Supposez que vous êtes propriétaire ou gérant d’une usine au Maroc.
Supposez que les installations électriques y figurant ainsi que le dispositif de sécurité devant théoriquement être mis en place ne respectent pas les
conditions légales et réglementaires en vigueur. Supposez de surcroît que vos salariés sont enfermés dans l’usine, dont les issues normales sont fermées et les issues de secours sont condamnées.
Supposez que vous avez installez des grillages aux fenêtres. Supposez qu’un incendie se déclare dans l’usine, ayant pour origine un mégot imprudemment jeté. Supposez qu’il apparaîtrait que vous vous soyez plus préoccupé de faire sortir les matières premières et produits finis de l’usine en feu que les ouvriers qui y étaient enfermés.
Supposez au surplus que vous déclarez entre 10 et 30 salariés alors que vous en avez plus d’une centaine, et que certains ouvriers (tous?) étaient payés 200 dirhams la semaine de travail, sans affiliation à la CNSS.
Que risquez-vous au final?
Bien évidemment, afin d’éviter votre lynchage dans une émeute, la police vous place en garde à vue. Mais après?
Ne vous inquiétez pas trop au sujet du dahir du 25 hija 1345 (25 juin 1927) relatif à la réparation des accidents du travail, réformé à quelques reprises mais comprenant des restes de l’apartheid législatif colonial (cf. par exemple l’article 155, qui dispose que “les dispositions de l’article 149 [relatif à la rente viagère réversible sur le conjoint] ne sont pas applicables aux ouvriers et employés sujets marocains ou assimilés“), et de nombreuses dispositions absolument obsolètes (1), dont de très nombreuses références au juge de paix, instance judiciaire disparue depuis l’indépendance.
Tout d’abord, il ne vise pas la sécurité du travail ou la prévention des accidents du travail, mais plutôt la réglementation relative aux conséquences financières des accidents du travail, en faveur des victimes, et les arrangements nécessaires relatifs aux assurances contre ces accidents. Il contient certes quelques dispositions pénales - les infractions étant constatées par l’inspection du travail ou par la police judiciaire (article 351) - mais qu’on ne pourrait qualifier de draconiennes: ainsi, s’agissant des articles 14 à 26 du dahir relatifs à la déclaration des accidents du travail et à l’enquête qui s’ensuit, l’article 352 dispose que sont punis “d’une amende de un à dix-huit dirhams (1 à 18 DH), et, en cas de récidive (…), d’une amende de vingt à trois cent soixante dirhams (20 à 360 DH) les employeurs ou leurs préposés qui ont contrevenu aux dispostions des articles 14 à 26“.
La peine la plus sévère édictée dans ce dahir est une peine d’emprisonnement de trois mois, encourue par les médecins ou pharmaciens violant, en état de récidive légale, l’interdiction qui leur aura été faite de donner des soins ou de fournir des médicaments à des victimes d’accidents du travail (2) en vertu de l’article 355 alinéa 2 du dahir, ainsi que par les employeurs s’étant abstenus, également en état de récidive légale, de souscrire ou de renouveler les contrats d’assurance obligatoires contre les accidents du travail (article 357 bis du dahir). En l’occurence, dans le cas présent, cette dernière peine n’est sans doute pas encourue, car rien n’indique que le propriétaire ou le gérant de l’usine de Casablanca aient déjà fait l’objet d’une condamnation à ce titre, et ils n’encourent alors de toute façon qu’une amende de 2.000 à 100.000 dirhams.
Inutile aussi de perdre trop d’heures de sommeil en vous inquiétant des sanctions encourues au titre du Code du travail: certes, ce dernier contient un Livre II dont le Titre IV est intitulé “De l’hygiène et de la sécurité des travailleurs“, composé d’une vingtaine d’articles d’ordre général, dont l’article 281 alinéa 1 pose les principes généraux en la matière:
L’employeur doit veiller à ce que les locaux de travail soient tenus dans un bon état de propreté et présenter les conditions d’hygiène et de salubrité nécessaires à la santé des salariés, notamment en ce qui concerne le dispositif de prévention de l’incendie, l’éclairage, le chauffage, l’aération, l’insonorisation, la ventilation, l’eau potable, les fosses d’aisances, l’évacuation des eaux résiduaires et de lavage, les poussières et vapeurs, les vestiaires, la toilette et le couchage des salariés.
