Préparons-nous à changer nos modes de vie
James Howard Kunstler
L’ère du pétrole abondant et bon marché va bientôt s’achever et notre vie va changer, brutalement et irrémédiablement.
Propos recueillis par Dominique Berns
Que l’on ait qualifié le pétrole d’or noir n’est pas un hasard. La disponibilité d’une énergie (apparemment) inépuisable et bon marché est à la base de notre société d’abondance. Mauvaise nouvelle : nous aurons bientôt consommé toutes les réserves d’énergies fossiles accumulées durant des millions d’années. La production mondiale de pétrole atteindra bientôt son pic. Ensuite, elle déclinera, tandis que la demande continuera à croître en raison de notre voracité pour l’énergie et du développement de nouvelles économies – au premier chef, la Chine et l’Inde.
Le prix du baril va grimper. Ça va faire mal, c’est sûr. Mais comme l’histoire l’a prouvé, l’ingéniosité de l’homme est presque sans limite et c’est tout au plus une question de temps (et d’argent investi dans la recherche et le développement) pour que nous disposions de substituts au pétrole et au gaz.
Demain, nous conduirons des voitures « propres » fonctionnant à l’hydrogène, nous ferons voler les avions avec du sucre de canne, nous brancherons nos systèmes d’air conditionné et nos réfrigérateurs sur des moulins à vent. En est-on sûr ? Ou bien, croyons-nous, comme Jiminy Cricket, qu’il suffit, pour que nos vœux se réalisent, de le vouloir très fort ? Entretien avec l’écrivain américain James H. Kunstler, dont l’essai The long Emergency, traduit en français sous le titre La fin du pétrole (Plon), sonne comme une mise en garde : l’ère du pétrole bon marché s’achève et la vie sera très, très différente de ce que nous connaissons.
Le pétrole, et plus généralement les énergies fossiles, ont bouleversé le mode de vie des hommes. Beaucoup d’objets d’usage quotidien, dont nous n’imaginons même pas qu’on ait pu vivre sans eux, sont fabriqués au départ d’énergies fossiles, ou grâce à celles-ci …
Oh oui, tout, du plastique de nos téléphones, aux médicaments que nous avalons pour nous endormir, de la peinture de nos maisons aux vêtements que nous portons et à la nourriture que nous ingérons… Notre dépendance vis-à-vis du pétrole et du gaz naturel pour les bienfaits et les agréments de la vie quotidienne est totale. Cela ne veut pas dire que l’homme ne pourrait pas inventer d’autres manières de fabriquer un grand nombre de choses. Mais cela signifie qu’un épuisement rapide des réserves de gaz et de pétrole induire une discontinuité brutale dans ce que nous considérons comme une « vie normale ».
La mauvaise nouvelle, c’est que les géologues prévoient l’épuisement des ressources fossiles gazières et pétrolières. Mais nous aurions du pétrole jusqu’en 2040, du gaz jusqu’en 2100 et du charbon, peut-être pour trois siècles… C’est pourquoi la plupart des gens ont le sentiment que nous avons un peu le temps pour mettre au point des énergies de substitution.
C’est faux. Les systèmes complexes dont dépendent nos cultures avancées vont vaciller dés que nous auront atteint le pic de production. Et cela nous concerne dès aujourd’hui. 2040 est le point terminal, quant il ne restera absolument plus rien. Mais nous connaîtrons de grandes difficultés bien avant cette date. Le chiffre que vous avancez pour le gaz (méthane) n’est pas exact. Les dernière données suggèrent que les réserves mondiales de gaz naturel ont été grossièrement surestimées. La Russie semble avoir atteint son pic de production, à la grande surprise et à la stupéfaction de l’Europe, qui y voyait son principal fournisseur pour les décennies à venir. De même, les réserves américaines de charbon ont été mal évaluées : elles sont moindres qu’on le suppose généralement, et d’une qualité plus pauvre.
Il est donc plus que temps d’encourager les énergies alternatives. Mais, à l’inverse de nombreux experts, vous pensez que l’énergie solaire et éolienne, l’hydrogène et les biocarburants ne nous permettront de rencontrer qu’une faible part de nos besoins énergétiques. Pourquoi ?
Il est certain que nous utiliserons toutes les énergies alternatives que nous connaissons. Mais même ainsi, aucune combinaison ne nous permettra de faire fonctionner nos société avancées comme elles fonctionnent aujourd’hui, spécialement aux Etats-Unis où nous avons créé une situation extrême de dépendance à l’automobile. Par ailleurs, nous n’utiliserons pas les énergies alternatives comme le prétendent un grand nombre de commentateurs. Je ne crois pas, par exemple, que nous érigerons tous ces gigantesques champs d’éoliennes dont on nous parle ; je pense, au contraire, que l’énergie éolienne sera utilisée à l’échelle du ménage ou du voisinage. Et si l’enthousiasme est grand aujourd’hui pour les bio-carburants et l’éthanol, il faut savoir que c’est largement illusoire en termes d’échelle. Bien sûr, vous pouvez faire tourner des moteurs avec ces carburants, mais pas des millions de moteurs ! Et ces carburants exigent plus d’énergie pour être fabriqués qu’ils n’en rendent : en net, ils consomment de l’énergie ! C’est une erreur tragique que de réduire le problème énergétique à une seule question : « Comment allons-nous remplir le réservoir de nos bagnoles ? » De nombreuses activités humaines sont concernées ; et pour toutes ces activité, nous devrons trouver d’autres manières de faire. Pas seulement pour nos voitures personnelles.
