Miriem Bensalah. La boss des boss sur le gril
Ses rapports avec Benkirane, sa perception de l’omniprésence de Mohammed VI dans le business, sa candidature unique à la CGEM, le bilan de sa première année à la tête de la confédération, son évaluation du climat des affaires…la très discrète présidente du patronat sort de sa réserve.
Le hasard du calendrier a voulu que Miriem Bensalah soit élue un 16 mai 2012, neuf ans après les attentats de Casablanca. Le patronat vivait à l’échelle de sa corporation son printemps arabe dans un contexte marqué par le 20 février, une nouvelle constitution et l’arrivée au pouvoir du PJD. Et il avait porté à sa tête une femme ! C’était une petite révolution pour ce syndicat de décideurs fondé en 1947. La CGEM était synchro avec la nouvelle loi fondamentale du royaume et, cerise sur le gâteau, faisait un pied de nez au nouveau gouvernement à dominante islamiste qui ne comprenait qu’une femme sur 31 membres.
La surprise du chef
Cependant, n’allons pas crier à l’exemplarité. Car l’arrivée à la tête de la CGEM de notre patronne nationale a un goût d’inachevé. Premier hic : elle était le seul candidat au poste, donc assurée de sa victoire. Miriem Bensalah répétait en cela un mode de suffrage habituel au sein de la confédération. Comme ses deux derniers prédécesseurs qui sont restés seuls en lice dans la dernière ligne droite, la fille aînée de Abdelkader Bensalah (un richissime businessman de l’Oriental), a gagné son titre de patronne des patrons sans vraiment livrer bataille. Cela lui a valu d’être considérée comme une candidate du sérail et proche des cercles du pouvoir. “Je suis une femme indépendante, membre d’un patronat indépendant. Et personne ne me téléguide”, se défend-elle. Mais il n’y a pas de fumée sans feu, lui rétorqueront certains. C’est que son accession à la tête de la CGEM est venue perturber les calculs du PJD. Abdelilah Benkirane devait et désirait avoir comme interlocuteur dans les milieux du business Mohamed Horani. Un type que le Chef du gouvernement avait à la bonne. Horani l’avait accompagné notamment lors de son premier voyage à Davos. Sauf que Horani, après s’être présenté à un second mandat, s’est désisté au dernier moment pour des “raisons personnelles”. Benkirane s’est donc retrouvé face à un représentant des patrons moins dans son “mood”. Une femme émancipée, moderne, n’ayant pas froid aux yeux, et qui lui donne bien du fil à retordre.
Patronne sans cigare
Ses clashs répétitifs avec Abdelilah Benkirane – pour ne citer que le récent boycott de la mission d’affaires turque arrivée dans les malles de Recep Tayyip Erdogan – la placent forcément dans la catégorie des opposants politiques au gouvernement pjdiste. Certains membres de la CGEM considèrent même qu’elle fait dans “l’anti-Benkiranisme” primaire. Elle, bien évidemment, s’en défend. Elle jure la main sur le cœur que ses relations avec le Chef du gouvernement sont excellentes, qu’il ne faut aucunement voir en ses critiques des positions politiques. “C’est plutôt une liberté d’expression”, assène-t-elle. Elle l’utilise à bon escient, ne versant pas dans le dénigrement, et aussi pas mal de fois en restant trop courtoise, diplomate, voire lisse quitte à verser dans le politiquement correct. Elle ne veut pas faire dans le populisme tout en revendiquant son côté populaire. “Je ne suis pas une bourgeoise qui gère un club de cigares”, lance-t-elle. “Derb Soltane, je le connais peut-être mieux que Mohamed Horani (son prédécesseur natif de ce quartier mythique de Casablanca, ndlr)”. Ce genre de répliques, il est très rare de voir la patronne de la CGEM les livrer au public. Elle, qui n’a accordé qu’une seule interview à la presse depuis son élection, accepte aujourd’hui de se confier à TelQuel. Parole à l’intéressée.
“Nous n’avons p as de visibilité”
Les patrons vous ont élue le 16 mai 2012 à la tête de la CGEM. Qu’est-ce qui vous a poussée à briguer ce poste ?
C’est le vent de changement qui souffle sur le pays. Nous avons eu une nouvelle constitution, un nouveau gouvernement. Me présenter à la présidence de la CGEM était ma façon de contribuer au changement. C’était un rendez-vous avec l’histoire. Nous avions besoin plus que jamais d’un patronat fort, moderne et militant. Je me suis donc portée au suffrage, avec un programme que j’ai défendu tout au long de ma campagne.
Comme vous étiez la seule candidate, vous ne vous sentez pas un peu mal élue ?
