Les propriétaires des logements confiés à General Contractor Maroc attendent toujours la livraison de leurs biens. Ce dossier sulfureux, géré par Benjamin Chetrit, et marqué par la passivité des principaux opérateurs, Der Krikorian et Al Omrane, gangrène l’opération Tamesna. Fathallah Berrada peine à convaincre sur ses capacités de redressement.
«?Entre malversation et corruption?». Présentée comme cela, l’affiche est naturellement moins séduisante. Et pourtant. C’est bien de malversation et de corruption qu’il s’agit pour qualifier le cas le plus épineux de la réalisation des premiers logements de Tamesna.
Le dossier de General Contractor Maroc (GCM), cette société à laquelle le holding Al Omrane a accordé le 5 août 2005, l’adjudication de 1?500 logements clés en mains, de 5?000 logements (Lot B), dont 20?% à faible valeur immobilière (VIT?: 120?000 dirhams) avec équipements collectifs à réaliser (école, maison de jeunes et poste), et de quelques dizaines de villas, n’en finit pas de rebondir. On le croyait résolu fin 2009. Il n’en est rien.
Passivité des pouvoirs publics
évoquer ce dossier?–?qui voit des centaines de familles attendre encore en vain un logement pour lequel elles ont versé voici des années de confortables avances – c’est pénétrer dans un univers ou s’entremêlent au mieux la coupable passivité des pouvoirs publics, au pire des comportements empreints d’irrégularités, entachés d’illégalité, où les règles de bonne gestion ont rapidement laissé place aux pratiques les plus scandaleuses.
Au cœur de ce dossier, un holding public – Al Omrane – bras armé du ministère de l’Habitat, et deux associés qui ont déjà défrayé la chronique en 2005, lors de la reprise de la Marina Casablanca par la CDG (lire pages 18 et 19). La justice dira peut-être un jour sa vérité sur les faits qui lui seront soumis. Les plaintes ne manquent pas, déposées par les principaux protagonistes, sous un feu croisé qui ne manque pas de piquant. Benjamin Chetrit, l’homme aux identités multiples (lire encadré), ex-mandataire, fondé de pouvoirs, et président délégué de General Contractor, et André Der Krikorian, président du Groupe Der Krikorian, auront sans doute le loisir de s’expliquer devant la justice qu’ils viennent tour à tour de solliciter. En attendant, les tentatives de sauvetage de General Contractor semblent demeurer vaines?; et les acquéreurs douter du règlement de leur contentieux à l’égard du promoteur.
L’année 2010 a pourtant failli bien commencer. Le 29 décembre dernier, le sourire était de mise. Posant pour la photo, après avoir signé un «?mémorandum d’entente?», Fathallah Berrada, le nouveau patron de General Contractor, Miloud Hachimi, président de l’association Tamesna pour le développement et la solidarité (ATDS) –?une association de clients en colère –, Abdelkader Kaioua, inspecteur régional du ministère de l’Habitat, chargé par Ahmed Taoufiq Hejira d’une mission de médiation et quelques responsables du holding Al Omrane se félicitent d’avoir pu arracher, auprès des repreneurs de la société General Contractor, un calendrier précis de livraison des appartements et villas acquis par les acquéreurs. Mise sur pied en août 2009, après que les clients lésés par des années d’attente de la réception de leurs biens ont sollicité l’arbitrage du ministère de tutelle, la commission de médiation a obtenu des opérateurs une livraison rapide et progressive des logements.
Des ventes illégales
Trois mois plus tard, le sourire s’est figé. Les investisseurs emmenés par Fathallah Berrada, ancien président de la Bourse de Casablanca, n’ont toujours pas convaincu Al Omrane de leurs capacités financières, techniques et juridiques pour assumer, sans nouveaux dommages, la réalisation des programmes confiés à General Contractor. En clair, la surface financière des nouveaux opérateurs apparaîtrait nettement insuffisante, et leurs capacités à mener à bien un chantier d’une telle importance singulièrement limitées. Le holding public a donc annoncé son intention de se substituer à la société défaillante pour assurer la bonne fin des travaux et permettre, enfin, aux acquéreurs de prendre livraison de leurs logements dans les meilleurs délais.
