* Une année après le lancement du plan Emergence, l’industrie marocaine se trouve dans une situation mitigée, entre succès et déception.
* Si l’industrie pharmaceutique s’en sort, le textile, quant à lui, s’éteint doucement dans le silence.
* Le secteur des services ne peut pas absorber toute la main-d’œuvre qui se retrouve au chômage à cause des fermetures d’usines.
* Si on ne trouve pas du travail à cette catégorie de population, c’est à une véritable crise sociale et politique qu’on risque d’être confronté.
* Notre proximité avec l’Europe est un atout révolu face à la montée en puissance d’autres pays, asiatiques notamment, et eu égard à la baisse de nos échanges avec l’Europe.
Mohamed Berrada, professeur à l’université Hassan II et président du Centre de recherches économiques, juridiques et sociales LINKS, apporte un regard analytique sur la situation industrielle et sur son évolution dans un contexte plus qu’incertain.
- Finances News Hebdo : En avril dernier se sont tenues les premières Assises de l’industrie qui marquent une année du plan Emergence. Serait-ce le point de départ d’un nouveau processus d’industrialisation de notre pays ?
- Mohamed Berrada : Si vous voulez parler du secteur industriel dans son ensemble, je ne pense pas que la mise en œuvre de ce plan puisse suffire pour assurer sa croissance de manière significative. Concernant les 4 métiers mondiaux qu’il cible, il faut attendre. Comme toute stratégie, il a ses qualités, mais aussi ses faiblesses.
- F. N. H. : Quels seraient les avantages comparatifs sur lesquels table le Maroc?
- M. B. : Il y a plusieurs facteurs qu’on cite en général, comme la stabilité politique, la stabilité du cadre macroéconomique, les infrastructures, le bas coût de la main-d’œuvre, etc….Mais le facteur déterminant, selon les concepteurs du plan, est notre proximité avec l’Europe !
- F. N. H. : Cet atout purement géographique est-il suffisant ?
- M. B. : Bien sûr que non ! Mais tout porte à croire que ce plan est conçu dans le cadre du développement de nos relations avec l’Europe. L’essentiel des partenaires étrangers qui s’impliquent dans la stratégie émergence viennent d’Europe, et particulièrement de la France et de l’Espagne. Sur ce point, il n y a pas de révolution. C’est vrai que le renforcement des échanges de proximité permet de compenser l’agressivité de pays éloignés bien plus compétitifs. La régionalisation est une arme contre les effets négatifs de la mondialisation. Malheureusement, les choses n’évoluent pas dans le sens de cette logique, et les espoirs que nous avons fondés, avec le processus de Barcelone, pour construire un grand espace euro-méditerranéen d’échange et d’investissement, facteur de paix et de sécurité pour notre région, s’évanouit peu à peu.
- F. N. H. : Cela revient-il à dire que l’Europe risque de ne plus être notre partenaire essentiel ?
- M. B. : Elle restera un partenaire important, mais nous devons regarder la réalité en face ! L’Europe est ouverte aux échanges mondiaux, elle est envahie par les produits asiatiques et en particulier chinois, à des prix qui défient toute concurrence. Chaque jour la Chine améliore la qualité de sa production, et grâce à un yuan faible, impose sa production au monde, et provoque de ce fait un processus de désindustrialisation rapide dans les pays du Nord. Si l’Europe se désindustrialise, ce redéploiement industriel ne se fait pas à notre profit, pays de proximité, mais au profit de l’Asie. Vous voyez donc que notre marché traditionnel est désormais attaqué, et que la part de nos échanges avec l’Europe ne cesse de diminuer. Les progrès réalisés dans le domaine de la logistique font que le facteur proximité est devenu un atout révolu !
- F. N. H. : On a signé des accords d’association avec l’Union européenne… Est-elle est appelée à jouer un rôle de locomotive pour notre économie !
- M. B. : Cette locomotive à laquelle nous sommes arrimés, pour l’instant, ne roule pas vite… La croissance économique européenne, en raison des coûts d’intégration des nouveaux membres dans l’Union, de l’insuffisance de coordination des politiques économiques, du vieillissement de la population, de la faiblesse de l’innovation et de la recherche dans sa stratégie économique, reste molle si on la compare à celle des autres pays comme les Etats-Unis, le Brésil ou la Chine. Avoir une monnaie unique, c’est bien, mais à condition d’avoir une politique budgétaire unique. L’Europe est appelée à faire des réformes structurelles courageuses qui demandent du temps. Elle est appelée à affronter de multiples perturbations en raison des distorsions existantes au niveau des politiques nationales. Tout cela explique la crise de confiance que les marchés financiers ressentent à l’égard de l’Euro et de l’économie européenne.
