la chronique économique de Philippe Jurgensen
Quels lendemains pour la Révolution arabe ? Ces Etats en pleine transition démocratique vont avoir besoin de soutien. L’occasion pour l’Union Européenne de s’affirmer en tant que puissance bienveillante dans une région en plein essor économique. Philippe Jurgensen nous expose tous les bénéfices qu’aurait à gagner l’Europe en intervenant.
Les évolutions et révolutions démocratiques qui bouleversent la plupart des pays de la façade sud de la Méditerranée, du Maroc à l’Egypte, lancent à l’Europe un nouveau défi. Pour les craintifs, elles accroissent l’incertitude et les risques – instabilité politique, désorganisation économique, voire dérives islamistes. Pour les optimistes, elles offrent un monde de nouvelles opportunités politiques, économiques et sociales, sans parler de leurs immenses conséquences géopolitiques.
Pour nous en tenir au champ économique qui est celui de ces chroniques, on constatera facilement que l’ouverture démocratique et le regain d’intérêt dont bénéficient ces pays ont largement accru le champ des possibles. Encore faut-il savoir saisir rapidement ces opportunités, ne pas décevoir les attentes et réussir là où nous avons, dans la période précédente, trop souvent échoué à saisir les nouvelles tendances.
***
Que représentent ces cinq pays de la rive Sud ?
D’abord un potentiel démographique important : 170 millions d’habitants - près de trois fois la France -, dont la moitié en Egypte. Contrairement à ce que certains continuent à croire, cette population a cessé de s’accroître à un rythme débridé : la fécondité est devenue proche des niveaux européens, à peine supérieure à 2 enfants par femme [1] ; en Tunisie, elle est même inférieure au seuil nécessaire pour le simple renouvellement des générations.
Caravane de la libération à Tunis
La transition démographique est donc déjà bien avancée. Mais cette population reste en moyenne bien plus jeune que la nôtre - la moitié de la population a moins de trente ans -, car les classes d’âge les plus nombreuses y sont récentes. Les pays de la rive Sud Méditerranéenne sont dans cette phase favorable, bien décrite par les économistes, où la population active est à son maximum de dynamisme : sa part dans le total atteint un pic, le nombre d’enfants diminuant d’un côté [2] tandis que celui des seniors n’a pas encore eu le temps d’augmenter.
Ce potentiel démographique est bien une force ; il ne faut pas le ressentir comme une menace – ce que font ceux qui craignent des vagues incontrôlées d’immigration - alors que les riverains du Sud de la Méditerranée n’aspirent, comme tout un chacun, qu’à rester sur place s’ils peuvent y trouver un emploi et une vie décente.
Ensuite, les cinq pays dont nous parlons offrent un marché et un centre de production proche géographiquement, habitué à nos produits et à nos techniques - ingénieurs, chefs d’entreprises et ministres sont souvent formés dans nos meilleurs écoles. En termes de commerce extérieur, la France est le premier partenaire des trois pays du Maghreb, avec des parts de marché dépassant 15% chez chacun d’eux [3]. En revanche, la France n’est que le 6ème fournisseur et 3ème client de la Libye - avec laquelle notre solde commercial est très déficitaire, du fait du pétrole -, et le 6ème fournisseur et 7ème client de l’Egypte (part de marché de 4,2% en 2009). On sent le poids important de la proximité géographique, de l’histoire et de la langue, et elle y dégage de larges excédents [4].
Manifestations réprimées le 22 janvier 2011 à Alger
Nos exportations totales vers les pays de la rive Sud de la Méditerranée ont atteint 15 milliards et demi d’euros l’an dernier, soit un peu moins d’1% de notre produit national total, ou l’équivalent de deux cent mille emplois. Cet enjeu économique est perçu, mais sans doute à trop petite échelle, par nos entreprises : le montant cumulé des investissements directs d’origine française (c’est à dire les implantations durables sous forme de filiales et de succursales ou, plus concrètement d’usines, de centres d’appels et de réseaux de distribution) y dépassent 24 milliards d’euros, avec une forte prépondérance de l’Egypte (10 milliards) et du Maroc (8 milliards) [5]. On compte dans ces pays des centaines de filiales d’entreprises françaises ; elles sont même près de mille au Maroc [6].
Troisième atout, les pays du Sud méditerranéen sont en plein décollage économique. De pays pauvres qu’ils étaient il y a quelques décennies, ils sont devenus aujourd’hui des pays émergents en plein boom. Cela se reflète dans leur taux de croissance [7], bien supérieur à ceux d’environ 2%, 3% les très bonnes années, que connaît la « vieille Europe ». Grâce à cette forte croissance, ils ont réussi à élever leur niveau de vie : celui-ci reste encore, sauf en Libye - où il atteint, avec 10 000 $ par tête, le quart du niveau moyen de l’Union européenne - loin de nos standards : entre 1 600 $ courants par tête en Egypte (le plus bas) et 4 500 $ par tête en Algérie (le plus élevé après la Libye) [8]. Mais cet enrichissement relatif a permis, au prix d’inégalités parfois criantes, d’atteindre un stade où le recul de la malnutrition, les progrès de l’éducation et la naissance d’une classe moyenne désireuse de nouveaux modes de consommation offrent de grandes opportunités. Les cinq pays dont nous parlons disposent, au surplus, de revenus complémentaires substantiels pour leur balance des paiements, grâce tant au tourisme, qui joue un rôle fort important dans l’économie de certains [9], qu’aux transferts des migrants [10].
