Il y a 50 ans, Sonatrach fut créée par une poignée de jeunes cadres, dont vous faites partie. Parlez-nous de ces premiers moments dans la vie de l’entreprise qui allait devenir le seul pilier solide du pays…

Sid Ahmed Ghozali. Ancien chef de gouvernement et ancien Pdg de Sonatrach : On ne peut comprendre Sonatrach sans en référer à l’histoire : 1962 a marqué la fin d’une colonisation qui a duré 132 années. Les négociations d’Evian n’ont pu aboutir le 19 mars au cessez-le-feu qu’à partir du moment où la France a reconnu officiellement l’intégrité du territoire national. La guerre d’Algérie aura duré deux ans de plus à cause de l’intention de l’administration française de diviser l’Algérie. Elle est allée au-delà de la théorie, sur le terrain, où l’on a vu la création de l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) en 1957. C’est dire qu’il y avait déjà une préfiguration d’une future partition de l’Algérie. Et les Algériens, sur ce plan-là, étaient extrêmement nets et catégoriques. Ils ont bloqué toute négociation jusqu’au jour où le général de Gaulle, en septembre 1961, a dit : «Evidemment, les négociations porteront sur tout le territoire.» Cette jeunesse que vous évoquez a hérité d’une Algérie menacée par le chaos depuis le Gouvernement provisoire, compsé, entre autres, de Belaïd Abdesselam (désigné au départ pour le poste de maintien de l’ordre, pour être ensuite reversé dans le département économique), qui allait être le premier PDG de Sonatrach. C’est à ce moment que l’OAS, par sa politique de terre brûlée, sévissait dans tout le pays. Pour l’anecdote, Belaïd Abdeslam était chargé, durant cette période, du maintien de l’ordre. Et, moi-même, à l’indépendance, c’est par l’Exécutif provisoire que j’ai été désigné directeur de l’administration centrale de l’énergie et des carburants. A l’indépendance, nous étions à peine une trentaine d’ingénieurs.
Mes études ne me prédestinaient point au secteur pétrolier, dont j’ignorais tout à l’époque. Mais nous n’avions pas le choix, car nous avions une multitude de défis à relever. Le plus important est que nous étions appelés à donner un contenu concret à la souveraineté recouvrée. Cependant, le jeune responsable de l’administration pétrolière que j’ai été, je me suis rendu compte que je n’étais souverain que dans mon bureau. Sur les champs pétroliers, j’étais plutôt étranger. L’Algérie, peuple, gouvernement et pouvoir politique confondus, n’était pas en réalité souveraine quant à ses richesses. Ce sont les entreprises françaises qui étaient concessionnaires et qui exploitaient nos gisements, laissant une sorte de pourboire fiscal aux Algériens.
- La création de Sonatrach allait-elle changer l’ordre qui était établi et permettre, par la même, au pays de recouvrer sa souveraineté sur ses richesses ?
Nous avons donc su très tôt que tant que nous ne saurions pas faire sur les sites industriels ce que faisaient les entreprises françaises, nous ne serions jamais réellement souverains et que donc le profit de nos richesses irait ailleurs. D’où la fondation d’une entreprise missionnaire que fut Sonatrach. Mais avant Sonatrach, il y a eu un premier acte qui était le Centre africain des hydrocarbures et du textile, qui deviendra plus tard l’Institut national des hydrocarbures. Il est symbolique que la première pierre posée par un chef d’Etat de l’Algérie indépendante était en liaison avec la formation des hommes. Il fallait commencer à former les Algériens à même de prendre le contrôle des richesses. Sonatrach n’était en fait qu’un outil, dont le but déclaré était d’aller vers la nationalisation des hydrocarbures qui étaient un acte éminent de développement et non point un geste idéologique.
- Faut-il admettre cette idée qu’avec la création de Sonatrach, il y avait déjà une stratégie pétrolière réfléchie ?
Oui à votre question, mais vous pouvez ne pas le prendre pour argent comptant. Il y avait des écrits, cette stratégie a été écrite dès le lendemain de l’indépendance. Il est vrai que Sonatrach était la Société nationale de transport et de commercialisation des hydrocarbures, mais cela répondait à la conjoncture de l’époque. Les Accords d’Evian avaient consolidé tous les acquis des sociétés françaises, mais le GPRA s’intéressait à juste titre à la seule question de l’intégrité du territoire. C’était un but vital. D’ailleurs, le fait que le GPRA ait fait des concessions sur les hydrocarbures n’a pas empêché la remise en cause des acquis des sociétés étrangères dès l’indépendance recouvrée, jusque y compris les nationalisations plus tard. Tous les projets des sociétés françaises, dont le pipeline devant relier Haoud El Hamra et Arzew (appelé le «3e pipe»), étaient soumis à l’autorisation de l’administration pétrolière algérienne. Nous avons mis cette opportunité sous le coude et nous avons notifié aux sociétés françaises que cet oléoduc nous allons le construire nous-mêmes. Née d’apparence sur la seule base de ce projet, mais d’apparence seulement comme allait le montrer la suite de son parcours, Sonatrach était destinée en fait à toute la chaîne d’activité pétrolière. Belaïd Abdesselam fut son premier président de janvier 1964 à octobre 1965, date à laquelle il m’a installé pour lui succéder. Je l’ai quittée 13 ans et demi plus tard, au lendemain de la mort de Boumediène.
Il faisait le tour du monde avec quelques cadres pour expliquer aux partenaires étrangers des sociétés françaises, qu’à partir de ce moment-là, nous étions leurs seuls interlocuteurs. Et c’est ainsi que nous avons créé les conditions d’une renégociation des Accords d’Evian qui a conduit aux accords du 17 juillet 1965 et, plus tard, aux nationalisations des hydrocarbures en 1971.

