Croissance, inégalité et développement mondial : Qui reste à la traîne ?
Auteur : Kemal Dervis Date : October 11th, 2007
Ce sont les pays en développement qui propulsent l’expansion rapide des revenus au plan mondial et qui en sont les bénéficiaires.
L’économie mondiale se porte particulièrement bien ces dernières années. Le revenu mondial par habitant augmente plus rapidement que jamais. Si l’on inclut les projections récemment rendues publiques pour 2007, le produit intérieur brut (PIB) mondial par habitant a augmenté de 2,3 pour cent en moyenne, ces cinq dernières années, ceci par contraste avec un taux annuel de 1,2 % de 1990 à 2002 et un taux annuel de 1,4 % de 1981 à 1989 . Des taux de croissance mondiale soutenus d’une telle ampleur sont sans précédent depuis la période l’immédiat après-guerre ou une partie des années soixante. Les pays en développement jouent à présent un rôle majeur en tant que moteurs de la croissance mondiale. De 1960 à 1973, 85 % de la croissance mondiale cumulative du PIB étaient dus aux pays à haut revenu. Ce chiffre est tombé à 78 % entre 1973 et 2001 et à seulement 68 % de 2001 à 2005. Et si l’on mesure le PIB à parité de pouvoir d’achat (PPA), les pays en développement apportent à présent, et de loin, la plus importante contribution à la croissance mondiale. Ce qui reflète également le poids croissant des pays en développement, c’est que si l’on mesure le PIB à PPA, la croissance mondiale par habitant est d’environ 3 % par an depuis le début de ce siècle . Et comme les pays en développement qui connaissent une expansion économique rapide, tels la Chine et l’Inde, sont très grands, si l’on pondère la croissance du PIB par habitant en fonction de la population, la croissance mondiale est encore plus impressionnante, avec des valeurs allant jusqu’à 4,5 % par an, avec le PIB en PPA.
Disparités et convergences dans certains pays en développement.
Les pays en développement soutiennent la croissance mondiale et captent, dans leur ensemble, une part croissante des revenus mondiaux. Mais les bénéfices de la croissance économique mondiale sont-ils largement répartis au sein des pays en développement ? Un groupe de pays en développement qui représente une portion énorme de la population mondiale se trouve à l’avant-garde de la croissance mondiale. Leurs économies connaissent une croissance plus rapide que celles des pays industrialisés. Ils commencent aussi à rattraper les nations les plus riches en termes de développement humain. Des millions de leurs citoyens sortent chaque année de la pauvreté, et leurs taux d’espérance de vie, de mortalité infantile et d’alphabétisation rattrapent ceux des pays développés.
Ces pays ont accès aux marchés mondiaux pour les biens, le capital et la technologie ; les échanges entre eux et avec les pays riches deviennent de plus en plus importants. La part de commerce mondial captée par les pays en développement – essentiellement grâce à ceux d’entre eux qui sont très performants – est à présent de 37 %, alors qu’elle n’était que de 29 % en 1996. Cependant, un autre groupe de pays en développement – plus nombreux, même si sa population est moins importante – reste à la traîne. Au plan économique, ces pays sont plus éloignés que jamais des contrées les plus riches. Si l’on considère le revenu moyen, les inégalités entre pays, qui n’arrêtent pas de se creuser depuis deux cents ans, sont loin de marquer le pas. Le rapport entre le PIB à PPA des dix pays les plus riches et celui des dix pays les plus pauvres est passé de 21 en 1960 à 34 en 1990, puis à 47 en 2001 et à 50 en 2005. Si l’on exprime le PIB en cours de change du marché, l’écart est encore plus grand. Certains pays ont aussi connu une chute brutale du taux d’espérance de vie, dans la plupart des cas (mais pas tous) à cause de l’épidémie de VIH/SIDA.
Les moteurs d’une plus grande disparité : reconnaître le rôle des changements climatiques
Les forces de convergence finiront-elles par attirer les pays en développement qui restent à la traîne ? La réponse dépend en partie de la façon dont la communauté mondiale répondra au défi des changements climatiques. On pense généralement qu’il s’agit là d’un problème d’environnement durable. La croissance actuelle se fait-elle aux dépens des futures générations ? Cette inquiétude est au cœur de la définition du développement durable : le développement aujourd’hui ne doit pas empêcher le développement des générations futures. Mais en plus de ces inquiétudes concernant la distribution intergénérationnelle des revenus, on se rend compte de plus en plus que les changements climatiques auront un impact différent selon les régions et les pays. Et les preuves s’accumulent que les pays en développement seront le plus durement et le plus rapidement touchés, tant pour des raisons géographiques que parce que des revenus faibles rendent l’adaptation beaucoup plus difficile.