Quels lendemains pour la Révolution arabe ? Ces Etats en pleine transition démocratique vont avoir besoin de soutien. L’occasion pour l’Union Européenne de s’affirmer en tant que puissance bienveillante dans une région en plein essor économique. Philippe Jurgensen nous expose tous les bénéfices qu’aurait à gagner l’Europe en intervenant.
Les évolutions et révolutions démocratiques qui bouleversent la plupart des pays de la façade sud de la Méditerranée, du Maroc à l’Egypte, lancent à l’Europe un nouveau défi. Pour les craintifs, elles accroissent l’incertitude et les risques – instabilité politique, désorganisation économique, voire dérives islamistes. Pour les optimistes, elles offrent un monde de nouvelles opportunités politiques, économiques et sociales, sans parler de leurs immenses conséquences géopolitiques.
Pour nous en tenir au champ économique qui est celui de ces chroniques, on constatera facilement que l’ouverture démocratique et le regain d’intérêt dont bénéficient ces pays ont largement accru le champ des possibles. Encore faut-il savoir saisir rapidement ces opportunités, ne pas décevoir les attentes et réussir là où nous avons, dans la période précédente, trop souvent échoué à saisir les nouvelles tendances.
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Que représentent ces cinq pays de la rive Sud ?
D’abord un potentiel démographique important : 170 millions d’habitants - près de trois fois la France -, dont la moitié en Egypte. Contrairement à ce que certains continuent à croire, cette population a cessé de s’accroître à un rythme débridé : la fécondité est devenue proche des niveaux européens, à peine supérieure à 2 enfants par femme [1] ; en Tunisie, elle est même inférieure au seuil nécessaire pour le simple renouvellement des générations.
Caravane de la libération à Tunis
La transition démographique est donc déjà bien avancée. Mais cette population reste en moyenne bien plus jeune que la nôtre - la moitié de la population a moins de trente ans -, car les classes d’âge les plus nombreuses y sont récentes. Les pays de la rive Sud Méditerranéenne sont dans cette phase favorable, bien décrite par les économistes, où la population active est à son maximum de dynamisme : sa part dans le total atteint un pic, le nombre d’enfants diminuant d’un côté [2] tandis que celui des seniors n’a pas encore eu le temps d’augmenter.
Ce potentiel démographique est bien une force ; il ne faut pas le ressentir comme une menace – ce que font ceux qui craignent des vagues incontrôlées d’immigration - alors que les riverains du Sud de la Méditerranée n’aspirent, comme tout un chacun, qu’à rester sur place s’ils peuvent y trouver un emploi et une vie décente.
Ensuite, les cinq pays dont nous parlons offrent un marché et un centre de production proche géographiquement, habitué à nos produits et à nos techniques - ingénieurs, chefs d’entreprises et ministres sont souvent formés dans nos meilleurs écoles. En termes de commerce extérieur, la France est le premier partenaire des trois pays du Maghreb, avec des parts de marché dépassant 15% chez chacun d’eux [3]. En revanche, la France n’est que le 6ème fournisseur et 3ème client de la Libye - avec laquelle notre solde commercial est très déficitaire, du fait du pétrole -, et le 6ème fournisseur et 7ème client de l’Egypte (part de marché de 4,2% en 2009). On sent le poids important de la proximité géographique, de l’histoire et de la langue, et elle y dégage de larges excédents [4].
Manifestations réprimées le 22 janvier 2011 à Alger
Nos exportations totales vers les pays de la rive Sud de la Méditerranée ont atteint 15 milliards et demi d’euros l’an dernier, soit un peu moins d’1% de notre produit national total, ou l’équivalent de deux cent mille emplois. Cet enjeu économique est perçu, mais sans doute à trop petite échelle, par nos entreprises : le montant cumulé des investissements directs d’origine française (c’est à dire les implantations durables sous forme de filiales et de succursales ou, plus concrètement d’usines, de centres d’appels et de réseaux de distribution) y dépassent 24 milliards d’euros, avec une forte prépondérance de l’Egypte (10 milliards) et du Maroc (8 milliards) [5]. On compte dans ces pays des centaines de filiales d’entreprises françaises ; elles sont même près de mille au Maroc [6].
Troisième atout, les pays du Sud méditerranéen sont en plein décollage économique. De pays pauvres qu’ils étaient il y a quelques décennies, ils sont devenus aujourd’hui des pays émergents en plein boom. Cela se reflète dans leur taux de croissance [7], bien supérieur à ceux d’environ 2%, 3% les très bonnes années, que connaît la « vieille Europe ». Grâce à cette forte croissance, ils ont réussi à élever leur niveau de vie : celui-ci reste encore, sauf en Libye - où il atteint, avec 10 000 $ par tête, le quart du niveau moyen de l’Union européenne - loin de nos standards : entre 1 600 $ courants par tête en Egypte (le plus bas) et 4 500 $ par tête en Algérie (le plus élevé après la Libye) [8]. Mais cet enrichissement relatif a permis, au prix d’inégalités parfois criantes, d’atteindre un stade où le recul de la malnutrition, les progrès de l’éducation et la naissance d’une classe moyenne désireuse de nouveaux modes de consommation offrent de grandes opportunités. Les cinq pays dont nous parlons disposent, au surplus, de revenus complémentaires substantiels pour leur balance des paiements, grâce tant au tourisme, qui joue un rôle fort important dans l’économie de certains [9], qu’aux transferts des migrants [10].
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