Fini le temps où la rente pétrolière soutenait à bout de bras une économie ankylosée. Alors que le prix du baril est au plus bas, c'est le moment de réformer. Et de miser, enfin, sur l'initiative privée.
À vue de nez, l’Algérie est en pleine forme. Les 4×4 qui sillonnent la capitale sont rutilants et englués dans des embouteillages monstres. Les grues, omniprésentes, s’activent, et pas seulement autour de la grande mosquée. La jeunesse dorée fait la fête et le commerce bourgeonne. Belle est la vie dans une ville belle et de plus en plus soignée.
Un doux mirage, car un petit vent de panique a commencé de souffler dans les allées du pouvoir. On espérait que l’Arabie saoudite, qui fait la pluie et le beau temps sur les marchés pétroliers, accepterait de réduire sa production pour faire remonter le prix du baril après une dégringolade de moitié en un an. Or Riyad s’est refusé à faire le moindre geste en ce sens, afin de conserver ses parts de marché.
Droguée à l’or noir
Le cours des hydrocarbures ne se redresse guère, et l’Algérie, droguée à l’or noir, voit ses caisses se vider à toute allure. Il ne reste plus beaucoup de temps avant la catastrophe et l’humiliation du recours à des prêts internationaux, synonyme de sacrifices douloureux pour une population aujourd’hui peu consciente du danger car habituée à vivre aux frais de l’État. Tirés de leurs chimères en sursaut comme naguère les Grecs, les Algériens pourraient alors se mettre dans une colère politiquement ravageuse.
Car un piège est en train de se refermer sur le pays. Le gaz et le pétrole assurent les deux tiers des rentrées budgétaires de l’État et représentent de 95 % à 98 % des exportations. Le recul du prix du baril, de 120 dollars il y a un an à quelque 60 dollars aujourd’hui, a donc mis à mal le Fonds de régulation des recettes (FRR), tombé de plus de 70 milliards de dollars fin 2013 à moins de 50 milliards fin 2014, mais aussi le budget de l’État, dont 70 % des dépenses de fonctionnement dépendent de la fiscalité pétrolière, et la balance commerciale (déficit de 6,38 milliards de dollars sur les cinq premiers mois de 2015).
Pour chaque dollar exporté, l’Algérie en importe 30
Recettes alternatives ? Zéro, l’Algérie ne fabriquant pas grand-chose. Selon le Forum des chefs d’entreprise (FCE), on recense 760 000 sociétés dans le pays, mais 300 000 ne produisent rien, ce qui veut dire qu’elles se consacrent au commerce, et plus particulièrement au commerce intérieur. Fabriquant surtout pour le marché national, hyperprotégé, l’industrie n’exporte quasiment rien.
Les statistiques sont cruelles. Pour chaque dollar exporté, l’Algérie en importe 30. Selon le ministère du Commerce, sur les 32 000 entreprises réputées commercer avec l’étranger, 450 seulement se disent exportatrices et moins de 160 exportent de façon régulière. Une anecdote qui en dit long sur l’impuissance industrielle et commerciale de l’Algérie : Amara Benyounès, ministre du Commerce, a reconnu que la valeur des exportations de dattes (39 millions de dollars) équivalait à celle des importations de moutarde et de mayonnaise…
Tout est subventionné : l’essence, l’électricité, le logement…
Et le tourisme ? Malgré un potentiel évident, il est inexistant : pas de capacités d’accueil abordables, pas de plages propres, pas de loisirs organisés. Non seulement les visiteurs étrangers ne viennent pas, mais les Algériens se ruent sur les plages et les hôtels de Tunisie, beaucoup moins chers et surtout de bonne tenue.
Face à ces recettes en chute libre, les dépenses publiques explosent. Tout est subventionné : l’essence, l’électricité, le logement, les transports, les emplois des jeunes, la farine, l’huile, le sucre, les engrais, les tracteurs… Cette manne représente 25 % du PIB, un taux extravagant car tout le monde a voulu « sa » part de baril et l’a obtenue.
« En 2011, le pouvoir a tout lâché, explique Ihsane el-Kadi, directeur du groupe de médias Maghreb émergent. Il a redistribué la rente pétrolière pour maintenir le statu quo politique et social. » Afin d’éviter un « printemps » algérien, il a augmenté les fonctionnaires, les médecins, les professeurs et toutes les professions qui ont manifesté dans la rue. Cette anesthésie par l’argent a réussi, mais elle a créé une formidable poussée de la consommation, qui, conjuguée à la chute des recettes, creuse aujourd’hui les déficits.
Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a tiré la sonnette d’alarme au mois de mai : si rien n’est fait, les réserves de change s’effondreront de 200 milliards de dollars il y a un an à 38 milliards en 2019 (avec un baril à 60 dollars), et la banqueroute se rapprochera. Sa recette pour « faire traverser au navire Algérie cette zone de turbulences » ? Augmenter la production d’hydrocarbures « coûte que coûte » et « engager la diversification de l’économie ». Mais dans les deux cas, qui se risquera à investir dans une économie pilotée à la godille, comme le prouvent certaines mesures prises de façon chaotique ?