Des primo-actionnaires défaillants, relayés par de nouveaux investisseurs sous l’œil bienveillant de la puissance publique?: le scénario aurait pu être idéal. Mais dans le dossier General Contractor, rien ne semble devoir répondre aux règles de bonne gestion. Et Al Omrane, qui a longtemps préféré ignorer les dysfonctionnements de la gestion de Benjamin Chetrit, se trouve bel et bien contraint de pallier ses propres insuffisances. Les quatre années de gestion pilotées par le mandataire du groupe Der Krikorian n’ont pas fini de révéler toutes leurs turpitudes. Au premier rang de celles-ci, des ventes de logements réalisées en parfaite illégalité au regard de la loi de la VEFA (Vente en l’Etat Futur d’Achèvement), pourtant expressément précisée dans la convention signée entre General Contractor et Al Omrane. Ventes qui ont permis à Benjamin Chetrit d’encaisser des sommes extrêmement importantes au bénéfice de GCM, mais dont la traçabilité laisserait aujourd’hui grandement à désirer. Et sur l’utilisation desquelles la Justice aura sans doute à se prononcer.
La détresse de clients toujours en attente de livraison, le désarroi d’entreprises non payées, l’arrêt progressif des chantiers, le non-respect du cahier des charges?: les éléments n’ont pas manqué qui auraient pu et auraient dû susciter la mobilisation d’Al Omrane. Le holding public, en charge de l’aménagement de la ville nouvelle de Tamesna, est pourtant resté sourd et aveugle à tous les signaux d’alarme. Une telle cécité pose question(s).
Une convention bafouée
Ainsi, s’agissant du non-respect de la VEFA, la réponse de Nabil Kerdoudi, PDG d’?Al Omrane Tamesna ne manque pas de surprendre?:?«?Effectivement, dans l’ancien accord, cela n’a pas été fait. Mais, il faut dire que la majorité, voire la quasi-totalité des ventes réalisées jusqu’à présent par les autres promoteurs dont Addoha, qui est pourtant coté, ne respectent pas cette disposition légale. Nous avons veillé à remédier à cela. Nous avons l’engagement de GCM à livrer tous les clients qui ont versé des avances et à respecter les dispositions de la VEFA pour les futures transactions.?» Et, interrogé sur la passivité de son holding sur les dysfonctionnements de la gestion de GCM, la réponse de Nabil Kerdoudi demeure tout aussi désarmante?:?«?Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ! On voyait bien à un certain moment qu’il y avait des risques. GCM était confronté à de graves problèmes financiers, stratégiques et de gestion. Ce qui ne lui a pas permis de respecter ses engagements vis-à-vis de ses clients. On ne pouvait pas payer à sa place ses fournisseurs. Pour le programme Amal 1 (recasement des bidonvillois), nous avons continué à payer les entreprises pour éviter que le chantier ne s’arrête. Sur ce programme, GCM assure juste la maîtrise d’ouvrage... »
«?Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse?!?» Respecter la «?convention de partenariat?» signée entre les deux partenaires le 25 novembre 2005 peut-être… Celle-là même qui, en son article 14 stipule que « la présente convention sera résiliée de plein droit sans qu’il soit besoin d’accomplir une quelconque formalité dans les cas suivants : (…) manquements graves aux règles de l’art (…), non-respect des prescriptions techniques définies dans le cahier des charges et/ou engagements souscrits par le partenaire, dépassement supérieur à six mois de l’échéancier d’exécution prévu?». Un article 14 qui, si Al Omrane avait assumé ses responsabilités en temps opportun, aurait sans doute évité aux acquéreurs, tenus de longs mois dans l’ignorance, de menacer de recourir à la justice pour se faire entendre.
