Disposant d’une superficie insuffisante de terres cultivables, plusieurs pays ont subi en 2008 l'envolée du prix des produits alimentaires (selon la FAO, le prix des céréales avait augmenté de 84% entre mai 2007 et mai 2008). Par ailleurs, les investisseurs financiers, alertés par la dernière crise, s'orientent de plus en plus vers le commerce rentable des denrées alimentaires. La mondialisation du marché foncier, les perspectives alléchantes de profits tirés de la production agricole transforment l'achat de terres arables dans le monde en un phénomène d'une ampleur considérable. Dans une indifférence quasi générale face à cette nouvelle entreprise criminelle.
L'enjeu est pourtant colossal: la sécurité alimentaire des populations dans un contexte de croissance démographique et de diminution des ressources. Mais pouvait-on douter que le capitalisme aille jusqu'au terme de sa logique ? Une logique suicidaire, combien de fois faudra-t-il le rappeler?
Un monopoly géant
Le premier constructeur naval sud-coréen, Hyundai Heavy Industries, vient d'annoncer sa participation à l'effort national pour sécuriser les ressources alimentaires du pays. HHI vient d'acquérir 67,6% des parts de Khorol Zerno, propriétaire et exploitant de 10.000 hectares de terres agricoles dans le grand est russe. Ces terres devraient permettre de produire 60.000 tonnes de maïs et de haricots par an d'ici 2014, soulageant d'autant les fermes sud-coréennes.
A Madagascar, c'est Daewoo Logistics qui projetait de louer plus d'1,3 million d'hectares pour produire de l'huile de palme et du maïs, une surface qui représentait la moitié des terres cultivables du pays (sans oublier que la monoculture appauvrit la terre, justifiant ultérieurement le recours massif à l'utilisation d'engrais et de traitements pour combattre les déséquilibres). Bien entendu, l'entreprise s'engageait à reloger les ménages, à participer à la création d'infrastructures (routes, écoles, adduction d'eau, électricité...), à former les ouvriers malgaches: le monde est surpeuplé de philanthropes! La colère suscitée par les révélations entourant l'entente entre la compagnie et le gouvernement malgache a finalement fait avorter le projet, contribuant aussi à la chute de l'ancien chef d'État, M. Ravalomanana.
En 2006, Pékin a signé des accords de coopération agricole avec plusieurs Etats africains qui ont permis l'installation de quatorze fermes expérimentales en Zambie, au Zimbabwe, en Ouganda et en Tanzanie. D'ici 2010, un million de paysans chinois pourraient être installés sur ces terres. Si officiellement il s'agit d'aider les pays d'accueil à augmenter leur production grâce aux technologies chinoises, il est évident qu'une bonne partie des récoltes sera exportée vers la Chine.
Récemment, Sassou Nguesso aurait proposé de vendre des terres du Congo à des fermiers sud-africains pour une durée de 99 ans ! Dix millions d'hectares - deux fois le territoire de la Suisse - de terres agricoles seraient ainsi destinées à 1300 agriculteurs sud-africains pour cultiver du maïs et du soja, élever de la volaille et des vaches laitières.
Jusqu'à présent, cinq pays se distinguent particulièrement par l'importance de leur prospection et de leurs acquisitions de terres arables à l'étranger : la Chine, la Corée du Sud, les Emirats arabes unis, le Japon et l'Arabie Saoudite. Le total des terres dont ils disposent aujourd'hui atteint plus de 7,6 millions d'hectares à cultiver hors territoire national. Mais l'offensive est plus large : le Qatar dispose de terres en Indonésie, Bahreïn aux Philippines, le Koweït en Birmanie, la Libye en Ukraine, Djibouti en Ethiopie et au Soudan. Au total, alors que le continent africain souffre de fréquentes famines et de sous-nutrition, près de vingt millions d'hectares de terres fertiles -l'équivalent de la France - ont déjà été vendues ou sont en cours de négociation. Les pays d'Europe centrale et orientale risquent, eux aussi, de s'intégrer à la liste des victimes : 15% de la surface totale de la Roumanie seraient entre les mains de propriétaires originaires d'autres pays européens.
Le phénomène d'accaparement des terres n'est certes pas nouveau. Il remonte aux premières colonisations. Mais il se déroule cette fois-ci à l'échelle de la planète, et il concerne le plus souvent les meilleures terres et les plus irriguées. Les Etats visent à suppléer une production intérieure souvent compromise par une urbanisation galopante et la diminution des ressources en eau. Il faut aussi rappeler que la Chine représente 40% de la population active agricole mondiale mais ne possède que 9% des terres arables du globe, et que le Japon et la Corée du Sud importent déjà 60% de leur alimentation de l'étranger. Les acteurs de la finance, eux, considèrent les terres agricoles - et l'énergie - comme un nouvel actif stratégique. Pour avoir une idée plus précise du désastre en gestation, on peut, bien entendu, ajouter à la liste les compagnies internationales de production d'agrocarburants qui ont fait le choix de favoriser les voitures du Nord face aux populations du Sud.