Pour appuyer la toute nouvelle campagne « Consommons local », des mesures anti-importations décidées au petit bonheur ont par exemple mis la pagaille dans les arrivées de voitures (l’équivalent de 500 millions d’euros a été bloqué sur le port d’Alger), mais aussi dans l’activité d’entreprises algériennes privées de matières premières pour leurs fromages ou leurs yaourts notamment.
Ces aberrations ont provoqué de si vives protestations qu’un rétropédalage a atténué les situations les plus ubuesques, mais l’insécurité réglementaire qui en a résulté a traumatisé encore un peu plus les investisseurs étrangers, qui sont déjà en train de se dérober. « C’est compliqué de travailler en Algérie ! » soupire l’un d’eux. De fait, à quoi cela sert-il de bloquer sans distinction les importations quand il n’y a pas d’entreprise algérienne pour fournir certains produits de base, sinon à nourrir l’inflation, le secteur informel et la contrebande ?
Pas question d’« austérité », selon le nouveau ministre des Finances , mais plutôt de « rigueur »
« Nos gouvernants sont sincères quand ils parlent de diversifier l’économie, mais le peuvent-ils ? commente Hassen Khelifati, PDG d’Alliance Assurances. Ils font des choix illisibles pour la société comme pour les chefs d’entreprise. D’un côté, l’État a perdu la moitié de ses recettes pétrolières en six mois ; de l’autre, le gouvernement refuse de toucher aux subventions aux carburants. D’un côté, le pouvoir proclame que l’entreprise doit devenir le cœur de notre économie ; de l’autre, on assiste depuis huit ans à un retour du monopole de l’Administration dans l’activité économique. »
Le gouvernement est en train d’élaborer un budget rectificatif pour tenter de contenir l’hémorragie financière qui épuise son budget. Pas question d’« austérité », selon le nouveau ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa , mais plutôt de « rigueur ». Le texte devrait être un bel exercice de slalom entre le désir de redresser la barre et le maintien du principe « surtout pas de vagues ». Le gouvernement cherche tout à la fois à réduire un petit peu les subventions, augmenter les recettes fiscales, diminuer les importations, lutter contre le secteur informel et améliorer le sort peu enviable des entreprises privées : il fait donc dans la dentelle.
La suite....
À vue de nez, l’Algérie est en pleine forme. Les 4×4 qui sillonnent la capitale sont rutilants et englués dans des embouteillages monstres. Les grues, omniprésentes, s’activent, et pas seulement autour de la grande mosquée. La jeunesse dorée fait la fête et le commerce bourgeonne. Belle est la vie dans une ville belle et de plus en plus soignée.
Un doux mirage, car un petit vent de panique a commencé de souffler dans les allées du pouvoir. On espérait que l’Arabie saoudite, qui fait la pluie et le beau temps sur les marchés pétroliers, accepterait de réduire sa production pour faire remonter le prix du baril après une dégringolade de moitié en un an. Or Riyad s’est refusé à faire le moindre geste en ce sens, afin de conserver ses parts de marché.
Droguée à l’or noir
Le cours des hydrocarbures ne se redresse guère, et l’Algérie, droguée à l’or noir, voit ses caisses se vider à toute allure. Il ne reste plus beaucoup de temps avant la catastrophe et l’humiliation du recours à des prêts internationaux, synonyme de sacrifices douloureux pour une population aujourd’hui peu consciente du danger car habituée à vivre aux frais de l’État. Tirés de leurs chimères en sursaut comme naguère les Grecs, les Algériens pourraient alors se mettre dans une colère politiquement ravageuse.
Car un piège est en train de se refermer sur le pays. Le gaz et le pétrole assurent les deux tiers des rentrées budgétaires de l’État et représentent de 95 % à 98 % des exportations. Le recul du prix du baril, de 120 dollars il y a un an à quelque 60 dollars aujourd’hui, a donc mis à mal le Fonds de régulation des recettes (FRR), tombé de plus de 70 milliards de dollars fin 2013 à moins de 50 milliards fin 2014, mais aussi le budget de l’État, dont 70 % des dépenses de fonctionnement dépendent de la fiscalité pétrolière, et la balance commerciale (déficit de 6,38 milliards de dollars sur les cinq premiers mois de 2015).
Pour chaque dollar exporté, l’Algérie en importe 30
Recettes alternatives ? Zéro, l’Algérie ne fabriquant pas grand-chose. Selon le Forum des chefs d’entreprise (FCE), on recense 760 000 sociétés dans le pays, mais 300 000 ne produisent rien, ce qui veut dire qu’elles se consacrent au commerce, et plus particulièrement au commerce intérieur. Fabriquant surtout pour le marché national, hyperprotégé, l’industrie n’exporte quasiment rien.