Sid Ahmed Ghozali. Ancien chef de gouvernement et ancien Pdg de Sonatrach : On ne peut comprendre Sonatrach sans en référer à l’histoire : 1962 a marqué la fin d’une colonisation qui a duré 132 années. Les négociations d’Evian n’ont pu aboutir le 19 mars au cessez-le-feu qu’à partir du moment où la France a reconnu officiellement l’intégrité du territoire national. La guerre d’Algérie aura duré deux ans de plus à cause de l’intention de l’administration française de diviser l’Algérie. Elle est allée au-delà de la théorie, sur le terrain, où l’on a vu la création de l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) en 1957. C’est dire qu’il y avait déjà une préfiguration d’une future partition de l’Algérie. Et les Algériens, sur ce plan-là, étaient extrêmement nets et catégoriques. Ils ont bloqué toute négociation jusqu’au jour où le général de Gaulle, en septembre 1961, a dit : «Evidemment, les négociations porteront sur tout le territoire.» Cette jeunesse que vous évoquez a hérité d’une Algérie menacée par le chaos depuis le Gouvernement provisoire, compsé, entre autres, de Belaïd Abdesselam (désigné au départ pour le poste de maintien de l’ordre, pour être ensuite reversé dans le département économique), qui allait être le premier PDG de Sonatrach. C’est à ce moment que l’OAS, par sa politique de terre brûlée, sévissait dans tout le pays. Pour l’anecdote, Belaïd Abdeslam était chargé, durant cette période, du maintien de l’ordre. Et, moi-même, à l’indépendance, c’est par l’Exécutif provisoire que j’ai été désigné directeur de l’administration centrale de l’énergie et des carburants. A l’indépendance, nous étions à peine une trentaine d’ingénieurs.
Mes études ne me prédestinaient point au secteur pétrolier, dont j’ignorais tout à l’époque. Mais nous n’avions pas le choix, car nous avions une multitude de défis à relever. Le plus important est que nous étions appelés à donner un contenu concret à la souveraineté recouvrée. Cependant, le jeune responsable de l’administration pétrolière que j’ai été, je me suis rendu compte que je n’étais souverain que dans mon bureau. Sur les champs pétroliers, j’étais plutôt étranger. L’Algérie, peuple, gouvernement et pouvoir politique confondus, n’était pas en réalité souveraine quant à ses richesses. Ce sont les entreprises françaises qui étaient concessionnaires et qui exploitaient nos gisements, laissant une sorte de pourboire fiscal aux Algériens.
- La création de Sonatrach allait-elle changer l’ordre qui était établi et permettre, par la même, au pays de recouvrer sa souveraineté sur ses richesses ?
Nous avons donc su très tôt que tant que nous ne saurions pas faire sur les sites industriels ce que faisaient les entreprises françaises, nous ne serions jamais réellement souverains et que donc le profit de nos richesses irait ailleurs. D’où la fondation d’une entreprise missionnaire que fut Sonatrach. Mais avant Sonatrach, il y a eu un premier acte qui était le Centre africain des hydrocarbures et du textile, qui deviendra plus tard l’Institut national des hydrocarbures. Il est symbolique que la première pierre posée par un chef d’Etat de l’Algérie indépendante était en liaison avec la formation des hommes. Il fallait commencer à former les Algériens à même de prendre le contrôle des richesses. Sonatrach n’était en fait qu’un outil, dont le but déclaré était d’aller vers la nationalisation des hydrocarbures qui étaient un acte éminent de développement et non point un geste idéologique.
- Faut-il admettre cette idée qu’avec la création de Sonatrach, il y avait déjà une stratégie pétrolière réfléchie ?
Oui à votre question, mais vous pouvez ne pas le prendre pour argent comptant. Il y avait des écrits, cette stratégie a été écrite dès le lendemain de l’indépendance. Il est vrai que Sonatrach était la Société nationale de transport et de commercialisation des hydrocarbures, mais cela répondait à la conjoncture de l’époque. Les Accords d’Evian avaient consolidé tous les acquis des sociétés françaises, mais le GPRA s’intéressait à juste titre à la seule question de l’intégrité du territoire. C’était un but vital. D’ailleurs, le fait que le GPRA ait fait des concessions sur les hydrocarbures n’a pas empêché la remise en cause des acquis des sociétés étrangères dès l’indépendance recouvrée, jusque y compris les nationalisations plus tard. Tous les projets des sociétés françaises, dont le pipeline devant relier Haoud El Hamra et Arzew (appelé le «3e pipe»), étaient soumis à l’autorisation de l’administration pétrolière algérienne. Nous avons mis cette opportunité sous le coude et nous avons notifié aux sociétés françaises que cet oléoduc nous allons le construire nous-mêmes. Née d’apparence sur la seule base de ce projet, mais d’apparence seulement comme allait le montrer la suite de son parcours, Sonatrach était destinée en fait à toute la chaîne d’activité pétrolière. Belaïd Abdesselam fut son premier président de janvier 1964 à octobre 1965, date à laquelle il m’a installé pour lui succéder. Je l’ai quittée 13 ans et demi plus tard, au lendemain de la mort de Boumediène.
Il faisait le tour du monde avec quelques cadres pour expliquer aux partenaires étrangers des sociétés françaises, qu’à partir de ce moment-là, nous étions leurs seuls interlocuteurs. Et c’est ainsi que nous avons créé les conditions d’une renégociation des Accords d’Evian qui a conduit aux accords du 17 juillet 1965 et, plus tard, aux nationalisations des hydrocarbures en 1971.
Commentaire