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Transition ? Vous avez dit transition ?

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  • Transition ? Vous avez dit transition ?

    Les élites au pouvoir préfèrent parler de transition et continuer sur le même chemin plutôt que de mener des politiques environnementales efficaces

    C’est LE mot à la mode qui a remplacé le développement durable dans les déclarations publiques. Qu’elles soient celles de politiques, d’industriels, de journalistes ou de banquiers, on ne cesse d’en formuler les exigences.

    Et elle en a de nombreuses, à commencer par sa nature, énergétique, écologique, sociale ou urbanistique (en attendant qu’elle devienne morale voire anthropologique), son urgence (2030, 2040, 2050 ?), ou son ampleur.

    Concernant le dernier point, il renvoie à deux acceptions possibles de ce qu’est une transition. L’une correspond au passage d’un état à un autre, sous-entendu de manière graduelle et (plus ou moins) lente. Bien sûr la « lenteur » est sujette à appréciations diverses, mais quelle que soit son interprétation elle diffère de la seconde acception de la transition, qui est ce que les physiciens désignent par « transition de phase », et qui consiste en la transformation d’un état dans un autre, induite par la variation d’un ou plusieurs paramètres.

    Ce second sens traduit bien ce qui est en train de se passer avec le changement climatique, dont on sait qu’au fur et à mesure que la concentration de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère augmente, le fonctionnement du système terre se transforme et risque de déboucher sur une planète bien peu hospitalière. C’est ce dont nous avertissent les scénarios les plus inquiétants du Giec, au sujet desquels il faut noter que, de rapport en rapport, le constat est fait que ce que le pire scénario du rapport précédent prévoyait pour aujourd’hui est dépassé par la situation présente.[1]

    Ici, la transition de phase représente un saut dans l’inconnu bien inquiétant qui nécessite une baisse urgente des émissions de GES, sachant de toute façon que la concentration actuelle rend déjà inaccessible le seuil des 1,5° C acté à la COP de Paris en 2015 pour la fin du siècle et qui devrait être atteint bien avant 2040 au rythme des émissions d’aujourd’hui.

    Les deux acceptations de la « transition » ne s’opposent d’ailleurs pas nécessairement. La seconde peut être comprise comme un signal d’alarme de ce qui risque d’arriver si la première reste inefficace, risque d’autant plus grand qu’elle serait plus « lente ». Toutefois, dans les discours qui se réfèrent pour l’essentiel à la première (la seconde est souvent taxée de démoralisatrice et n’est évoquée qu’avec une grande modération, voire pas du tout), la « transition », présentée majoritairement comme énergétique et écologique, se veut rassurante, de par son existence affirmée (le fait de tant en parler induit l’idée qu’elle est engagée) sinon de par ses résultats qui tardent à venir (il faut rappeler que les émissions globales de GES continuent à croître).

    Il faut rester confiant dans l’avenir

    Il n’est guère nécessaire de faire une longue recherche pour trouver des déclarations qui, refusant le discours dit alarmiste, affirment leur foi dans l’avenir. Il suffit, par exemple, de regarder Le Monde du 4 novembre 2023 et de lire le compte-rendu qui y est donné de Carbone fossile, carbone vivant, le dernier livre de Christian de Perthuis, un économiste fondateur de la chaire Économie du climat à l’université Paris-Dauphine.

    Dès son introduction, le journaliste oppose « les discussions sur le réchauffement climatique (qui) adoptent souvent un ton élégiaque » et ce livre qui prouve que son auteur a « foi dans l’avenir ». S’ensuit un exposé des raisons qui confirmerait cette posture. A vrai dire on ne nous en donne que deux : Le renouvelable a gagné la bataille des coûts, la Chine est le leader de la transition écologique et tire les Etats-Unis et l’Union européenne avec elle. En revanche les obstacles et/ou incertitudes sont nombreux : l’abandon (nécessaire) des centrales thermiques suppose d’être capable de désinvestir dans les filières fossiles ce que nous ne savons pas bien faire (euphémisme), les situations différentes des pays sont source de multiples tensions internationales, les puits de carbone (forêts, sols, océans), le « carbone vivant », est fragilisé et est un « objet de gouvernement fort délicat, ou plutôt il n’en est pas encore un », pour la France, la stratégie nationale bas-carbone se « résume souvent à un vain exercice formel de bouclage statistique ».

