Décryptage
Face aux promesses non tenues des pays riches, les pays du Sud vont tenter de faire entendre leurs voix lors des réunions annuelles de ces deux institutions, qui se tiennent à Marrakech jusqu’au 15 octobre, avec l’objectif d’y être mieux représentées.
Pour la première fois depuis cinquante ans, l’Afrique accueille les réunions annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, un continent percuté par de nombreuses crises, de la pandémie de Covid-19 à la guerre en Ukraine, en passant par la vague inflationniste. Les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales de 190 pays se réunissent à Marrakech jusqu’au 15 octobre pour discuter du surendettement des pays en développement, de la fragmentation de l’économie mondiale, du climat, ou encore de la réforme des institutions internationales, à seulement quelques dizaines de kilomètres des tentes qui abritent les populations rescapées du tremblement de terre du 8 septembre, qui a fait presque 3 000 morts et plus de 5 000 blessés. Un sommet maintenu à la demande du Maroc.
Les pays pauvres écrasés par la dette
La hausse des taux d’intérêt directeurs pour juguler l’inflation est un nouveau coup dur pour les nations les plus pauvres, dont les emprunts sont plus chers à rembourser. La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) estime que 3 milliards d’habitants vivent dans des pays qui dépensent davantage dans le remboursement de leurs dettes que pour la santé et l’éducation. La moitié des pays à bas revenu et le quart des émergents frôlent une crise de la dette ou y sont déjà, selon les dernières estimations du FMI.
Difficile pour eux de négocier un rééchelonnement avec des créanciers de plus en plus nombreux et hétéroclites. Un nouveau cadre de restructuration a été mis en place par le G20, en 2021, pour mettre autour de la table la Chine et les autres pays créanciers, pour la plupart occidentaux, du vieux club de Paris. Ce cadre « commence à produire des résultats, même si c’est trop lent », a reconnu Kristalina Georgieva, la directrice générale du FMI, le 5 octobre.
« Les pays endettés préfèrent avaler la pilule et se serrer la ceinture plutôt que de faire défaut car cela les priverait de financements privés à l’avenir », explique Ishac Diwan, directeur de recherches du think tank Finance for Development Lab. Des sacrifices aux lourdes conséquences sociales et politiques. Des manifestants sont descendus dans les rues de Jordanie, en décembre 2022, pour protester contre la vie chère, tandis qu’en Angola c’est hausse des prix du carburant qui a alimenté la colère cet été.
« La communauté internationale doit mettre en place une nouvelle initiative de restructuration de la dette. Il ne faut pas attendre que les pays tombent de la falaise pour leur fournir de l’aide », a affirmé William Ruto, le président du Kenya, lors de l’Assemblée générale des Nations unies, à la mi-septembre. Le chef d’Etat africain plaide pour une période de grâce de dix ans pour redonner de l’oxygène aux pays endettés qui ne sont pas encore sortis de la crise économique liée à la pandémie de Covid-19 et souffrent des conséquences de la guerre en Ukraine ou de l’appréciation du dollar. Il s’en prend aussi aux agences de notation financières qui avaient été incapables de prédire la crise partie des Etats-Unis en 2008 : « Sur quelle base devrions-nous croire que leurs méthodologies sont mieux à même d’évaluer les risques sur des marchés lointains beaucoup plus difficiles à mesurer objectivement, que la valeur des actifs financiers des marchés qui leur sont familiers et qu’ils ont pourtant mal jugés ? »
Son homologue de la Barbade, la première ministre Mia Mottley, réclame des prêts d’une plus longue durée, citant l’exemple de la dette contractée par le Royaume-Uni pendant la première guerre mondiale et qui vient tout juste d’être remboursée, un siècle plus tard, ou alors l’inscription d’une clause de suspension de remboursement en cas de catastrophe naturelle pour tous les nouveaux prêts accordés par les banques de développement.
« Les pays veulent surtout des prêts à des conditions acceptables, renchérit Rebeca Grynspan, la secrétaire générale de la Cnuced. L’Afrique a payé en 2022 des taux d’intérêt quatre fois plus élevés que les Etats-Unis et huit fois plus que l’Allemagne. » Ces prêts sont devenus indispensables depuis que les investissements étrangers se sont taris dans cette partie du monde. « La dette n’est pas qu’un problème de solvabilité mais aussi de liquidité, ajoute M. Diwan, car les capitaux privés se détournent des pays en développement pour se diriger vers les pays riches, réputés plus sûrs, et les financements des “nouvelles routes de la soie” chinoises ont diminué. »
- Les promesses non tenues du Nord
Les nations à bas et moyen revenu sont en colère et demandent que les pays riches tiennent leurs engagements. « Il y a quatre décennies, les Nations unies ont fait du droit au développement un droit de l’homme, a rappelé mi-septembre Cyril Ramaphosa, le président sud-africain, à la tribune de l’ONU, à New York le 19 septembre. Or, les engagements non tenus en matière de développement creusent le fossé entre le Nord et le Sud. »
Et le chef d’Etat africain d’égrener les promesses non tenues : porter l’aide publique au développement à 0,7 % du revenu national brut, investir 100 milliards de dollars (94 milliards d’euros) par an pour la lutte contre le réchauffement climatique dans les pays émergents d’ici à 2020, réallouer l’équivalent de 100 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux – une monnaie de réserve du FMI – des pays riches vers les pauvres, sur les 650 milliards émis en 2023… Sur ce dernier point, seul l’équivalent de 40 milliards de dollars ont été déboursés.
