Nos reporters se sont rendus sur les grands chantiers de l’autoroute est-ouest
Le pays est long. Mais on oublie souvent qu’il est large, dépassant sur la bande nord, où la majorité des Algériens est serrée, les 1000 kilomètres d’Est en Ouest ou d’Ouest en Est, selon la lecture. Il fallait donc une autoroute pour relier le tout, 85% des échanges entre Algériens se faisant par route.
Le projet autoroutier Est-Ouest, gigantesque chantier, le plus gros depuis l’indépendance, assurera sur 1216 km la liaison entre les extrêmes, traversant 24 wilayas en déplaçant 100 millions de mètres cubes de terre, utilisant pas moins de 3 millions de tonnes de ciment, 5 millions de tonnes de sable, 1 million de tonnes de bitume et 14 000 tonnes d’explosifs. Réactivé dans les années Bouteflika, ce vieux projet ébauché en 1963, le nouveau programme, froidement dénommé DPN pour division du programme neuf, chevauche l’ancien, datant de 1987, et sur le terrain, on tend à confondre les deux tant ils sont emboîtés. Mais la technique « saucisson halal », travailler son tronçon sans attendre que les autres terminent et coller le tout à la fin, est l’idée retenue. « Nous n’attendrons pas que les études globales soient finalisées pour lancer des réalisations partielles par sections », rappelle le ministre des Travaux publics. Voyage sur une autoroute en construction, d’El Kala à Maghnia ou l’Algérie au sens large. El Kala. Charmante ville maritime située à 80 km à l’est de Annaba, à un jet de pierre de Tabarka, sa rivale tunisienne. D’ici, nous étrennons une longue expédition qui va nous entraîner sur 1200 km de boue et de bitume, sur les traces de la fameuse autoroute Est-Ouest, le « projet du siècle », comme aime à l’appeler son fervent promoteur, le sémillant Amar Ghoul. Nous nous engouffrons de plain-pied dans les boyaux luxuriants du Parc national d’El Kala. On se souvient de l’émoi qu’avait suscité le premier tracé qui prévoyait de grignoter 15 km sur le parc et toute la mobilisation qui avait suivi, assortie d’une pétition nationale. Nous traversons l’immense domaine protégé de 80 000 hectares jusqu’aux abords du poste frontalier d’Oum Tboul. R.A.S. La fièvre des touristes qui se ruaient sur le pays de Ben Ali est tombée. Et la polémique aussi. Pas de trace de bulldozer ni d’un quelconque chantier menaçant. Dame nature est sauve. A El Kala en tout cas, le sujet est clos, du moins pour le moment. A la direction du parc, un cadre nous signifie que « le chargé du dossier est absent ». Aussi, pour en savoir un peu sur le nouveau tracé, mystère et boule de gomme. Le ministre des Travaux publics devait pour sa part rassurer tout le monde en indiquant qu’une nouvelle étude d’impact vient d’être ficelée, et qui promet d’épargner ce site classé par l’Unesco. Nous quittons le Parc national d’El Kala et son magnifique lac Tonga sur cette promesse avant de bifurquer vers El Tarf, le chef-lieu de wilaya. La plaine d’El Tarf est splendide. La route se laisse allègrement croquer.