- F. N. H. : La situation ne va-t-elle pas s’arranger avec la baisse de l’Euro, qui pourrait relancer la croissance européenne ?
- M. B. : Une dévaluation compétitive n’est pas la solution miracle pour la croissance sur le long terme…, la baisse de l’Euro a un caractère essentiellement spéculatif. Les marchés sont devenus imprévisibles et pleins de contradiction. Ils sanctionnent ceux qui ne mettent pas rapidement en œuvre des plans de relance consistants, pour leur reprocher ensuite les dérapages budgétaires et l’endettement qui en découlent ! Les marchés financiers fonctionnent souvent en dehors de l’économie réelle. Mais ce sont les faces visibles de l’iceberg. En fait, les analystes et les agences de notation doutent, pour différentes raisons, de la capacité de l’Europe à rester dans le peloton de tête de la croissance économique mondiale. Et c’est avec l’Europe qu’on est arrimé et que l’on construit notre devenir industriel.
- F. N. H. : La nouvelle crise financière que connaît actuellement l’Europe est-elle révélatrice de sa faiblesse?
- M. B. : Il n y a pas de nouvelle crise financière en Europe ! Ce qui se passe aujourd’hui sur le plan financier n’est que la suite logique des dysfonctionnements induits par la crise financière de 2008, devenue économique et désormais sociale. On découvre soudain qu’on vivait au-dessus de ses moyens… On accordait des crédits sans limite, qui alimentaient la croissance, les prix des actifs et les profits, jusqu’au jour où on ne peut plus rembourser. L’exubérance des marchés financiers est un comportement caractéristique des valeurs dominantes à notre époque. En Europe, le chômage continuera de s’aggraver. Les rebonds de croissance constatés proviennent essentiellement des cycles de stockage et déstockage des produits. Les déficits publics considérables qui découlent de la forte augmentation des dépenses publiques des plans de relance, et aujourd’hui des plans de soutien à la Grèce, et demain au Portugal et à l’Espagne, nécessitent des politiques de rigueur du genre de celles que nous avons nous mêmes connues dans le passé, accompagnées probablement du relèvement des taux d’imposition. Tout cela risque de peser sur la consommation des ménages et donc sur la croissance. Or, c’est la croissance qui génère les recettes fiscales, susceptibles de réduire le déficit public. Vous voyez, l’Europe n’est pas encore sortie de l’auberge.
- F. N. H. : Cette crise n’aura-t-elle pas une incidence sur notre économie ?
- M. B. : Je me rappelle certaines déclarations qui disaient que nous n’étions pas concernés par la crise économique internationale. C’est vrai que si la globalisation renforce les interdépendances économiques, certains orages peuvent épisodiquement ne pas traverser des frontières. Nous avons ainsi bénéficié en 2009 d’une bonne récolte agricole et de la baisse des prix du pétrole, ramenant les charges de la compensation à des niveaux acceptables, démontrant en même temps notre dépendance aux facteurs exogènes. Les indicateurs macroéconomiques sont indemnes. Mais en dehors du bâtiment, le secteur industriel a subi une baisse d’activité significative. Par le biais de la balance des paiements, nous subirons les effets du ralentissement économique, et de la baisse de la consommation des ménages européens qui en découle ! Et c’est notre principal partenaire ! Et ce, depuis le milieu de 2009. Je pense que la situation continuera de se détériorer au cours de cette année. On ne vit pas en vase clos. On parle d’ouverture, mais on n’aime pas penser à ses conséquences…Certains secteurs comme le tourisme, l’artisanat, l’industrie manufacturière, l’électronique, la mécanique, le plastique…et même le bâtiment dit de luxe affronteront des turbulences. Mais comme dans toute crise, certaines entreprises pourraient en tirer profit aussi pour rebondir...
- F. N. H. : Si notre partenaire est mis à mal, que devons-nous faire de notre côté ? Doit-on attendre tranquillement qu’il nous transmette ses difficultés ?
- M. B. : Notre partenaire a besoin, comme nous, de voisins forts et en bonne santé. Nous devons regarder autour de nous, bien sûr, mais aussi de plus en plus loin. La capacité de résistance d’une économie réside dans sa diversité : diversité dans les activités, et diversité dans le choix des partenaires. Et pas n’importe lesquels : ceux qui enregistrent des performances exceptionnelles, les nouvelles locomotives. Le monde change rapidement et nous devons nous adapter aux exigences de la mondialisation, qui font que les échanges et les investissements sont devenus planétaires.
