De ses fenêtres, René Rüdinger mesure le chemin parcouru. L’énorme haut-fourneau qui fait face à son entreprise, la très high-tech Albonair (lire par ailleurs), est inerte comme un animal mort.
Ce monstre d’acier et de rouille s’appelait Phoenix. Pendant des décennies, il a fait la richesse de l’Allemagne, avant que ne s’éteignent les derniers feux de la Révolution industrielle. Une autre lui a succédé depuis, moins bruyante, moins polluante, emmenée sans fracas apparent par des chercheurs en blouse blanche et des commerciaux en costume-cravate.
Quels sont les secrets du « miracle économique allemand » ? Est-il transposable ailleurs ? « Si seulement nous le savions », nous a-t-on souvent répondu au cours de ce reportage. Le mot miracle laisse ici comme ailleurs songeur, tant chacun sait que la médaille germanique a son revers. L’Allemagne, qui passait il y a dix ans encore pour « le grand malade de l’Europe », n’a retrouvé sa pleine santé économique qu’au prix d’un sacrifice social énorme.
Des secrets, il n’y en a pas en réalité. Mais il existe un contexte général et des conditions particulières (lire ci-contre) qui ont permis cet étonnant sursaut. « Le plus bel exemple, assure ce lobbyiste, c’est bien sûr Volkswagen. C’est là-bas que se trouve le sommet de la réussite allemande. » Devenu numéro deux mondial de l’automobile, la marque de Wolfsburg a enregistré en 2011 un bénéfice net exceptionnel de 15,4 milliards d’euros et a distribué des primes rondelettes à ses salariés.
Mais l’histoire récente du Ruhrgebied (la région de la Ruhr) est autrement symptomatique du redressement allemand. Avant qu’elle ne devienne un fer de lance en matière d’exportations de produits de haute technologie, la Ruhr comme la Wallonie avait tiré sa richesse du charbon et de l’acier. Et comme en Wallonie, ce trésor a fini par s’épuiser. 400.000 emplois ont été perdus dans le charbon. Les villes du Ruhrgebied sont parmi les plus pauvres d’Allemagne. Elles côtoient pourtant les magiciens de la nouvelle économie.
L’une des clés de la réussite allemande peut être cernée au Technologie Zentrum de Dortmund. Le film qui assure la promotion de l’endroit n’est pas sans rappeler l’histoire de Louvain-la-Neuve. En 1984, lorsque le centre technologique fut créé, il n’y avait guère que de la terre à vaches dans cette banlieue. Mais son concept s’est rapidement imposé : « C’était fabuleux, se souvient Thomas Wiltberger, un ancien journaliste, qui travaille pour le land. Des jeunes ingénieurs sortaient de l’université, traversaient la rue et entraient directement dans un laboratoire. Puis ils fondaient leur entreprise. » Un quart de siècle plus tard, le Zentrum met toujours à disposition des entrepreneurs en herbe les infrastructures nécessaires au développement de leurs projets, en bonne intelligence avec l’université de Dortmund créée… en 1968.
Jusque-là, les jeunes devaient traverser parfois toute l’Allemagne pour étudier, puis travailler.
René Rüdinger est, lui aussi, passé par là. « Dès le début, il y a quatre ans et demi, se souvient ce directeur d’Albonair, nous avons pu nous concentrer sur notre produit et nos clients, et pas sur des histoires de mobilier, de télécommunication, etc. » Albonair a depuis déménagé et vend ses pots d’échappement « propres » en Inde. Bientôt peut-être sur toute la planète.
Des milliers de spin-off se sont ainsi lancées. La Rhénanie-du-Nord-Westphalie compte 761.000 PME et 19 des 50 plus grandes entreprises allemandes. Sur les 397 centres d’innovations que compte le pays, 86 sont implantés dans ce land qui participe au PIB national à hauteur de 21,7 %.
La création et le fonctionnement du Technologie Zentrum ont été rendus possibles par la collaboration de l’Etat fédéral, du land, d’entreprises privées et de l’Universität Dortmund. « Des subsides existent, nous dit-on. Mais ce n’est pas l’essentiel : l’essentiel, c’est l’environnement qui débarrasse l’entrepreneur débutant d’une foule de contingences et le climat qui le pousse à se montrer innovateur. »
Une approche connue mais qui surprend ici par son ampleur. Là où l’on parle de « frémissement » en Wallonie, l’économie allemande de la haute technologie tourne plein pot, exportant ses produits pointus à travers le monde.
Le contraste est cruel : 94.000 emplois qualifiés manquent aujourd’hui dans le land (600.000 en 2020), une pénurie d’hommes et de cerveaux qui côtoie les centaines de milliers de perdants de la grande mutation industrielle. Leur « faute » : la sous-qualification.
La reconversion de la Ruhr a pris du temps et a coûté très cher. Mais le pari semble gagné, du moins en termes industriels. La région voit ses enfants tout doucement lui revenir. Il est de moins en moins nécessaire d’aller travailler à Francfort, Aix-la-Chapelle ou Stuttgart. Les salaires sont ici un peu moins élevés. Mais vivre dans sa Heimat vaut bien quelques sacrifices.