James Howard Kunstler
L’ère du pétrole abondant et bon marché va bientôt s’achever et notre vie va changer, brutalement et irrémédiablement.
Propos recueillis par Dominique Berns
Que l’on ait qualifié le pétrole d’or noir n’est pas un hasard. La disponibilité d’une énergie (apparemment) inépuisable et bon marché est à la base de notre société d’abondance. Mauvaise nouvelle : nous aurons bientôt consommé toutes les réserves d’énergies fossiles accumulées durant des millions d’années. La production mondiale de pétrole atteindra bientôt son pic. Ensuite, elle déclinera, tandis que la demande continuera à croître en raison de notre voracité pour l’énergie et du développement de nouvelles économies – au premier chef, la Chine et l’Inde.
Le prix du baril va grimper. Ça va faire mal, c’est sûr. Mais comme l’histoire l’a prouvé, l’ingéniosité de l’homme est presque sans limite et c’est tout au plus une question de temps (et d’argent investi dans la recherche et le développement) pour que nous disposions de substituts au pétrole et au gaz.
Demain, nous conduirons des voitures « propres » fonctionnant à l’hydrogène, nous ferons voler les avions avec du sucre de canne, nous brancherons nos systèmes d’air conditionné et nos réfrigérateurs sur des moulins à vent. En est-on sûr ? Ou bien, croyons-nous, comme Jiminy Cricket, qu’il suffit, pour que nos vœux se réalisent, de le vouloir très fort ? Entretien avec l’écrivain américain James H. Kunstler, dont l’essai The long Emergency, traduit en français sous le titre La fin du pétrole (Plon), sonne comme une mise en garde : l’ère du pétrole bon marché s’achève et la vie sera très, très différente de ce que nous connaissons.
Le pétrole, et plus généralement les énergies fossiles, ont bouleversé le mode de vie des hommes. Beaucoup d’objets d’usage quotidien, dont nous n’imaginons même pas qu’on ait pu vivre sans eux, sont fabriqués au départ d’énergies fossiles, ou grâce à celles-ci …
Oh oui, tout, du plastique de nos téléphones, aux médicaments que nous avalons pour nous endormir, de la peinture de nos maisons aux vêtements que nous portons et à la nourriture que nous ingérons… Notre dépendance vis-à-vis du pétrole et du gaz naturel pour les bienfaits et les agréments de la vie quotidienne est totale. Cela ne veut pas dire que l’homme ne pourrait pas inventer d’autres manières de fabriquer un grand nombre de choses. Mais cela signifie qu’un épuisement rapide des réserves de gaz et de pétrole induire une discontinuité brutale dans ce que nous considérons comme une « vie normale ».
La mauvaise nouvelle, c’est que les géologues prévoient l’épuisement des ressources fossiles gazières et pétrolières. Mais nous aurions du pétrole jusqu’en 2040, du gaz jusqu’en 2100 et du charbon, peut-être pour trois siècles… C’est pourquoi la plupart des gens ont le sentiment que nous avons un peu le temps pour mettre au point des énergies de substitution.
C’est faux. Les systèmes complexes dont dépendent nos cultures avancées vont vaciller dés que nous auront atteint le pic de production. Et cela nous concerne dès aujourd’hui. 2040 est le point terminal, quant il ne restera absolument plus rien. Mais nous connaîtrons de grandes difficultés bien avant cette date. Le chiffre que vous avancez pour le gaz (méthane) n’est pas exact. Les dernière données suggèrent que les réserves mondiales de gaz naturel ont été grossièrement surestimées. La Russie semble avoir atteint son pic de production, à la grande surprise et à la stupéfaction de l’Europe, qui y voyait son principal fournisseur pour les décennies à venir. De même, les réserves américaines de charbon ont été mal évaluées : elles sont moindres qu’on le suppose généralement, et d’une qualité plus pauvre.
Il est donc plus que temps d’encourager les énergies alternatives. Mais, à l’inverse de nombreux experts, vous pensez que l’énergie solaire et éolienne, l’hydrogène et les biocarburants ne nous permettront de rencontrer qu’une faible part de nos besoins énergétiques. Pourquoi ?
Il est certain que nous utiliserons toutes les énergies alternatives que nous connaissons. Mais même ainsi, aucune combinaison ne nous permettra de faire fonctionner nos société avancées comme elles fonctionnent aujourd’hui, spécialement aux Etats-Unis où nous avons créé une situation extrême de dépendance à l’automobile. Par ailleurs, nous n’utiliserons pas les énergies alternatives comme le prétendent un grand nombre de commentateurs. Je ne crois pas, par exemple, que nous érigerons tous ces gigantesques champs d’éoliennes dont on nous parle ; je pense, au contraire, que l’énergie éolienne sera utilisée à l’échelle du ménage ou du voisinage. Et si l’enthousiasme est grand aujourd’hui pour les bio-carburants et l’éthanol, il faut savoir que c’est largement illusoire en termes d’échelle. Bien sûr, vous pouvez faire tourner des moteurs avec ces carburants, mais pas des millions de moteurs ! Et ces carburants exigent plus d’énergie pour être fabriqués qu’ils n’en rendent : en net, ils consomment de l’énergie ! C’est une erreur tragique que de réduire le problème énergétique à une seule question : « Comment allons-nous remplir le réservoir de nos bagnoles ? » De nombreuses activités humaines sont concernées ; et pour toutes ces activité, nous devrons trouver d’autres manières de faire. Pas seulement pour nos voitures personnelles.
Commentaire