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* Si l’industrie pharmaceutique s’en sort, le textile, quant à lui, s’éteint doucement dans le silence.
* Le secteur des services ne peut pas absorber toute la main-d’œuvre qui se retrouve au chômage à cause des fermetures d’usines.
* Si on ne trouve pas du travail à cette catégorie de population, c’est à une véritable crise sociale et politique qu’on risque d’être confronté.
* Notre proximité avec l’Europe est un atout révolu face à la montée en puissance d’autres pays, asiatiques notamment, et eu égard à la baisse de nos échanges avec l’Europe.
Mohamed Berrada, professeur à l’université Hassan II et président du Centre de recherches économiques, juridiques et sociales LINKS, apporte un regard analytique sur la situation industrielle et sur son évolution dans un contexte plus qu’incertain.
- Finances News Hebdo : En avril dernier se sont tenues les premières Assises de l’industrie qui marquent une année du plan Emergence. Serait-ce le point de départ d’un nouveau processus d’industrialisation de notre pays ?
- Mohamed Berrada : Si vous voulez parler du secteur industriel dans son ensemble, je ne pense pas que la mise en œuvre de ce plan puisse suffire pour assurer sa croissance de manière significative. Concernant les 4 métiers mondiaux qu’il cible, il faut attendre. Comme toute stratégie, il a ses qualités, mais aussi ses faiblesses.
- F. N. H. : Quels seraient les avantages comparatifs sur lesquels table le Maroc?
- M. B. : Il y a plusieurs facteurs qu’on cite en général, comme la stabilité politique, la stabilité du cadre macroéconomique, les infrastructures, le bas coût de la main-d’œuvre, etc….Mais le facteur déterminant, selon les concepteurs du plan, est notre proximité avec l’Europe !
- F. N. H. : Cet atout purement géographique est-il suffisant ?
- M. B. : Bien sûr que non ! Mais tout porte à croire que ce plan est conçu dans le cadre du développement de nos relations avec l’Europe. L’essentiel des partenaires étrangers qui s’impliquent dans la stratégie émergence viennent d’Europe, et particulièrement de la France et de l’Espagne. Sur ce point, il n y a pas de révolution. C’est vrai que le renforcement des échanges de proximité permet de compenser l’agressivité de pays éloignés bien plus compétitifs. La régionalisation est une arme contre les effets négatifs de la mondialisation. Malheureusement, les choses n’évoluent pas dans le sens de cette logique, et les espoirs que nous avons fondés, avec le processus de Barcelone, pour construire un grand espace euro-méditerranéen d’échange et d’investissement, facteur de paix et de sécurité pour notre région, s’évanouit peu à peu.
- F. N. H. : Cela revient-il à dire que l’Europe risque de ne plus être notre partenaire essentiel ?
- M. B. : Elle restera un partenaire important, mais nous devons regarder la réalité en face ! L’Europe est ouverte aux échanges mondiaux, elle est envahie par les produits asiatiques et en particulier chinois, à des prix qui défient toute concurrence. Chaque jour la Chine améliore la qualité de sa production, et grâce à un yuan faible, impose sa production au monde, et provoque de ce fait un processus de désindustrialisation rapide dans les pays du Nord. Si l’Europe se désindustrialise, ce redéploiement industriel ne se fait pas à notre profit, pays de proximité, mais au profit de l’Asie. Vous voyez donc que notre marché traditionnel est désormais attaqué, et que la part de nos échanges avec l’Europe ne cesse de diminuer. Les progrès réalisés dans le domaine de la logistique font que le facteur proximité est devenu un atout révolu !
- F. N. H. : On a signé des accords d’association avec l’Union européenne… Est-elle est appelée à jouer un rôle de locomotive pour notre économie !
- M. B. : Cette locomotive à laquelle nous sommes arrimés, pour l’instant, ne roule pas vite… La croissance économique européenne, en raison des coûts d’intégration des nouveaux membres dans l’Union, de l’insuffisance de coordination des politiques économiques, du vieillissement de la population, de la faiblesse de l’innovation et de la recherche dans sa stratégie économique, reste molle si on la compare à celle des autres pays comme les Etats-Unis, le Brésil ou la Chine. Avoir une monnaie unique, c’est bien, mais à condition d’avoir une politique budgétaire unique. L’Europe est appelée à faire des réformes structurelles courageuses qui demandent du temps. Elle est appelée à affronter de multiples perturbations en raison des distorsions existantes au niveau des politiques nationales. Tout cela explique la crise de confiance que les marchés financiers ressentent à l’égard de l’Euro et de l’économie européenne.