***
Entre mer et nature ». Les agences de communication ne manquent jamais d’imagination?! Et en arrivant sur le site de la ville nouvelle de Tamesna, mieux vaut avoir de l’imagination… à plus d’une vingtaine de kilomètres de Rabat, la mer est un peu loin. Quant à la nature, si elle est bien présente, elle offre encore aujourd’hui un visage singulièrement ingrat, défigurée sur plusieurs centaines d’hectares par l’immense chantier d’une ville nouvelle qui doit accueillir, à terme, quelque 250 000 habitants. Pour l’heure, l’ensemble, érigé au milieu des champs et des pâturages, dont quelques dizaines de logements seulement ont été livrés, laisse planer bien des inquiétudes parmi la population pionnière.«?Entre malversation et corruption?». Présentée comme cela, l’affiche est naturellement moins séduisante. Et pourtant. C’est bien de malversation et de corruption qu’il s’agit pour qualifier le cas le plus épineux de la réalisation des premiers logements de Tamesna.
Le dossier de General Contractor Maroc (GCM), cette société à laquelle le holding Al Omrane a accordé le 5 août 2005, l’adjudication de 1?500 logements clés en mains, de 5?000 logements (Lot B), dont 20?% à faible valeur immobilière (VIT?: 120?000 dirhams) avec équipements collectifs à réaliser (école, maison de jeunes et poste), et de quelques dizaines de villas, n’en finit pas de rebondir. On le croyait résolu fin 2009. Il n’en est rien.
Passivité des pouvoirs publics
évoquer ce dossier?–?qui voit des centaines de familles attendre encore en vain un logement pour lequel elles ont versé voici des années de confortables avances – c’est pénétrer dans un univers ou s’entremêlent au mieux la coupable passivité des pouvoirs publics, au pire des comportements empreints d’irrégularités, entachés d’illégalité, où les règles de bonne gestion ont rapidement laissé place aux pratiques les plus scandaleuses.
Au cœur de ce dossier, un holding public – Al Omrane – bras armé du ministère de l’Habitat, et deux associés qui ont déjà défrayé la chronique en 2005, lors de la reprise de la Marina Casablanca par la CDG (lire pages 18 et 19). La justice dira peut-être un jour sa vérité sur les faits qui lui seront soumis. Les plaintes ne manquent pas, déposées par les principaux protagonistes, sous un feu croisé qui ne manque pas de piquant. Benjamin Chetrit, l’homme aux identités multiples (lire encadré), ex-mandataire, fondé de pouvoirs, et président délégué de General Contractor, et André Der Krikorian, président du Groupe Der Krikorian, auront sans doute le loisir de s’expliquer devant la justice qu’ils viennent tour à tour de solliciter. En attendant, les tentatives de sauvetage de General Contractor semblent demeurer vaines?; et les acquéreurs douter du règlement de leur contentieux à l’égard du promoteur.
L’année 2010 a pourtant failli bien commencer. Le 29 décembre dernier, le sourire était de mise. Posant pour la photo, après avoir signé un «?mémorandum d’entente?», Fathallah Berrada, le nouveau patron de General Contractor, Miloud Hachimi, président de l’association Tamesna pour le développement et la solidarité (ATDS) –?une association de clients en colère –, Abdelkader Kaioua, inspecteur régional du ministère de l’Habitat, chargé par Ahmed Taoufiq Hejira d’une mission de médiation et quelques responsables du holding Al Omrane se félicitent d’avoir pu arracher, auprès des repreneurs de la société General Contractor, un calendrier précis de livraison des appartements et villas acquis par les acquéreurs. Mise sur pied en août 2009, après que les clients lésés par des années d’attente de la réception de leurs biens ont sollicité l’arbitrage du ministère de tutelle, la commission de médiation a obtenu des opérateurs une livraison rapide et progressive des logements.
Des ventes illégales
Trois mois plus tard, le sourire s’est figé. Les investisseurs emmenés par Fathallah Berrada, ancien président de la Bourse de Casablanca, n’ont toujours pas convaincu Al Omrane de leurs capacités financières, techniques et juridiques pour assumer, sans nouveaux dommages, la réalisation des programmes confiés à General Contractor. En clair, la surface financière des nouveaux opérateurs apparaîtrait nettement insuffisante, et leurs capacités à mener à bien un chantier d’une telle importance singulièrement limitées. Le holding public a donc annoncé son intention de se substituer à la société défaillante pour assurer la bonne fin des travaux et permettre, enfin, aux acquéreurs de prendre livraison de leurs logements dans les meilleurs délais.