Ouvriers migrateurs
Le lac des Oiseaux. Si ce lieu poétique est plus connu pour son écosystème, il tend à être célèbre pour une tout autre espèce migratoire, les Japonais. Peu d’ornithologues ici mais des engins de terrassement, bulls et pelleteuses. C’est là, à Kebbouda, à 30 km d’El Tarf, que les Japonais de Cojaal se sont installés. Plus exactement entre Ben M’hidi, qui n’est pas la patrie du révolutionnaire, et Bouteldja, qui est par contre celle du président Chadli. Responsable des 399 km qui relient Bordj Bou Arréridj à la frontière tunisienne, Cojaal est consciente de l’ampleur du chantier. « C’est le plus grand projet dans les infrastructures routières jamais confié à une entreprise japonaise », dit-on. A l’entrée de la base, des Algériens attendent un emploi de manœuvre, à 600 DA la journée. A Ben M’hidi, une émeute a d’ailleurs éclaté, avec comme résultat le recrutement de quelques jeunes sur le chantier. A l’intérieur de la base, de la boue locale, des 4x4 et des engins neufs, et des Japonais ultramodernes. Le terrassement se fait par ordinateurs, GPS et satellites, technique « qui n’est même pas encore utilisée en Europe ». Au baraquement principal, des chaussures, japonaises et algériennes, sont disposées à l’entrée. Ici, on se déchausse. Une jeune fille, jolie Annabie en pantoufles, explique que pour accrocher un responsable, il faut une autorisation d’Alger. On attendra. Comme ces chômeurs qui attendent devant la porte aux chaussures un entretien. Ce sont ceux qui ont été sélectionnés et doivent passer le dernier test. Mais où est l’autoroute ? « Là-bas, dans la montagne », explique un autre Japonais. C’est en suivant le tracé derrière la RN44 que l’on tombe sur un décapement important, à Ousfour, au lieu-dit N’cheyma, du nom d’une plante qui pousse toute seule. Toute la misère du monde se lit sur le visage de ces nouveaux expropriés. « Bien sûr, l’autoroute apportera des choses avec elle. » Mais sans travail, sans transport, les habitants sont pessimistes. Ils montrent le tracé qui passe par leurs maisons. Quelques-uns ont été indemnisés, d’autres attendent. L’un d’eux avoue qu’il a arrêté les études de sa fille parce qu’il n’avait pas les moyens de lui acheter des chaussures. « Je ne peux pas l’envoyer en claquettes à l’école », lance-t-il. Non, l’autoroute ne réglera pas tous les problèmes.
Usine horizontale
Constantine. A hauteur de Aïn Smara, une stèle en forme de section d’autoroute trône à l’orée d’un chantier de Cojaal. Elle a été inaugurée par le président Bouteflika le 16 avril 2007. Des travaux de terrassement se poursuivent cahin-caha sous le regard de techniciens nippons. L’un d’eux échange quelques mots bafouillés avec Abdelghani, un ingénieur en travaux publics. Abdelghani travaille chez Raouabi, une entreprise privée de travaux publics domiciliée à Aïn El Bey, un marché qu’elle a décroché en sous-traitance pour Cojaal. « Nous assurons les travaux d’assainissement sur un tronçon de 27 km », dit-il en désignant un assemblage de buses fraîchement installées. Abdelghani compare l’autoroute qui se dessine à une « usine qui va générer beaucoup d’emplois en termes d’entretien, d’exploitation, de sécurisation et de services ». Il déplore toutefois quelques dysfonctionnements que détaillera le directeur général de Raouabi, Bouchelif Abdeldjalil. Ce dernier est à la base un financier. Il a investi dans le BTP et monté sa propre société qui compte aujourd’hui 32 employés. « Ce sont eux (les Japonais de Cojaal) qui m’ont contacté. Ils ont été épatés par notre CV. Nous avons toujours travaillé avec des entreprises étrangères et nous souhaitions étoffer notre expérience en nous frottant aux Japonais à travers le ‘‘chantier du siècle’’ comme on l’appelle », confie-t-il. Mais l’homme aussi bien que son équipe feront vite de déchanter : « Nous n’avons toujours pas reçu l’agrément de l’ANA (l’Agence nationale des autoroutes, ndlr) et c’est le cas de la majorité des sous-traitants. Nous travaillons dans le flou. Nous n’avons toujours pas les plans d’exécution. Nous sommes dans l’expectative depuis six mois et si la situation perdure, nous allons nous retirer du chantier », avertit le patron de Raouabi. Nous chevauchons de nouveau le tracé qui coule à travers les étendues dorées des Hauts-Plateaux en flirtant par endroits avec la RN5. Le tracé se déploie en contournant les agglomérations de Chelghoum Laïd, Tadjenanet (où se trouve une importante base Cojaal), Bir El Arche, El Eulma, Sétif, Bordj Bou Arréridj. Des portraits géants à l’effigie de Bouteflika ornent l’entrée des villes. Des pipes de gaz sont déplacés pour être au plus près de la nouvelle infrastructure. Des maisons cantonnières flambant neuf ponctuent la route çà et là en arborant la devise chère à Amar Ghoul : « Réaliser vite et bien. »
Le pays est long. Mais on oublie souvent qu’il est large, dépassant sur la bande nord, où la majorité des Algériens est serrée, les 1000 kilomètres d’Est en Ouest ou d’Ouest en Est, selon la lecture. Il fallait donc une autoroute pour relier le tout, 85% des échanges entre Algériens se faisant par route.
