Alan Greenspan quitte la Fed mercredi après 18 années de bons et loyaux services. Le président de la Réserve fédérale américaine aura marqué son règne par son incroyable génie, par son pragmatisme éclairé. Il est l'homme qui parlait aux marchés, c'est un maestro de la politique monétaire.
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La silhouette discrète et légèrement voûtée de l'homme le plus respecté de Washington ne va bientôt plus parcourir les hauts couloirs de marbre de la Réserve fédérale. À 79 ans, «Chairman Greenspan» quitte mardi soir son bureau numéro 2 046 au deuxième étage du siège de la banque centrale américaine, pour une retraite bien méritée.
Toute une génération de professionnels de la finance s'apprête à vivre sans l'homme vers lequel elle se tournait depuis 1987 pour mieux comprendre les risques et les atouts de l'économie américaine. En refusant d'accorder des interviews formelles, en évitant toujours les conférences de presse, en se passant d'experts en communication pour mettre en scène ses interventions, Alan Greenspan a dérogé pendant dix-huit ans à toutes les règles de la vie politique de Washington.
Cérébral, maître dans le maniement de l'humour et de statistiques complexes, libéral, républicain capable de travailler étroitement avec l'administration démocrate de Bill Clinton, Greenspan quitte la Fed emprunt d'un prestige sans précédent. On en oublierait presque ses erreurs humaines. «Greenspan entrera probablement dans l'histoire comme le plus grand patron de la Fed que notre pays ait connu», estime Gene Sperling, ancien conseiller économique du président Clinton.
Un maître de l'ambiguïté
Mais nuance-t-il, «il est attaqué pour avoir donné sa bénédiction aux baisses d'impôts de 2001 qui ont marqué le début de la fin d'une pleine décennie de progrès en matière de discipline budgétaire». Jim Rogers, investisseur légendaire et iconoclaste, affirme, lui, que Greenspan «sera jugé dans l'histoire comme un des pires banquiers centraux». Il voit en lui l'homme qui a laissé, et même encouragé, le gonflement d'une bulle spéculative dangereuse dans les années 90.
Dans une ville où tout argument doit être résumé en phrases courtes, raccourcis simplistes diffusables à la télévision, Greenspan s'est au contraire spécialisé dans les phrases longues et opaques. Son épouse Andrea Mitchell, de vingt ans sa cadette et journaliste internationale bien connue de la chaîne NBC, l'a probablement aidé à rester jeune et à cultiver son image, à mi-chemin entre celle du professeur Nimbus et de Woody Allen.
Greenspan, maître de l'ambiguïté, a paradoxalement rendu la Fed plus transparente. Sous la pression du Congrès, mais in fine grâce à lui, jamais la politique monétaire américaine n'a été aussi lisible. Et du même coup, plus efficace. Alan Blinder, ancien numéro deux de la Fed, estime que Greenspan «s'est intellectuellement converti» à l'idée d'une banque centrale américaine plus transparente. «Il y est venu en quelque sorte graduellement et avec réticence... mais il a fini par prendre la tête du mouvement». Cette conversion est importante d'un point de vue politique. Elle a fait taire les élus du Congrès qui jugeaient la Fed trop indépendante et pas assez démocratique.
Les progrès réalisés par la banque centrale dans sa communication ont eu trois effets cruciaux. Le premier a été de simplifier les choix des investisseurs et de baliser le travail ingrat des économistes. On oublie que jusqu'en 1994, le comité monétaire de la banque centrale refusait de publier ses décisions en matière de taux. Il fallait les deviner !
Le second effet a été de donner à la Fed une arme supplémentaire pour influer sur l'offre de crédit : la parole. Sans aller jusqu'à relever ou baisser ses taux directeurs, son patron n'avait qu'à faire allusion à cette possibilité pour qu'instantanément le marché obligataire réagisse et modifie de lui-même le loyer de l'argent. En aidant explicitement les «Fed watchers» – les bons connaisseurs de la banque centrale –, à partir de mai 1999 à anticiperses décisions, Alan Greenspan a rassuré le monde de la finance et grandement contribué à minimiser les anticipations inflationnistes.
Autorité morale
Le troisième effet a été de placer Alan Greenspan au coeur du débat économique planétaire. Le monde de la finance écoute le grand argentier plus qu'il ne prête attention aux déclarations du locataire de la Maison-Blanche. On a même pris l'habitude au fil des ans de l'écouter religieusement parler de sujets sur lesquels il n'a aucun pouvoir : la politique fiscale et commerciale, en particulier.
Cette autorité morale s'est établie dès le début de son premier mandat. Lorsque le Dow Jones a plongé de 22% en octobre 1987, quelques mots bien choisis d'un communiqué signé par un Alan Greenspan calme, lucide, ont suffi pour réamorcer la confiance. Son sang froid en ces heures dramatiques tranchait avec les déclarations télévisées risquées et en direct des responsables du New York Stock Exchange et de la Securities & Exchange Commission (SEC).
Lorsque le gourou a annoncé en 1998 que la croissance américaine forte n'était pas inflationniste grâce à des gains de productivité hors normes, le monde entier lui a accordé le bénéfice du doute. Dans la bouche de n'importe quel autre économiste, cette affirmation n'aurait pas été crédible.