L’article 282 précise l’obligation de l’employeur à cet égard, qui vaut tant pour les locaux que pour les outils de production:
Les locaux de travail doivent être aménagés de manière à garantir la sécurité des salariés et faciliter la tâche des salariés handicapés y travaillant. Les machines, appareils de transmission, appareils de chauffage et d’éclairage, outils et engins doivent être munis de dispositifs de protection d’une efficacité reconnue et tenus dans les meilleures conditions possibles de sécurité afin que leur utilisation ne présente pas de danger pour les salariés.
Les peines applicables aux employeurs qui violeraient ces dispositions sont d’un sadisme intolérable, propre à décourager dans l’oeuf l’esprit d’entreprise cher à Khalil Hachemi Idrissi: “le non respect des dispositions de l’article 281” et “le non aménagement des lieux de travail conformément aux dispositions de l’article 282” entraînent, en vertu de l’article 296 du Code du travail, une amende de 2.000 à 5.000 dirhams.
En clair: le non-respect des conditions de sécurité et de prévention des risques, dont chacun sait qu’il peut provoquer morts et invalidités, est puni moins sévèrement, en droit marocain, que, allez, au hasard,:
On voit les valeurs prioritaires que le législateur a entendu défendre: le respect des règles de sécurité au travail n’en est pas une, de toute évidence.
Supposez que les installations électriques y figurant ainsi que le dispositif de sécurité devant théoriquement être mis en place ne respectent pas les
conditions légales et réglementaires en vigueur. Supposez de surcroît que vos salariés sont enfermés dans l’usine, dont les issues normales sont fermées et les issues de secours sont condamnées.
Supposez que vous avez installez des grillages aux fenêtres. Supposez qu’un incendie se déclare dans l’usine, ayant pour origine un mégot imprudemment jeté. Supposez qu’il apparaîtrait que vous vous soyez plus préoccupé de faire sortir les matières premières et produits finis de l’usine en feu que les ouvriers qui y étaient enfermés.
Supposez au surplus que vous déclarez entre 10 et 30 salariés alors que vous en avez plus d’une centaine, et que certains ouvriers (tous?) étaient payés 200 dirhams la semaine de travail, sans affiliation à la CNSS.
Que risquez-vous au final?
Bien évidemment, afin d’éviter votre lynchage dans une émeute, la police vous place en garde à vue. Mais après?
Ne vous inquiétez pas trop au sujet du dahir du 25 hija 1345 (25 juin 1927) relatif à la réparation des accidents du travail, réformé à quelques reprises mais comprenant des restes de l’apartheid législatif colonial (cf. par exemple l’article 155, qui dispose que “les dispositions de l’article 149 [relatif à la rente viagère réversible sur le conjoint] ne sont pas applicables aux ouvriers et employés sujets marocains ou assimilés“), et de nombreuses dispositions absolument obsolètes (1), dont de très nombreuses références au juge de paix, instance judiciaire disparue depuis l’indépendance.
Tout d’abord, il ne vise pas la sécurité du travail ou la prévention des accidents du travail, mais plutôt la réglementation relative aux conséquences financières des accidents du travail, en faveur des victimes, et les arrangements nécessaires relatifs aux assurances contre ces accidents. Il contient certes quelques dispositions pénales - les infractions étant constatées par l’inspection du travail ou par la police judiciaire (article 351) - mais qu’on ne pourrait qualifier de draconiennes: ainsi, s’agissant des articles 14 à 26 du dahir relatifs à la déclaration des accidents du travail et à l’enquête qui s’ensuit, l’article 352 dispose que sont punis “d’une amende de un à dix-huit dirhams (1 à 18 DH), et, en cas de récidive (…), d’une amende de vingt à trois cent soixante dirhams (20 à 360 DH) les employeurs ou leurs préposés qui ont contrevenu aux dispostions des articles 14 à 26“.