- F. N. H. : La situation ne va-t-elle pas s’arranger avec la baisse de l’Euro, qui pourrait relancer la croissance européenne ?
- M. B. : Une dévaluation compétitive n’est pas la solution miracle pour la croissance sur le long terme…, la baisse de l’Euro a un caractère essentiellement spéculatif. Les marchés sont devenus imprévisibles et pleins de contradiction. Ils sanctionnent ceux qui ne mettent pas rapidement en œuvre des plans de relance consistants, pour leur reprocher ensuite les dérapages budgétaires et l’endettement qui en découlent ! Les marchés financiers fonctionnent souvent en dehors de l’économie réelle. Mais ce sont les faces visibles de l’iceberg. En fait, les analystes et les agences de notation doutent, pour différentes raisons, de la capacité de l’Europe à rester dans le peloton de tête de la croissance économique mondiale. Et c’est avec l’Europe qu’on est arrimé et que l’on construit notre devenir industriel.
- F. N. H. : La nouvelle crise financière que connaît actuellement l’Europe est-elle révélatrice de sa faiblesse?
- M. B. : Il n y a pas de nouvelle crise financière en Europe ! Ce qui se passe aujourd’hui sur le plan financier n’est que la suite logique des dysfonctionnements induits par la crise financière de 2008, devenue économique et désormais sociale. On découvre soudain qu’on vivait au-dessus de ses moyens… On accordait des crédits sans limite, qui alimentaient la croissance, les prix des actifs et les profits, jusqu’au jour où on ne peut plus rembourser. L’exubérance des marchés financiers est un comportement caractéristique des valeurs dominantes à notre époque. En Europe, le chômage continuera de s’aggraver. Les rebonds de croissance constatés proviennent essentiellement des cycles de stockage et déstockage des produits. Les déficits publics considérables qui découlent de la forte augmentation des dépenses publiques des plans de relance, et aujourd’hui des plans de soutien à la Grèce, et demain au Portugal et à l’Espagne, nécessitent des politiques de rigueur du genre de celles que nous avons nous mêmes connues dans le passé, accompagnées probablement du relèvement des taux d’imposition. Tout cela risque de peser sur la consommation des ménages et donc sur la croissance. Or, c’est la croissance qui génère les recettes fiscales, susceptibles de réduire le déficit public. Vous voyez, l’Europe n’est pas encore sortie de l’auberge.
- F. N. H. : Cette crise n’aura-t-elle pas une incidence sur notre économie ?
- M. B. : Je me rappelle certaines déclarations qui disaient que nous n’étions pas concernés par la crise économique internationale. C’est vrai que si la globalisation renforce les interdépendances économiques, certains orages peuvent épisodiquement ne pas traverser des frontières. Nous avons ainsi bénéficié en 2009 d’une bonne récolte agricole et de la baisse des prix du pétrole, ramenant les charges de la compensation à des niveaux acceptables, démontrant en même temps notre dépendance aux facteurs exogènes. Les indicateurs macroéconomiques sont indemnes. Mais en dehors du bâtiment, le secteur industriel a subi une baisse d’activité significative. Par le biais de la balance des paiements, nous subirons les effets du ralentissement économique, et de la baisse de la consommation des ménages européens qui en découle ! Et c’est notre principal partenaire ! Et ce, depuis le milieu de 2009. Je pense que la situation continuera de se détériorer au cours de cette année. On ne vit pas en vase clos. On parle d’ouverture, mais on n’aime pas penser à ses conséquences…Certains secteurs comme le tourisme, l’artisanat, l’industrie manufacturière, l’électronique, la mécanique, le plastique…et même le bâtiment dit de luxe affronteront des turbulences. Mais comme dans toute crise, certaines entreprises pourraient en tirer profit aussi pour rebondir...
- F. N. H. : Si notre partenaire est mis à mal, que devons-nous faire de notre côté ? Doit-on attendre tranquillement qu’il nous transmette ses difficultés ?
- M. B. : Notre partenaire a besoin, comme nous, de voisins forts et en bonne santé. Nous devons regarder autour de nous, bien sûr, mais aussi de plus en plus loin. La capacité de résistance d’une économie réside dans sa diversité : diversité dans les activités, et diversité dans le choix des partenaires. Et pas n’importe lesquels : ceux qui enregistrent des performances exceptionnelles, les nouvelles locomotives. Le monde change rapidement et nous devons nous adapter aux exigences de la mondialisation, qui font que les échanges et les investissements sont devenus planétaires.
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