Le cas grec a une valeur d’exemple. On ne peut pas fuir ses obligations, on ne peut pas être en défaut sur sa dette sans prix à payer et on ne peut quitter la zone euro sans douleur.
Les images provenant de la Grèce sont à arracher le cœur. On y voit des personnes âgées attendant, ahuries et bouleversées, devant des banques fermées, et donc incapables de retirer leur chèque de pension de vieillesse. Des stations-service n’ont plus d’essence, et il y a même des files devant les marchés et les pharmacies, car la population craint qu’il y ait pénurie de biens essentiels. Quand ça va mal…
Les banques sont fermées jusqu’au 6 juillet, car les banques grecques sont incapables de faire face à l’ampleur des retraits. Les Grecs ont retiré près d’un milliard d’euros des guichets automatiques en fin de semaine ; dorénavant, ils ne pourront retirer que 60 euros par jour. Quelque 850 succursales bancaires devraient être ouvertes pour distribuer les pensions aux retraités
Voilà donc les répercussions immédiates, sur la population, de la rupture des négociations entre le gouvernement grec et ses créanciers.
Cette rupture et l’annonce-surprise d’un référendum occasionnent d’autres contretemps. La Bourse d’Athènes est fermée et toutes les autres places boursières reculent fortement. Les devises, dont le dollar canadien, se replient aussi face au billet vert. Le prix du pétrole est également à la baisse. Enfin, des pays comme l’Italie et l’Espagne doivent payer plus cher pour se financer. On parle aujourd’hui d’un «tremblement de terre» ou, pire, d’un «bain de sang».
Mais comment en sommes-nous rendus là ?
Il y a deux niveaux d’interprétation.
Pour certains, «un groupuscule technocratique-banquier non élu» a décidé de mener la vie dure à un gouvernement élu. Vous aurez reconnu dans ce camp les autres pays membres de la zone euro, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI).
«Les créanciers auraient même une responsabilité criminelle», selon l’économiste et prix Nobel Joseph Stiglitz. Les mesures d’austérité qu’ils exigent ont déjà ruiné la Grèce, et il faudrait effacer une partie de la dette grecque pour permettre à l’économie de reprendre son souffle et espérer que le pays puisse un jour honorer ses engagements.
C’est aussi la ligne défendue par le gouvernement grec d’Alexis Tsipras, qui a rompu brusquement les négociations et qui appelle le peuple grec à rejeter par référendum un accord qui n’était même pas encore ficelé.
Les pays européens ne l’entendent évidemment pas ainsi. Sur la forme, tous les gouvernements européens ont critiqué ce référendum improvisé (des négociateurs grecs l’auraient même appris sur Twitter) et la suspension des négociations, alors qu’on aurait été «à quelques centimètres d’un accord».
Sur le fond, le désaccord reste important.
Tout d’abord, il faudrait cesser d’opposer la Grèce à des entités strictement bureaucratiques, comme le FMI et la BCE. L’Allemagne (56,5 milliards) et la France (42,4 milliards) détiennent, directement ou indirectement, presque le tiers de la dette grecque — qui s’élève à 321 milliards d’euros.
Quand le ministre allemand des Finances dit aux Grecs qu’ils doivent mettre de l’ordre dans leurs affaires et rembourser leurs prêts, il parle au nom d’un gouvernement et d’une opinion publique qui en ont assez de ce cirque et qui n’acceptent pas de payer la facture à la place des Grecs. Il me semble qu’on fait fausse route en comparant la légitimité des uns et des autres.
On dit aussi que les Grecs n’ont rien reçu en échange des milliards empruntés, puisqu’il s’agissait essentiellement de rembourser les banques européennes vulnérables à un défaut grec. Cet argument porte moins, puisqu’à l’origine, ce sont des dettes contractées par les gouvernements grecs successifs pour pallier l’insuffisance de rentrées fiscales et des dépenses trop élevées en fonction des recettes. C’est sans compter les tricheries des particuliers qui ne déclarent pas leurs revenus et de l’État qui trafiquait ses comptes pour mieux paraître.
On peut accuser les autres pays européens de lâcheté à l’endroit de leur opinion publique, ou de dogmatisme en matière de finances publiques. Ce qui est vu comme de l’acharnement a peut-être une autre explication.
