Par Olivier Berruyer
25/05/2023
Une fois de plus, le gouvernement s’est félicité des derniers chiffres du chômage, qui apparaissent en baisse. En réalité, bien que la reprise de l'emploi soit réelle, celle-ci a été enjolivée par des interventions statistiques et s'avère bien moins réjouissante que ce qu’une lecture rapide des chiffres pourrait laisser penser. Par exemple, le nombre d'inscrits à Pôle emploi se situe toujours à des niveaux historiquement hauts, tout comme l’ancienneté moyenne au chômage. Pire, certains indicateurs semblent indiquer que la situation de l’emploi est en train de se retourner. L'évolution de la situation dans les prochains mois sera certainement décisive.
La baisse du chômage
Rappelons tout d'abord qu’en France, il existe plusieurs manières de définir un « chômeur » et donc de mesurer le chômage. Pôle emploi distingue ainsi cinq catégories de chômeurs, à la recherche de n’importe quel type de contrat (CDI, CDD, à temps plein, à temps partiel, temporaire ou saisonnier). La catégorie la plus utilisée dans le débat public est la catégorie A, qui désigne « une personne sans emploi, à la recherche de n’importe quel type de contrat, et tenue de rechercher activement un emploi ».
Selon Pôle emploi, en mars 2023, le nombre de chômeurs en « catégorie A » est en légère baisse. Le nombre de chômeurs au sens large (catégories A à E) a baissé de 0,4 %, soit 27 000 chômeurs. Le nombre d’intérimaires a quant à lui baissé de près de 4 500.
Si on observe de plus près la variation du chômage, on se rend compte que l’embellie se réduit de plus en plus.
L’évolution récente du chômage est assez étonnante : alors qu'il semblait se dégrader début 2022, sa baisse ne cessant de se réduire, il s'est étrangement amélioré au second semestre 2022. Il est difficile de savoir si cet étrange mouvement a été naturel ou causé par des interventions statistiques. Nous y reviendrons. Dans tous les cas, le chômage semble se dégrader de nouveau en 2023.
Si l’on considère l’ensemble des catégories définies par Pôle emploi, depuis trente ans, le nombre de chômeurs en France a augmenté significativement, particulièrement depuis la crise de 2008 : il est en effet passé de 4 millions à près de 7 millions d’inscrits en 10 ans, avant de retomber au niveau actuel de plus de 6 millions.
La seule « Catégorie A », dont on parle généralement dans les médias, comptabilise toujours 3 millions de chômeurs.
Manipulations statistiques
Les récents chiffres du chômage posent différents problèmes statistiques. Le premier saute aux yeux. Depuis 2004, un phénomène pernicieux s'est développé : on observe une forte décorrélation entre le nombre de chômeurs en Catégorie A – c’est-à-dire des « personnes sans emploi récent qui en recherchent un » – et le nombre de chômeurs selon la définition du BIT (Bureau International du Travail), utilisée pour les comparaisons internationales et sans cesse mis en avant par le gouvernement.
Jusqu’alors, le chiffre du BIT était très stable et représentait 80 % des chômeurs de catégorie A. Mais ces 15 dernières années, il a fortement fluctué, et est passé de 100 % à 73 %, ce qui fausse évidemment la lecture des chiffres du chômage.
Le BIT définit de façon plus restrictive les chômeurs comme des « personnes sans emploi, disponibles pour en accepter un rapidement ». Concrètement, ni les chômeurs en formation ou en maladie, ni les chômeurs proches de la retraite ne recherchant pas activement un travail, ne sont considérés comme chômeurs par le BIT.
Le BIT classe d’ailleurs la plupart de ces chômeurs dans ce qu’il appelle le « halo du chômage », c’est-à-dire des quasi-chômeurs, mais ce chiffre ne nous est quasiment jamais présenté par les grands médias. Il a pourtant augmenté ces dernières années. On constate également que le nombre de chômeurs découragés (par exemple un chômeur de 61 ans qui n’a pas de droits à indemnisation, et va donc cesser de chercher du travail) a fortement augmenté depuis 2020, compensant partiellement la baisse du chômage.
Si on observe l’évolution des chômeurs, des quasi-chômeurs et des découragés, on observe qu’il est globalement stable en moyenne depuis 2014, un peu en dessous de 4 millions de personnes. La réalité est donc bien loin de « l’objectif de plein emploi » que ne cesse d’agiter le gouvernement.
Dans les faits, l’évolution très favorable du taux de chômage « façon BIT » – que les médias présentent comme une réussite gouvernementale – n’a pas été suivie par une baisse aussi forte du taux de chômage « façon Pôle emploi ». La réalité est qu'un nombre croissant d'inscrits en catégorie A ne sont plus comptabilisés par la définition du chômage au sens du BIT.
Ainsi, en 2017, 44 % des inscrits en catégorie A à Pôle emploi n’étaient pas considérés comme chômeurs au sens du BIT. Ceci est en particulier lié aux politiques visant à pousser les chômeurs vers des formations et au vieillissement de la population active qui a multiplié les seniors sans emploi.
Exemple des différences de comptabilisation entre le BIT (« Chômage BIT = 2,6 M) et Pôle emploi (« CAT A » = 2,7 M).
Il n’est donc pas surprenant que nos dirigeants politiques préfèrent communiquer le taux de chômage du BIT, bien moins élevé, puisqu'il ne comptabilise pas une grande partie des chômeurs situés dans le halo du chômage ou considérés comme « inactifs ».
Le second problème statistique s’observe en 2022, avec une baisse du nombre de chômeurs en catégorie A qui ne correspond en rien à une baisse du chômage au sens du BIT. Ce phénomène est simplement lié à un retraitement statistique opéré par Pôle emploi, qui a basculé des dizaines de milliers de chômeurs de la Catégorie A, très scrutée, vers d’autres catégories, sans aucun impact sur le total des inscrits.
Pôle emploi évoque ainsi « une diminution cumulée de 75 000 demandeurs d’emploi en catégorie A, en augmentant d’autant le nombre de demandeurs d’emploi en catégories B et C », ce qui représente environ la moitié de la baisse du chômage de Catégorie A en 2022, sur laquelle le gouvernement n’a cessé de s’appuyer pour vanter l’efficacité de sa politique.
On remarque ainsi des discordances étonnantes entre les catégories. Depuis 2021, le nombre d’inscrits en Catégorie A a beaucoup baissé, mais pas celui en catégories B et C, qui sont pourtant proches (il s'agit de chômeurs ayant plus ou moins travaillé au cours du mois).
Ces étranges discordances d'évolution entre les catégories de chômeurs s'observent surtout depuis mi-2022. En comparant avec les périodes précédentes de forte baisse du chômage, en 2000 ou 2007, on remarque qu'à l’époque, les catégories A, B et C baissaient bien toutes ensemble. Cependant, en 2022, elles avaient des tendances opposées. Ce phénomène pourrait possiblement être un signe d'une plus grande précarisation de l’emploi en France.
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