Novembre 2010
Tiraillé entre un marché de plus en plus régulé, des politiques publiques qui tablent sur les génériques, la baisse des prix et l’étroitesse du marché local, les industries pharmaceutiques connaissent un mouvement de taille.
En moins d’une année, deux multinationales ont cédé leurs outils de production à des marocains. Après Glaxo SmithKline qui a cédé une unité de production au groupe Saham, Novartis a vendu son usine à Sothema. Cette usine, qui venait d’être entièrement modernisée en 2002, est située sur un terrain de 20.000 m², en pleine zone industrielle de Aïn Seba. Selon une source proche, elle a été liquidée à près de 130 millions de dirhams, soit presque à peine la valeur du terrain !
Depuis 2007, ce sont au total quatre multinationales qui ont fait le choix de vendre leurs usines (Novartis, Glaxo SmithKline, Eli Lilly & Compagnie, Bristol-Myers Squibb). «Le ministère de la santé exerce une vraie pression à la baisse sur les prix. Il va falloir choisir entre maintenir une industrie ou baisser les prix. Impossible d’avoir les deux !», tonne un responsable dans une multinationale du médicament.
Un désinvestissement croissant
En filigrane, les multinationales se délestent de leurs outils de production mais tout en voulant y garder un pied. Histoire de garder une part de marché. Et ce mouvement n’est pas général, puisque certaines multinationales désirent davantage se renforcer, en termes de production sur le Maroc comme c’est le cas de Cooper Pharma.
Que signifient alors ces départs ? «Le contexte international change beaucoup avec la concurrence des génériques. Donc, dès qu’il y a un produit qui tombe dans le domaine public, cela engendre une baisse immédiate du chiffre d’affaires des multinationales des médicaments», explique Ali Sedrati, président de l’Association Marocaine des Industries Pharmaceutiques (AMIP). Ce qui justifierait le fait que les multinationales soient dans un processus de rationalisation de leurs implantations industrielles. Cette analyse se tient mais comment expliquer que ce même Novartis ait décidé de construire ex-nihilo une nouvelle usine en Algérie, pays dans la même sphère géographique que le Maroc et avec à peu près la même population que le Maroc? «En Algérie, on consomme en moyenne 1.600 dirhams de médicaments par an et par personne, alors qu’au Maroc cette consommation se situe aux alentours de 400 dirhams», argumente ce connaisseur du secteur.
Il faut dire que le marché marocain ne représente que 0,06% du marché mondial. L’impact de la mise en place de l’AMO n’a pas augmenté cette part, puisque seulement 20% de la population est couverte.
Autre cause qui ferait fuir les multinationales et qui est endémique au secteur tout entier: la sous-utilisation des capacités de production. Cette problématique structurelle, dans le cas du Maroc, est due au fait que, durant 40 ans, le droit de distribuer des médicaments était lié à l’obligation d’avoir un laboratoire et d’y produire. Si cette norme a permis l’implantation de nombreuses unités de production au Maroc, jusqu’au point où 70% des besoins nationaux soient couverts par une production locale, elle a engendré une sur-capacité de production. Ainsi, sur les 35 unités produisant au Maroc, une grande majorité tourne en-dessous de 50% de leur capacité et parfois même à 25 ou 30%, comme ce fut le cas pour Novartis ou encore Glaxo SmithKline, qui a cédé son usine au groupe Saham. Cette situation était encore tenable pour beaucoup d’entreprises, mais dès lors que la volonté de baisser les prix des médicaments s’est faite de plus en plus pressante, les taux de croissance des multinationales et leur profitabilité ont commencé à s’éroder. «Nous faisons 2 à 3% de croissance, alors que l’intérêt de cibler les pays émergents est de faire des taux de croissance à 2 chiffres, soit 12 à 20%», explique cet industriel sous couvert d’anonymat.
Un contrat-programme qui tarde
«Il y a une nouvelle dynamique à mettre en place au niveau économique pour répondre aux objectifs du secteur», reconnaît Ali Sedrati. Mais quid du contrat-programme du secteur attendu depuis novembre 2009? En effet, le gouvernement cherche à développer une stratégie pour l’export et l’intégration du secteur au plan Emergence. Contacté par Economie/Entreprises, le ministre de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles technologies Ahmed Reda Chami assure que toutes les recommandations ont été identifiées et que le contrat-programme doit être prochainement soumis au gouvernement. «Mais le challenge pour le secteur est que les industriels acceptent de se rapprocher», ajoute le ministre.
Et l’enjeu est de taille car, pour être compétitif, les volumes produits sont fondamentaux. Comment les entreprises marocaines peuvent concurrencer les produits venus de Chine ou d’Inde, qui reposent sur des capacités de production destinées à des marchés de 2 milliards de consommateurs? «Il faut mettre en place des règles pour maintenir la viabilité économique du secteur qui figure parmi les plus sophistiqués au niveau industriel et qui est un acquis pour le pays», admet le président de l’AMIP. Mais, pour beaucoup, en l’absence d’une volonté politique forte, aussi bien de la part du ministère de l’industrie que de celui de la santé, pour préparer le secteur au choc de l’ouverture totale des frontières, celui-ci risque de perdre tous ses acquis.
