Berrnard Larrouturou, vous êtes depuis quelques mois directeur de l'innovation de Schneider Electric après avoir été directeur général du CNRS et PDG de l'Inria. La recherche privée vous paraît-elle être un univers très différent de la recherche publique ?
La grande différence est que la recherche, dans une entreprise, a pour objectif de développer des produits, des solutions, des services. On ne va pas se lancer dans un domaine juste pour faire avancer la science. La mission première qui m'est confiée chez Schneider Electric est que le groupe apporte dans les prochaines années des innovations radicales sur ses marchés.
Dans la recherche publique, certaines équipes ont une culture proche de celle de la recherche privée. D'autres n'ont jamais rencontré d'industriel, d'où parfois une certaine incompréhension. La recherche privée est très pluridisciplinaire. Chez Schneider, je suis frappé par la variété des sujets abordés : les matériaux, l'électricité, l'électromécanique, l'électronique et l'informatique. Ce qui suppose des recherches en physique, chimie, informatique, électromagnétisme, modélisation. Et, comme dans le public, on court le risque que spécialités soient trop cloisonnées.
Les chercheurs privés ont donc pour objectif de servir l'entreprise. Les chercheurs publics n'ont-ils pas pour objectif de servir la société ?
Si, mais il existe plusieurs façons de le faire ! Certains chercheurs sont motivés à la fois par l'idée d'être à la pointe de la connaissance, reconnus par des publications internationales, invités dans les meilleures conférences, mais aussi par l'envie que leur recherche soit utile au travers de collaborations industrielles, de brevets, de doctorants formés dans leur équipe et embauchés par les entreprises. Un bon nombre de chercheurs publics sont motivés par ces deux aspects. D'autres ont pour unique motivation de faire avancer la connaissance, sans application à moyen terme. Et c'est important aussi.
Il ne faut pas opposer recherche fondamentale et recherche appliquée. Cette diversité est une richesse. Les opposer c'est se tromper sur ce qu'est le monde moderne, c'est s'isoler intellectuellement. Se renvoyer les responsabilités entre labos publics et privés sur les faiblesses des relations entre les uns et les autres est stérile. Il y a quelques endroits en France, au Commissariat à l'énergie atomique (CEA), à l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria), où de très bons chercheurs, reconnus mondialement ont une vision positive des relations industrielles. Ils n'ont pas l'impression de se faire acheter. Ils font de la très bonne recherche tout en étant au contact d'entreprises dont les problématiques peuvent inspirer leurs thèmes de recherche, et qui peuvent offrir des débouchés intéressants aux docteurs qu'ils forment.
Pourquoi cette culture favorisant l'ouverture vers les entreprises est-elle répandue dans certains organismes de recherche mais pas du tout dans d'autres, comme dans certains labos du CNRS ?
Il est difficile de généraliser. Au CNRS, la proximité entre recherche fondamentale et industrie existe en informatique, en chimie, mais elle est difficile à mettre en oeuvre en anthropologie, archéologie ou dans certains domaines des mathématiques théoriques ou de la physique.
C'est souvent une question d'objectifs et de management. Les attentes de la société et des entreprises par rapport aux chercheurs ont évolué, mais, dans certains organismes de recherche publics, la faiblesse du management empêche de prendre cela en compte. Si l'Inria et le CEA sont plus avancés en matière de collaboration avec les entreprises, c'est parce que cela fait partie de leurs objectifs.
La médecine et la biologie ne sont-elles pas aussi des domaines de recherche qui pourraient établir davantage de relations avec les entreprises ?
Le domaine des sciences du vivant est le premier domaine de la recherche publique, avec plus de 40 % de l'effort en France, comme dans tous les autres grands pays. Certains sous-domaines, comme les biotechnologies, une partie de la biologie végétale ou d'autres encore, pourraient établir plus de relations avec des entreprises. Mais le tissu industriel est faible en France et en Europe dans ce domaine.
Si le tissu industriel est faible en France dans ces secteurs des sciences du vivant, iriez-vous jusqu'à dire qu'il est inutile de développer la recherche dans ce domaine ? Ou au contraire pensez-vous qu'en finançant des recherches, on peut provoquer la création d'entreprises innovantes ?
La recherche publique peut contribuer à développer un tissu d'entreprises innovantes. C'est le cas en informatique. En sciences du vivant, c'est plus difficile car les temps de développement sont plus longs et les besoins en capitaux plus importants, mais il faut progresser. La France peut choisir de rester présente dans un domaine pour conserver son expertise et sa capacité à former des spécialistes. Elle doit se poser ces questions stratégiques et les inscrire dans une perspective européenne. Contrairement aux Etats-Unis ou à la Chine, qui est en train de devenir la deuxième puissance scientifique mondiale, la France ne fait pas partie des très grands pays. Elle ne peut pas tout faire. Et puis, dans tous les cas, il est essentiel de s'interroger sur les débouchés des personnes que l'on forme dans la recherche publique.
Ces deux univers, celui de la recherche d'une part, et celui de l'emploi d'autre part, semblent déconnectés en France...
Ils ne sont pas assez liés, vous avez raison. Mais cela n'est pas propre à la recherche. Les universités françaises n'orientent pas leurs étudiants, elles ne sont pas assez responsabilisées quant à leur employabilité. Quand j'étais dans la recherche publique, je n'allais jamais visiter un laboratoire sans poser la question : "Où vont les docteurs que vous formez ?" J'acceptais que l'on me dise qu'il leur était difficile de trouver un emploi, mais je n'acceptais pas que l'on ne sache pas me répondre : cela voulait dire que les responsables de laboratoire se moquaient de ce que devenaient les jeunes docteurs !
