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La crise du logement renforce les tensions sur le marché du travail

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  • La crise du logement renforce les tensions sur le marché du travail


    La difficulté de se loger à des prix abordables dans les grandes agglomérations est devenue un tel frein à l’emploi que les entreprises s’y intéressent et multiplient les pistes pour tenter d’accompagner leurs salariés.



    AUREL

    Est-il encore possible de se loger décemment à Paris avec un salaire de fonctionnaire ? Lasse de chercher des solutions, Bérénice (le prénom a été changé), professeure d’arts plastiques dans les écoles de la capitale, a fini par déménager en septembre avec son fils pour un 52 mètres carrés dans les Yvelines, à une heure de son travail. Il y a cinq ans, lorsque son couple se délite, elle comprend que prendre son autonomie ne va pas de soi. Son salaire, rapporté aux loyers parisiens, ne lui permettra au mieux d’accéder qu’à un 25 mètres carrés, avec une seule chambre, pour son fils. « A 55 ans, après une vie dans l’éducation et le social, dormir dans le canapé du salon et plus un sou à la fin du mois, c’était ça l’horizon », s’indigne-t-elle.

    Elle a pourtant multiplié les démarches pour obtenir un logement social. « Comme tous les voyants ne sont pas au rouge, vous n’avez aucune chance », lui lance un jour une assistante sociale, qui détaille : elle n’a pas de famille nombreuse, elle ne vit pas à l’hôtel ou chez un tiers, elle n’est pas victime de violences. « Je ne vais quand même pas faire croire que je suis battue ! », rétorque Bérénice. « “Eh bien si !”, m’a sérieusement répondu la dame, une main courante ferait avancer le dossier », raconte-t-elle, encore sidérée. Elle n’en fera rien. Aujourd’hui, dans le petit salon de son nouvel appartement, elle s’interroge : « J’adore mon travail, mais est-ce que ça vaut le coup tout ça ? Peut-être vaudrait-il mieux partir en province ? Nous aurions une vie moins étranglée… »

    Cette question se pose à nombre de ménages de la classe moyenne qui travaillent à Paris. La capitale connaît d’ailleurs ces dernières années une érosion, faible mais continue, de sa population. Dans toutes les métropoles et les zones attractives, administrations et entreprises connaissent le même sort. « Très souvent les jobs qui ne sont pas pourvus, c’est pour un problème de logement », alertait cet été Geoffroy Roux de Bézieux, encore président du Medef. « C’est un énorme problème. Pour les entrepreneurs qui ne trouvent pas à embaucher, et pour nos collaborateurs qui doivent vivre à deux heures de trajet pendulaire de leur travail »,renchérit Bernard Cohen-Hadad, président de la CPME Ile-de-France.

    Il n’est pas nouveau. Dès le début des années 1950, face à la pénurie, l’Etat et les partenaires sociaux créent le 1 % logement. L’organisme, rebaptisé Action Logement, continue de financer le logement des salariés à revenus modestes, grâce à la collecte d’une cotisation, la participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC), fixée à 0,45 % de la masse salariale des entreprises.

    « Aléas de transport »


    Mais les tensions logement-emploi seraient aujourd’hui à leur paroxysme.« La crise actuelle, multifactorielle, n’a pas de précédent : on retourne vers le plein-emploi et en même temps, depuis 2017, ce sont plus de 10 milliards d’euros de financements de la politique du logement qui ont disparu, notamment en direction du logement social »,s’indigne Bruno Arcadipane, président d’Action Logement et vice-président du Medef.

    Entre la hausse brutale des taux d’intérêt qui a freiné l’accès à la propriété, la chute des mises en construction, l’allongement des listes d’attente pour un logement social, la France, comme de nombreux pays en Europe, se trouve confrontée à une pénurie de logements, et en particulier de logements abordables. La vague massive de transformation d’appartements en meublés touristiques, alimentée par le succès d’Airbnb, n’a fait qu’accentuer la crise.

    Une étude réalisée en avril par la société de conseil Algoé estime que, sans la PEEC, les actifs composant la classe moyenne gagnant entre 1 900 et 2 800 euros net « ne pourraient plus se loger en zones tendues », où les prix et les loyers sont élevés, ni « faire tourner l’économie, là où se situe la majorité des emplois ».

    Au deuxième trimestre 2023, les loyers se sont envolés de 5,4 % sur un an pour les une-pièce, particulièrement prisés des jeunes actifs, selon l’institut Clameur. Parallèlement, les salaires n’ont pas augmenté aussi vite que l’inflation. Si bien que le coût du logement pour les classes moyennes se trouve aujourd’hui décorrélé de leurs revenus et de leurs capacités d’emprunt.