    La balance penche nettement du mauvais côté, d’autant plus que voir la Chine comme un leader de la transition écologique est peut-être aller bien vite en besogne. Qu’elle soit leader dans les panneaux solaires ou les batteries (dont il faudrait mieux évaluer le bilan énergétique global, impliquant l’extraction des matériaux nécessaires), n'empêche pas qu’elle est aussi le leader des centrales au charbon (en 2022, la Chine a approuvé la création de nouveaux projets pour 106 gigawatts soit l’équivalent de deux grandes centrales au charbon par semaine). Il y a tout de même de quoi être un peu élégiaque ! D’autant que pour ne pas l’être et garder sa foi dans l’avenir qu’est censé nous donner ce livre, le journaliste n’a guère mieux que de nous assurer que « Christian de Perthuis veut croire dans la capacité de la démocratie à se réinventer en échappant au double piège de l’autoritarisme des experts et des divers populismes ». Pour ne pas être élégiaque, il suffit donc de croire et même simplement de le vouloir ! La conclusion garde heureusement les pieds sur terre en expliquant que cette nouvelle économie du climat (pour l’instant inexistante) « pour offrir un espoir convaincant devra peut-être s’allier à une nouvelle philosophie politique, une nouvelle anthropologie, une nouvelle sociologie de l’action, un nouveau droit ». On est bien mal barré ! Et pour mieux juger de notre situation il vaut mieux regarder les faits plutôt que de faire des vœux pieux.

    La transition énergétique n’est pas en route

    Parler de transition énergétique sous-entend qu’il nous faut passer, ou même que nous sommes en train de passer d’une forme d’énergie à une autre. En l’occurrence des fossiles aux renouvelables et que ce passage est celui-là même qui a eu lieu tout au long des deux derniers siècles en faisant se succéder le bois, le charbon puis le pétrole.

    Malheureusement cette belle histoire qui véhicule deux idées auxquelles on voudrait tellement croire, à savoir que le progrès technique est la solution à tous nos problèmes et que le génie humain permettra toujours de les résoudre, n’est qu’une légende[2]. Il n’y a jamais eu de substitutions d’une énergie à une autre. La transition énergétique n’a pas eu lieu et on consomme de plus en plus chacune des différentes formes d’énergie.

    S’y ajoute le fait que l’économie devient également de plus en plus matérielle, dépendant d’une quantité croissante de ressources naturelles qui demandent de plus en plus d’énergie pour être disponibles. Bref, nous sommes en plein conte de fées. C’est ce que résume parfaitement l’historien Jean-Baptiste Fressoz quand il écrit que « Le problème de la "transition énergétique" est qu’elle projette un passé qui n’existe pas sur un futur qui reste fantomatique ».

    La transition écologique n’a pas (encore ?) eu lieu

    Il n’est pas besoin ici d’un long discours pour s’en convaincre, il suffit de regarder l’évolution des émissions de GES qui ne cessent de croître (à part pendant le Covid pour cause d'arrêt de l'économie), pour se rendre compte que la cause du changement climatique et par contagion de toutes ses conséquences environnementales, en particulier sur la biodiversité, l’élévation du niveau des océans ou la baisse de disponibilité en eau en de nombreux endroits du monde, est loin d’être ne serait-ce qu’infléchie.

