Introduction : La fin du tiers-monde ?
Depuis des décennies, les spécialistes des questions de sécurité et de politique internationale débattent de l’émergence d’un système multipolaire. Il est temps de reconnaître la dimension économique de ce concept.
Après avoir assisté à la disparition du « deuxième monde » en1989, lors de la chute du communisme, nous avons observé en 2009 la fin de ce que l’on appelait le « tiers monde » : nous vivons maintenant dans une nouvelle économie mondiale multipolaire qui évolue rapidement et dans laquelle certains pays en développement se muent en puissances économiques ; d’autres pays sont en passe de devenir des pôles de croissance ; d’autres encore peinent à tirer pleinement parti de leur potentiel au sein du nouveau système — où le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest ont cessé d’être l’expression d’un destin économique pour ne plus être que des points cardinaux sur une boussole.
La pauvreté continue de sévir et doit être combattue. Les États défaillants existent toujours et doivent être pris en compte. Les défis mondiaux s’intensifient et doivent être relevés. Toutefois, nous devons aborder ces questions dans une optique différente. Les notions désuètes de pays développés et de tiers monde, de donateurs et de demandeurs, de leaders et de suiveurs ne correspondent plus à la réalité.
Cette situation est lourde de répercussions — pour le multilatéralisme, pour la coopération mondiale, pour les rapports de force, pour le développement et pour les institutions internationales.
Le multilatéralisme est important
La crise économique mondiale a démontré l’importance du multilatéralisme. Au bord du gouffre, les pays se sont unis pour sauver l’économie mondiale. Un G-20 rénové est né de la crise et a montré ce dont il était capable en agissant rapidement pour rétablir la confiance. La question est maintenant de savoir s’il s’agissait d’une aberration, d’une anomalie passagère ?
Les historiens considéreront-ils l’année 2009 comme un épisode de coopération internationale isolé ou comme le début d’une ère nouvelle ? Aujourd’hui, certains considèrent les efforts déployés par Woodrow Wilson après la Première Guerre mondiale pour créer un nouveau système international comme une occasion manquée, qui laissa le monde à la dérive face aux écueils de l’histoire. Est-on en train de revivre une expérience similaire ?
Aujourd’hui, le danger est que la volonté de coopérer s’estompe en même temps que s’atténuent les craintes suscitées par la crise. Nous constatons déjà que des forces poussent les États-nations à privilégier à nouveau la défense de leurs intérêts particuliers.
Ce serait une erreur. Les plaques tectoniques de la sphère économique et politique se déplacent. Nous pouvons bouger avec elles ou continuer de percevoir le monde nouveau à travers le prisme de l’ancien. Nous devons accepter les nouvelles réalités. Et agir en conséquence.
Qu’est-ce qui a changé ? De nouvelles sources de demande
Qu’est-ce qui a changé ?
Les pays en développement ne sont pas responsables de la crise, mais ils pourraient contribuer de façon importante à la résoudre. Notre monde aura une physionomie très différente dans dix ans, lorsque la demande proviendra non seulement des États-Unis, mais de l’ensemble de la planète.
L’évolution est déjà perceptible. La part de l’Asie dans l’économie mondiale exprimée en parité de pouvoir d’achat n’a cessé d’augmenter pour passer de 7 % en 1980 à 21 % en 2008. Les marchés boursiers d’Asie représentent maintenant 32 % de la capitalisation boursière mondiale, ce qui les place devant les États-Unis (30 %) et l’Europe (25 %). L’an dernier, la Chine a devancé l’Allemagne pour devenir le plus grand exportateur au monde. Elle a aussi dépassé les États-Unis en devenant le plus grand marché automobile de la planète.
Les chiffres des importations sont révélateurs : le monde en développement devient un des moteurs de l’économie mondiale. Une grande partie de la reprise des échanges mondiaux est due à la forte demande d’importations des pays en développement. Les importations de ces pays sont déjà supérieures de 2 % au niveau sans précédent atteint en avril 2008, avant la crise. En revanche, celles des pays à revenu élevé sont encore inférieures de 19 % à leur dernier plus haut. Les importations des pays en développement équivalent à la moitié environ des importations des pays à revenu élevé, mais elles progressent beaucoup plus rapidement que celles-ci. Aussi sont-elles à l’origine de plus de la moitié de l’accroissement de la demande mondiale d’importations enregistré depuis 2000.
