Une vision novatrice
Depuis 1990 paraît, vers le mois de novembre, le Rapport annuel sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), qui comporte, outre une partie analytique dont la thématique change chaque année, de grands tableaux de données chiffrées rendant compte de l’évolution, dans les différents pays de la planète, des indicateurs du « développement humain » (désormais DH). Parmi ces derniers, le plus célèbre est le fameux « Indice de développement humain » (IDH). Ce dernier fut mis au point, pour le premier rapport, conjointement par le grand économiste et philosophe d’origine indienne Amartya Sen, titulaire en 1998 du prix Nobel d’économie et par son collègue et ami pakistanais Mahbub ul Haq, également économiste, qui conçut et explicita la notion de « développement humain » et fut à l’initiative du rapport annuel du PNUD dans ce domaine. L’idée était simple mais novatrice : appréhender et évaluer le « développement » comparé des pays de la planète en prenant en compte non seulement sa dimension économique (à l’aide de l’éternel et unique indicateur de la Production Intérieure Brute (PIB) par habitant, que publiait depuis 1978 la Banque Mondiale dans son Rapport sur le développement dans le monde) mais aussi d’autres dimensions, qualifiées d’ « humaines », comme celles de la santé et de l’éducation. Il s’agissait, selon les mots de Sen, de mesurer des niveaux effectifs de réalisation (achievement) de « fonctionnements humains » (functionnings) consistant en façons d’être et d’agir (beings and doings) que les individus ont des raisons de valoriser, la santé et l’éducation étant considérées comme des « fonctionnements de base ».
Un indice-enjeu
Pour ce faire, ils créèrent l’IDH, qui cherche à mesurer de façon simple et synthétique, pour chaque pays et par un seul indice chiffré dit « composite », les niveaux de santé, d’instruction et de richesse par habitant[1].Cet indice représentait à l’évidence un progrès considérable dans la manière d’appréhender et de mesurer le développement et malgré des critiques politico-idéologiques souvent discutables et méthodologiques fondées, il gagna en légitimité année après année. Tant et si bien que l’annuel Rapport du PNUD et « ses » IDH par pays furent de plus en plus attendus par les autorités nationales, les forces politiques (en particulier d’opposition), les organismes de la société civile, les acteurs du développement et les milieux universitaires et que le rang et l’évolution du classement de chaque pays devinrent pour ces différents acteurs un enjeu considérable, en tant que preuve, pour les uns, des résultats positifs des actions et politiques publiques entreprises par le pouvoir ou, pour les autres, au contraire de son inaction et du non-, sous- ou mal-développement du pays concerné.
Un classement qui passe mal
Ce fut bien sûr le cas pour le Maroc, dont le pouvoir prit très au sérieux, à partir du tournant du siècle, la notion et la pratique du « développement humain », en particulier en mettant en place, suite au discours royal du 18 mai 2005, la fameuse Initiative Nationale de Développement Humain (INDH). D’après le rapport du PNUD de 2007/2008, en cette année 2005, l’IDH du Maroc était de 0,646, ce qui le plaçait au 126ème rang sur 177 pays classés, soit en tête du dernier tiers des 80 pays dits « à niveau moyen » de DH (et au quatrième rang à partir de la fin parmi les pays arabes, avant la Mauritanie, 137ème, le Soudan, 147ème et le Yémen, 153ème). En 1975, l’IDH du Maroc était de 0,432, ce qui représentait un accroissement d’exactement 50 % en 30 ans, soit l’une des meilleures performances de la planète (avec la Chine, l’Indonésie, la Tunisie et l’Algérie, pays à IDH moyen eux aussi, mais mieux placés que le Maroc, au départ comme à l’arrivée). Le Maroc venait donc de très loin, ce qui expliquait que, malgré la remarquable amélioration de son niveau de DH, il occupât ce piètre rang. Ce dernier, élément négatif, comme la qualité de la performance, élément positif, furent perçus dans un premier temps comme un encouragement à aller de l’avant et à forcer le rythme du DH, grâce précisément à la mise en œuvre accélérée de l’INDH. Mais la déception ne tarda pas à arriver. D’après le rapport du PNUD de 2009, l’IDH du Maroc n’avait augmenté que très peu entre 2005 et 2007, passant à 0,654, et surtout, le pays avait reculé de quatre places dans le classement, passant au 130ème rang sur 182 pays classés, ce qui provoqua un malaise certain au sein des instances dirigeantes et des déclarations sur le caractère obsolète de l’IDH, sur la faible fiabilité des données statistiques utilisées et sur le délais de deux ou trois ans séparant l’année renseignée de celle de la publication des indices la concernant. Les instances régionales du PNUD répliquèrent à juste titre que ce recul dans le classement était avant tout lié à l’introduction des données concernant cinq nouveaux pays, dont le hasard voulait qu’ils se situent en 2007 à un niveau de DH supérieur à celui du Maroc, que l’espérance de vie à la naissance et surtout le taux d’alphabétisation de la population de plus de 15 ans, tous âges confondus, renvoient à des phénomènes à forte inertie, que les données chiffrées utilisées étaient fournies par les organismes statistiques de chaque pays (passées ensuite au « peigne fin » par les experts du PNUD), qu’une révision de la méthodologie de construction de l’IDH était en cours et que le délai de publication des indices ainsi rénovés allait être raccourci.