D’ailleurs, le réchauffement climatique a déjà une incidence sur les perspectives de croissance et de développement dans certains pays en développement. Si on ne fait rien, les changements climatiques donneront une impulsion « inégalitaire » au développement mondial. Beaucoup de pays qui éprouvent déjà des difficultés à profiter des fruits de la croissance mondiale vont se retrouver face à des coûts nouveaux et importants qui feront obstacle à une plus grande prospérité. Il est plus que probable que certaines communautés verront décroître leur niveau de vie et s’abaisser leurs indicateurs du développement humain.
Répartition des revenus au sein des pays
L’inégalité augmente dans de nombreux pays développés ou en développement.
La configuration des inégalités au sein même d’un pays représente une dimension importante pour comprendre la répartition des revenus. On voit émerger des disparités importantes entre citoyens d’un même pays. L’inégalité des revenus n’augmente pas partout, mais elle s’aggrave dans beaucoup de pays, développés ou non. Il est à remarquer qu’elle est en hausse dans plusieurs des grands pays en développement à expansion rapide, ce qui voudrait dire que beaucoup d’individus restent à la traîne et ne tirent aucun profit de cette croissance rapide. Même si les schémas de répartition des revenus varient d’un pays à l’autre, tous ceux, développés ou non, où l’on constate une inégalité croissante ont en commun l’accumulation des revenus au sommet de la pyramide - entre les mains des 1 % ou même 0,1 % les plus riches. Il est trop tôt pour dire si cette augmentation extraordinaire de la part des revenus allant directement au sommet de la pyramide de répartition des richesses n’est caractéristique que d’un petit nombre de pays ou s’il s’agit d’une tendance générale. Les moteurs de la répartition des revenus sont complexes et peuvent différer de façon significative d’un pays à l’autre. Mais l’importance croissante des revenus (dans certains cas, surtout sous forme de salaire) au sommet de la pyramide de répartition des richesses correspond au phénomène des super-stars et à l’idée que le vainqueur emporte la mise, avec les salaires pharamineux dont bénéficient les dirigeants d’entreprise, les stars du cinéma et du sport et les financiers.
Au sein d’un pays, l’inégalité affecte la croissance…
Faut-il se préoccuper des inégalités ? Il semble bien que oui, les indicateurs du bien-être déclaré par l’intéressé et de la satisfaction de vivre étant en corrélation inverse avec l’augmentation des inégalités. Ce malaise face à l’évolution de la répartition des revenus va, lui, de pair avec l’ouverture et l’approfondissement de l’intégration du marché qui soutiennent la croissance mondiale. Même si on ne peut y voir un rapport de cause à effet, une telle corrélation modifie les perceptions.
Il est possible, alors, que les processus d’intégration des marchés et d’ouverture qui ont joué un rôle crucial dans l’accélération de la croissance économique mondiale continuent à bénéficier d’un soutien politique et populaire – tant dans les pays en développement que dans les nations développées. Quels sont les effets des inégalités sur la croissance et les performances économiques ? En principe, un certain niveau d’inégalité peut profiter à la croissance, tant grâce aux incitations récompensant le travail et le talent que par l’accumulation de richesses qui stimulent les investissements. D’autre part, il est concevable que des inégalités importantes découragent les gens de s’adonner à une activité économique productive si celle-ci est liée à la discrimination ou la perpétuation de privilèges. Il s’agit donc essentiellement d’une question empirique. Certains indices semblent suggérer deux choses. Premièrement, des niveaux très élevés d’inégalité nuisent à la croissance, car ils découragent la création d’institutions politiques et économiques propices à celle-ci et aux investissements et qu’ils entraînent une aliénation qui menace de plus en plus la stabilité politique et sociale. Deuxièmement, selon des travaux empiriques, l’interaction entre les inégalités et des marchés sous-développés ou des institutions faibles (ce qu’on trouve dans beaucoup de pays en développement) peut aussi entraver la croissance.
