Depuis son installation à la tête du secteur de l’énergie et des mines, le nouveau ministre Youcef Yousfi ne cesse de constater combien est catastrophique l’héritage que lui a légué son prédécesseur Chakib Khelil. Il vient de se rendre compte encore récemment, en septembre et octobre derniers que l’Algérie avait pris un énorme retard en matière de formation et dans le domaine de la recherche et du développement. Il a pris aussi conscience que le secteur des hydrocarbures algériens avait cessé d’être attractif aux yeux des investisseurs potentiels, après que trois appels d’offres lancés par l’agence nationale pour la valorisation des ressources en hydrocarbures (Alnaft) se soient avérés négatifs. Il n’est malheureusement pas au bout de ses désillusions.
Il sera encore beaucoup plus choqué quand il découvrira l’état de délabrement dans lequel se trouvent certaines unités industrielles, les usines de liquéfaction en particulier, ou la dégradation avancée de certains gisements, dont Hassi Messaoud notamment. Pour peu qu’il examine de près les contrats de vente de pétrole et de gaz passés durant la dernière décennie, ceux portant sur la réalisation de certains projets ou encore ceux concernant les achats de matériels ou prestations, il sera certainement ahuri par le niveau de corruption atteint, sachant que quasiment toutes ces affaires ont fait l’objet de versements de pots-de-vin. Je suis enfin certain qu’il a déjà dû se rendre compte de la situation de découragement, voire de désespoir du personnel de la compagnie nationale, une situation causée par la politique de gestion des ressources humaines menée depuis le début des années 2000. Une politique fondée sur le népotisme, l’instabilité au poste, la précarité de la fonction, qui a favorisé l’ascension vers les sommets de la hiérarchie des arrivistes, des médiocres et des yes man au détriment des compétents.
Youcef Yousfi est particulièrement bien placé pour constater l’état de décrépitude du secteur pétrolier et de l’énormité des dégâts qui y ont été causés depuis l’avènement d’Abdelaziz Bouteflika au pouvoir et la nomination de son compère Chakib Khelil au poste de ministre de l’énergie, vu qu’il avait déjà occupé le poste durant la présidence de Liamine Zeroual. Il lui suffit de comparer la situation d’alors avec celle d’aujourd’hui. Pourra-t-il nettoyer les écuries d’Augias et remettre de l’ordre dans la maison ? J’en doute, car la tâche est immense. Le laissera-t-on même entreprendre une telle action ? J’en doute aussi, car le laisser faire signifierait permettre de dévoiler un degré insoupçonnable d’incurie, de la corruption à tous les étages, voire de la traîtrise de la part de membres du sérail, y compris parmi les plus éminents d’entre eux.
Toutes choses que le pouvoir ne souhaite pas voir étalées sur la place publique : tout le monde sait qu’en Algérie on mettra en prison pour plusieurs mois, voire années, celui qui aura volé un téléphone portable, mais qu’on ne demandera jamais des comptes à un ministre ou un général qui aura détourné plusieurs millions de dollars.
Souvenons-nous de la déclaration de Belaïd Abdesselam, nommé premier ministre en juillet 1992 puis limogé en août 1993, qui dit « avoir signé l’arrêt de mort de son gouvernement à partir du moment où il avait fourré son nez dans le contrat de vente de gaz à l’Italie », un contrat dans lequel le président de l’ENI avait reconnu, devant un juge d’instruction milanais, avoir versé une commission de 32 millions de dollars à une très haute personnalité algérienne . Souvenons-nous également comment Abdelaziz Bouteflika s’était empressé d’enterrer le scandale BRC, en exigeant, contre toutes les règles de droit, la dissolution de l’entreprise. On ne peut, en tous cas, que souhaiter bon courage à Youcef Yousfi.
Ceci étant, revenons aux constatations faites par le ministre. S’agissant de la formation, il a noté que la transformation par Chakib Khelil de l’Institut algérien du pétrole (IAP) en SPA a eu un impact négatif sur sa mission de recherche et formation et a estimé que l’Algérie ne disposait pas des compétences nécessaires, alors que le potentiel pétrolier de l’off-shore du pays était important. En effet, Khelil avait cherché à « américaniser » l’IAP en le faisant passer, en 2006, du statut d’établissement universitaire à celui d’entreprise industrielle destinée à réaliser des profits.