Le projet autoroutier Est-Ouest, gigantesque chantier, le plus gros depuis l’indépendance, assurera sur 1216 km la liaison entre les extrêmes, traversant 24 wilayas en déplaçant 100 millions de mètres cubes de terre, utilisant pas moins de 3 millions de tonnes de ciment, 5 millions de tonnes de sable, 1 million de tonnes de bitume et 14 000 tonnes d’explosifs. Réactivé dans les années Bouteflika, ce vieux projet ébauché en 1963, le nouveau programme, froidement dénommé DPN pour division du programme neuf, chevauche l’ancien, datant de 1987, et sur le terrain, on tend à confondre les deux tant ils sont emboîtés. Mais la technique « saucisson halal », travailler son tronçon sans attendre que les autres terminent et coller le tout à la fin, est l’idée retenue. « Nous n’attendrons pas que les études globales soient finalisées pour lancer des réalisations partielles par sections », rappelle le ministre des Travaux publics. Voyage sur une autoroute en construction, d’El Kala à Maghnia ou l’Algérie au sens large. El Kala. Charmante ville maritime située à 80 km à l’est de Annaba, à un jet de pierre de Tabarka, sa rivale tunisienne. D’ici, nous étrennons une longue expédition qui va nous entraîner sur 1200 km de boue et de bitume, sur les traces de la fameuse autoroute Est-Ouest, le « projet du siècle », comme aime à l’appeler son fervent promoteur, le sémillant Amar Ghoul. Nous nous engouffrons de plain-pied dans les boyaux luxuriants du Parc national d’El Kala. On se souvient de l’émoi qu’avait suscité le premier tracé qui prévoyait de grignoter 15 km sur le parc et toute la mobilisation qui avait suivi, assortie d’une pétition nationale. Nous traversons l’immense domaine protégé de 80 000 hectares jusqu’aux abords du poste frontalier d’Oum Tboul. R.A.S. La fièvre des touristes qui se ruaient sur le pays de Ben Ali est tombée. Et la polémique aussi. Pas de trace de bulldozer ni d’un quelconque chantier menaçant. Dame nature est sauve. A El Kala en tout cas, le sujet est clos, du moins pour le moment. A la direction du parc, un cadre nous signifie que « le chargé du dossier est absent ». Aussi, pour en savoir un peu sur le nouveau tracé, mystère et boule de gomme. Le ministre des Travaux publics devait pour sa part rassurer tout le monde en indiquant qu’une nouvelle étude d’impact vient d’être ficelée, et qui promet d’épargner ce site classé par l’Unesco. Nous quittons le Parc national d’El Kala et son magnifique lac Tonga sur cette promesse avant de bifurquer vers El Tarf, le chef-lieu de wilaya. La plaine d’El Tarf est splendide. La route se laisse allègrement croquer.