La peine la plus sévère édictée dans ce dahir est une peine d’emprisonnement de trois mois, encourue par les médecins ou pharmaciens violant, en état de récidive légale, l’interdiction qui leur aura été faite de donner des soins ou de fournir des médicaments à des victimes d’accidents du travail (2) en vertu de l’article 355 alinéa 2 du dahir, ainsi que par les employeurs s’étant abstenus, également en état de récidive légale, de souscrire ou de renouveler les contrats d’assurance obligatoires contre les accidents du travail (article 357 bis du dahir). En l’occurence, dans le cas présent, cette dernière peine n’est sans doute pas encourue, car rien n’indique que le propriétaire ou le gérant de l’usine de Casablanca aient déjà fait l’objet d’une condamnation à ce titre, et ils n’encourent alors de toute façon qu’une amende de 2.000 à 100.000 dirhams.
Inutile aussi de perdre trop d’heures de sommeil en vous inquiétant des sanctions encourues au titre du Code du travail: certes, ce dernier contient un Livre II dont le Titre IV est intitulé “De l’hygiène et de la sécurité des travailleurs“, composé d’une vingtaine d’articles d’ordre général, dont l’article 281 alinéa 1 pose les principes généraux en la matière:
L’employeur doit veiller à ce que les locaux de travail soient tenus dans un bon état de propreté et présenter les conditions d’hygiène et de salubrité nécessaires à la santé des salariés, notamment en ce qui concerne le dispositif de prévention de l’incendie, l’éclairage, le chauffage, l’aération, l’insonorisation, la ventilation, l’eau potable, les fosses d’aisances, l’évacuation des eaux résiduaires et de lavage, les poussières et vapeurs, les vestiaires, la toilette et le couchage des salariés.
L’article 282 précise l’obligation de l’employeur à cet égard, qui vaut tant pour les locaux que pour les outils de production:
Les locaux de travail doivent être aménagés de manière à garantir la sécurité des salariés et faciliter la tâche des salariés handicapés y travaillant. Les machines, appareils de transmission, appareils de chauffage et d’éclairage, outils et engins doivent être munis de dispositifs de protection d’une efficacité reconnue et tenus dans les meilleures conditions possibles de sécurité afin que leur utilisation ne présente pas de danger pour les salariés.
Les peines applicables aux employeurs qui violeraient ces dispositions sont d’un sadisme intolérable, propre à décourager dans l’oeuf l’esprit d’entreprise cher à Khalil Hachemi Idrissi: “le non respect des dispositions de l’article 281” et “le non aménagement des lieux de travail conformément aux dispositions de l’article 282” entraînent, en vertu de l’article 296 du Code du travail, une amende de 2.000 à 5.000 dirhams.
En clair: le non-respect des conditions de sécurité et de prévention des risques, dont chacun sait qu’il peut provoquer morts et invalidités, est puni moins sévèrement, en droit marocain, que, allez, au hasard,:
- l’offense au Roi, aux Princes et Princesses royaux (article 41 du Code de la presse et de l’édition),
- la contrefaçon (de trois mois à deux ans de prison en vertu de l’article 577 du Code pénal),
- l’acceptation ou l’émission d’un chèque soumis “à la condition qu’il ne soit pas encaissé immédiatement mais conservé à titre de garantie” (articles 544 et 540 du Code pénal) ou
- le vol de bicyclette (si la bicyclette a une faible valeur, il s’agit alors d’un larcin puni d’un mois à deux ans de prison en vertu de l’article 506 du Code pénal).
On voit les valeurs prioritaires que le législateur a entendu défendre: le respect des règles de sécurité au travail n’en est pas une, de toute évidence.
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