Tout comme aux États-Unis où pratiquement toutes les universités sont payantes. Il poussa le souci du changement jusqu’à faire en sorte que cette nouvelle entreprise ait deux actionnaires : la Sonatrach pour 90% et Statoil pour 10%. Or – comble de l’ironie ou de l’irresponsabilité – Statoil, la compagnie nationale norvégienne des pétroles, est très spécialisée dans le forage et l’exploitation en off-shore, vu que tous les champs pétroliers norvégiens sont en mer.
Comment expliquer alors que cinq ans après, l’IAP n’ait pas formé de spécialistes de l’off-shore ? Ceci démontre tout simplement, ce qui avait été constaté en son temps par de très nombreux observateurs, que le souci principal de l’ex-ministre n’était pas de veiller aux intérêts de l’Algérie, mais plutôt de mettre en application la politique édictée par les pétroliers texans qui trônaient alors à la Maison Blanche. Ceci est d’autant plus grave à constater que cet institut a formé, depuis sa création en 1965, des milliers d’ingénieurs et techniciens qui exercent leur métier un peu partout à travers le monde, notamment en Afrique et dans le Golfe où leurs compétences sont très appréciées.
Youcef Yousfi a également estimé qu’il était inadmissible « qu’un demi-siècle après l’indépendance on ne soit pas en mesure de faire le design d’une unité de réinjection, d’un pipeline ou d’une installation ». A quoi a-t-il alors servi de créer une société mixte spécialisée en la matière, en association avec une filiale de la plus grande compagnie d’engineering et construction au monde, Halliburton ? A quoi ont servi les milliards de dollars engrangés par BRC à travers les différentes affaires qui lui ont été confiées par la Sonatrach, mais aussi par le ministère de la défense, si ce n’est à fournir des superprofits à l’associé américain et à engraisser encore un peu plus ceux qui, aussi bien du côté américain qu’algérien, ont perçu des commissions sur chacun des contrats passés avec cette entreprise ?
Des commissions faramineuses, puisque que BRC surfacturait ses prestations jusqu’à concurrence de 600% et 700% du coût normal. N’oublions pas que Chakib Khelil était tout fier de dire que la Sonatrach traitait avec BRC même quand cette dernière était 15% plus chère que le moins disant, car c’était une société algérienne. Nous avons là aussi, encore une fois la confirmation de ce que nombre de spécialistes – dont l’auteur de ces lignes – avaient dénoncé, à savoir la supercherie qui avait consisté à faire croire à l’opinion publique que l’Algérie détenait au travers de BRC un outil formidable de réalisation de projets de très haute technicité.
Alors que cette entreprise n’a servi, en réalité, qu’à acheter la protection étasunienne pour Abdelaziz Bouteflika et pour la nomenklatura militaire qui dirige le pays. Car souvenons-nous aussi qu’en dehors de son rôle de pompe à finances, BRC a permis à la CIA et autres services de sécurité américains de connaître tous les secrets de l’armée algérienne au travers des puces reliées au réseau Echelon ou autre installation de réception US, qu’ils avaient installées dans les fameuses mallettes de commandement achetées chez Raytheon et mises à disposition des plus hauts responsables militaires algériens. Il faut croire que ceux qui ont permis une telle félonie en avaient des crimes sur la conscience pour acheter à un tel prix la protection américaine.
Venons-en maintenant à l’autre constatation faite par le ministre de l’énergie à savoir la non attractivité du secteur pétrolier algérien aux yeux des investisseurs étrangers. Afin de comprendre les enjeux, il y a lieu de revenir ici aussi quelques années en arrière et se pencher sur le feuilleton de la loi sur les hydrocarbures. A la demande de Bouteflika, son ami de longue date et ministre de l’énergie Chakib Khelil avait, on s’en souvient, mené un forcing effréné pour faire adopter cette loi qui n’était rien d’autre qu’une véritable conspiration contre les intérêts du pays et qui aurait probablement abouti à une disparition pure et simple de l’OPEP. Elle répondait, par contre, en tous points aux vœux de l’administration américaine. Après l’avoir gelée en 2003, à la veille de sa réélection pour un second mandat, Bouteflika l’avait faite adopter par un vote de l’assemblée nationale qui avait entériné l’ordonnance présidentielle s’y rapportant, mais n’avait pas signé les décrets d’application qui auraient permis l’entrée en vigueur.