Bien au contraire, je suis très bien élue. Au départ, je n’étais pas l’unique candidate. Pendant quelques semaines, nous étions trois à mener campagne. Mais les deux autres candidats se sont retirés. Je vous avoue que cela m’a un peu gênée, et même contrariée. Je voulais qu’il y ait un débat d’idées, de programmes. J’ai même essayé de convaincre Mohamed Horani, le président sortant, de rester dans la course. Mais il a préféré se retirer. Cela ne m’a toutefois pas empêchée de continuer ma campagne, de défendre mon programme et mes idées.
On dit que pour être élu à ce poste, il faut avoir un signal, un feu vert du Palais… Avez-vous eu ce feu vert ?
Ceux qui veulent des signaux peuvent toujours les attendre. Il faut arrêter avec ces schémas du passé, ces préjugés. Baraka !
La CGEM est-elle indépendante ?
Elle l’est. On a aujourd’hui une nouvelle constitution. Nous avons un gouvernement élu librement, mais aussi une CGEM élue librement. Et l’une de ces libertés, c’est de ne recevoir aucune subvention publique, contrairement à d’autres. Je ne suis pas une petite télégraphiste.
Etre indépendant, c’est être contre le gouvernement ?
Pas du tout. Le gouvernement Benkirane est le premier gouvernement élu librement de l’histoire du pays. C’est un exécutif légitime qui émane de la volonté du peuple. Quand je dis que la CGEM est indépendante, c’est qu’elle a plus de marge d’expression.
Cette liberté d’expression n’existait pas avant vous ?
Elle est plus prononcée aujourd’hui. Nous n’hésitons jamais à porter les vraies questions socio-économiques sur la place publique. Et puis je ne suis pas d’une nature à m’autocensurer.
Une liberté d’expression qui vous permet aujourd’hui de prendre des positions politiques. Est-ce cela le rôle de la CGEM ?
Nous n’intervenons jamais dans la politique. Cela ne nous intéresse pas. Toutes nos positions sont à situer dans leur contexte.
Mais entre Benkirane et vous, ça n’a pas l’air d’être le grand amour, n’est-ce pas ?
J’ai d’excellentes relations avec le Chef du gouvernement. Nous nous entendons très bien. Et nous nous réunissons régulièrement dans le cadre de la plateforme commune que nous co-présidons. C’est d’ailleurs une expérience inédite dans le monde. Maintenant, la CGEM a un rôle à jouer, et ce quelle que soit la coloration politique du gouvernement. Ce qui explique les quelques points d’achoppement que nous avons sur des questions d’ordre économique. C’est là où nous intervenons. Et c’est là notre champ d’expression.
Votre premier clash avec le gouvernement a porté sur la fameuse taxe de solidarité sur les hauts revenus. Vous avez quand même créé une première en défendant les salariés…
Les salariés qui ont été touchés par cette taxe sont les cadres des PME. Et nous connaissons tous les conditions de vie de nos cadres. Une personne qui touche 30 000 dirhams par mois a un statut social à maintenir, elle doit payer beaucoup d’impôts mais ne bénéficie même pas des services publics comme l’éducation ou la santé. Et comme vous le dites, c’était l’un des points sur lesquels nous n’étions pas d’accord. Par exemple, nous n’étions pas contre la contribution de solidarité imposée aux entreprises qui font plus de 100 millions de dirhams de bénéfices. Nous avons même été plus audacieux en proposant que l’impôt sur les résultats de certaines entreprises soit réhaussé pour pouvoir abandonner la taxe sur les revenus. En plus, personne n’a de leçons à nous donner sur la solidarité.
Vous avez aussi boycotté la mission d’affaires menée par le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan. Ce n’était pas un coup porté sous la ceinture à Benkirane ?
Nous n’avons été conviés à participer à cet évènement que deux ou trois jours avant. Nous n’allions quand même pas participer à des rencontres que nous n’avons pas préparées, surtout quand il s’agit de sujets aussi cruciaux que les échanges commerciaux, les IDE, les accords de libre-échange…
Si le roi avait reçu Erdogan, auriez-vous réagi de la même manière ?Sa Majesté a offert un dîner protocolaire à Erdogan. Nous étions invités et trois de nos membres étaient présents. Mais s’il y avait eu une mission économique que nous n’avions pas travaillée, nous n’aurions pas participé non plus. Les schémas du passé, c’est quand on vous appelle à la dernière minute et que vous dites malgré tout “hchouma, il faut être présent”. Ces schémas, il faut les casser. D’ailleurs, à la demande du Chef du gouvernement et du Premier ministre turc, la CGEM travaille déjà sur une mission exclusive avec les trois patronats turcs pour une approche réfléchie dans l’intérêt des deux parties. C’est surtout cela la CGEM. Un travail qui s’inscrit dans la durée.