Des conséquences incalculables
Les crises alimentaire et énergétique ont mis en évidence le caractère limité des disponibilités en terres agricoles pour satisfaire à la fois les besoins énergétiques et les besoins alimentaires d'une population mondiale croissante et confrontée à l'épuisement des énergies fossiles.
Certains pays avaient interdit la vente de terres aux étrangers. Ils n'en ont plus le droit, puisque cette décision s'apparenterait à une atteinte à la libre concurrence. Une brèche est désormais ouverte : pétrodollars et réserves en devises facilitent la ruée des prédateurs dans les pays pauvres, avec la complicité des gouvernements prêts à abandonner des pans entiers de souveraineté nationale, c'est-à-dire prêts à trahir leur peuple, puisqu'ils ne sont même pas consultés. Les opérations sont d'autant plus attrayantes que le prix des terres demeure faible: les droits de cession varient entre 5 et 10 dollars l'hectare à l'année, selon les pays ! La concentration du foncier qui s'inscrit dans une dynamique de néocolonialisme va multiplier les conflits entre les petits paysans et l'agrobusiness (or la planète compte aujourd'hui 2,8 milliards de paysans sur une population totale de 6,7 milliards d'habitants). Les cultures vivrières vont subir un nouvel assaut. Nombre de travailleurs, d'agriculteurs, de communautés locales vont perdre l'accès la terre. Les denrées alimentaires, mais aussi les profits générés par les activités agricoles vont être détournés vers d'autres pays.
Les pays en développement ont été contraints d'ouvrir leurs marchés et leurs terres aux multinationales de l'agroalimentaire, aux spéculateurs et aux exportateurs d'aliments subventionnés des pays riches. Ainsi, les terres fertiles qui servaient aux marchés locaux de produits alimentaires ont été détournées au profit de produits de base destinés au marché mondial. Si bien qu'aujourd'hui, environ 70% de ces pays sont des importateurs nets de produits alimentaires. Hier autosuffisant en riz, Haïti l'importe aujourd'hui 50% plus cher. La captation des terres arables va encore accélérer ce phénomène.
Des paysans se trouveront dans un tel état de misère qu'ils seront conduits, soit à se suicider, soit à vendre leur bien et à rejoindre les hordes de sans-terres. Quels sort les États réserveront-ils aux dizaines de millions de paysans dont ils n'auront plus besoin? Et notamment les pays les plus inégalitaires, comme le Paraguay, où plus de 75% des terres agricoles sont la propriété de moins de 1% de la population.
Le président du Comité exécutif du Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles de l'Afrique de l'Ouest déclarait: La vente massive des terres agricoles africaines s'apparente plus à un pacte colonial qu'à la recherche de nouveaux financements pour le développement de l'agriculture africaine [...] On brade les terres africaines, on contraint des milliers de petits producteurs à la misère. Cela est insupportable.
A Suivre ...
L'enjeu est pourtant colossal: la sécurité alimentaire des populations dans un contexte de croissance démographique et de diminution des ressources. Mais pouvait-on douter que le capitalisme aille jusqu'au terme de sa logique ? Une logique suicidaire, combien de fois faudra-t-il le rappeler?
Un monopoly géant
Le premier constructeur naval sud-coréen, Hyundai Heavy Industries, vient d'annoncer sa participation à l'effort national pour sécuriser les ressources alimentaires du pays. HHI vient d'acquérir 67,6% des parts de Khorol Zerno, propriétaire et exploitant de 10.000 hectares de terres agricoles dans le grand est russe. Ces terres devraient permettre de produire 60.000 tonnes de maïs et de haricots par an d'ici 2014, soulageant d'autant les fermes sud-coréennes.
A Madagascar, c'est Daewoo Logistics qui projetait de louer plus d'1,3 million d'hectares pour produire de l'huile de palme et du maïs, une surface qui représentait la moitié des terres cultivables du pays (sans oublier que la monoculture appauvrit la terre, justifiant ultérieurement le recours massif à l'utilisation d'engrais et de traitements pour combattre les déséquilibres). Bien entendu, l'entreprise s'engageait à reloger les ménages, à participer à la création d'infrastructures (routes, écoles, adduction d'eau, électricité...), à former les ouvriers malgaches: le monde est surpeuplé de philanthropes! La colère suscitée par les révélations entourant l'entente entre la compagnie et le gouvernement malgache a finalement fait avorter le projet, contribuant aussi à la chute de l'ancien chef d'État, M. Ravalomanana.
En 2006, Pékin a signé des accords de coopération agricole avec plusieurs Etats africains qui ont permis l'installation de quatorze fermes expérimentales en Zambie, au Zimbabwe, en Ouganda et en Tanzanie. D'ici 2010, un million de paysans chinois pourraient être installés sur ces terres. Si officiellement il s'agit d'aider les pays d'accueil à augmenter leur production grâce aux technologies chinoises, il est évident qu'une bonne partie des récoltes sera exportée vers la Chine.
