leurs effectifs. « Mais comme ils avaient tous anticipé une forte croissance, beaucoup n’ont pas tenu leurs budgets… Ils se posent donc maintenant la question de la manière de se refinancer, soit par de la dette auprès des banques, mais ce n’est pas facile, soit en rachetant une start-up dans un autre pays pour se développer,explique Rodolphe Menegaux. Certains fonds, qui disposent de réserves, peuvent accompagner une entreprise pendant cette phase, mais ils la choisiront et en laisseront d’autres. » Ces autres sont justement celles qui ont dû licencier, se revendre ou fusionner, quand elles n’ont pas simplement mis la clé sous la porte.

    Les entrepreneurs ont mûri


    Certes, les dix-huit derniers mois n’ont pas été un long fleuve tranquille pour les start-up, mais les fondamentaux persistent, et il y a de l’argent. Beaucoup même ! Puisque les fonds préfèrent thésauriser et attendre des jours meilleurs pour investir à nouveau. Dans son analyse de la situation financière des start-up en 2022, la Banque de France indique que le chiffre d’affaires des start-up françaises tous secteurs confondus a progressé de 25 % entre 2021 et 2022, soit deux fois plus que celui des PME, qui n’a crû que de 12 %. Et bien que plusieurs sociétés aient eu ou envisagent d’avoir recours à des licenciements, l’effectif global devrait compter 50 000 nouveaux emplois en 2023.

    Une étude présentée en septembre, menée conjointement par le cabinet EY et l’association France Digitale, souligne que 92 % des start-up envisagent de recruter dans les douze mois suivants ; et 8 % envisagent des licenciements. Le nombre d’emplois internes, directs et indirects de l’écosystème y est estimé à 1,1 million en France.

    Ce relatif « hiver du capital-risque » aura fait mûrir les entrepreneurs. « Ceux qui levaient des fonds pour faire la “une” des journaux ne sont plus là », se félicitait un investisseur. Mais il a aussi ralenti et complexifié les levées pour tous les dossiers, quel que soit leur secteur ou leur qualité. La moitié des start-up qui ont cherché à faire entrer de l’argent au cours des douze derniers mois y sont parvenues, mais avec des difficultés, et 7 % ont abandonné leur recherche, selon le baromètre EY.


    « Si je suis un senior dans mon domaine, je suis novice en levée de fonds, confie Laurent Guiraud, cofondateur de ColibrITD et docteur en physique. J’ai pris quelques claques avant de réussir à le faire. On voit le compte en banque de la société baisser, c’est de plus en plus inquiétant… » Créée en juillet 2019, ColibrITD a autofinancé ses débuts dans le développement de logiciels quantiques grâce à une activité de conseil menée en parallèle. Pour se consacrer uniquement au développement d’algorithmes, la société a commencé à chercher des investisseurs en mai 2022. Ce n’est qu’en septembre qu’elle a enfin annoncé avoir réuni un million d’euros auprès du berlinois Earlybird Venture Capital et de quelques business angels(nom donné aux financeurs d’activités innovantes).

    « J’ai envoyé le pitch à 135 investisseurs, je l’ai présenté en direct une cinquantaine de fois, certains ne répondent même pas », précise-t-il. Ce million d’euros va permettre à ColibriTD de recruter des chercheurs, mais Laurent Guiraud anticipe déjà la prochaine levée de fonds. « On sait que les fonds d’amorçage [les premiers apports en capitaux] durent en moyenne vingt-quatre mois. Je ne veux pas être encore une start-up dans dix ans ! »
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2
    « Financer la transformation durable »


    Et puis, la course à l’argent frais peut devenir pesante. « Quand j’ai créé mon entreprise, à 21 ans, j’étais naïve, je cherchais à résoudre un problème. Lever des fonds n’était pas une fin en soi. Puis il y a eu la première levée, les membres du conseil qui poussent à la croissance, les valorisations, les ratios, la prochaine levée… C’est une chose de créer une entreprise pour réaliser son projet, c’en est une autre d’avoir trois stagiaires et deux fonds présents à son conseil d’administration ! » Marjolaine Grondin a cofondé JAM, un chatbot dévolu à Messenger (Facebook) en 2013 alors qu’elle était encore à Sciences Po. Elle l’a revendu en 2022 pour démarrer d’autres projets, notamment un tiers-lieu dans le 11e arrondissement, qu’elle finance grâce à un prêt bancaire remboursé chaque mois. « J’aime la pression, mais celle que je me mets moi-même ! », observe-t-elle.

    Corollaires de la pandémie, les confinements et le télétravail ont ouvert les vannes aux aspirations d’une génération souhaitant « vivre autrement », « mettre du sens dans son travail », « travailler pour des entreprises dont elle partage les valeurs », etc. Beaucoup d’employés de start-up – mais aussi des fondateurs et des manageurs – ont saisi cette occasion de changer de projet, de quitter les grandes villes, de retrouver un rythme moins intense, de créer de nouvelles entreprises en économie circulaire ou dans les « greentech » (secteur répondant aux enjeux écologiques).

    Travailler autrement, mais aussi pour des projets différents. La crise financière a permis un réalignement, « un retour au bon sens et un changement de paradigme », souligne Nicolas Celier, cofondateur de la société Ring Capital. « Après l’injonction de faire de la croissance, il y a aujourd’hui une injonction à agir. Nous passons d’une crise de la spéculation à une crise tectonique qui consiste à repenser le monde. Les start-up et les talents s’engagent à présent dans l’impact, dans la transition écologique. » Témoins de cette tendance, les cleantech (pour « technologies propres ») et les greentech se multiplient à vive allure et sont celles qui ont levé le plus de fonds au premier semestre 2023.


    Selon la Banque de France, le chiffre d’affaires des greentech a progressé de 40 % en 2022 par rapport à 2021. Elles ont moins souffert de la crise du financement que les start-up des autres secteurs. Sweep, par exemple, dont les logiciels permettent aux entreprises de mesurer leurs émissions poste par poste et d’agir pour les réduire, est parvenue à lever 100 millions de dollars (soit 94 millions d’euros) en trois levées de fonds entre fin 2021 et fin 2022.

    « Intérêts environnementaux »


    Du point de vue des investissements, « la transformation numérique est terminée, il s’agit maintenant de financer la transformation durable », affirme Marie Ekeland, cofondatrice du fonds de capital-risque Daphni et fondatrice du fonds 2050. Pour elle, cette transformation ira beaucoup plus vite que celle de la numérisation. Puisqu’elle touche toutes les chaînes de valeur, à l’échelle de la planète, elle modifie les relations entre les acteurs et donc celles entre les investisseurs.

    Pour répondre aux nouveaux besoins, les financements doivent s’adapter, devenir hybrides, associer des fonds spécialisés en technologies, mais aussi en infrastructures, en industrie, etc. « Les institutions financières doivent changer de trajectoire. Il s’agit d’aligner les intérêts économiques des entreprises avec les intérêts environnementaux, poursuit Marie Ekeland. J’ai créé le fonds 2050 car on ne prédit pas le futur, mais on peut le façonner ! » Elle s’y emploie en investissant dans des start-up comme Paebbl, qui transforme le CO2 pour produire de nouveaux matériaux, Sweep (mesure des émissions), Withings (e-santé)… Comme le début d’un nouveau cycle.

    Sophy Caulier

    Victoria Denys Infographie

    Benjamin Martinez Infographie
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