Ses rapports avec Benkirane, sa perception de l’omniprésence de Mohammed VI dans le business, sa candidature unique à la CGEM, le bilan de sa première année à la tête de la confédération, son évaluation du climat des affaires…la très discrète présidente du patronat sort de sa réserve.
Le hasard du calendrier a voulu que Miriem Bensalah soit élue un 16 mai 2012, neuf ans après les attentats de Casablanca. Le patronat vivait à l’échelle de sa corporation son printemps arabe dans un contexte marqué par le 20 février, une nouvelle constitution et l’arrivée au pouvoir du PJD. Et il avait porté à sa tête une femme ! C’était une petite révolution pour ce syndicat de décideurs fondé en 1947. La CGEM était synchro avec la nouvelle loi fondamentale du royaume et, cerise sur le gâteau, faisait un pied de nez au nouveau gouvernement à dominante islamiste qui ne comprenait qu’une femme sur 31 membres.
La surprise du chef
Cependant, n’allons pas crier à l’exemplarité. Car l’arrivée à la tête de la CGEM de notre patronne nationale a un goût d’inachevé. Premier hic : elle était le seul candidat au poste, donc assurée de sa victoire. Miriem Bensalah répétait en cela un mode de suffrage habituel au sein de la confédération. Comme ses deux derniers prédécesseurs qui sont restés seuls en lice dans la dernière ligne droite, la fille aînée de Abdelkader Bensalah (un richissime businessman de l’Oriental), a gagné son titre de patronne des patrons sans vraiment livrer bataille. Cela lui a valu d’être considérée comme une candidate du sérail et proche des cercles du pouvoir. “Je suis une femme indépendante, membre d’un patronat indépendant. Et personne ne me téléguide”, se défend-elle. Mais il n’y a pas de fumée sans feu, lui rétorqueront certains. C’est que son accession à la tête de la CGEM est venue perturber les calculs du PJD. Abdelilah Benkirane devait et désirait avoir comme interlocuteur dans les milieux du business Mohamed Horani. Un type que le Chef du gouvernement avait à la bonne. Horani l’avait accompagné notamment lors de son premier voyage à Davos. Sauf que Horani, après s’être présenté à un second mandat, s’est désisté au dernier moment pour des “raisons personnelles”. Benkirane s’est donc retrouvé face à un représentant des patrons moins dans son “mood”. Une femme émancipée, moderne, n’ayant pas froid aux yeux, et qui lui donne bien du fil à retordre.
Patronne sans cigare
Ses clashs répétitifs avec Abdelilah Benkirane – pour ne citer que le récent boycott de la mission d’affaires turque arrivée dans les malles de Recep Tayyip Erdogan – la placent forcément dans la catégorie des opposants politiques au gouvernement pjdiste. Certains membres de la CGEM considèrent même qu’elle fait dans “l’anti-Benkiranisme” primaire. Elle, bien évidemment, s’en défend. Elle jure la main sur le cœur que ses relations avec le Chef du gouvernement sont excellentes, qu’il ne faut aucunement voir en ses critiques des positions politiques. “C’est plutôt une liberté d’expression”, assène-t-elle. Elle l’utilise à bon escient, ne versant pas dans le dénigrement, et aussi pas mal de fois en restant trop courtoise, diplomate, voire lisse quitte à verser dans le politiquement correct. Elle ne veut pas faire dans le populisme tout en revendiquant son côté populaire. “Je ne suis pas une bourgeoise qui gère un club de cigares”, lance-t-elle. “Derb Soltane, je le connais peut-être mieux que Mohamed Horani (son prédécesseur natif de ce quartier mythique de Casablanca, ndlr)”. Ce genre de répliques, il est très rare de voir la patronne de la CGEM les livrer au public. Elle, qui n’a accordé qu’une seule interview à la presse depuis son élection, accepte aujourd’hui de se confier à TelQuel. Parole à l’intéressée.
“Nous n’avons p as de visibilité”
Les patrons vous ont élue le 16 mai 2012 à la tête de la CGEM. Qu’est-ce qui vous a poussée à briguer ce poste ?
C’est le vent de changement qui souffle sur le pays. Nous avons eu une nouvelle constitution, un nouveau gouvernement. Me présenter à la présidence de la CGEM était ma façon de contribuer au changement. C’était un rendez-vous avec l’histoire. Nous avions besoin plus que jamais d’un patronat fort, moderne et militant. Je me suis donc portée au suffrage, avec un programme que j’ai défendu tout au long de ma campagne.
Comme vous étiez la seule candidate, vous ne vous sentez pas un peu mal élue ?