Récemment, Sassou Nguesso aurait proposé de vendre des terres du Congo à des fermiers sud-africains pour une durée de 99 ans ! Dix millions d'hectares - deux fois le territoire de la Suisse - de terres agricoles seraient ainsi destinées à 1300 agriculteurs sud-africains pour cultiver du maïs et du soja, élever de la volaille et des vaches laitières.
Jusqu'à présent, cinq pays se distinguent particulièrement par l'importance de leur prospection et de leurs acquisitions de terres arables à l'étranger : la Chine, la Corée du Sud, les Emirats arabes unis, le Japon et l'Arabie Saoudite. Le total des terres dont ils disposent aujourd'hui atteint plus de 7,6 millions d'hectares à cultiver hors territoire national. Mais l'offensive est plus large : le Qatar dispose de terres en Indonésie, Bahreïn aux Philippines, le Koweït en Birmanie, la Libye en Ukraine, Djibouti en Ethiopie et au Soudan. Au total, alors que le continent africain souffre de fréquentes famines et de sous-nutrition, près de vingt millions d'hectares de terres fertiles -l'équivalent de la France - ont déjà été vendues ou sont en cours de négociation. Les pays d'Europe centrale et orientale risquent, eux aussi, de s'intégrer à la liste des victimes : 15% de la surface totale de la Roumanie seraient entre les mains de propriétaires originaires d'autres pays européens.
Le phénomène d'accaparement des terres n'est certes pas nouveau. Il remonte aux premières colonisations. Mais il se déroule cette fois-ci à l'échelle de la planète, et il concerne le plus souvent les meilleures terres et les plus irriguées. Les Etats visent à suppléer une production intérieure souvent compromise par une urbanisation galopante et la diminution des ressources en eau. Il faut aussi rappeler que la Chine représente 40% de la population active agricole mondiale mais ne possède que 9% des terres arables du globe, et que le Japon et la Corée du Sud importent déjà 60% de leur alimentation de l'étranger. Les acteurs de la finance, eux, considèrent les terres agricoles - et l'énergie - comme un nouvel actif stratégique. Pour avoir une idée plus précise du désastre en gestation, on peut, bien entendu, ajouter à la liste les compagnies internationales de production d'agrocarburants qui ont fait le choix de favoriser les voitures du Nord face aux populations du Sud.
Des conséquences incalculables
Les crises alimentaire et énergétique ont mis en évidence le caractère limité des disponibilités en terres agricoles pour satisfaire à la fois les besoins énergétiques et les besoins alimentaires d'une population mondiale croissante et confrontée à l'épuisement des énergies fossiles.
Certains pays avaient interdit la vente de terres aux étrangers. Ils n'en ont plus le droit, puisque cette décision s'apparenterait à une atteinte à la libre concurrence. Une brèche est désormais ouverte : pétrodollars et réserves en devises facilitent la ruée des prédateurs dans les pays pauvres, avec la complicité des gouvernements prêts à abandonner des pans entiers de souveraineté nationale, c'est-à-dire prêts à trahir leur peuple, puisqu'ils ne sont même pas consultés. Les opérations sont d'autant plus attrayantes que le prix des terres demeure faible: les droits de cession varient entre 5 et 10 dollars l'hectare à l'année, selon les pays ! La concentration du foncier qui s'inscrit dans une dynamique de néocolonialisme va multiplier les conflits entre les petits paysans et l'agrobusiness (or la planète compte aujourd'hui 2,8 milliards de paysans sur une population totale de 6,7 milliards d'habitants). Les cultures vivrières vont subir un nouvel assaut. Nombre de travailleurs, d'agriculteurs, de communautés locales vont perdre l'accès la terre. Les denrées alimentaires, mais aussi les profits générés par les activités agricoles vont être détournés vers d'autres pays.
Les pays en développement ont été contraints d'ouvrir leurs marchés et leurs terres aux multinationales de l'agroalimentaire, aux spéculateurs et aux exportateurs d'aliments subventionnés des pays riches. Ainsi, les terres fertiles qui servaient aux marchés locaux de produits alimentaires ont été détournées au profit de produits de base destinés au marché mondial. Si bien qu'aujourd'hui, environ 70% de ces pays sont des importateurs nets de produits alimentaires. Hier autosuffisant en riz, Haïti l'importe aujourd'hui 50% plus cher. La captation des terres arables va encore accélérer ce phénomène.
Des paysans se trouveront dans un tel état de misère qu'ils seront conduits, soit à se suicider, soit à vendre leur bien et à rejoindre les hordes de sans-terres. Quels sort les États réserveront-ils aux dizaines de millions de paysans dont ils n'auront plus besoin? Et notamment les pays les plus inégalitaires, comme le Paraguay, où plus de 75% des terres agricoles sont la propriété de moins de 1% de la population.
Le président du Comité exécutif du Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles de l'Afrique de l'Ouest déclarait: La vente massive des terres agricoles africaines s'apparente plus à un pacte colonial qu'à la recherche de nouveaux financements pour le développement de l'agriculture africaine [...] On brade les terres africaines, on contraint des milliers de petits producteurs à la misère. Cela est insupportable.
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