Le cas grec a en effet une valeur d’exemple. Le message est le suivant : on ne peut pas faire ce qu’on veut quand on partage la même monnaie, on ne peut pas fuir ses obligations, on ne peut pas être en défaut sur sa dette sans prix à payer et on ne peut quitter la zone euro sans douleur. Donner un passe-droit à la Grèce revient à donner le mode d’emploi à tout gouvernement porté par un message antiaustérité qui voudrait faire pareil.
Le précipice, c’est demain
Mardi soir, la Grèce n’aura pas un centime pour rembourser un prêt de 1,6 milliard d’euros provenant du Fonds monétaire international et se trouvera officiellement en défaut de paiement. Elle pourrait en être exclue d’ici deux ans et se priver de l’accès aux ressources financières de cet organisme, qui regroupe 188 États membres. La Grèce pourrait aussi être bannie de la zone euro si elle ne rembourse pas ses prêts aux institutions européennes.
Cette sortie de la zone euro sera au mieux chaotique, au pire infernale. D’abord, il n’y a pas de précédent. Comment fait-on, au juste, pour sortir de la zone euro ? L’idée serait de revenir à l’ancienne monnaie, la drachme. Il faudra imprimer de nouveaux billets de banque, puis opérer la conversion dans toutes les transactions électroniques et dans les comptes de banque.
Comment vaudra cette nouvelle drachme ? Un économiste de la banque RBS estime que la monnaie grecque perdra 50 % de sa valeur comparativement à l’euro. Les Grecs seront plus pauvres quand ils iront à l’étranger et dépenseront davantage pour leurs produits importés, mais cette nouvelle monnaie devrait rendre le pays meilleur marché pour les touristes, et les produits grecs plus concurrentiels.
Il s’agit peut-être là du meilleur scénario pour la Grèce, dont l’économie est laminée par des décennies de mauvaises gestion des comptes publics et des années d’austérité.
Le référendum cristallisera l’opinion. Si les Grecs votent OUI, ce sera un vote pour l’euro et pour l’Europe. C’est ce que disent l’un après l’autre les leaders européens. Voter NON, c’est s’opposer aux mesures d’austérité imposées par les partenaires européens et décider de faire bande à part.
Dans les deux cas, le prix est élevé.
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Les images provenant de la Grèce sont à arracher le cœur. On y voit des personnes âgées attendant, ahuries et bouleversées, devant des banques fermées, et donc incapables de retirer leur chèque de pension de vieillesse. Des stations-service n’ont plus d’essence, et il y a même des files devant les marchés et les pharmacies, car la population craint qu’il y ait pénurie de biens essentiels. Quand ça va mal…
Les banques sont fermées jusqu’au 6 juillet, car les banques grecques sont incapables de faire face à l’ampleur des retraits. Les Grecs ont retiré près d’un milliard d’euros des guichets automatiques en fin de semaine ; dorénavant, ils ne pourront retirer que 60 euros par jour. Quelque 850 succursales bancaires devraient être ouvertes pour distribuer les pensions aux retraités
Voilà donc les répercussions immédiates, sur la population, de la rupture des négociations entre le gouvernement grec et ses créanciers.
Cette rupture et l’annonce-surprise d’un référendum occasionnent d’autres contretemps. La Bourse d’Athènes est fermée et toutes les autres places boursières reculent fortement. Les devises, dont le dollar canadien, se replient aussi face au billet vert. Le prix du pétrole est également à la baisse. Enfin, des pays comme l’Italie et l’Espagne doivent payer plus cher pour se financer. On parle aujourd’hui d’un «tremblement de terre» ou, pire, d’un «bain de sang».
Mais comment en sommes-nous rendus là ?
Il y a deux niveaux d’interprétation.
Pour certains, «un groupuscule technocratique-banquier non élu» a décidé de mener la vie dure à un gouvernement élu. Vous aurez reconnu dans ce camp les autres pays membres de la zone euro, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI).
«Les créanciers auraient même une responsabilité criminelle», selon l’économiste et prix Nobel Joseph Stiglitz. Les mesures d’austérité qu’ils exigent ont déjà ruiné la Grèce, et il faudrait effacer une partie de la dette grecque pour permettre à l’économie de reprendre son souffle et espérer que le pays puisse un jour honorer ses engagements.