« Les pays du Sud qui étaient déjà en colère vont l’être encore plus à Marrakech », prédit M. Diwan. « Au moment même où nous en avons le plus besoin, la coopération s’affaiblit, a reconnu Mme Georgieva, dans un discours prononcé jeudi 5 octobre, à Abidjan. Les ponts qui relient les pays s’affaissent tandis que les barrières au commerce et à l’investissement se multiplient. »
- Les pays émergents veulent avoir voix au chapitre
Les émergents veulent que leur nouvelle place dans l’économie mondiale se reflète dans la gouvernance du FMI et de la Banque mondiale. Ces deux institutions ont été créées pendant la conférence de Bretton Woods, en 1944, lorsque la plupart des pays anciennement colonisés n’étaient pas encore indépendants. Entre-temps, la Chine est devenue la deuxième économie mondiale et le produit intérieur brut (PIB) indien a dépassé, en 2022, celui du Royaume-Uni.
Sans oublier l’émergence d’un autre acteur : le secteur privé. « La part du FMI dans les encours de prêts extérieurs accordés aux pays du monde entier a diminué au cours des dernières décennies au fur et à mesure que les marchés financiers se sont développés », a souligné Mme Georgieva, à Abidjan. Washington s’oppose à une montée de la Chine dans le capital de la Banque mondiale pour ne pas lui laisser davantage de droits de vote.
Au FMI, une révision des participations financières dechacun des 188 pays membres, en fonction de leur poids économique, est également à l’étude. Celle-ci détermine en partie leur nombre de voix. La Chine n’y détient, par exemple, que 6 % des droits de vote alors qu’elle totalise 18 % du PIB mondial. Seuls les Etats-Unis disposent de fait d’un droit de veto sur les décisions, puisqu’ils détiennent plus de 15 % des droits de vote et que chaque décision doit être approuvée à plus de 85 % des voix. La seule mesure annoncée devrait être la création d’un troisième siège accordé aux pays africains aux conseils d’administrations des deux institutions, en charge de la gestion courante, lesquels comptent 24 membres au FMI et 25 à la Banque mondiale.
- La Banque mondiale cherche à doper ses financements
Des moyens en baisse pour répondre à des besoins en hausse. C’est la difficile situation dans laquelle se trouve la Banque mondiale. La Cnuced a calculé que, rapportées au PIB de la planète, l’institution de Washington a des capacités de financement cinq fois moins importantes que dans les années 1960. Or, avec le réchauffement climatique et ses conséquencesdévastatrices, les pays du Sud doivent se préparer à affronter des chocs sans précédent.
Un rapport, commandé par le G20 cet été, chiffre à 3 000 milliardsde dollars par an les besoins de financement supplémentaires en matière de climat et de développement pour les pays à bas et moyen revenu. Ses auteurs préconisent un triplement des financements des banques de développement dans le monde, à 300 milliards de dollars par an, à destination des pays à moyen revenu.
Des réformes d’ampleur doivent être pour cela engagées. « Les principaux pays actionnaires de la Banque mondiale veulent aller dans des directions différentes, explique Karen Mathiasen, chercheuse au Center for Global Development. L’Allemagne plaide pour un recours accru à des financements hybrides, c’est-à-dire des fonds privés adossés aux prêts de l’institution, le Royaume-Uni penche pour une augmentation du capital et les Etats-Unis proposent à la Banque mondiale sa garantie souveraine pour lui permettre d’emprunter davantage sur les marchés. »
Autant dire que le nouveau président, Ajay Banga, arrivé en juin, va devoir faire preuve de beaucoup de diplomatie pour trouver une solution commune. « Washington qui, en tant que premier actionnaire de la Banque mondiale, devrait jouer un rôle moteur pour renforcer l’institution, se retrouve fragilisé par la crise politique intérieure », ajoute Clemence Landers, chercheuse au Center for Global Development. Les divisions au sein du Congrès américain retardent même le déboursement de 25 milliards de dollars, annoncé par le président Joe Biden lors du sommet du G20, à New Delhi, en septembre, pour renflouer les caisses de la Banque mondiale.
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