    Il faut d’ailleurs s’entendre sur l’emploi du mot « cause » dans la phrase ci-dessus. Ici « cause » renvoie au paramètre décisif dont la variation impliquerait une transition de phase, mais elle est elle-même la conséquence de notre mode de production et de consommation capitaliste. Tant qu’extraire un baril de pétrole, émettre une tonne de carbone ou licencier un travailleur seront rentables du point de vue du capital, ce baril sera extrait, cette tonne sera émise et ce travailleur sera licencié.

    Et après ?

    La suite ne pousse pas à l’optimisme malgré la volonté de croire qui anime Christian de Perthuis. En tout cas c’est l’avis d’Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies, qui réagissant aux rapports du Giec dit que « nous nous précipitons vers la catastrophe les yeux ouverts ». Dans le même temps, on apprend que le revenu net de l’industrie des fossiles en 2022 a été de 4000 milliards de dollars.

    Pour tenter de comprendre pourquoi on suit ce chemin suicidaire, il suffit d’examiner ce qu’impliquerait une politique de réduction importante des émissions de GES. Comme ce qui compte c’est la quantité totale de celles-ci, les principaux secteurs concernés sont la production de chaleur et d’électricité (25% des émissions), l’agriculture, la foresterie et l’utilisation des sols (24%), l’industrie (21%), les transports (14%) et les bâtiments (6%).

    Or plus on veut réduire les impacts et donc réduire les émissions, plus on modifie les rapports entre les secteurs.

    Pour ne prendre que le secteur des transports, il impacterait le tourisme, l’hôtellerie, les loisirs, la santé (pensez à la diffusion du covid très facilité par le développement des échanges internationaux), les différents modes de transports et donc l’industrie, les minéraux, l’énergie ou l’aménagement du territoire (l’A69 par exemple qui d’ailleurs prouve par les actes ce que valent les grandes déclarations sur la transition en marche)).

    Mais il y aurait aussi des effets intersectoriels (croissants avec l’échelle où ils ont lieu) qui modifieraient la structure des emplois et même leur sens (l’armement, la publicité, la grande distribution par exemple). S’y ajoutent des enjeux de relocalisations et de développement de services publics, de régulation des entreprises (Volkswagen, France télécom, Orpéa, Total énergie, …) et d’immigration.

    Autrement dit un bouleversement fondamental du mode de fonctionnement actuel de notre système économique, qui semble impossible à ceux qui le contrôlent (et qui, rappelons-le, sont une minorité). Le dilemme leur paraît simple, c’est l’économie telle qu’ils la maîtrisent (mal en plus) ou la perte de contrôle. Ce sera l’économie stupide comme le dirait Clinton !

    Alors plutôt que de chercher à réguler au mieux dans l’intérêt général (qui ici n’a pas le sens creux des déclarations des politiques au pouvoir), les conséquences macroéconomiques qu’induirait une lutte réelle contre le réchauffement climatique et ses conséquences mortifères, nos dirigeants préfèrent remplacer des transitions énergétique et écologique qui n’existent qu’en paroles par des crises énergétique et écologique qui ne sont néanmoins pas indemnes de conséquences macroéconomiques, mais ce ne sont pas les mêmes. Et elles ne sont pas dues à des politiques environnementales conséquentes mais à leur absence.

    [1] Et il n’y a pas que les émissions de GES qui servent d’indicateurs à une possible « transition de phase ». Une étude récente sur la situation des plateformes de glace du nord du Groenland publiée dans Nature Communications montre qu’elles s’amincissent et se fracturent alors qu’on les considérait comme stables. Cette évolution contribuerait à augmenter sensiblement le niveau de l’océan encore plus rapidement que ce qui était jusqu’à présent prévu par les modèles les plus pessimistes. Voir aussi l’article de Mickaël Correia dans Mediapart du 10 novembre.

    [2] Qui est toujours à l’œuvre quand on rêve à la fusion comme solution définitive aux problèmes énergétiques qui viendrait réaliser la substitution finale d’une énergie infinie à toutes les autres.

    Gilles Rotillon
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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