Ouvriers migrateurs
Le lac des Oiseaux. Si ce lieu poétique est plus connu pour son écosystème, il tend à être célèbre pour une tout autre espèce migratoire, les Japonais. Peu d’ornithologues ici mais des engins de terrassement, bulls et pelleteuses. C’est là, à Kebbouda, à 30 km d’El Tarf, que les Japonais de Cojaal se sont installés. Plus exactement entre Ben M’hidi, qui n’est pas la patrie du révolutionnaire, et Bouteldja, qui est par contre celle du président Chadli. Responsable des 399 km qui relient Bordj Bou Arréridj à la frontière tunisienne, Cojaal est consciente de l’ampleur du chantier. « C’est le plus grand projet dans les infrastructures routières jamais confié à une entreprise japonaise », dit-on. A l’entrée de la base, des Algériens attendent un emploi de manœuvre, à 600 DA la journée. A Ben M’hidi, une émeute a d’ailleurs éclaté, avec comme résultat le recrutement de quelques jeunes sur le chantier. A l’intérieur de la base, de la boue locale, des 4x4 et des engins neufs, et des Japonais ultramodernes. Le terrassement se fait par ordinateurs, GPS et satellites, technique « qui n’est même pas encore utilisée en Europe ». Au baraquement principal, des chaussures, japonaises et algériennes, sont disposées à l’entrée. Ici, on se déchausse. Une jeune fille, jolie Annabie en pantoufles, explique que pour accrocher un responsable, il faut une autorisation d’Alger. On attendra. Comme ces chômeurs qui attendent devant la porte aux chaussures un entretien. Ce sont ceux qui ont été sélectionnés et doivent passer le dernier test. Mais où est l’autoroute ? « Là-bas, dans la montagne », explique un autre Japonais. C’est en suivant le tracé derrière la RN44 que l’on tombe sur un décapement important, à Ousfour, au lieu-dit N’cheyma, du nom d’une plante qui pousse toute seule. Toute la misère du monde se lit sur le visage de ces nouveaux expropriés. « Bien sûr, l’autoroute apportera des choses avec elle. » Mais sans travail, sans transport, les habitants sont pessimistes. Ils montrent le tracé qui passe par leurs maisons. Quelques-uns ont été indemnisés, d’autres attendent. L’un d’eux avoue qu’il a arrêté les études de sa fille parce qu’il n’avait pas les moyens de lui acheter des chaussures. « Je ne peux pas l’envoyer en claquettes à l’école », lance-t-il. Non, l’autoroute ne réglera pas tous les problèmes.
Usine horizontale
Constantine. A hauteur de Aïn Smara, une stèle en forme de section d’autoroute trône à l’orée d’un chantier de Cojaal. Elle a été inaugurée par le président Bouteflika le 16 avril 2007. Des travaux de terrassement se poursuivent cahin-caha sous le regard de techniciens nippons. L’un d’eux échange quelques mots bafouillés avec Abdelghani, un ingénieur en travaux publics. Abdelghani travaille chez Raouabi, une entreprise privée de travaux publics domiciliée à Aïn El Bey, un marché qu’elle a décroché en sous-traitance pour Cojaal. « Nous assurons les travaux d’assainissement sur un tronçon de 27 km », dit-il en désignant un assemblage de buses fraîchement installées. Abdelghani compare l’autoroute qui se dessine à une « usine qui va générer beaucoup d’emplois en termes d’entretien, d’exploitation, de sécurisation et de services ». Il déplore toutefois quelques dysfonctionnements que détaillera le directeur général de Raouabi, Bouchelif Abdeldjalil. Ce dernier est à la base un financier. Il a investi dans le BTP et monté sa propre société qui compte aujourd’hui 32 employés. « Ce sont eux (les Japonais de Cojaal) qui m’ont contacté. Ils ont été épatés par notre CV. Nous avons toujours travaillé avec des entreprises étrangères et nous souhaitions étoffer notre expérience en nous frottant aux Japonais à travers le ‘‘chantier du siècle’’ comme on l’appelle », confie-t-il. Mais l’homme aussi bien que son équipe feront vite de déchanter : « Nous n’avons toujours pas reçu l’agrément de l’ANA (l’Agence nationale des autoroutes, ndlr) et c’est le cas de la majorité des sous-traitants. Nous travaillons dans le flou. Nous n’avons toujours pas les plans d’exécution. Nous sommes dans l’expectative depuis six mois et si la situation perdure, nous allons nous retirer du chantier », avertit le patron de Raouabi. Nous chevauchons de nouveau le tracé qui coule à travers les étendues dorées des Hauts-Plateaux en flirtant par endroits avec la RN5. Le tracé se déploie en contournant les agglomérations de Chelghoum Laïd, Tadjenanet (où se trouve une importante base Cojaal), Bir El Arche, El Eulma, Sétif, Bordj Bou Arréridj. Des portraits géants à l’effigie de Bouteflika ornent l’entrée des villes. Des pipes de gaz sont déplacés pour être au plus près de la nouvelle infrastructure. Des maisons cantonnières flambant neuf ponctuent la route çà et là en arborant la devise chère à Amar Ghoul : « Réaliser vite et bien. »
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