Bien au contraire, je suis très bien élue. Au départ, je n’étais pas l’unique candidate. Pendant quelques semaines, nous étions trois à mener campagne. Mais les deux autres candidats se sont retirés. Je vous avoue que cela m’a un peu gênée, et même contrariée. Je voulais qu’il y ait un débat d’idées, de programmes. J’ai même essayé de convaincre Mohamed Horani, le président sortant, de rester dans la course. Mais il a préféré se retirer. Cela ne m’a toutefois pas empêchée de continuer ma campagne, de défendre mon programme et mes idées.
On dit que pour être élu à ce poste, il faut avoir un signal, un feu vert du Palais… Avez-vous eu ce feu vert ?
Ceux qui veulent des signaux peuvent toujours les attendre. Il faut arrêter avec ces schémas du passé, ces préjugés. Baraka !
La CGEM est-elle indépendante ?
Elle l’est. On a aujourd’hui une nouvelle constitution. Nous avons un gouvernement élu librement, mais aussi une CGEM élue librement. Et l’une de ces libertés, c’est de ne recevoir aucune subvention publique, contrairement à d’autres. Je ne suis pas une petite télégraphiste.
Etre indépendant, c’est être contre le gouvernement ?
Pas du tout. Le gouvernement Benkirane est le premier gouvernement élu librement de l’histoire du pays. C’est un exécutif légitime qui émane de la volonté du peuple. Quand je dis que la CGEM est indépendante, c’est qu’elle a plus de marge d’expression.
Cette liberté d’expression n’existait pas avant vous ?
Elle est plus prononcée aujourd’hui. Nous n’hésitons jamais à porter les vraies questions socio-économiques sur la place publique. Et puis je ne suis pas d’une nature à m’autocensurer.
Une liberté d’expression qui vous permet aujourd’hui de prendre des positions politiques. Est-ce cela le rôle de la CGEM ?
Nous n’intervenons jamais dans la politique. Cela ne nous intéresse pas. Toutes nos positions sont à situer dans leur contexte.
Mais entre Benkirane et vous, ça n’a pas l’air d’être le grand amour, n’est-ce pas ?
J’ai d’excellentes relations avec le Chef du gouvernement. Nous nous entendons très bien. Et nous nous réunissons régulièrement dans le cadre de la plateforme commune que nous co-présidons. C’est d’ailleurs une expérience inédite dans le monde. Maintenant, la CGEM a un rôle à jouer, et ce quelle que soit la coloration politique du gouvernement. Ce qui explique les quelques points d’achoppement que nous avons sur des questions d’ordre économique. C’est là où nous intervenons. Et c’est là notre champ d’expression.
Votre premier clash avec le gouvernement a porté sur la fameuse taxe de solidarité sur les hauts revenus. Vous avez quand même créé une première en défendant les salariés…
Les salariés qui ont été touchés par cette taxe sont les cadres des PME. Et nous connaissons tous les conditions de vie de nos cadres. Une personne qui touche 30 000 dirhams par mois a un statut social à maintenir, elle doit payer beaucoup d’impôts mais ne bénéficie même pas des services publics comme l’éducation ou la santé. Et comme vous le dites, c’était l’un des points sur lesquels nous n’étions pas d’accord. Par exemple, nous n’étions pas contre la contribution de solidarité imposée aux entreprises qui font plus de 100 millions de dirhams de bénéfices. Nous avons même été plus audacieux en proposant que l’impôt sur les résultats de certaines entreprises soit réhaussé pour pouvoir abandonner la taxe sur les revenus. En plus, personne n’a de leçons à nous donner sur la solidarité.
Vous avez aussi boycotté la mission d’affaires menée par le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan. Ce n’était pas un coup porté sous la ceinture à Benkirane ?
Nous n’avons été conviés à participer à cet évènement que deux ou trois jours avant. Nous n’allions quand même pas participer à des rencontres que nous n’avons pas préparées, surtout quand il s’agit de sujets aussi cruciaux que les échanges commerciaux, les IDE, les accords de libre-échange…
Si le roi avait reçu Erdogan, auriez-vous réagi de la même manière ?Sa Majesté a offert un dîner protocolaire à Erdogan. Nous étions invités et trois de nos membres étaient présents. Mais s’il y avait eu une mission économique que nous n’avions pas travaillée, nous n’aurions pas participé non plus. Les schémas du passé, c’est quand on vous appelle à la dernière minute et que vous dites malgré tout “hchouma, il faut être présent”. Ces schémas, il faut les casser. D’ailleurs, à la demande du Chef du gouvernement et du Premier ministre turc, la CGEM travaille déjà sur une mission exclusive avec les trois patronats turcs pour une approche réfléchie dans l’intérêt des deux parties. C’est surtout cela la CGEM. Un travail qui s’inscrit dans la durée.
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