Après Djezzy, Nedjma a changé de propriétaire. Mais l’Algérie reste impuissante. Les règles qu’elle a mises en place, comme celle du "droit de péremption", s'avèrent inopérantes. En fait, c’est tout le système managérial algérien qui est hors course.
Une compagnie de téléphonie du Golfe a pris le contrôle d’un opérateur d’un pays tiers. Dans le monde de l’économie internationale, c’est une information banale. Mais quand il s’agit de la compagnie qatarie Qtel qui rachète l’algérien Nedjma, cela devient une affaire qui confirme, de nouveau, le décalage énorme qui sépare l’économie algérienne de ce qui se passe ailleurs dans le monde. Le fossé est gigantesque entre un modèle bureaucratique sclérosé, où le système de décision est lourd, lent, inadapté, sans qu’il ne soit jamais possible de situer les responsabilités, et un monde extérieur en perpétuel mouvement.
Les compagnies du Golfe, qui tentent de copier-coller le modèle occidental, vont visiblement trop vite pour l’administration algérienne. Celle-ci parait ainsi totalement désarmée face à Qatar Telecom, et le match qui les oppose ressemblerait à une confrontation entre la télévision algérienne et Al-Jazeera. Le match se joue sur un terrain auquel la partie algérienne n’a même pas accès.
Le bafouillage de Karim Djoudi
Samedi dernier, le groupe de télécommunications qatari Qtel a annoncé avoir augmenté sa participation dans le groupe koweitien Wataniya Telecom, dont il détient désormais 92.1% des actions. Jusque-là, il en détenait 52,5%. Qtel aurait déboursé 1.8 milliards de dollars pour cette transaction. En mars 2007, Qtel était devenu majoritaire dans Wataniya, ce qui lui permettait, par ricochet, de détenir 71% des actions de Nedjma, la filiale algérienne du groupe Wataniya.
Que font les autorités algériennes face à ces changements ? Dans un premier temps, le ton est offensif. « Si Qtel rachète totalement El Wataniya, donc il y a changement d'actionnariat ». Dans ce cas, « il y a une règle qui s'applique, c'est le 51/49 », avait déclaré en septembre le ministre des finances, M. Karim Djoudi.
Mais le ministre ne savait visiblement quelle initiative prendre. « Attendons de voir » si les négociations entre Watania et Qtel débouchent sur un accord, avait prudemment ajouté M. Djoudi, tout en essayant de jeter la balle sur le terrain d’autres ministres. « Cette question ne se pose pas pour mon secteur, il faut voir avec les ministères des télécommunications et de l'investissement », avait-t-il dit.
Interrogé de nouveau, le 4 octobre, au cours d’une émission de radio, pour savoir si l’Algérie ferait valoir son droit de préemption dans le dossier Nedjma, il battait nettement en retraite, comme si le dossier lui faisait peur. Revenant sur ses déclarations antérieures, il affirmait qu’il n’a pas annoncé une décision quelconque, mais qu’il a simplement « interprété la règlementation ». Il fait allusion à la loi algérienne qui impose à tout investisseur étranger de s’associer avec un partenaire algérien qui doit détenir la majorité des actions. De plus, si le partenaire étranger décide de céder ses actions, l’Etat algérien a un droit de préemption.
Un système inadapté qui coûte de l’argent
Les tergiversations liées à l’affaire Nedjma rappellent les mésaventures vécues avec le groupe Orascom, qui a changé de main pour acquérir une nouvelle valorisation, alors que l’Algérie continue d’affirmer vouloir le racheter coûte que coûte. L’Algérie pensait ainsi avoir ficelé le dossier pour engager l’étape décisive du rachat de Djezzy, avant de se retrouver face à un nouvel interlocuteur, le russe Vimplecom, dont les propriétaires, qu’on dit proches de Vladimir Poutine, avaient racheté la maison mère à l’égyptien Nabil Sawiris.
Tout ce langage sur les achats, cessions, capitalisation boursière, est parfaitement inconnu en Algérie. Le pays introduit une mesure imposant un droit de péremption, mais elle est totalement inopérante. Ainsi, Wataniya n’a pas vendu Nedjma, et Orascom n’a pas vendu Djezzy. Ce sont les compagnies mères qui ont changé de propriétaire.
« Pour jouer dans le monde de ces compagnies cotées en bourse, il faut utiliser les mêmes moyens et les mêmes méthodes. Or, l’Algérie n’a ni les hommes, ni les structures, ni la souplesse, ni la transparence nécessaires pour cela », nous dit un économiste. C’est comme si, à l’heure d’internet, l’Algérie continuait d’utiliser le télex. Pour communiquer avec qui ? se demande-t-il.
Mais la situation n’est pas seulement grotesque. Elle provoque aussi des dégâts énormes. Ainsi, l’affaire Djezzy a coûté de l’argent, beaucoup d’argent, et elle a montré aux interlocuteurs étrangers la faible capacité managériale du pays, tout en sapant le peu de crédibilité qui restait aux décideurs économiques du pays.
Dans l’affaire Nedjma, le dossier semblait encore chaud. La bataille pouvait être engagée. Mais au moment où des cercles pensaient faire de la résistance pour, peut-être, engager l’Etat algérien à acheter Nedjma, le président du conseil d’administration du groupe Qtel, Abdullah Ben Mohammed Ben Saud Al-Thani i, exprimait sa « reconnaissances aux autorités algériennes pour leur compréhension », précisant que l’Algérie a donné « son aval pour conclure cette transaction».