C’est aussi la ligne défendue par le gouvernement grec d’Alexis Tsipras, qui a rompu brusquement les négociations et qui appelle le peuple grec à rejeter par référendum un accord qui n’était même pas encore ficelé.
Les pays européens ne l’entendent évidemment pas ainsi. Sur la forme, tous les gouvernements européens ont critiqué ce référendum improvisé (des négociateurs grecs l’auraient même appris sur Twitter) et la suspension des négociations, alors qu’on aurait été «à quelques centimètres d’un accord».
Sur le fond, le désaccord reste important.
Tout d’abord, il faudrait cesser d’opposer la Grèce à des entités strictement bureaucratiques, comme le FMI et la BCE. L’Allemagne (56,5 milliards) et la France (42,4 milliards) détiennent, directement ou indirectement, presque le tiers de la dette grecque — qui s’élève à 321 milliards d’euros.
Quand le ministre allemand des Finances dit aux Grecs qu’ils doivent mettre de l’ordre dans leurs affaires et rembourser leurs prêts, il parle au nom d’un gouvernement et d’une opinion publique qui en ont assez de ce cirque et qui n’acceptent pas de payer la facture à la place des Grecs. Il me semble qu’on fait fausse route en comparant la légitimité des uns et des autres.
On dit aussi que les Grecs n’ont rien reçu en échange des milliards empruntés, puisqu’il s’agissait essentiellement de rembourser les banques européennes vulnérables à un défaut grec. Cet argument porte moins, puisqu’à l’origine, ce sont des dettes contractées par les gouvernements grecs successifs pour pallier l’insuffisance de rentrées fiscales et des dépenses trop élevées en fonction des recettes. C’est sans compter les tricheries des particuliers qui ne déclarent pas leurs revenus et de l’État qui trafiquait ses comptes pour mieux paraître.
On peut accuser les autres pays européens de lâcheté à l’endroit de leur opinion publique, ou de dogmatisme en matière de finances publiques. Ce qui est vu comme de l’acharnement a peut-être une autre explication.
Le cas grec a en effet une valeur d’exemple. Le message est le suivant : on ne peut pas faire ce qu’on veut quand on partage la même monnaie, on ne peut pas fuir ses obligations, on ne peut pas être en défaut sur sa dette sans prix à payer et on ne peut quitter la zone euro sans douleur. Donner un passe-droit à la Grèce revient à donner le mode d’emploi à tout gouvernement porté par un message antiaustérité qui voudrait faire pareil.
Le précipice, c’est demain
Mardi soir, la Grèce n’aura pas un centime pour rembourser un prêt de 1,6 milliard d’euros provenant du Fonds monétaire international et se trouvera officiellement en défaut de paiement. Elle pourrait en être exclue d’ici deux ans et se priver de l’accès aux ressources financières de cet organisme, qui regroupe 188 États membres. La Grèce pourrait aussi être bannie de la zone euro si elle ne rembourse pas ses prêts aux institutions européennes.
Cette sortie de la zone euro sera au mieux chaotique, au pire infernale. D’abord, il n’y a pas de précédent. Comment fait-on, au juste, pour sortir de la zone euro ? L’idée serait de revenir à l’ancienne monnaie, la drachme. Il faudra imprimer de nouveaux billets de banque, puis opérer la conversion dans toutes les transactions électroniques et dans les comptes de banque.
Comment vaudra cette nouvelle drachme ? Un économiste de la banque RBS estime que la monnaie grecque perdra 50 % de sa valeur comparativement à l’euro. Les Grecs seront plus pauvres quand ils iront à l’étranger et dépenseront davantage pour leurs produits importés, mais cette nouvelle monnaie devrait rendre le pays meilleur marché pour les touristes, et les produits grecs plus concurrentiels.
Il s’agit peut-être là du meilleur scénario pour la Grèce, dont l’économie est laminée par des décennies de mauvaises gestion des comptes publics et des années d’austérité.
Le référendum cristallisera l’opinion. Si les Grecs votent OUI, ce sera un vote pour l’euro et pour l’Europe. C’est ce que disent l’un après l’autre les leaders européens. Voter NON, c’est s’opposer aux mesures d’austérité imposées par les partenaires européens et décider de faire bande à part.
Dans les deux cas, le prix est élevé.
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