Pour leurs voitures électriques, Renault et BMW prétendent acheter du cobalt éthique. Dans la mine marocaine où il est extrait, les mineurs rapportent des conditions de travail catastrophiques pour leurs droits et leur santé.
Vous lisez la première partie de notre enquête sur les mines de cobalt au Maroc. La seconde est ici.
Agdez (Maroc), reportage
À 120 kilomètres au sud de Ouarzazate, bordée par les collines de l’Anti-Atlas, immensité aride où paissent de maigres chèvres, la route sert autant aux charrettes de foin tirées par des ânes qu’à la course des camions chargés de cobalt qui transitent vers Marrakech.
Debout, en casquettes et en tongs, ils sont un petit groupe à attendre le minibus pour aller prendre leur poste. Âgés de 20 à 40 ans, Osmane [*], Idir [*] et les autres sont mineurs de fond, employés en sous-traitance dans la mine de Bou-Azzer, filiale de Managem, grande entreprise minière du pays et propriété de la famille royale marocaine.
En langue tamazight, ils décrivent le boulot. Huit heures par jour, à 300 voire 500 mètres de fond, 20 minutes de pause à midi. Dans les galeries, ils poussent des wagons de minerai d’une tonne sur 1 à 2 kilomètres. Pour abattre le gisement, ils posent des explosifs à la main et, munis d’un marteau-piqueur pesant 25 kg, forent la roche dans un nuage de poussière.
© Louise Allain / Reporterre
Le minerai que leur labeur permet d’extraire est un composé d’arseniure de cobalt : arsenic et cobalt, les deux produits commercialisés depuis des décennies par cette filiale de Managem.
Le premier sert à produire des pesticides, le second des alliages et des batteries, qui intéressent l’industrie automobile dans sa mutation vers l’électrique, en particulier BMW et Renault.
Ces deux marques se sont tournées vers le Maroc pour échapper au scandale du cobalt extrait en République démocratique du Congo. Fournissant l’industrie mondiale à plus de 70 %, il est pointé du doigt pour de graves violations de droits humains.
La mine de Bou-Azzer s’étend en surface, mais ce sont surtout dans ses profondeurs que les travailleurs triment. © Benjamin Bergnes / Reporterre
Les deux constructeurs le claironnent dans leurs communiqués de presse : pour produire les batteries de leurs véhicules électriques, ils s’approvisionnent en « cobalt responsable » extrait au Maroc.
Depuis 2020, la marque allemande est l’une des principales clientes de la Managem. En 2022, pour approvisionner sa future gigafactory dans le Nord, Renault a conclu avec elle un accord pour la fourniture de 5 000 tonnes de sulfate de cobalt par an, à partir de 2025, permettant de produire 300 000 véhicules électriques.
« L’extraction de cobalt […] répond aux critères de soutenabilité les plus exigeants »
BMW et Renault ont largement communiqué sur cet approvisionnement éthique. Pour Renault, le partenariat avec la Managem « s’inscrit dans la stratégie de Renault Group visant à construire une chaîne de valeur de la batterie plus durable et transparente ».
BMW affirme que « le respect des normes environnementales et des droits humains est une priorité numéro un ». « Notre responsabilité éthique quant à l’extraction et la production de matières premières couvre l’ensemble de la chaîne de valeur, jusqu’aux mines, s’est félicité le groupe, assurant que « l’extraction de cobalt par le groupe Managem répond aux critères de soutenabilité les plus exigeants.
L’entreprise propriétaire de la mine de Bou-Azzer affiche des certifications aussi impressionnantes que démenties par ses ouvriers. © Benjamin Bergnes / Reporterre
Sur le papier, la Managem paraît championne de la mine responsable : elle est membre de la Fair Cobalt Alliance et ses pratiques sont certifiées par des organismes comme la Responsible Minerals Initiative (RMI) et Ecovadis.
L’entreprise affirme « améliorer en continu la performance en matière de santé et de sécurité au travail ; prévenir activement les maladies professionnelles », « respecter les droits humains » et promouvoir « les libertés syndicales et les droits d’association ».
« Notre équipement, ce sont des bottes trouées, des gants déchirés »
Sur place, la réalité diffère. « Notre équipement, ce sont des bottes trouées, des gants déchirés et un casque », décrit Osmane, 24 ans. « Ma formation a duré un jour, poursuit-il. Tout en travaillant, on nous a expliqué comment poser les explosifs, comment mettre les protections. On ne nous a pas dit que la poussière était toxique. On n’a pas de masques. Une fois par an, il y a un examen médical rapide : on souffle pour vérifier la capacité pulmonaire, mais ils ne donnent pas le résultat. »
La poussière que respirent chaque jour les 1 200 salariés de la mine de Bou-Azzer est hautement toxique. Le cobalt et l’arsenic sont cancérigènes, en particulier le second, un poison notoire. L’exposition chronique à l’arsenic cause, entre autres, des cancers de la peau, des poumons et de la vessie, des maladies neurologiques et cardiovasculaires et des troubles de la reproduction.
Des mineurs présentent des maladies de peau pouvant être associées à une intoxication à l’arsenic. © Benjamin Bergnes / Reporterre
Employé en contrat à durée déterminée, Osmane gagne 3 500 dirhams par mois — environ 326 euros — soit un tout petit peu plus que le salaire minimum. Il fait les trois-huit et vient de travailler deux mois d’affilée sans aucun jour de repos.
Dans le droit du travail marocain, le recours au travail temporaire pour l’extraction minière est illégal [1]. Tout comme les autres pratiques que décrivent les mineurs de Bou-Azzer. Les règles pourtant peu protectrices du Statut du mineur, datant de 1960, ne semblent pas appliquées [2], et encore moins la Convention internationale sur la santé et la sécurité dans les mines, ratifiée par le Maroc en 2013.
Des repas au fond des galeries
Seuls les cadres déjeunent au réfectoire, les mineurs doivent apporter leur propre nourriture et manger recroquevillés dans les galeries, où « il n’y a pas de place ». La pose d’explosifs s’effectue après une formation de pure forme et sans la « carte de contrôle d’explosifs » requise.
Les sous-traitants multiplient illégalement les CDD, privant les mineurs de leurs droits en matière de santé, de congés, d’avancement et de retraite. En cas d’accident, ces entreprises — Hydromines, Agazoumi, Top Forage, Socotramines, Fox — ne disposent d’aucune ambulance.
« Quand on est malade, on nous jette »
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