    Le phénomène touche aussi bien les très grandes que les très petites entreprises. Des vingt employés de Stéphanie Causse dans ses trois instituts de beauté Body Minute du 15e arrondissement de Paris, la quasi-totalité vivent en dehors de Paris, et « souvent vraiment loin ». Un personnel fatalement « soumis aux aléas de transport ». « En cas de grève, potentiellement, on n’ouvre pas la boutique », s’inquiète-t-elle. Déjà, elle a réduit les horaires d’ouverture, par manque de personnel. « Quand je recrute, elles me disent souvent : “Une heure trente de transport, ça ne me dérange pas.” Moi, je sais qu’à la longue, ça finit par peser dans les raisons de départ. »

    Même constat à l’hôpital, dans les villes attractives. « Si nous n’offrons pas des conditions de travail et des conditions de vie améliorées, les professionnels de santé partiront, constate Yann Bubien, directeur général du CHU de Bordeaux. J’en vois déjà quitter Bordeaux pour des villes moyennes, comme Agen ou Mont-de-Marsan, où pour une même rémunération, le loyer est deux fois moins cher, ça leur change la vie. »

    Une priorité


    Le 19 octobre, au Palais des congrès de Paris, la Fédération française du bâtiment avait convié, pour unSommet de la construction, une brochette de dirigeants de grands groupes français, témoignant des mêmes difficultés. « On a un mal de chien à les loger », s’alarmait notamment Marc-Antoine Jamet, secrétaire général de LVMH, en évoquant les maroquiniers et tapissiers qui travaillent pour la manufacture Louis Vuitton à Asnières (Hauts-de-Seine). Idem pour les saisonniers embauchés par les palaces du groupe à Saint-Tropez (Var) et Courchevel (Savoie), « où le logement est non seulement onéreux, mais saturé ». En Haute-Savoie, région frontalière de la Suisse où l’immobilier est cher, une période d’essai sur quatre serait rompue à cause d’un problème d’accès au logement, confie-t-on au Medef.

    Tous les employeurs comprennent qu’il faut désormais trouver des solutions, pour ne pas mettre en danger leur activité. La SNCF, par exemple, où la fin du statut de cheminot, décidée par la réforme ferroviaire de 2018, a fait perdre en attractivité. Face aux réelles difficultés pour embaucher, elle propose depuis 2019 une « garantie logement » en région parisienne : l’entreprise s’engage à fournir un hébergement à tout cheminot nouvellement recruté, dans un délai de quatre mois et à proximité de son lieu de travail, au prix du logement social.

    A la RATP, le nouveau PDG, Jean Castex, a lui aussi fait du logement des salariés une priorité. « On est une industrie de main-d’œuvre en centre-ville. Or, par définition, nos conducteurs embauchent avant les premiers trains. Si on veut qu’ils soient à l’heure, il faut qu’ils habitent à proximité, à Paris, en petite couronne », estime Céline Tignol, directrice de l’immobilier à la RATP. En juillet, l’entreprise a ainsi signé un nouvel accord avec Action Logement : elle va surabonder sa participation à la PEEC, et en contrepartie, Action Logement s’est engagé à loger un plus grand nombre de salariés, avec l’objectif d’atteindre les 1 100 familles logées dès 2024.

    Le départ d’un grand nombre de ses soignants après la crise sanitaire a aussi poussé l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à s’adapter. En plus de son offre historique destinée à aider au logement du personnel, deux nouveaux dispositifs permettent, depuis 2020, d’attirer sur les métiers en tension − à 80 % des infirmiers et infirmières. A la sortie de l’école, les jeunes professionnels se voient proposer studios ou colocations dans Paris, pour une période de douze à dix-huit mois, assortis de loyers 50 % en dessous du prix du marché. Et pour fidéliser ceux qui donnent satisfaction, des appartements sont mis à disposition dans le parc libre ou intermédiaire, avec un loyer raboté.

    « C’est notamment grâce à ces mesures que nous devrions recruter 400 infirmières de plus en 2023 qu’en 2022. Nous constatons aussi un ralentissement des départs (– 13 % par rapport à 2022),estime Alexandra Peranzi, directrice stratégie logement de l’AP-HP. L’idée était de créer un choc du logement, et de lier le bail au contrat de travail, puisqu’il faudra restituer le logement en quittant l’AP-HP. » Ce n’est pas le cas à la RATP. « Ne pas expulser ses salariés retraités, d’un point de vue citoyen, c’est logique. Mais en tant qu’employeur, ça pose le problème du manque de rotation du parc social », reconnaît cependant Céline Tignol.