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Il sera encore beaucoup plus choqué quand il découvrira l’état de délabrement dans lequel se trouvent certaines unités industrielles, les usines de liquéfaction en particulier, ou la dégradation avancée de certains gisements, dont Hassi Messaoud notamment. Pour peu qu’il examine de près les contrats de vente de pétrole et de gaz passés durant la dernière décennie, ceux portant sur la réalisation de certains projets ou encore ceux concernant les achats de matériels ou prestations, il sera certainement ahuri par le niveau de corruption atteint, sachant que quasiment toutes ces affaires ont fait l’objet de versements de pots-de-vin. Je suis enfin certain qu’il a déjà dû se rendre compte de la situation de découragement, voire de désespoir du personnel de la compagnie nationale, une situation causée par la politique de gestion des ressources humaines menée depuis le début des années 2000. Une politique fondée sur le népotisme, l’instabilité au poste, la précarité de la fonction, qui a favorisé l’ascension vers les sommets de la hiérarchie des arrivistes, des médiocres et des yes man au détriment des compétents.
Youcef Yousfi est particulièrement bien placé pour constater l’état de décrépitude du secteur pétrolier et de l’énormité des dégâts qui y ont été causés depuis l’avènement d’Abdelaziz Bouteflika au pouvoir et la nomination de son compère Chakib Khelil au poste de ministre de l’énergie, vu qu’il avait déjà occupé le poste durant la présidence de Liamine Zeroual. Il lui suffit de comparer la situation d’alors avec celle d’aujourd’hui. Pourra-t-il nettoyer les écuries d’Augias et remettre de l’ordre dans la maison ? J’en doute, car la tâche est immense. Le laissera-t-on même entreprendre une telle action ? J’en doute aussi, car le laisser faire signifierait permettre de dévoiler un degré insoupçonnable d’incurie, de la corruption à tous les étages, voire de la traîtrise de la part de membres du sérail, y compris parmi les plus éminents d’entre eux.
Toutes choses que le pouvoir ne souhaite pas voir étalées sur la place publique : tout le monde sait qu’en Algérie on mettra en prison pour plusieurs mois, voire années, celui qui aura volé un téléphone portable, mais qu’on ne demandera jamais des comptes à un ministre ou un général qui aura détourné plusieurs millions de dollars.
Souvenons-nous de la déclaration de Belaïd Abdesselam, nommé premier ministre en juillet 1992 puis limogé en août 1993, qui dit « avoir signé l’arrêt de mort de son gouvernement à partir du moment où il avait fourré son nez dans le contrat de vente de gaz à l’Italie », un contrat dans lequel le président de l’ENI avait reconnu, devant un juge d’instruction milanais, avoir versé une commission de 32 millions de dollars à une très haute personnalité algérienne . Souvenons-nous également comment Abdelaziz Bouteflika s’était empressé d’enterrer le scandale BRC, en exigeant, contre toutes les règles de droit, la dissolution de l’entreprise. On ne peut, en tous cas, que souhaiter bon courage à Youcef Yousfi.
Ceci étant, revenons aux constatations faites par le ministre. S’agissant de la formation, il a noté que la transformation par Chakib Khelil de l’Institut algérien du pétrole (IAP) en SPA a eu un impact négatif sur sa mission de recherche et formation et a estimé que l’Algérie ne disposait pas des compétences nécessaires, alors que le potentiel pétrolier de l’off-shore du pays était important. En effet, Khelil avait cherché à « américaniser » l’IAP en le faisant passer, en 2006, du statut d’établissement universitaire à celui d’entreprise industrielle destinée à réaliser des profits.