Des primo-actionnaires défaillants, relayés par de nouveaux investisseurs sous l’œil bienveillant de la puissance publique?: le scénario aurait pu être idéal. Mais dans le dossier General Contractor, rien ne semble devoir répondre aux règles de bonne gestion. Et Al Omrane, qui a longtemps préféré ignorer les dysfonctionnements de la gestion de Benjamin Chetrit, se trouve bel et bien contraint de pallier ses propres insuffisances. Les quatre années de gestion pilotées par le mandataire du groupe Der Krikorian n’ont pas fini de révéler toutes leurs turpitudes. Au premier rang de celles-ci, des ventes de logements réalisées en parfaite illégalité au regard de la loi de la VEFA (Vente en l’Etat Futur d’Achèvement), pourtant expressément précisée dans la convention signée entre General Contractor et Al Omrane. Ventes qui ont permis à Benjamin Chetrit d’encaisser des sommes extrêmement importantes au bénéfice de GCM, mais dont la traçabilité laisserait aujourd’hui grandement à désirer. Et sur l’utilisation desquelles la Justice aura sans doute à se prononcer.
La détresse de clients toujours en attente de livraison, le désarroi d’entreprises non payées, l’arrêt progressif des chantiers, le non-respect du cahier des charges?: les éléments n’ont pas manqué qui auraient pu et auraient dû susciter la mobilisation d’Al Omrane. Le holding public, en charge de l’aménagement de la ville nouvelle de Tamesna, est pourtant resté sourd et aveugle à tous les signaux d’alarme. Une telle cécité pose question(s).
Une convention bafouée
Ainsi, s’agissant du non-respect de la VEFA, la réponse de Nabil Kerdoudi, PDG d’?Al Omrane Tamesna ne manque pas de surprendre?:?«?Effectivement, dans l’ancien accord, cela n’a pas été fait. Mais, il faut dire que la majorité, voire la quasi-totalité des ventes réalisées jusqu’à présent par les autres promoteurs dont Addoha, qui est pourtant coté, ne respectent pas cette disposition légale. Nous avons veillé à remédier à cela. Nous avons l’engagement de GCM à livrer tous les clients qui ont versé des avances et à respecter les dispositions de la VEFA pour les futures transactions.?» Et, interrogé sur la passivité de son holding sur les dysfonctionnements de la gestion de GCM, la réponse de Nabil Kerdoudi demeure tout aussi désarmante?:?«?Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ! On voyait bien à un certain moment qu’il y avait des risques. GCM était confronté à de graves problèmes financiers, stratégiques et de gestion. Ce qui ne lui a pas permis de respecter ses engagements vis-à-vis de ses clients. On ne pouvait pas payer à sa place ses fournisseurs. Pour le programme Amal 1 (recasement des bidonvillois), nous avons continué à payer les entreprises pour éviter que le chantier ne s’arrête. Sur ce programme, GCM assure juste la maîtrise d’ouvrage... »
«?Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse?!?» Respecter la «?convention de partenariat?» signée entre les deux partenaires le 25 novembre 2005 peut-être… Celle-là même qui, en son article 14 stipule que « la présente convention sera résiliée de plein droit sans qu’il soit besoin d’accomplir une quelconque formalité dans les cas suivants : (…) manquements graves aux règles de l’art (…), non-respect des prescriptions techniques définies dans le cahier des charges et/ou engagements souscrits par le partenaire, dépassement supérieur à six mois de l’échéancier d’exécution prévu?». Un article 14 qui, si Al Omrane avait assumé ses responsabilités en temps opportun, aurait sans doute évité aux acquéreurs, tenus de longs mois dans l’ignorance, de menacer de recourir à la justice pour se faire entendre.
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