En outre, le retard accumulé dans la négociation, entre industriels et ministère de la santé sur la nouvelle méthode de calcul du prix des médicaments, ne laisse aucune visibilité au secteur. Et du fait de l’éclatement des acteurs, avec pas moins de 3 associations professionnelles aux intérêts divergents, les compromis tardent à se mettre en oeuvre, ce qui donne place à un attentisme des uns et des autres. L’avenir du secteur semble donc de plus en plus compromis. Car, dans un domaine où chacun tient à sa rente de situation, patiemment acquise à travers les différentes Autorisations de Mises sur le Marché (AMM) de médicaments, les enjeux stratégiques peuvent être sacrifiés au profit d’intérêts court-termistes. Or, les échéances liées aux Accords de Libre-Echange (ALE) sont immuables. Et, si le marché marocain reste encore relativement protégé, l’entrée en vigueur totale de l’ALE avec les USA permettra aux entreprises américaines, chinoises et indiennes d’exporter directement au Maroc à partir du sol américain. Même chose pour les entreprises européennes qui sont d’ores et déjà plus compétitives que leurs homologues marocaines, notamment en génériques.
Comment donc sortir de cette situation? Pour beaucoup, c’est aux industriels de se mettre à table pour entamer leur constitution en pôles. Mais, pour Ali Sedrati, «l’industrie pharmaceutique dans le monde est parmi les moins concentrées. C’est un secteur assez spécialisé avec des contraintes particulières». Soit! Mais cela passe par plus de compétitivité. Et, dans ce cas, celle-ci est une question de taille.
Tant que toutes les unités de production sont en sous-capacité, les économies d’échelle sont absentes. Et, avec un marché étroit et une exportation limitée à 10% du chiffre d’affaires du secteur, pas moyen d’optimiser les coûts. Pour un industriel, la situation actuelle ressemble à la crise du secteur du textile. «C’est l’innovation qui peut sauver le secteur. Nous avons une pharmacopée traditionnelle très riche qui n’a pas encore été développée. Regardez ce qu’on réussit à faire avec l’huile d’argan». Une industrie de niche donc, doublée d’une concentration accrue dans le secteur, pour atteindre la taille critique. Autant de pistes qui devront être débattues lors de la présentation du contrat-programme du secteur.
Par Ghassan Waïl El Karmouni
Tiraillé entre un marché de plus en plus régulé, des politiques publiques qui tablent sur les génériques, la baisse des prix et l’étroitesse du marché local, les industries pharmaceutiques connaissent un mouvement de taille.
En moins d’une année, deux multinationales ont cédé leurs outils de production à des marocains. Après Glaxo SmithKline qui a cédé une unité de production au groupe Saham, Novartis a vendu son usine à Sothema. Cette usine, qui venait d’être entièrement modernisée en 2002, est située sur un terrain de 20.000 m², en pleine zone industrielle de Aïn Seba. Selon une source proche, elle a été liquidée à près de 130 millions de dirhams, soit presque à peine la valeur du terrain !
Depuis 2007, ce sont au total quatre multinationales qui ont fait le choix de vendre leurs usines (Novartis, Glaxo SmithKline, Eli Lilly & Compagnie, Bristol-Myers Squibb). «Le ministère de la santé exerce une vraie pression à la baisse sur les prix. Il va falloir choisir entre maintenir une industrie ou baisser les prix. Impossible d’avoir les deux !», tonne un responsable dans une multinationale du médicament.
Un désinvestissement croissant
En filigrane, les multinationales se délestent de leurs outils de production mais tout en voulant y garder un pied. Histoire de garder une part de marché. Et ce mouvement n’est pas général, puisque certaines multinationales désirent davantage se renforcer, en termes de production sur le Maroc comme c’est le cas de Cooper Pharma.
Que signifient alors ces départs ? «Le contexte international change beaucoup avec la concurrence des génériques. Donc, dès qu’il y a un produit qui tombe dans le domaine public, cela engendre une baisse immédiate du chiffre d’affaires des multinationales des médicaments», explique Ali Sedrati, président de l’Association Marocaine des Industries Pharmaceutiques (AMIP). Ce qui justifierait le fait que les multinationales soient dans un processus de rationalisation de leurs implantations industrielles. Cette analyse se tient mais comment expliquer que ce même Novartis ait décidé de construire ex-nihilo une nouvelle usine en Algérie, pays dans la même sphère géographique que le Maroc et avec à peu près la même population que le Maroc? «En Algérie, on consomme en moyenne 1.600 dirhams de médicaments par an et par personne, alors qu’au Maroc cette consommation se situe aux alentours de 400 dirhams», argumente ce connaisseur du secteur.
Il faut dire que le marché marocain ne représente que 0,06% du marché mondial. L’impact de la mise en place de l’AMO n’a pas augmenté cette part, puisque seulement 20% de la population est couverte.