Tout est dit : Qtel a terminé l’opération, avec l’accord de l’Algérie, avant que les responsables algériens supposés gérer le dossier n’aient eu le temps de s’exprimer.
Abed Charef
Maghreb Emergent
Les compagnies du Golfe, qui tentent de copier-coller le modèle occidental, vont visiblement trop vite pour l’administration algérienne. Celle-ci parait ainsi totalement désarmée face à Qatar Telecom, et le match qui les oppose ressemblerait à une confrontation entre la télévision algérienne et Al-Jazeera. Le match se joue sur un terrain auquel la partie algérienne n’a même pas accès.
Le bafouillage de Karim Djoudi
Samedi dernier, le groupe de télécommunications qatari Qtel a annoncé avoir augmenté sa participation dans le groupe koweitien Wataniya Telecom, dont il détient désormais 92.1% des actions. Jusque-là, il en détenait 52,5%. Qtel aurait déboursé 1.8 milliards de dollars pour cette transaction. En mars 2007, Qtel était devenu majoritaire dans Wataniya, ce qui lui permettait, par ricochet, de détenir 71% des actions de Nedjma, la filiale algérienne du groupe Wataniya.
Que font les autorités algériennes face à ces changements ? Dans un premier temps, le ton est offensif. « Si Qtel rachète totalement El Wataniya, donc il y a changement d'actionnariat ». Dans ce cas, « il y a une règle qui s'applique, c'est le 51/49 », avait déclaré en septembre le ministre des finances, M. Karim Djoudi.
Mais le ministre ne savait visiblement quelle initiative prendre. « Attendons de voir » si les négociations entre Watania et Qtel débouchent sur un accord, avait prudemment ajouté M. Djoudi, tout en essayant de jeter la balle sur le terrain d’autres ministres. « Cette question ne se pose pas pour mon secteur, il faut voir avec les ministères des télécommunications et de l'investissement », avait-t-il dit.
Interrogé de nouveau, le 4 octobre, au cours d’une émission de radio, pour savoir si l’Algérie ferait valoir son droit de préemption dans le dossier Nedjma, il battait nettement en retraite, comme si le dossier lui faisait peur. Revenant sur ses déclarations antérieures, il affirmait qu’il n’a pas annoncé une décision quelconque, mais qu’il a simplement « interprété la règlementation ». Il fait allusion à la loi algérienne qui impose à tout investisseur étranger de s’associer avec un partenaire algérien qui doit détenir la majorité des actions. De plus, si le partenaire étranger décide de céder ses actions, l’Etat algérien a un droit de préemption.
Un système inadapté qui coûte de l’argent
Les tergiversations liées à l’affaire Nedjma rappellent les mésaventures vécues avec le groupe Orascom, qui a changé de main pour acquérir une nouvelle valorisation, alors que l’Algérie continue d’affirmer vouloir le racheter coûte que coûte. L’Algérie pensait ainsi avoir ficelé le dossier pour engager l’étape décisive du rachat de Djezzy, avant de se retrouver face à un nouvel interlocuteur, le russe Vimplecom, dont les propriétaires, qu’on dit proches de Vladimir Poutine, avaient racheté la maison mère à l’égyptien Nabil Sawiris.
Tout ce langage sur les achats, cessions, capitalisation boursière, est parfaitement inconnu en Algérie. Le pays introduit une mesure imposant un droit de péremption, mais elle est totalement inopérante. Ainsi, Wataniya n’a pas vendu Nedjma, et Orascom n’a pas vendu Djezzy. Ce sont les compagnies mères qui ont changé de propriétaire.
« Pour jouer dans le monde de ces compagnies cotées en bourse, il faut utiliser les mêmes moyens et les mêmes méthodes. Or, l’Algérie n’a ni les hommes, ni les structures, ni la souplesse, ni la transparence nécessaires pour cela », nous dit un économiste. C’est comme si, à l’heure d’internet, l’Algérie continuait d’utiliser le télex. Pour communiquer avec qui ? se demande-t-il.
Mais la situation n’est pas seulement grotesque. Elle provoque aussi des dégâts énormes. Ainsi, l’affaire Djezzy a coûté de l’argent, beaucoup d’argent, et elle a montré aux interlocuteurs étrangers la faible capacité managériale du pays, tout en sapant le peu de crédibilité qui restait aux décideurs économiques du pays.
Dans l’affaire Nedjma, le dossier semblait encore chaud. La bataille pouvait être engagée. Mais au moment où des cercles pensaient faire de la résistance pour, peut-être, engager l’Etat algérien à acheter Nedjma, le président du conseil d’administration du groupe Qtel, Abdullah Ben Mohammed Ben Saud Al-Thani i, exprimait sa « reconnaissances aux autorités algériennes pour leur compréhension », précisant que l’Algérie a donné « son aval pour conclure cette transaction».
Tout est dit : Qtel a terminé l’opération, avec l’accord de l’Algérie, avant que les responsables algériens supposés gérer le dossier n’aient eu le temps de s’exprimer.
Abed Charef
Maghreb Emergent
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