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L’impact de l’ouverture à l’est sur les flux migratoires : les politiques migratoires en crise

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  • L’impact de l’ouverture à l’est sur les flux migratoires : les politiques migratoires en crise

    L’année 1989 et la chute du mur de Berlin, loin de provoquer l’invasion d’est en ouest annoncée, a induit une migration lente et continue et de nouveaux profils de migrants : des migrants « à la valise », faux touristes et vrais commerçants faisant des allers retours à travers les frontières désormais entr’ouvertes, des migrants ethniques cherchant à se réinstaller dans des territoires occupés jadis par leurs ancêtres, des réfugiés, des élites diplômées et des travailleurs manuels venus tenter leur chance pour grossir leurs salaires.

    Mais le grand bouleversement provoqué par la chute du bloc communiste - qui a aussi mis en mouvement une importante population chinoise, souvent clandestine et provoqué une intense mobilité entre le monde russe et ses anciennes républiques musulmanes - se situe moins en 1989 qu’en 1991. Une migration circulation s’est imposée comme nouveau mode de vie quand les accords de Visegrad (1991) ont instauré la liberté de circulation vers l’ouest pour les ressortissants de Pologne, de République tchèque, de Slovaquie et de Hongrie, préfigurant leur entrée dans l’Union européenne. Plus les frontières se sont ouvertes, plus les migrants ont circulé et moins ils se sont sédentarisés, déjouant ainsi les schémas selon lesquels tout immigré chercherait à s’installer définitivement dans son pays d’accueil.

    Seuls les migrants « ethniques » (se définissant par rapport à une identité ethnique, culturelle ou religieuse) se sont sédentarisés, devenant souvent de nouveaux citoyens. De tous les pays, c’est l’Allemagne qui, de loin, a accueilli le plus de migrants de l’est : quelques deux millions d’Aussiedler, des Allemands ethniques installés depuis parfois plus de trois siècles en Russie, dans les Etats baltes et en Ukraine pour l’essentiel qui ont accédé à la nationalité allemande grâce au droit du sang en vigueur jusqu’en 1999 ; d’autres désenchevêtrements ethniques ont eu lieu, comme le retour vers les pays de leurs ancêtres, en Hongrie des Hongrois de Transylvanie ce territoire étant devenu roumain après la première guerre mondiale, ou les Finnois de Carélie, devenus Russes après 1945, revenus en Finlande (450 000 depuis 1945) ou un demi-million de Bulgares d’origine turque partis en Turquie ou encore les Grecs dits pontiques venus en Grèce depuis 1989.

    Toujours en Allemagne, les demandeurs d’asile (kurdes, ressortissants de l’ex-Yougoslavie, mais aussi originaires du Moyen Orient) profitant d’un droit d’asile très ouvert jusqu’en 1993, ont atteint un « pic » en 1992 (438 000, soit 20 fois plus qu’en France ou au Royaume uni la même année), des « touristes » venus de l’est se sont improvisés travailleurs frontaliers dans le bâtiment, des « commerçants » vendant le contenu de leur valise sont venus acquérir des devises sur les marchés de Berlin ou de Vienne avant que ces marchés ne se déplacent le long d’autres nouvelles frontières : germano-polonaise ou polono-russe (Kaliningrad). Un autre grand départ a été l’installation de la diaspora juive de Russie en Israël, mouvement si massif qu’il a fait basculer l’équilibre ethno-culturel du pays en faveur des Ashkénazes, devenus une puissante force électorale.

    L’année 1989 s’est aussi soldée par un afflux de réfugiés, provenant de pays se trouvant dans la mouvance soviétique, mais aussi des réfugiés de Chine . Ainsi, avant l’application de la clause de cessation, les Roumains ont pu se prévaloir de la dictature de Nicolae Ceausescu pour demander l’asile. Au milieu des années 1990, ils formaient en France la première nationalité de demandeurs avec les Chinois. Les Algériens ont à leur tour commencé à venir en Europe comme demandeurs d’asile, notamment à la suite de la vague terroriste et de la grande crise politique des années 1995. La perte de légitimité des régimes de pays « frères » et l’épuisement de la manne soviétique a également accéléré d’autres exodes de ressortissants du Tiers Monde (Cuba), provoquant une grave crise de l’asile dans les pays d’Europe de l’ouest.