Le soir
Martin Pascal
Ce monstre d’acier et de rouille s’appelait Phoenix. Pendant des décennies, il a fait la richesse de l’Allemagne, avant que ne s’éteignent les derniers feux de la Révolution industrielle. Une autre lui a succédé depuis, moins bruyante, moins polluante, emmenée sans fracas apparent par des chercheurs en blouse blanche et des commerciaux en costume-cravate.
Quels sont les secrets du « miracle économique allemand » ? Est-il transposable ailleurs ? « Si seulement nous le savions », nous a-t-on souvent répondu au cours de ce reportage. Le mot miracle laisse ici comme ailleurs songeur, tant chacun sait que la médaille germanique a son revers. L’Allemagne, qui passait il y a dix ans encore pour « le grand malade de l’Europe », n’a retrouvé sa pleine santé économique qu’au prix d’un sacrifice social énorme.
Des secrets, il n’y en a pas en réalité. Mais il existe un contexte général et des conditions particulières (lire ci-contre) qui ont permis cet étonnant sursaut. « Le plus bel exemple, assure ce lobbyiste, c’est bien sûr Volkswagen. C’est là-bas que se trouve le sommet de la réussite allemande. » Devenu numéro deux mondial de l’automobile, la marque de Wolfsburg a enregistré en 2011 un bénéfice net exceptionnel de 15,4 milliards d’euros et a distribué des primes rondelettes à ses salariés.
Mais l’histoire récente du Ruhrgebied (la région de la Ruhr) est autrement symptomatique du redressement allemand. Avant qu’elle ne devienne un fer de lance en matière d’exportations de produits de haute technologie, la Ruhr comme la Wallonie avait tiré sa richesse du charbon et de l’acier. Et comme en Wallonie, ce trésor a fini par s’épuiser. 400.000 emplois ont été perdus dans le charbon. Les villes du Ruhrgebied sont parmi les plus pauvres d’Allemagne. Elles côtoient pourtant les magiciens de la nouvelle économie.
L’une des clés de la réussite allemande peut être cernée au Technologie Zentrum de Dortmund. Le film qui assure la promotion de l’endroit n’est pas sans rappeler l’histoire de Louvain-la-Neuve. En 1984, lorsque le centre technologique fut créé, il n’y avait guère que de la terre à vaches dans cette banlieue. Mais son concept s’est rapidement imposé : « C’était fabuleux, se souvient Thomas Wiltberger, un ancien journaliste, qui travaille pour le land. Des jeunes ingénieurs sortaient de l’université, traversaient la rue et entraient directement dans un laboratoire. Puis ils fondaient leur entreprise. » Un quart de siècle plus tard, le Zentrum met toujours à disposition des entrepreneurs en herbe les infrastructures nécessaires au développement de leurs projets, en bonne intelligence avec l’université de Dortmund créée… en 1968.
Jusque-là, les jeunes devaient traverser parfois toute l’Allemagne pour étudier, puis travailler.
René Rüdinger est, lui aussi, passé par là. « Dès le début, il y a quatre ans et demi, se souvient ce directeur d’Albonair, nous avons pu nous concentrer sur notre produit et nos clients, et pas sur des histoires de mobilier, de télécommunication, etc. » Albonair a depuis déménagé et vend ses pots d’échappement « propres » en Inde. Bientôt peut-être sur toute la planète.
Des milliers de spin-off se sont ainsi lancées. La Rhénanie-du-Nord-Westphalie compte 761.000 PME et 19 des 50 plus grandes entreprises allemandes. Sur les 397 centres d’innovations que compte le pays, 86 sont implantés dans ce land qui participe au PIB national à hauteur de 21,7 %.
La création et le fonctionnement du Technologie Zentrum ont été rendus possibles par la collaboration de l’Etat fédéral, du land, d’entreprises privées et de l’Universität Dortmund. « Des subsides existent, nous dit-on. Mais ce n’est pas l’essentiel : l’essentiel, c’est l’environnement qui débarrasse l’entrepreneur débutant d’une foule de contingences et le climat qui le pousse à se montrer innovateur. »
Une approche connue mais qui surprend ici par son ampleur. Là où l’on parle de « frémissement » en Wallonie, l’économie allemande de la haute technologie tourne plein pot, exportant ses produits pointus à travers le monde.
Le contraste est cruel : 94.000 emplois qualifiés manquent aujourd’hui dans le land (600.000 en 2020), une pénurie d’hommes et de cerveaux qui côtoie les centaines de milliers de perdants de la grande mutation industrielle. Leur « faute » : la sous-qualification.
La reconversion de la Ruhr a pris du temps et a coûté très cher. Mais le pari semble gagné, du moins en termes industriels. La région voit ses enfants tout doucement lui revenir. Il est de moins en moins nécessaire d’aller travailler à Francfort, Aix-la-Chapelle ou Stuttgart. Les salaires sont ici un peu moins élevés. Mais vivre dans sa Heimat vaut bien quelques sacrifices.
Le soir
Martin Pascal
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