En Algérie, l’actualité économique - faite de projets d’investissements publics et privés, de politique que l’on dit orientée vers les IDE (investissements directs étrangers), de mise à niveau de l’appareil de production, de recettes énergétiques historiques et d’ouverture sur le monde- rend malaisée l’appréhension du concept de pauvreté même si le phénomène- latent, sournois ou expressément présent- gagne de plus en plus des couches de la population. Dans ces moments de confusion et d’imprécision sur le plan des statistiques, des officiels ont pu jouer avec les mots et verser dans un humour peu appétissant. L’année dernière Djamal Ould Abbas, ministre de la Solidarité nationale, dans un accès de nuance un tantinet pointilleux, a préféré parler de ‘’nécessiteux’’ au lieu de pauvres. Il y a quelques mois, c’est le ministre des Affaires religieuses, Bouabdallah Ghlamallah, qui a nié carrément l’existence de pauvres en Algérie ! Son constat s’est basé sur le nombre excessif de personnes candidates au pèlerinage Omra. Ces façons de voir nous éloignent indubitablement du sujet sur lequel des économistes, des sociologues, des nutritionnistes et des médecins ont planché pendant des années en en donnant les chiffres, les caractéristiques sociales et la situation sanitaire des populations pauvres.
Abstraction faite des chiffres et des statistiques disponibles auprès des organismes spécialisés, les signes de la régression sociale ne manquent pas d’offusquer la vue, de héler les consciences et de réclamer des mesures hardies en matière d’emploi et de redistribution équitable du revenu national. Les différents dispositifs sociaux mis en place par les pouvoirs publics depuis les quinze dernières années ne font manifestement qu’amortir les chocs et, parfois, de différer les émeutes. Ces dernières constituent l’un des chapitres les plus présents de l’actualité nationale. Au phénomène du chômage et de la pauvreté se joignent incontestablement l’énergie foudroyante d’une jeunesse désemparée par les impasses sociales et culturelles qui se dressent sur son chemin.
Au-delà des performances de la croissance
Depuis les vingt dernières années, la santé économique d’un pays ne se mesure pas uniquement en termes de stabilité macroéconomique (PIB, encours et service de la dette extérieure, inflation, taux de croissance, taux de chômage). Sur ce plan-où seule la froideur des chiffres semblent prévaloir-, l’Algérie a réussi, à un prix social exorbitant auquel s’est greffé le phénomène du terrorisme, à accéder à une performance que lui envient beaucoup de pays du tiers-monde, y compris certains membres de l’OPEP. La santé économique et sociale d’un pays se mesure aussi par d’autres paramètres qui sont corrélés directement avec le niveau et la qualité de la vie des individus. Ce sont les indicateurs (ou les indices) de développement humain que le PNUD a vulgarisés, particulièrement à partir de 1992 à travers ses rapports annuels, comme instruments d’évaluation sociale. Le rapport de cette organisation des Nations unies est destiné à promouvoir un développement dont les objectifs seraient la protection du capital écologique pour les générations futures, la réduction de la pauvreté et des inégalités, l’emploi, la cohésion sociale, la démocratie, la croissance économique pour une amélioration générale des conditions de vie.
Les Indicateurs de développement humain (IDH) retiennent trois composantes : la longévité, le savoir et le niveau de vie. Ils permettent de classer les pays selon une nouvelle grille plus ‘’humanisée’’, en tout cas plus réaliste que les simples indicateurs de la performance économique des pays considérés. Il s’agit de ‘’pallier les insuffisances d’une approche en termes de revenus par habitant’’. Dans ce contexte le développement humain est défini comme un développement donnant hommes la liberté d’utiliser pleinement leurs capacités dans tous les domaines : économique, social, culturel et politique. Donc, en plus de l’appréciation quantitative, qui demeure non seulement valable mais indispensable, la classification par les IDH introduit la vision qualitative qui exprime mieux les contrastes liés au niveau de vie et au mode de vie des populations.