    Le profil type des demandeurs n’était plus comme au temps de la convention de Genève adoptée pendant la guerre froide (1951), le dissident soviétique éloigné sociologiquement du travailleur étranger, mais un candidat à l’exil dont les motivations politiques se mêlaient dès 1989 à des raisons économiques. Ce brouillage des catégories de migrants, qui donne aux administrations l’impression d’avoir affaire à de faux touristes, faux réfugiés, faux époux, faux étudiants a joué en défaveur du respect des droits fondamentaux, notamment du droit d’asile et du droit au regroupement familial.

    L’autre choc après le départ des migrants dits ethniques et des réfugiés provoqué par l’ouverture du rideau de fera été l’entrée en mobilité de populations jusque là maintenues à l’intérieur des frontières des Etats, comme les Roms. Leur nombre, évalué à 12 millions en Europe, varie selon les estimations des pays de départ et des associations.

    Ils forment 10% de la population de la Roumanie (deux millions), de la Bulgarie (750 000), et entre 5 et 10% en Slovaquie, en République tchèque, en Hongrie et dans les pays de l’ex-Yougoslavie. Visibles mais peu nombreux - comme les paysans roumains, leurs compatriotes devenus travailleurs saisonniers improvisés à l’ouest mais légaux en Israël - ils se sont installés dans la mobilité entre deux espaces, ici et « là-bas », défiant les législations restrictives européennes sur les flux migratoires (à l’image du Système d’information Schengen qui enregistre les déboutés du droit d’asile et les sans papiers).

    Outre l’installation dans la mobilité ne débouchant pas sur une installation définitive des migrants de l’est l’autre enseignement de la chute du mur de Berlin a été le profit tiré en Europe de l’ouest, aux Etats-Unis et au Canada, de cette poussée migratoire: exode des cerveaux et des qualifiés vers les Etats-Unis dès les premières années qui ont suivi l’effondrement de l’URSS, attrait des pays européens pour ces migrants acceptant de bas salaires en raison de leur interdiction de travailler, bien scolarisés et souvent surqualifiés. Le paysage migratoire s’est alors diversifié : Albanais arrivés par bateaux entiers depuis 1991 en Italie du sud et en Grèce puis travaillant dans l’agriculture et le bâtiment, badanti (gardes) polonaises, roumaines, ukrainiennes venues s’occuper des enfants et des personnes âgées en Italie au risque de provoquer un care drain (pénuries dans les professions sociales et médicales) dans leur propre pays mais entretenant de forts liens avec leurs régions d’origine, agriculteurs et personnels du tourisme ukrainiens et roumains en Espagne et au Portugal, ouvriers polonais bientôt rejoints par leurs femmes au Royaume Uni et en Irlande dès l’ouverture de ces pays au marché du travail salarié aux nouveaux entrants dans l’Union européenne, en 2004.

    Certains pays, comme la France, ont essayé de tirer partie de la période transitoire entre la liberté de circulation de 1991 (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) et 2001 (Bulgarie et Roumanie) et l’accès au marché du travail échelonné entre 2004 et 2011 selon les pays d’accueil européens en leur ouvrant progressivement les emplois dits « en tension », c’est-à-dire pour lesquels il y a des pénuries structurelles ou conjoncturelles de main d’œuvre

    Partout, l’ouverture à l’est a introduit une nouvelle forme de mobilité, la circulation migratoire, d’autant plus fluide que les nouveaux migrants pouvaient librement faire des allers et retours sans risquer la clandestinité et avaient un espoir d’amélioration de la situation politico-économique dans leur pays d’origine. Le potentiel démographique limité offert par ces nouveaux migrants, compte tenu du profil vieillissant de la nouvelle Europe et de la petite taille de la population des pays de départ (à peine dix millions d’habitants pour la plupart, à l’exception de la Pologne, 38 millions et de la Roumanie, 22 millions) présentait peu de chances d’« invasion ».

    Plus à l’est, les difficultés persistantes de sortie du territoire de la Russie pour le plus grand nombre et les facilités de circulation avec les pays de l’ancienne mouvance soviétique (exemption de visas) créent des migrations centripètes et centrifuges entre la CEI et les nouveaux Etats indépendants. La crise économique a ralenti les flux d’est en ouest, notamment chez les moins qualifiés sans toutefois les tarir. Seuls les Polonais, partis nombreux en Europe de l'ouest, permettent de mesurer les effets de la crise qui s'est soldée chez eux par un retour des moins qualifiés.

    Catherine Wihtol de Wenden (CNRS, CERI)
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin
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