Enquête. La dépendance de l’Algérie vis-à-vis des contrats à long terme l’empêche de profiter de l’embellie des prix du gaz naturel
Faible niveau des inventaires, explosion des prix, détournements de cargos de gaz naturel liquéfié (GNL)… Le marché du gaz naturel est devenu complètement fou en Europe et en Asie. Les prix du gaz naturel ont connu des augmentations vertigineuses et les perspectives des semaines et mois à venir indiquent une poursuite de cette tendance haussière. Malheureusement, l’Algérie, pays essentiellement gazier, ne profite pas de cette conjoncture exceptionnelle non seulement à cause de la faiblesse de sa production nationale, mais aussi à cause de sa dépendance maladive vis-à-vis des contrats à long terme.
Il faut effectivement savoir que le gaz naturel algérien est exporté depuis 2018 à 75% par gazoduc. L’Algérie dispose officiellement de trois gazoducs qui lui permettent d’exporter son gaz naturel vers l’Europe notamment l’Italie et l’Espagne, ses deux principaux clients à l’étranger. Il s’agit du gazoduc Trans-Mediterranean Pipeline (Italie via la Tunisie), le Gazoduc Maghreb-Europe (GME, Espagne et Portugal via le Maroc) et le tout dernier Medgaz (connexion marine directe Béni Saf-Almeria au sud de l’Espagne).
En 2019, 88 milliards Cm3 ont été livrés aux différents clients étrangers et nationaux, dont 30% exportés à travers les gazoducs GEM, GPDF et MEDGAZ. En 2018, les exportations de gaz se sont élevées à 51.5 Gm3 dont 75% par gazoduc et 25% sous forme de GNL. La première destination du gaz algérien reste le marché européen, essentiellement l’Italie (35%), l’Espagne (31%), la Turquie (8.4%) et la France (7.8%). Mais Les exportations par gazoduc sont négociés dans le cadre de contrats à long terme.
En juin 2019, la Sonatrach avait validé un accord avec l’italien Enel qui porte sur le renouvellement du contrat de vente/achat de gaz naturel portant sur un approvisionnement, via le gazoduc Enrico Mattei, de 3 milliards de mètres cubes par an, pour une durée de 10 ans à partir de 2020, dont deux années optionnelles.
En mai 2019, Sonatrach avait conclu également un accord avec le groupe italien ENI pour un volume de 9 milliards de m3 par an et une durée de 10 ans, ce qui donne un total de 12 milliards de m3 par an pour le marché italien.
Toujours en 2019, la Sonatrach avait conclu un accord permettant l’approvisionnement en gaz naturel du marché portugais, avec la compagnie portugaise Galp Energia, pour un volume de 2,5 Gm3/an pour une durée de 10 ans.
En juin 2018, Sonatrach avait paraphé aussi des accords portant sur le renouvellement des contrats de vente et d’achat de gaz naturel à destination de l’Espagne avec la compagnie Naturgy, anciennement Gas Natural Fenosa, et ce, jusqu’en 2030 pour 8 milliards de mètres cubes/an. En septembre 2018, Sonatrach avait en outre signé avec la société publique turque spécialisée dans l’importation de gaz naturel, Botas, un avenant à un contrat gazier datant de 2014 en vue d’augmenter le volume de gaz naturel liquéfié (GNL) exporté par l’Algérie à 5,4 milliards de m3/an, contre 4,4 milliards de m3/an auparavant.
Les dirigeants algériens ont toujours préféré de privilégier l’option des contrats à long terme pour sécuriser les ventes du gaz naturel et s’immuniser contre les risques de l’instabilité du marché. Ce besoin de sécurité privilégié à chaque fois par les dirigeants algériens empêche aujourd’hui le pays de profiter des augmentations vertigineuses du gaz naturel. Pourquoi ? Parce qu’un contrat à long terme lie le fournisseur à son client autour d’un prix négocié et qui est appelé à demeurer fixe jusqu’à la fin du contrat. Pour modifier les prix du gaz naturel dans le cadre de ces contrats, il faut activer une clause exceptionnelle appelée « Take or Pay »
Le principe de cette clause est simple et limpide : le fournisseur s’engage à acheter une quantité minimale de gaz – par exemple, 80 % du volume total commandé –, quels que soient ses besoins réels pour la période concernée. En contrepartie, le producteur s’engage à fournir ce même volume de gaz minimum aux échéances convenues. Cette double garantie s’accompagne d’un partage des risques réciproque. L’acheteur supporte ainsi une partie de l’aléa lié à la variabilité de ses besoins en énergie. Le producteur assume quant à lui le risque lié à l’évolution des valeurs du marché, puisque le prix fixé par le contrat restera le même quoi qu’il arrive ! Officiellement, le mécanisme instauré par le Take or Pay permet de sécuriser les investissements des producteurs de gaz et exploitants de gazoducs en vue de la construction d’infrastructures de production et de transport. Sans ces clauses, ces grands projets ne pourraient pas être financés convenablement.
Cependant, lors d’une conjoncture aussi favorable à l’augmentation des prix du gaz naturel comme celle que nous vivons aujourd’hui, un pays producteur comme l’Algérie est ligoté par ses contrats à long terme et ne peut pas facturer plus cher ses exportations de gaz.
Le PDG de Sonatrach, Toufik Hakkar, a reconnu cette réalité amère, mais comme à son habitude, il a essayé de lui donner une autre coloration pour passer sous silence le préjudice financier encaissé par l’Algérie.
Ainsi, Toufik Hakkar lors d’une interview accordée lundi soir à la télévision nationale, a affirmé que « nos contrats à long et à moyen terme contiennent des clauses qui nous donnent l’opportunité de réviser les prix tous les trois ou quatre ans, selon la nature du client et du contrat », a-t-il expliqué, ajoutant que les prix peuvent être révisés dans l’intérêt de l’Algérie et de Sonatrach dans des contextes exceptionnels du marché, comme c’est le cas actuellement. « Nous ne pouvons pas nous orienter vers des prix à court terme alors qu’en contrepartie nous perdons un client historique de l’Algérie, qui acquiert des volumes importants allant de 8 à 10 milliards m3/an et qui pourra se diriger par la suite vers d’autres fournisseurs », a-t-il argumenté.
En clair, l’Algérie préfère vendre son gaz naturel à un prix fixe et négocié avec ses principaux clients espagnols que de s’aventurer à conquérir de nouveaux clients dans la perspective de leur vendre du gaz naturel à des nouveaux prix beaucoup plus adaptés aux mutations actuelles des marchés gaziers mondiaux.
La priorité de l’Algérie est donc la préservation de la relation commerciale à long terme avec ses partenaires historiques et la sécurité de ses ventes. Une démarche qui ne correspond pas à l’esprit du business lequel exige naturellement une prise de risque et des stratégies commerciales innovantes.
Les conséquences sont funestes pour l’économie algérienne car les prix actuels du gaz naturel sur le marché mondial varient entre 28 et 29 dollars/btu, ils ont même dépassé largement les 30 dollars dans plusieurs régions du globe. En Asie, les prix sur le marché spot du gaz naturel liquéfié —transporté par bateaux— ont grimpé de 40% en une seule journée, pour atteindre 56$US par million de British thermal unit (mmBtu), le 6 octobre dernier.
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