Le dernier rapport de développement humain présenté au printemps dernier à Oran par le Conseil national économique et social, tout en relevant une amélioration de la situation des populations selon les indices en vigueur dans ce genre d’évaluation, n’a pas manqué d’alerter sur les risques qui pèsent sur la cohésion sociale si les inégalités sociales et le déficit d’accès de larges franges de la population aux différents services publics s’aggravaient.
Les populations, éreintées par une phase délicate de la transition économique, ne comprennent pas les difficultés insurmontables qu’elles rencontrent sur le plan social et économique du fait que, quels que soient les sommets sur lesquels il peut caracoler, le baril de pétrole ne semble pas pouvoir apporter de véritable solution aux angoissantes questions du pouvoir d’achat, du chômage et de la pauvreté.
Les éléments solidaires de la crise
Les péripéties de la crise financière mondiale et les réactions en chaîne qu’elles continuent de provoquer dans le cœur des différentes économies nationales ne manquent pas de rappeler que la dynamique du développement économique est soumise à plusieurs aléas aussi bien locaux que mondiaux. Cette solidarité des éléments qui composent un ensemble complexe est aujourd’hui mise à rude épreuve par des données et des processus qui échappent quelque peu aux volontés nationales. Le cas de l’Algérie peut être considéré, dans ce cas de figure, comme un cas d’école du fait que la mono-exportation des hydrocarbures et l’insertion du pays dans l’économie mondiale font peser sur le développement socioéconomique des populations de lourdes hypothèques. Si des redressements rapides- tels qu’un fort geste politique pour les investissements créateurs de richesses et d’emplois, une justice sociale plus perceptible au sein de la société-, les désordres sociaux risquent de s’amplifier et de devenir incontrôlables.
Depuis deux ans, la tendance lourde de l’actualité nationale demeure incontestablement les mouvements sociaux, même si, ça et là, de fébriles gesticulations politiques mues par des échéances précises avaient tenté d’escamoter cette réalité entêtée. Revendications salariales, grèves des fonctionnaires, contestations de certaines privatisations, bref, un réveil social qui ne doit, en tout cas, rien au hasard. Les augmentations des prix des produits alimentaires, le recul effrayant du pouvoir d’achat, la persistance du chômage, la régression de certains services sociaux, le constat de fortes et injustes disparités de la redistribution du revenu national, toutes ces contraintes ont, en quelques sorte, canalisé les énergies et la colère dormante de larges franges de la population pour exiger un mieux-être que l’on pense légitimement à la portée des Algériens, d’autant plus que les signes extérieurs de richesses chez une certaine catégorie de la population, minoritaire il est vrai, se font de plus en plus ostentatoires et insolents.
Développement humain et démocratie politique
Les analyses politiques et sociologiques ont établi que le retard dans l’accès à la modernité politique est largement soutenu et sustenté par le sous-développement économique et social et les injustices qui lui sont consubstantielles; en d’autres termes, par la faiblesse du niveau de développement humain. Ce concept de développement humain- manié depuis maintenant plus de deux décennies par les démographes, les géographes, les sociologues, les médecins, les écologues,…-, commence à peine à faire son entrée dans les administrations des États du Sud. Habitués qu’ils sont aux classiques agrégats économiques et financiers-lesquels, bien sûr, gardent toute leur importance pour quantifier des performances, des tendances générales,…etc.,- les décideurs et les gouvernants de ces pays sont assurément bousculés dans leur manière de faire des constats et de procéder à des projections au sujet de la performance économique de leurs programmes. En tout cas, si l’on a recours à d’autres termes ou concepts pour porter un autre regard sur l’état de la société, c’est que les données classiques de la statistique ne sont plus suffisants.