Autre cause qui ferait fuir les multinationales et qui est endémique au secteur tout entier: la sous-utilisation des capacités de production. Cette problématique structurelle, dans le cas du Maroc, est due au fait que, durant 40 ans, le droit de distribuer des médicaments était lié à l’obligation d’avoir un laboratoire et d’y produire. Si cette norme a permis l’implantation de nombreuses unités de production au Maroc, jusqu’au point où 70% des besoins nationaux soient couverts par une production locale, elle a engendré une sur-capacité de production. Ainsi, sur les 35 unités produisant au Maroc, une grande majorité tourne en-dessous de 50% de leur capacité et parfois même à 25 ou 30%, comme ce fut le cas pour Novartis ou encore Glaxo SmithKline, qui a cédé son usine au groupe Saham. Cette situation était encore tenable pour beaucoup d’entreprises, mais dès lors que la volonté de baisser les prix des médicaments s’est faite de plus en plus pressante, les taux de croissance des multinationales et leur profitabilité ont commencé à s’éroder. «Nous faisons 2 à 3% de croissance, alors que l’intérêt de cibler les pays émergents est de faire des taux de croissance à 2 chiffres, soit 12 à 20%», explique cet industriel sous couvert d’anonymat.
Un contrat-programme qui tarde
«Il y a une nouvelle dynamique à mettre en place au niveau économique pour répondre aux objectifs du secteur», reconnaît Ali Sedrati. Mais quid du contrat-programme du secteur attendu depuis novembre 2009? En effet, le gouvernement cherche à développer une stratégie pour l’export et l’intégration du secteur au plan Emergence. Contacté par Economie/Entreprises, le ministre de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles technologies Ahmed Reda Chami assure que toutes les recommandations ont été identifiées et que le contrat-programme doit être prochainement soumis au gouvernement. «Mais le challenge pour le secteur est que les industriels acceptent de se rapprocher», ajoute le ministre.
Et l’enjeu est de taille car, pour être compétitif, les volumes produits sont fondamentaux. Comment les entreprises marocaines peuvent concurrencer les produits venus de Chine ou d’Inde, qui reposent sur des capacités de production destinées à des marchés de 2 milliards de consommateurs? «Il faut mettre en place des règles pour maintenir la viabilité économique du secteur qui figure parmi les plus sophistiqués au niveau industriel et qui est un acquis pour le pays», admet le président de l’AMIP. Mais, pour beaucoup, en l’absence d’une volonté politique forte, aussi bien de la part du ministère de l’industrie que de celui de la santé, pour préparer le secteur au choc de l’ouverture totale des frontières, celui-ci risque de perdre tous ses acquis.
En outre, le retard accumulé dans la négociation, entre industriels et ministère de la santé sur la nouvelle méthode de calcul du prix des médicaments, ne laisse aucune visibilité au secteur. Et du fait de l’éclatement des acteurs, avec pas moins de 3 associations professionnelles aux intérêts divergents, les compromis tardent à se mettre en oeuvre, ce qui donne place à un attentisme des uns et des autres. L’avenir du secteur semble donc de plus en plus compromis. Car, dans un domaine où chacun tient à sa rente de situation, patiemment acquise à travers les différentes Autorisations de Mises sur le Marché (AMM) de médicaments, les enjeux stratégiques peuvent être sacrifiés au profit d’intérêts court-termistes. Or, les échéances liées aux Accords de Libre-Echange (ALE) sont immuables. Et, si le marché marocain reste encore relativement protégé, l’entrée en vigueur totale de l’ALE avec les USA permettra aux entreprises américaines, chinoises et indiennes d’exporter directement au Maroc à partir du sol américain. Même chose pour les entreprises européennes qui sont d’ores et déjà plus compétitives que leurs homologues marocaines, notamment en génériques.
Comment donc sortir de cette situation? Pour beaucoup, c’est aux industriels de se mettre à table pour entamer leur constitution en pôles. Mais, pour Ali Sedrati, «l’industrie pharmaceutique dans le monde est parmi les moins concentrées. C’est un secteur assez spécialisé avec des contraintes particulières». Soit! Mais cela passe par plus de compétitivité. Et, dans ce cas, celle-ci est une question de taille.
Tant que toutes les unités de production sont en sous-capacité, les économies d’échelle sont absentes. Et, avec un marché étroit et une exportation limitée à 10% du chiffre d’affaires du secteur, pas moyen d’optimiser les coûts. Pour un industriel, la situation actuelle ressemble à la crise du secteur du textile. «C’est l’innovation qui peut sauver le secteur. Nous avons une pharmacopée traditionnelle très riche qui n’a pas encore été développée. Regardez ce qu’on réussit à faire avec l’huile d’argan». Une industrie de niche donc, doublée d’une concentration accrue dans le secteur, pour atteindre la taille critique. Autant de pistes qui devront être débattues lors de la présentation du contrat-programme du secteur.
Par Ghassan Waïl El Karmouni
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