La grande différence est que la recherche, dans une entreprise, a pour objectif de développer des produits, des solutions, des services. On ne va pas se lancer dans un domaine juste pour faire avancer la science. La mission première qui m'est confiée chez Schneider Electric est que le groupe apporte dans les prochaines années des innovations radicales sur ses marchés.
Dans la recherche publique, certaines équipes ont une culture proche de celle de la recherche privée. D'autres n'ont jamais rencontré d'industriel, d'où parfois une certaine incompréhension. La recherche privée est très pluridisciplinaire. Chez Schneider, je suis frappé par la variété des sujets abordés : les matériaux, l'électricité, l'électromécanique, l'électronique et l'informatique. Ce qui suppose des recherches en physique, chimie, informatique, électromagnétisme, modélisation. Et, comme dans le public, on court le risque que spécialités soient trop cloisonnées.
Les chercheurs privés ont donc pour objectif de servir l'entreprise. Les chercheurs publics n'ont-ils pas pour objectif de servir la société ?
Si, mais il existe plusieurs façons de le faire ! Certains chercheurs sont motivés à la fois par l'idée d'être à la pointe de la connaissance, reconnus par des publications internationales, invités dans les meilleures conférences, mais aussi par l'envie que leur recherche soit utile au travers de collaborations industrielles, de brevets, de doctorants formés dans leur équipe et embauchés par les entreprises. Un bon nombre de chercheurs publics sont motivés par ces deux aspects. D'autres ont pour unique motivation de faire avancer la connaissance, sans application à moyen terme. Et c'est important aussi.
Il ne faut pas opposer recherche fondamentale et recherche appliquée. Cette diversité est une richesse. Les opposer c'est se tromper sur ce qu'est le monde moderne, c'est s'isoler intellectuellement. Se renvoyer les responsabilités entre labos publics et privés sur les faiblesses des relations entre les uns et les autres est stérile. Il y a quelques endroits en France, au Commissariat à l'énergie atomique (CEA), à l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria), où de très bons chercheurs, reconnus mondialement ont une vision positive des relations industrielles. Ils n'ont pas l'impression de se faire acheter. Ils font de la très bonne recherche tout en étant au contact d'entreprises dont les problématiques peuvent inspirer leurs thèmes de recherche, et qui peuvent offrir des débouchés intéressants aux docteurs qu'ils forment.
Pourquoi cette culture favorisant l'ouverture vers les entreprises est-elle répandue dans certains organismes de recherche mais pas du tout dans d'autres, comme dans certains labos du CNRS ?
Il est difficile de généraliser. Au CNRS, la proximité entre recherche fondamentale et industrie existe en informatique, en chimie, mais elle est difficile à mettre en oeuvre en anthropologie, archéologie ou dans certains domaines des mathématiques théoriques ou de la physique.
C'est souvent une question d'objectifs et de management. Les attentes de la société et des entreprises par rapport aux chercheurs ont évolué, mais, dans certains organismes de recherche publics, la faiblesse du management empêche de prendre cela en compte. Si l'Inria et le CEA sont plus avancés en matière de collaboration avec les entreprises, c'est parce que cela fait partie de leurs objectifs.
La médecine et la biologie ne sont-elles pas aussi des domaines de recherche qui pourraient établir davantage de relations avec les entreprises ?
Le domaine des sciences du vivant est le premier domaine de la recherche publique, avec plus de 40 % de l'effort en France, comme dans tous les autres grands pays. Certains sous-domaines, comme les biotechnologies, une partie de la biologie végétale ou d'autres encore, pourraient établir plus de relations avec des entreprises. Mais le tissu industriel est faible en France et en Europe dans ce domaine.
Si le tissu industriel est faible en France dans ces secteurs des sciences du vivant, iriez-vous jusqu'à dire qu'il est inutile de développer la recherche dans ce domaine ? Ou au contraire pensez-vous qu'en finançant des recherches, on peut provoquer la création d'entreprises innovantes ?
La recherche publique peut contribuer à développer un tissu d'entreprises innovantes. C'est le cas en informatique. En sciences du vivant, c'est plus difficile car les temps de développement sont plus longs et les besoins en capitaux plus importants, mais il faut progresser. La France peut choisir de rester présente dans un domaine pour conserver son expertise et sa capacité à former des spécialistes. Elle doit se poser ces questions stratégiques et les inscrire dans une perspective européenne. Contrairement aux Etats-Unis ou à la Chine, qui est en train de devenir la deuxième puissance scientifique mondiale, la France ne fait pas partie des très grands pays. Elle ne peut pas tout faire. Et puis, dans tous les cas, il est essentiel de s'interroger sur les débouchés des personnes que l'on forme dans la recherche publique.
Ces deux univers, celui de la recherche d'une part, et celui de l'emploi d'autre part, semblent déconnectés en France...
Ils ne sont pas assez liés, vous avez raison. Mais cela n'est pas propre à la recherche. Les universités françaises n'orientent pas leurs étudiants, elles ne sont pas assez responsabilisées quant à leur employabilité. Quand j'étais dans la recherche publique, je n'allais jamais visiter un laboratoire sans poser la question : "Où vont les docteurs que vous formez ?" J'acceptais que l'on me dise qu'il leur était difficile de trouver un emploi, mais je n'acceptais pas que l'on ne sache pas me répondre : cela voulait dire que les responsables de laboratoire se moquaient de ce que devenaient les jeunes docteurs !
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