    Un taux d’intérêt préférentiel


    Pour retenir ses collaborateurs, Iroko, fintech d’une soixantaine de salariés basée à Paris, propose de les aider à devenir propriétaires. Développeur informatique, un profil très recherché, Kévin Figiel a pu bénéficier d’un taux d’intérêt préférentiel lors de l’achat de sa maison dans le Val-d’Oise grâce au partenariat avec Sofiap, spécialiste du prêt subventionné. « Ce geste renforce le lien avec mon employeur, c’est un gros plus », témoigne-t-il.

    La prise en charge d’une partie du taux pour les futurs dossiers représentera un effort financier d’au moins 2 000 euros par an par salarié pour Iroko. « Mais je pense que ça fidélise davantage que des Ticket-Restaurant ! »,estime Charles Duclert, cofondateur de cette société de gestion. D’autant plus que le salarié devra reprendre la totalité du taux à sa charge, s’il quitte l’entreprise.

    L’existence d’un lien direct entre emploi et logement n’est pas neutre. Fin octobre en commission des affaires économiques à l’Assemblée, le député William Martinet (LFI, Yvelines) s’est inquiété d’une nouvelle subordination rendant les salariés « plus vulnérables ». « Perdre son emploi, ce sera perdre son salaire et son logement : rupture de contrat de travail égale rupture de bail ! »

    Face au manque de solution, de nombreuses PME et entreprises de taille intermédiaire en viennent cependant à se demander si elles ne seront pas contraintes de faire construire. « On a déjà tant à faire pour que l’entreprise tourne, que financer du logement, je ne dis pas qu’on ne le fera pas mais ça va être compliqué », s’inquiète David Jamin, directeur général de la Manufacture française du cycle, 750 salariés, qui fabrique des vélos depuis 1920 à Machecoul (Loire-Atlantique). Une zone qui compte peu de chômage, beaucoup d’emplois industriels, et peu de terrains constructibles. « On est dans l’arc Grand Ouest, plutôt attractif en termes de qualité de vie. Mais on manque de logements en nombre disponibles, et cela affecte vraiment notre activité. Plusieurs nouveaux embauchés sont partis faute de trouver où se loger, déplore-t-il. Les politiques publiques ne sont pas à la hauteur. »

    Autrice de plusieurs avis et rapports sur le logement, la députée Renaissance du Finistère Annaïg Le Meur dit être elle-même revenue de l’idée de voir les PME acquérir de l’immobilier. « Ce n’est pas leur cœur de métier et ce lien quelque peu “paternaliste” ne répond pas forcément aux aspirations des locataires salariés », explique-t-elle, préconisant d’orienter les missions d’Action Logement vers les petites entreprises.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2
    Un accord avec les mairies d’arrondissement


    Les collectivités locales, enfin, prennent aussi la mesure de la crise. Pour remédier au manque d’attractivité de la fonction publique parisienne, alors que 3 500 postes n’y sont pas pourvus (7 % des effectifs), la Mairie de Paris vient notamment de passer un accord avec les mairies d’arrondissement : celles qui s’engagent à réserver 25 % de leur contingent de logements sociaux aux agents municipaux se verront attribuer prioritairement les nouvelles recrues de métiers en tension, puéricultrices ou policiers municipaux.

    De son côté, mardi 7 novembre, le gouvernement a donné trois mois au député Renaissance de Paris David Amiel pour trouver comment développer « l’offre de logement locatif à destination des agents publics » et « améliorer » leur accès au logement dans les zones tendues. « Nous ne pouvons pas accepter qu’une soignante, un enseignant, une policière » fassent « des heures de trajet chaque jour pour rejoindre leur travail », a souligné la première ministre, Elisabeth Borne.

    La lettre de mission n’évoque pas de refonte de l’indemnité de résidence. Censé compenser le coût du logement dans les territoires les plus chers, son zonage n’a pourtant pas été mis à jour depuis vingt ans : aucune indemnité prévue à Bordeaux malgré la flambée de l’immobilier. Bérénice, la professeure d’arts plastiques, elle, relève bien cette indemnité sur sa fiche de paie parisienne : 87,13 euros mensuels… Quelque peu décorrélée du niveau des loyers.

    Par Véronique Chocron et Aline Leclerc
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