Car, il y a des situations sociales plus fuyantes et moins décryptables que ne le laissent supposer les graphes ou les histogrammes. Un ancien ministre des Finances, A.Benachenhou, a pu ironiser à propos de la situation des Algériens en disant : «l’Algérie est un pays pauvre qui se prend pour un pays riche». Cette dernière assertion, assénée comme une vérité ou même un lourd verdict, possède son pesant de réalité économique imparable en ce sens que l’économie du pays repose presque exclusivement sur la rente pétrolière dont la redistribution pose plus de problèmes qu’elle n’en résout.
Quant à Ahmed Benbitout, ancien Premier ministre, son analyse d’économiste lui fait dire que, dans cette phase de transition où l’économie algérienne cherche encore ses repères, « l’Algérie importe de la pauvreté».
Après plus de trois décennies de navigation à vue, de mauvaise gestion, de rapine et de clientélisme, les classes sociales produites par cette rente ont globalement respecté le trinôme de la stratification classique observée dans toutes les économies dirigistes et rentières : la nomenklatura et ses satellites- brocardés un certain moment du nom de mafia politico-financière-, la classe moyenne et la classe pauvre.
Le système politique algérien et l’ordre socioéconomique en vigueur qui se nourrissaient sous forme de vases communicants étaient largement frappés d’obsolescence lorsque, au milieu des années 90, le Plan d’ajustement structurel était venu remettre de l’ordre dans le système économique algérien en l’astreignant à une transition vers l’économie de marché au prix de profonds chamboulements socio-économiques qui ont fragilisé fortement la cohésion sociale et retardé les vraies réformes politiques.
Abstraction faite des chiffres et des statistiques disponibles auprès des organismes spécialisés, les signes de la régression sociale ne manquent pas d’offusquer la vue, de héler les consciences et de réclamer des mesures hardies en matière d’emploi et de redistribution équitable du revenu national. Les différents dispositifs sociaux mis en place par les pouvoirs publics depuis les quinze dernières années ne font manifestement qu’amortir les chocs et, parfois, de différer les émeutes. Ces dernières constituent l’un des chapitres les plus présents de l’actualité nationale. Au phénomène du chômage et de la pauvreté se joignent incontestablement l’énergie foudroyante d’une jeunesse désemparée par les impasses sociales et culturelles qui se dressent sur son chemin.
Au-delà des performances de la croissance
Depuis les vingt dernières années, la santé économique d’un pays ne se mesure pas uniquement en termes de stabilité macroéconomique (PIB, encours et service de la dette extérieure, inflation, taux de croissance, taux de chômage). Sur ce plan-où seule la froideur des chiffres semblent prévaloir-, l’Algérie a réussi, à un prix social exorbitant auquel s’est greffé le phénomène du terrorisme, à accéder à une performance que lui envient beaucoup de pays du tiers-monde, y compris certains membres de l’OPEP. La santé économique et sociale d’un pays se mesure aussi par d’autres paramètres qui sont corrélés directement avec le niveau et la qualité de la vie des individus. Ce sont les indicateurs (ou les indices) de développement humain que le PNUD a vulgarisés, particulièrement à partir de 1992 à travers ses rapports annuels, comme instruments d’évaluation sociale. Le rapport de cette organisation des Nations unies est destiné à promouvoir un développement dont les objectifs seraient la protection du capital écologique pour les générations futures, la réduction de la pauvreté et des inégalités, l’emploi, la cohésion sociale, la démocratie, la croissance économique pour une amélioration générale des conditions de vie.
Les Indicateurs de développement humain (IDH) retiennent trois composantes : la longévité, le savoir et le niveau de vie. Ils permettent de classer les pays selon une nouvelle grille plus ‘’humanisée’’, en tout cas plus réaliste que les simples indicateurs de la performance économique des pays considérés. Il s’agit de ‘’pallier les insuffisances d’une approche en termes de revenus par habitant’’. Dans ce contexte le développement humain est défini comme un développement donnant hommes la liberté d’utiliser pleinement leurs capacités dans tous les domaines : économique, social, culturel et politique. Donc, en plus de l’appréciation quantitative, qui demeure non seulement valable mais indispensable, la classification par les IDH introduit la vision qualitative qui exprime mieux les contrastes liés au niveau de vie et au mode de vie des populations.