Détour par la cuisine… statistique
Ce qui fut fait. En 2010, pour le vingtième anniversaire de la publication du premier rapport du PNUD, parut son 21ème rapport sur le DH, intitulé « L a vraie richesse des nations : les chemins du développement humain », avec une introduction de A. Sen. Ce volume présentait le nouvel IDH. L’espérance de vie à la naissance était conservée comme moyen de mesurer la dimension sanitaire du DH. Les taux d’alphabétisation et de scolarisation étaient abandonnés comme moyens de mesurer la dimension éducative, presque la moitié des pays ayant atteint des taux supérieurs à 95 % (ce qui était loin d’être le cas du Maroc) ; deux autres données construites les remplaçaient : la durée moyenne de scolarisation dans les trois cycles de la population de plus de 25 ans et, pour compenser l’inertie de cet indice, la durée moyenne de scolarisation attendue (ou espérance de vie scolaire). Enfin, la PIB par habitant en PPA était remplacée par le Revenu national brut (RNB) par habitant en PPA, qui intègre les revenus venus de l’étranger, sous forme par exemple de remises des travailleurs émigrés, données particulièrement importantes à prendre en considération en ce qui concerne le Maroc. Mais surtout, l’on remédiait à un grave défaut du mode de calcul de l’ancien IDH : ce mode permettait en effet la compensation de la faible valeur de l’un des sous-indice (par exemple celui de la composante éducative) par la forte valeur d’un autre (par exemple la PIB par habitant) ; un Etat rentier riche négligeant son système éducatif compensait « arithmétiquement » cette gravissime négligence en matière de DH par le niveau élevé de sa rente, ainsi très mal redistribuée dans la cadre de sa politique publique mais néanmoins élevée, en moyenne, par tête d’habitant. Le nouvel IDH permet, quant à lui, au contraire, la pondération de chaque composante par chaque autre. Le nouvel IDH accorde donc une prime au développement simultané et équilibré de chacune des dimensions du DH et les pays négligeant une ou deux dimensions tout en en favorisant une autre sont ainsi pénalisés, ce qui constitue un progrès indiscutable vers une plus grande adéquation de la méthode de mesure avec la philosophie sous-jacente à la notion mesurée (un développement humain intégral et équilibré).
Depuis 1990 paraît, vers le mois de novembre, le Rapport annuel sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), qui comporte, outre une partie analytique dont la thématique change chaque année, de grands tableaux de données chiffrées rendant compte de l’évolution, dans les différents pays de la planète, des indicateurs du « développement humain » (désormais DH). Parmi ces derniers, le plus célèbre est le fameux « Indice de développement humain » (IDH). Ce dernier fut mis au point, pour le premier rapport, conjointement par le grand économiste et philosophe d’origine indienne Amartya Sen, titulaire en 1998 du prix Nobel d’économie et par son collègue et ami pakistanais Mahbub ul Haq, également économiste, qui conçut et explicita la notion de « développement humain » et fut à l’initiative du rapport annuel du PNUD dans ce domaine. L’idée était simple mais novatrice : appréhender et évaluer le « développement » comparé des pays de la planète en prenant en compte non seulement sa dimension économique (à l’aide de l’éternel et unique indicateur de la Production Intérieure Brute (PIB) par habitant, que publiait depuis 1978 la Banque Mondiale dans son Rapport sur le développement dans le monde) mais aussi d’autres dimensions, qualifiées d’ « humaines », comme celles de la santé et de l’éducation. Il s’agissait, selon les mots de Sen, de mesurer des niveaux effectifs de réalisation (achievement) de « fonctionnements humains » (functionnings) consistant en façons d’être et d’agir (beings and doings) que les individus ont des raisons de valoriser, la santé et l’éducation étant considérées comme des « fonctionnements de base ».
Un indice-enjeu
Pour ce faire, ils créèrent l’IDH, qui cherche à mesurer de façon simple et synthétique, pour chaque pays et par un seul indice chiffré dit « composite », les niveaux de santé, d’instruction et de richesse par habitant[1].Cet indice représentait à l’évidence un progrès considérable dans la manière d’appréhender et de mesurer le développement et malgré des critiques politico-idéologiques souvent discutables et méthodologiques fondées, il gagna en légitimité année après année. Tant et si bien que l’annuel Rapport du PNUD et « ses » IDH par pays furent de plus en plus attendus par les autorités nationales, les forces politiques (en particulier d’opposition), les organismes de la société civile, les acteurs du développement et les milieux universitaires et que le rang et l’évolution du classement de chaque pays devinrent pour ces différents acteurs un enjeu considérable, en tant que preuve, pour les uns, des résultats positifs des actions et politiques publiques entreprises par le pouvoir ou, pour les autres, au contraire de son inaction et du non-, sous- ou mal-développement du pays concerné.