Nouveaux pôles de croissance
L’économie mondiale se trouve dans une phase de rééquilibrage. La situation est en partie nouvelle, mais elle représente aussi un retour dans le temps. Selon Angus Maddison, l’Asie était à l’origine de plus de la moitié de la production mondiale durant 18 des 20 derniers siècles. Nous assistons à une évolution vers une multiplicité de pôles de croissance sous l’effet de plusieurs facteurs : les classes moyennes prennent de l’ampleur dans les pays en développement ; des milliards d’êtres humains font leur entrée dans l’économie mondiale ; et de nouveaux modes d’intégration conjuguent l’intensification des échanges régionaux et l’ouverture mondiale.
Cette évolution ne concerne pas uniquement la Chine et l’Inde. En termes de parité de pouvoir d’achat, la part du monde en développement dans le PIB mondial est passée de 33,7 % en 1980 à 43,4 % en 2010. Il est probable que les pays en développement connaîtront une croissance soutenue au cours des cinq prochaines années et au-delà. Le taux de croissance annuel de l’Afrique subsaharienne pourrait dépasser 6 % en moyenne jusqu’en 2015, tandis que, durant la même période, la croissance pourrait atteindre 7 % par an en Asie du Sud, où vit la moitié des pauvres de la planète.
L’Asie du Sud-Est est devenue une région à revenu intermédiaire comptant près de 600 millions d’habitants. Elle développe ses liens avec l’Inde et la Chine, renforce ses relations avec le Japon, la Corée et l’Australie, et continue de tirer parti de la mondialisation des sources d’approvisionnement de l’Amérique du Nord et de l’Europe.
La région du Moyen-Orient est une importante source de capitaux pour le reste du monde et, de plus en plus, une plate-forme de services commerciaux entre l’Asie — de l’Est et du Sud — et les pays d’Europe et d’Afrique. Les réserves officielles brutes des pays membres du Conseil de coopération du Golfe se montaient à plus de 500 milliards de dollars à la fin de 2008, et les actifs des fonds souverains étaient estimés à 1 000 milliards de dollars. Si le Maghreb parvient à surmonter ses lignes de fracture historiques, il pourra participer au processus d’intégration Euro-Med lié à la fois au Moyen-Orient et à l’Afrique.
Dans la région Amérique latine et Caraïbes, 60 millions de personnes ont échappé à la pauvreté durant la période 2002-2008, et une classe moyenne en pleine croissance a stimulé le volume des importations à un rythme annuel de 15 %.
Depuis des décennies, les spécialistes des questions de sécurité et de politique internationale débattent de l’émergence d’un système multipolaire. Il est temps de reconnaître la dimension économique de ce concept.
Après avoir assisté à la disparition du « deuxième monde » en1989, lors de la chute du communisme, nous avons observé en 2009 la fin de ce que l’on appelait le « tiers monde » : nous vivons maintenant dans une nouvelle économie mondiale multipolaire qui évolue rapidement et dans laquelle certains pays en développement se muent en puissances économiques ; d’autres pays sont en passe de devenir des pôles de croissance ; d’autres encore peinent à tirer pleinement parti de leur potentiel au sein du nouveau système — où le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest ont cessé d’être l’expression d’un destin économique pour ne plus être que des points cardinaux sur une boussole.
La pauvreté continue de sévir et doit être combattue. Les États défaillants existent toujours et doivent être pris en compte. Les défis mondiaux s’intensifient et doivent être relevés. Toutefois, nous devons aborder ces questions dans une optique différente. Les notions désuètes de pays développés et de tiers monde, de donateurs et de demandeurs, de leaders et de suiveurs ne correspondent plus à la réalité.
Cette situation est lourde de répercussions — pour le multilatéralisme, pour la coopération mondiale, pour les rapports de force, pour le développement et pour les institutions internationales.
Le multilatéralisme est important
La crise économique mondiale a démontré l’importance du multilatéralisme. Au bord du gouffre, les pays se sont unis pour sauver l’économie mondiale. Un G-20 rénové est né de la crise et a montré ce dont il était capable en agissant rapidement pour rétablir la confiance. La question est maintenant de savoir s’il s’agissait d’une aberration, d’une anomalie passagère ?
Les historiens considéreront-ils l’année 2009 comme un épisode de coopération internationale isolé ou comme le début d’une ère nouvelle ? Aujourd’hui, certains considèrent les efforts déployés par Woodrow Wilson après la Première Guerre mondiale pour créer un nouveau système international comme une occasion manquée, qui laissa le monde à la dérive face aux écueils de l’histoire. Est-on en train de revivre une expérience similaire ?