Tout comme aux États-Unis où pratiquement toutes les universités sont payantes. Il poussa le souci du changement jusqu’à faire en sorte que cette nouvelle entreprise ait deux actionnaires : la Sonatrach pour 90% et Statoil pour 10%. Or – comble de l’ironie ou de l’irresponsabilité – Statoil, la compagnie nationale norvégienne des pétroles, est très spécialisée dans le forage et l’exploitation en off-shore, vu que tous les champs pétroliers norvégiens sont en mer.
Comment expliquer alors que cinq ans après, l’IAP n’ait pas formé de spécialistes de l’off-shore ? Ceci démontre tout simplement, ce qui avait été constaté en son temps par de très nombreux observateurs, que le souci principal de l’ex-ministre n’était pas de veiller aux intérêts de l’Algérie, mais plutôt de mettre en application la politique édictée par les pétroliers texans qui trônaient alors à la Maison Blanche. Ceci est d’autant plus grave à constater que cet institut a formé, depuis sa création en 1965, des milliers d’ingénieurs et techniciens qui exercent leur métier un peu partout à travers le monde, notamment en Afrique et dans le Golfe où leurs compétences sont très appréciées.
Youcef Yousfi a également estimé qu’il était inadmissible « qu’un demi-siècle après l’indépendance on ne soit pas en mesure de faire le design d’une unité de réinjection, d’un pipeline ou d’une installation ». A quoi a-t-il alors servi de créer une société mixte spécialisée en la matière, en association avec une filiale de la plus grande compagnie d’engineering et construction au monde, Halliburton ? A quoi ont servi les milliards de dollars engrangés par BRC à travers les différentes affaires qui lui ont été confiées par la Sonatrach, mais aussi par le ministère de la défense, si ce n’est à fournir des superprofits à l’associé américain et à engraisser encore un peu plus ceux qui, aussi bien du côté américain qu’algérien, ont perçu des commissions sur chacun des contrats passés avec cette entreprise ?
Des commissions faramineuses, puisque que BRC surfacturait ses prestations jusqu’à concurrence de 600% et 700% du coût normal. N’oublions pas que Chakib Khelil était tout fier de dire que la Sonatrach traitait avec BRC même quand cette dernière était 15% plus chère que le moins disant, car c’était une société algérienne. Nous avons là aussi, encore une fois la confirmation de ce que nombre de spécialistes – dont l’auteur de ces lignes – avaient dénoncé, à savoir la supercherie qui avait consisté à faire croire à l’opinion publique que l’Algérie détenait au travers de BRC un outil formidable de réalisation de projets de très haute technicité.
Alors que cette entreprise n’a servi, en réalité, qu’à acheter la protection étasunienne pour Abdelaziz Bouteflika et pour la nomenklatura militaire qui dirige le pays. Car souvenons-nous aussi qu’en dehors de son rôle de pompe à finances, BRC a permis à la CIA et autres services de sécurité américains de connaître tous les secrets de l’armée algérienne au travers des puces reliées au réseau Echelon ou autre installation de réception US, qu’ils avaient installées dans les fameuses mallettes de commandement achetées chez Raytheon et mises à disposition des plus hauts responsables militaires algériens. Il faut croire que ceux qui ont permis une telle félonie en avaient des crimes sur la conscience pour acheter à un tel prix la protection américaine.
Venons-en maintenant à l’autre constatation faite par le ministre de l’énergie à savoir la non attractivité du secteur pétrolier algérien aux yeux des investisseurs étrangers. Afin de comprendre les enjeux, il y a lieu de revenir ici aussi quelques années en arrière et se pencher sur le feuilleton de la loi sur les hydrocarbures. A la demande de Bouteflika, son ami de longue date et ministre de l’énergie Chakib Khelil avait, on s’en souvient, mené un forcing effréné pour faire adopter cette loi qui n’était rien d’autre qu’une véritable conspiration contre les intérêts du pays et qui aurait probablement abouti à une disparition pure et simple de l’OPEP. Elle répondait, par contre, en tous points aux vœux de l’administration américaine. Après l’avoir gelée en 2003, à la veille de sa réélection pour un second mandat, Bouteflika l’avait faite adopter par un vote de l’assemblée nationale qui avait entériné l’ordonnance présidentielle s’y rapportant, mais n’avait pas signé les décrets d’application qui auraient permis l’entrée en vigueur.
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