Auteur : Kemal Dervis Date : October 11th, 2007
Ce sont les pays en développement qui propulsent l’expansion rapide des revenus au plan mondial et qui en sont les bénéficiaires.
L’économie mondiale se porte particulièrement bien ces dernières années. Le revenu mondial par habitant augmente plus rapidement que jamais. Si l’on inclut les projections récemment rendues publiques pour 2007, le produit intérieur brut (PIB) mondial par habitant a augmenté de 2,3 pour cent en moyenne, ces cinq dernières années, ceci par contraste avec un taux annuel de 1,2 % de 1990 à 2002 et un taux annuel de 1,4 % de 1981 à 1989 . Des taux de croissance mondiale soutenus d’une telle ampleur sont sans précédent depuis la période l’immédiat après-guerre ou une partie des années soixante. Les pays en développement jouent à présent un rôle majeur en tant que moteurs de la croissance mondiale. De 1960 à 1973, 85 % de la croissance mondiale cumulative du PIB étaient dus aux pays à haut revenu. Ce chiffre est tombé à 78 % entre 1973 et 2001 et à seulement 68 % de 2001 à 2005. Et si l’on mesure le PIB à parité de pouvoir d’achat (PPA), les pays en développement apportent à présent, et de loin, la plus importante contribution à la croissance mondiale. Ce qui reflète également le poids croissant des pays en développement, c’est que si l’on mesure le PIB à PPA, la croissance mondiale par habitant est d’environ 3 % par an depuis le début de ce siècle . Et comme les pays en développement qui connaissent une expansion économique rapide, tels la Chine et l’Inde, sont très grands, si l’on pondère la croissance du PIB par habitant en fonction de la population, la croissance mondiale est encore plus impressionnante, avec des valeurs allant jusqu’à 4,5 % par an, avec le PIB en PPA.
Disparités et convergences dans certains pays en développement.
Les pays en développement soutiennent la croissance mondiale et captent, dans leur ensemble, une part croissante des revenus mondiaux. Mais les bénéfices de la croissance économique mondiale sont-ils largement répartis au sein des pays en développement ? Un groupe de pays en développement qui représente une portion énorme de la population mondiale se trouve à l’avant-garde de la croissance mondiale. Leurs économies connaissent une croissance plus rapide que celles des pays industrialisés. Ils commencent aussi à rattraper les nations les plus riches en termes de développement humain. Des millions de leurs citoyens sortent chaque année de la pauvreté, et leurs taux d’espérance de vie, de mortalité infantile et d’alphabétisation rattrapent ceux des pays développés.
Ces pays ont accès aux marchés mondiaux pour les biens, le capital et la technologie ; les échanges entre eux et avec les pays riches deviennent de plus en plus importants. La part de commerce mondial captée par les pays en développement – essentiellement grâce à ceux d’entre eux qui sont très performants – est à présent de 37 %, alors qu’elle n’était que de 29 % en 1996. Cependant, un autre groupe de pays en développement – plus nombreux, même si sa population est moins importante – reste à la traîne. Au plan économique, ces pays sont plus éloignés que jamais des contrées les plus riches. Si l’on considère le revenu moyen, les inégalités entre pays, qui n’arrêtent pas de se creuser depuis deux cents ans, sont loin de marquer le pas. Le rapport entre le PIB à PPA des dix pays les plus riches et celui des dix pays les plus pauvres est passé de 21 en 1960 à 34 en 1990, puis à 47 en 2001 et à 50 en 2005. Si l’on exprime le PIB en cours de change du marché, l’écart est encore plus grand. Certains pays ont aussi connu une chute brutale du taux d’espérance de vie, dans la plupart des cas (mais pas tous) à cause de l’épidémie de VIH/SIDA.
Les moteurs d’une plus grande disparité : reconnaître le rôle des changements climatiques
Les forces de convergence finiront-elles par attirer les pays en développement qui restent à la traîne ? La réponse dépend en partie de la façon dont la communauté mondiale répondra au défi des changements climatiques. On pense généralement qu’il s’agit là d’un problème d’environnement durable. La croissance actuelle se fait-elle aux dépens des futures générations ? Cette inquiétude est au cœur de la définition du développement durable : le développement aujourd’hui ne doit pas empêcher le développement des générations futures. Mais en plus de ces inquiétudes concernant la distribution intergénérationnelle des revenus, on se rend compte de plus en plus que les changements climatiques auront un impact différent selon les régions et les pays. Et les preuves s’accumulent que les pays en développement seront le plus durement et le plus rapidement touchés, tant pour des raisons géographiques que parce que des revenus faibles rendent l’adaptation beaucoup plus difficile.