Les statistiques sont cruelles. Pour chaque dollar exporté, l’Algérie en importe 30. Selon le ministère du Commerce, sur les 32 000 entreprises réputées commercer avec l’étranger, 450 seulement se disent exportatrices et moins de 160 exportent de façon régulière. Une anecdote qui en dit long sur l’impuissance industrielle et commerciale de l’Algérie : Amara Benyounès, ministre du Commerce, a reconnu que la valeur des exportations de dattes (39 millions de dollars) équivalait à celle des importations de moutarde et de mayonnaise…
Tout est subventionné : l’essence, l’électricité, le logement…
Et le tourisme ? Malgré un potentiel évident, il est inexistant : pas de capacités d’accueil abordables, pas de plages propres, pas de loisirs organisés. Non seulement les visiteurs étrangers ne viennent pas, mais les Algériens se ruent sur les plages et les hôtels de Tunisie, beaucoup moins chers et surtout de bonne tenue.
Face à ces recettes en chute libre, les dépenses publiques explosent. Tout est subventionné : l’essence, l’électricité, le logement, les transports, les emplois des jeunes, la farine, l’huile, le sucre, les engrais, les tracteurs… Cette manne représente 25 % du PIB, un taux extravagant car tout le monde a voulu « sa » part de baril et l’a obtenue.
« En 2011, le pouvoir a tout lâché, explique Ihsane el-Kadi, directeur du groupe de médias Maghreb émergent. Il a redistribué la rente pétrolière pour maintenir le statu quo politique et social. » Afin d’éviter un « printemps » algérien, il a augmenté les fonctionnaires, les médecins, les professeurs et toutes les professions qui ont manifesté dans la rue. Cette anesthésie par l’argent a réussi, mais elle a créé une formidable poussée de la consommation, qui, conjuguée à la chute des recettes, creuse aujourd’hui les déficits.
Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a tiré la sonnette d’alarme au mois de mai : si rien n’est fait, les réserves de change s’effondreront de 200 milliards de dollars il y a un an à 38 milliards en 2019 (avec un baril à 60 dollars), et la banqueroute se rapprochera. Sa recette pour « faire traverser au navire Algérie cette zone de turbulences » ? Augmenter la production d’hydrocarbures « coûte que coûte » et « engager la diversification de l’économie ». Mais dans les deux cas, qui se risquera à investir dans une économie pilotée à la godille, comme le prouvent certaines mesures prises de façon chaotique ?
Pour appuyer la toute nouvelle campagne « Consommons local », des mesures anti-importations décidées au petit bonheur ont par exemple mis la pagaille dans les arrivées de voitures (l’équivalent de 500 millions d’euros a été bloqué sur le port d’Alger), mais aussi dans l’activité d’entreprises algériennes privées de matières premières pour leurs fromages ou leurs yaourts notamment.
Ces aberrations ont provoqué de si vives protestations qu’un rétropédalage a atténué les situations les plus ubuesques, mais l’insécurité réglementaire qui en a résulté a traumatisé encore un peu plus les investisseurs étrangers, qui sont déjà en train de se dérober. « C’est compliqué de travailler en Algérie ! » soupire l’un d’eux. De fait, à quoi cela sert-il de bloquer sans distinction les importations quand il n’y a pas d’entreprise algérienne pour fournir certains produits de base, sinon à nourrir l’inflation, le secteur informel et la contrebande ?
Pas question d’« austérité », selon le nouveau ministre des Finances , mais plutôt de « rigueur »
« Nos gouvernants sont sincères quand ils parlent de diversifier l’économie, mais le peuvent-ils ? commente Hassen Khelifati, PDG d’Alliance Assurances. Ils font des choix illisibles pour la société comme pour les chefs d’entreprise. D’un côté, l’État a perdu la moitié de ses recettes pétrolières en six mois ; de l’autre, le gouvernement refuse de toucher aux subventions aux carburants. D’un côté, le pouvoir proclame que l’entreprise doit devenir le cœur de notre économie ; de l’autre, on assiste depuis huit ans à un retour du monopole de l’Administration dans l’activité économique. »
Le gouvernement est en train d’élaborer un budget rectificatif pour tenter de contenir l’hémorragie financière qui épuise son budget. Pas question d’« austérité », selon le nouveau ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa , mais plutôt de « rigueur ». Le texte devrait être un bel exercice de slalom entre le désir de redresser la barre et le maintien du principe « surtout pas de vagues ». Le gouvernement cherche tout à la fois à réduire un petit peu les subventions, augmenter les recettes fiscales, diminuer les importations, lutter contre le secteur informel et améliorer le sort peu enviable des entreprises privées : il fait donc dans la dentelle.
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