Aujourd’hui, le danger est que la volonté de coopérer s’estompe en même temps que s’atténuent les craintes suscitées par la crise. Nous constatons déjà que des forces poussent les États-nations à privilégier à nouveau la défense de leurs intérêts particuliers.
Ce serait une erreur. Les plaques tectoniques de la sphère économique et politique se déplacent. Nous pouvons bouger avec elles ou continuer de percevoir le monde nouveau à travers le prisme de l’ancien. Nous devons accepter les nouvelles réalités. Et agir en conséquence.
Qu’est-ce qui a changé ? De nouvelles sources de demande
Qu’est-ce qui a changé ?
Les pays en développement ne sont pas responsables de la crise, mais ils pourraient contribuer de façon importante à la résoudre. Notre monde aura une physionomie très différente dans dix ans, lorsque la demande proviendra non seulement des États-Unis, mais de l’ensemble de la planète.
L’évolution est déjà perceptible. La part de l’Asie dans l’économie mondiale exprimée en parité de pouvoir d’achat n’a cessé d’augmenter pour passer de 7 % en 1980 à 21 % en 2008. Les marchés boursiers d’Asie représentent maintenant 32 % de la capitalisation boursière mondiale, ce qui les place devant les États-Unis (30 %) et l’Europe (25 %). L’an dernier, la Chine a devancé l’Allemagne pour devenir le plus grand exportateur au monde. Elle a aussi dépassé les États-Unis en devenant le plus grand marché automobile de la planète.
Les chiffres des importations sont révélateurs : le monde en développement devient un des moteurs de l’économie mondiale. Une grande partie de la reprise des échanges mondiaux est due à la forte demande d’importations des pays en développement. Les importations de ces pays sont déjà supérieures de 2 % au niveau sans précédent atteint en avril 2008, avant la crise. En revanche, celles des pays à revenu élevé sont encore inférieures de 19 % à leur dernier plus haut. Les importations des pays en développement équivalent à la moitié environ des importations des pays à revenu élevé, mais elles progressent beaucoup plus rapidement que celles-ci. Aussi sont-elles à l’origine de plus de la moitié de l’accroissement de la demande mondiale d’importations enregistré depuis 2000.
Nouveaux pôles de croissance
L’économie mondiale se trouve dans une phase de rééquilibrage. La situation est en partie nouvelle, mais elle représente aussi un retour dans le temps. Selon Angus Maddison, l’Asie était à l’origine de plus de la moitié de la production mondiale durant 18 des 20 derniers siècles. Nous assistons à une évolution vers une multiplicité de pôles de croissance sous l’effet de plusieurs facteurs : les classes moyennes prennent de l’ampleur dans les pays en développement ; des milliards d’êtres humains font leur entrée dans l’économie mondiale ; et de nouveaux modes d’intégration conjuguent l’intensification des échanges régionaux et l’ouverture mondiale.
Cette évolution ne concerne pas uniquement la Chine et l’Inde. En termes de parité de pouvoir d’achat, la part du monde en développement dans le PIB mondial est passée de 33,7 % en 1980 à 43,4 % en 2010. Il est probable que les pays en développement connaîtront une croissance soutenue au cours des cinq prochaines années et au-delà. Le taux de croissance annuel de l’Afrique subsaharienne pourrait dépasser 6 % en moyenne jusqu’en 2015, tandis que, durant la même période, la croissance pourrait atteindre 7 % par an en Asie du Sud, où vit la moitié des pauvres de la planète.
L’Asie du Sud-Est est devenue une région à revenu intermédiaire comptant près de 600 millions d’habitants. Elle développe ses liens avec l’Inde et la Chine, renforce ses relations avec le Japon, la Corée et l’Australie, et continue de tirer parti de la mondialisation des sources d’approvisionnement de l’Amérique du Nord et de l’Europe.
La région du Moyen-Orient est une importante source de capitaux pour le reste du monde et, de plus en plus, une plate-forme de services commerciaux entre l’Asie — de l’Est et du Sud — et les pays d’Europe et d’Afrique. Les réserves officielles brutes des pays membres du Conseil de coopération du Golfe se montaient à plus de 500 milliards de dollars à la fin de 2008, et les actifs des fonds souverains étaient estimés à 1 000 milliards de dollars. Si le Maghreb parvient à surmonter ses lignes de fracture historiques, il pourra participer au processus d’intégration Euro-Med lié à la fois au Moyen-Orient et à l’Afrique.
Dans la région Amérique latine et Caraïbes, 60 millions de personnes ont échappé à la pauvreté durant la période 2002-2008, et une classe moyenne en pleine croissance a stimulé le volume des importations à un rythme annuel de 15 %.
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