D’ailleurs, le réchauffement climatique a déjà une incidence sur les perspectives de croissance et de développement dans certains pays en développement. Si on ne fait rien, les changements climatiques donneront une impulsion « inégalitaire » au développement mondial. Beaucoup de pays qui éprouvent déjà des difficultés à profiter des fruits de la croissance mondiale vont se retrouver face à des coûts nouveaux et importants qui feront obstacle à une plus grande prospérité. Il est plus que probable que certaines communautés verront décroître leur niveau de vie et s’abaisser leurs indicateurs du développement humain.
Répartition des revenus au sein des pays
L’inégalité augmente dans de nombreux pays développés ou en développement.
La configuration des inégalités au sein même d’un pays représente une dimension importante pour comprendre la répartition des revenus. On voit émerger des disparités importantes entre citoyens d’un même pays. L’inégalité des revenus n’augmente pas partout, mais elle s’aggrave dans beaucoup de pays, développés ou non. Il est à remarquer qu’elle est en hausse dans plusieurs des grands pays en développement à expansion rapide, ce qui voudrait dire que beaucoup d’individus restent à la traîne et ne tirent aucun profit de cette croissance rapide. Même si les schémas de répartition des revenus varient d’un pays à l’autre, tous ceux, développés ou non, où l’on constate une inégalité croissante ont en commun l’accumulation des revenus au sommet de la pyramide - entre les mains des 1 % ou même 0,1 % les plus riches. Il est trop tôt pour dire si cette augmentation extraordinaire de la part des revenus allant directement au sommet de la pyramide de répartition des richesses n’est caractéristique que d’un petit nombre de pays ou s’il s’agit d’une tendance générale. Les moteurs de la répartition des revenus sont complexes et peuvent différer de façon significative d’un pays à l’autre. Mais l’importance croissante des revenus (dans certains cas, surtout sous forme de salaire) au sommet de la pyramide de répartition des richesses correspond au phénomène des super-stars et à l’idée que le vainqueur emporte la mise, avec les salaires pharamineux dont bénéficient les dirigeants d’entreprise, les stars du cinéma et du sport et les financiers.
Au sein d’un pays, l’inégalité affecte la croissance…
Faut-il se préoccuper des inégalités ? Il semble bien que oui, les indicateurs du bien-être déclaré par l’intéressé et de la satisfaction de vivre étant en corrélation inverse avec l’augmentation des inégalités. Ce malaise face à l’évolution de la répartition des revenus va, lui, de pair avec l’ouverture et l’approfondissement de l’intégration du marché qui soutiennent la croissance mondiale. Même si on ne peut y voir un rapport de cause à effet, une telle corrélation modifie les perceptions.
Il est possible, alors, que les processus d’intégration des marchés et d’ouverture qui ont joué un rôle crucial dans l’accélération de la croissance économique mondiale continuent à bénéficier d’un soutien politique et populaire – tant dans les pays en développement que dans les nations développées. Quels sont les effets des inégalités sur la croissance et les performances économiques ? En principe, un certain niveau d’inégalité peut profiter à la croissance, tant grâce aux incitations récompensant le travail et le talent que par l’accumulation de richesses qui stimulent les investissements. D’autre part, il est concevable que des inégalités importantes découragent les gens de s’adonner à une activité économique productive si celle-ci est liée à la discrimination ou la perpétuation de privilèges. Il s’agit donc essentiellement d’une question empirique. Certains indices semblent suggérer deux choses. Premièrement, des niveaux très élevés d’inégalité nuisent à la croissance, car ils découragent la création d’institutions politiques et économiques propices à celle-ci et aux investissements et qu’ils entraînent une aliénation qui menace de plus en plus la stabilité politique et sociale. Deuxièmement, selon des travaux empiriques, l’interaction entre les inégalités et des marchés sous-développés ou des institutions faibles (ce qu’on trouve dans beaucoup de pays en développement) peut aussi entraver la croissance.
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