Par le Figaro
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La silhouette discrète et légèrement voûtée de l'homme le plus respecté de Washington ne va bientôt plus parcourir les hauts couloirs de marbre de la Réserve fédérale. À 79 ans, «Chairman Greenspan» quitte mardi soir son bureau numéro 2 046 au deuxième étage du siège de la banque centrale américaine, pour une retraite bien méritée.
Toute une génération de professionnels de la finance s'apprête à vivre sans l'homme vers lequel elle se tournait depuis 1987 pour mieux comprendre les risques et les atouts de l'économie américaine. En refusant d'accorder des interviews formelles, en évitant toujours les conférences de presse, en se passant d'experts en communication pour mettre en scène ses interventions, Alan Greenspan a dérogé pendant dix-huit ans à toutes les règles de la vie politique de Washington.
Cérébral, maître dans le maniement de l'humour et de statistiques complexes, libéral, républicain capable de travailler étroitement avec l'administration démocrate de Bill Clinton, Greenspan quitte la Fed emprunt d'un prestige sans précédent. On en oublierait presque ses erreurs humaines. «Greenspan entrera probablement dans l'histoire comme le plus grand patron de la Fed que notre pays ait connu», estime Gene Sperling, ancien conseiller économique du président Clinton.
Un maître de l'ambiguïté
Mais nuance-t-il, «il est attaqué pour avoir donné sa bénédiction aux baisses d'impôts de 2001 qui ont marqué le début de la fin d'une pleine décennie de progrès en matière de discipline budgétaire». Jim Rogers, investisseur légendaire et iconoclaste, affirme, lui, que Greenspan «sera jugé dans l'histoire comme un des pires banquiers centraux». Il voit en lui l'homme qui a laissé, et même encouragé, le gonflement d'une bulle spéculative dangereuse dans les années 90.
Dans une ville où tout argument doit être résumé en phrases courtes, raccourcis simplistes diffusables à la télévision, Greenspan s'est au contraire spécialisé dans les phrases longues et opaques. Son épouse Andrea Mitchell, de vingt ans sa cadette et journaliste internationale bien connue de la chaîne NBC, l'a probablement aidé à rester jeune et à cultiver son image, à mi-chemin entre celle du professeur Nimbus et de Woody Allen.
Greenspan, maître de l'ambiguïté, a paradoxalement rendu la Fed plus transparente. Sous la pression du Congrès, mais in fine grâce à lui, jamais la politique monétaire américaine n'a été aussi lisible. Et du même coup, plus efficace. Alan Blinder, ancien numéro deux de la Fed, estime que Greenspan «s'est intellectuellement converti» à l'idée d'une banque centrale américaine plus transparente. «Il y est venu en quelque sorte graduellement et avec réticence... mais il a fini par prendre la tête du mouvement». Cette conversion est importante d'un point de vue politique. Elle a fait taire les élus du Congrès qui jugeaient la Fed trop indépendante et pas assez démocratique.
Les progrès réalisés par la banque centrale dans sa communication ont eu trois effets cruciaux. Le premier a été de simplifier les choix des investisseurs et de baliser le travail ingrat des économistes. On oublie que jusqu'en 1994, le comité monétaire de la banque centrale refusait de publier ses décisions en matière de taux. Il fallait les deviner !
Le second effet a été de donner à la Fed une arme supplémentaire pour influer sur l'offre de crédit : la parole. Sans aller jusqu'à relever ou baisser ses taux directeurs, son patron n'avait qu'à faire allusion à cette possibilité pour qu'instantanément le marché obligataire réagisse et modifie de lui-même le loyer de l'argent. En aidant explicitement les «Fed watchers» – les bons connaisseurs de la banque centrale –, à partir de mai 1999 à anticiperses décisions, Alan Greenspan a rassuré le monde de la finance et grandement contribué à minimiser les anticipations inflationnistes.
Autorité morale
Le troisième effet a été de placer Alan Greenspan au coeur du débat économique planétaire. Le monde de la finance écoute le grand argentier plus qu'il ne prête attention aux déclarations du locataire de la Maison-Blanche. On a même pris l'habitude au fil des ans de l'écouter religieusement parler de sujets sur lesquels il n'a aucun pouvoir : la politique fiscale et commerciale, en particulier.
Cette autorité morale s'est établie dès le début de son premier mandat. Lorsque le Dow Jones a plongé de 22% en octobre 1987, quelques mots bien choisis d'un communiqué signé par un Alan Greenspan calme, lucide, ont suffi pour réamorcer la confiance. Son sang froid en ces heures dramatiques tranchait avec les déclarations télévisées risquées et en direct des responsables du New York Stock Exchange et de la Securities & Exchange Commission (SEC).
Lorsque le gourou a annoncé en 1998 que la croissance américaine forte n'était pas inflationniste grâce à des gains de productivité hors normes, le monde entier lui a accordé le bénéfice du doute. Dans la bouche de n'importe quel autre économiste, cette affirmation n'aurait pas été crédible.
Par le Figaro
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