Un classement qui passe mal
Ce fut bien sûr le cas pour le Maroc, dont le pouvoir prit très au sérieux, à partir du tournant du siècle, la notion et la pratique du « développement humain », en particulier en mettant en place, suite au discours royal du 18 mai 2005, la fameuse Initiative Nationale de Développement Humain (INDH). D’après le rapport du PNUD de 2007/2008, en cette année 2005, l’IDH du Maroc était de 0,646, ce qui le plaçait au 126ème rang sur 177 pays classés, soit en tête du dernier tiers des 80 pays dits « à niveau moyen » de DH (et au quatrième rang à partir de la fin parmi les pays arabes, avant la Mauritanie, 137ème, le Soudan, 147ème et le Yémen, 153ème). En 1975, l’IDH du Maroc était de 0,432, ce qui représentait un accroissement d’exactement 50 % en 30 ans, soit l’une des meilleures performances de la planète (avec la Chine, l’Indonésie, la Tunisie et l’Algérie, pays à IDH moyen eux aussi, mais mieux placés que le Maroc, au départ comme à l’arrivée). Le Maroc venait donc de très loin, ce qui expliquait que, malgré la remarquable amélioration de son niveau de DH, il occupât ce piètre rang. Ce dernier, élément négatif, comme la qualité de la performance, élément positif, furent perçus dans un premier temps comme un encouragement à aller de l’avant et à forcer le rythme du DH, grâce précisément à la mise en œuvre accélérée de l’INDH. Mais la déception ne tarda pas à arriver. D’après le rapport du PNUD de 2009, l’IDH du Maroc n’avait augmenté que très peu entre 2005 et 2007, passant à 0,654, et surtout, le pays avait reculé de quatre places dans le classement, passant au 130ème rang sur 182 pays classés, ce qui provoqua un malaise certain au sein des instances dirigeantes et des déclarations sur le caractère obsolète de l’IDH, sur la faible fiabilité des données statistiques utilisées et sur le délais de deux ou trois ans séparant l’année renseignée de celle de la publication des indices la concernant. Les instances régionales du PNUD répliquèrent à juste titre que ce recul dans le classement était avant tout lié à l’introduction des données concernant cinq nouveaux pays, dont le hasard voulait qu’ils se situent en 2007 à un niveau de DH supérieur à celui du Maroc, que l’espérance de vie à la naissance et surtout le taux d’alphabétisation de la population de plus de 15 ans, tous âges confondus, renvoient à des phénomènes à forte inertie, que les données chiffrées utilisées étaient fournies par les organismes statistiques de chaque pays (passées ensuite au « peigne fin » par les experts du PNUD), qu’une révision de la méthodologie de construction de l’IDH était en cours et que le délai de publication des indices ainsi rénovés allait être raccourci.
Détour par la cuisine… statistique
Ce qui fut fait. En 2010, pour le vingtième anniversaire de la publication du premier rapport du PNUD, parut son 21ème rapport sur le DH, intitulé « L a vraie richesse des nations : les chemins du développement humain », avec une introduction de A. Sen. Ce volume présentait le nouvel IDH. L’espérance de vie à la naissance était conservée comme moyen de mesurer la dimension sanitaire du DH. Les taux d’alphabétisation et de scolarisation étaient abandonnés comme moyens de mesurer la dimension éducative, presque la moitié des pays ayant atteint des taux supérieurs à 95 % (ce qui était loin d’être le cas du Maroc) ; deux autres données construites les remplaçaient : la durée moyenne de scolarisation dans les trois cycles de la population de plus de 25 ans et, pour compenser l’inertie de cet indice, la durée moyenne de scolarisation attendue (ou espérance de vie scolaire). Enfin, la PIB par habitant en PPA était remplacée par le Revenu national brut (RNB) par habitant en PPA, qui intègre les revenus venus de l’étranger, sous forme par exemple de remises des travailleurs émigrés, données particulièrement importantes à prendre en considération en ce qui concerne le Maroc. Mais surtout, l’on remédiait à un grave défaut du mode de calcul de l’ancien IDH : ce mode permettait en effet la compensation de la faible valeur de l’un des sous-indice (par exemple celui de la composante éducative) par la forte valeur d’un autre (par exemple la PIB par habitant) ; un Etat rentier riche négligeant son système éducatif compensait « arithmétiquement » cette gravissime négligence en matière de DH par le niveau élevé de sa rente, ainsi très mal redistribuée dans la cadre de sa politique publique mais néanmoins élevée, en moyenne, par tête d’habitant. Le nouvel IDH permet, quant à lui, au contraire, la pondération de chaque composante par chaque autre. Le nouvel IDH accorde donc une prime au développement simultané et équilibré de chacune des dimensions du DH et les pays négligeant une ou deux dimensions tout en en favorisant une autre sont ainsi pénalisés, ce qui constitue un progrès indiscutable vers une plus grande adéquation de la méthode de mesure avec la philosophie sous-jacente à la notion mesurée (un développement humain intégral et équilibré).
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