Le dernier rapport de développement humain présenté au printemps dernier à Oran par le Conseil national économique et social, tout en relevant une amélioration de la situation des populations selon les indices en vigueur dans ce genre d’évaluation, n’a pas manqué d’alerter sur les risques qui pèsent sur la cohésion sociale si les inégalités sociales et le déficit d’accès de larges franges de la population aux différents services publics s’aggravaient.
Les populations, éreintées par une phase délicate de la transition économique, ne comprennent pas les difficultés insurmontables qu’elles rencontrent sur le plan social et économique du fait que, quels que soient les sommets sur lesquels il peut caracoler, le baril de pétrole ne semble pas pouvoir apporter de véritable solution aux angoissantes questions du pouvoir d’achat, du chômage et de la pauvreté.
Les éléments solidaires de la crise
Les péripéties de la crise financière mondiale et les réactions en chaîne qu’elles continuent de provoquer dans le cœur des différentes économies nationales ne manquent pas de rappeler que la dynamique du développement économique est soumise à plusieurs aléas aussi bien locaux que mondiaux. Cette solidarité des éléments qui composent un ensemble complexe est aujourd’hui mise à rude épreuve par des données et des processus qui échappent quelque peu aux volontés nationales. Le cas de l’Algérie peut être considéré, dans ce cas de figure, comme un cas d’école du fait que la mono-exportation des hydrocarbures et l’insertion du pays dans l’économie mondiale font peser sur le développement socioéconomique des populations de lourdes hypothèques. Si des redressements rapides- tels qu’un fort geste politique pour les investissements créateurs de richesses et d’emplois, une justice sociale plus perceptible au sein de la société-, les désordres sociaux risquent de s’amplifier et de devenir incontrôlables.
Depuis deux ans, la tendance lourde de l’actualité nationale demeure incontestablement les mouvements sociaux, même si, ça et là, de fébriles gesticulations politiques mues par des échéances précises avaient tenté d’escamoter cette réalité entêtée. Revendications salariales, grèves des fonctionnaires, contestations de certaines privatisations, bref, un réveil social qui ne doit, en tout cas, rien au hasard. Les augmentations des prix des produits alimentaires, le recul effrayant du pouvoir d’achat, la persistance du chômage, la régression de certains services sociaux, le constat de fortes et injustes disparités de la redistribution du revenu national, toutes ces contraintes ont, en quelques sorte, canalisé les énergies et la colère dormante de larges franges de la population pour exiger un mieux-être que l’on pense légitimement à la portée des Algériens, d’autant plus que les signes extérieurs de richesses chez une certaine catégorie de la population, minoritaire il est vrai, se font de plus en plus ostentatoires et insolents.
Développement humain et démocratie politique
Les analyses politiques et sociologiques ont établi que le retard dans l’accès à la modernité politique est largement soutenu et sustenté par le sous-développement économique et social et les injustices qui lui sont consubstantielles; en d’autres termes, par la faiblesse du niveau de développement humain. Ce concept de développement humain- manié depuis maintenant plus de deux décennies par les démographes, les géographes, les sociologues, les médecins, les écologues,…-, commence à peine à faire son entrée dans les administrations des États du Sud. Habitués qu’ils sont aux classiques agrégats économiques et financiers-lesquels, bien sûr, gardent toute leur importance pour quantifier des performances, des tendances générales,…etc.,- les décideurs et les gouvernants de ces pays sont assurément bousculés dans leur manière de faire des constats et de procéder à des projections au sujet de la performance économique de leurs programmes. En tout cas, si l’on a recours à d’autres termes ou concepts pour porter un autre regard sur l’état de la société, c’est que les données classiques de la statistique ne sont plus suffisants.
Car, il y a des situations sociales plus fuyantes et moins décryptables que ne le laissent supposer les graphes ou les histogrammes. Un ancien ministre des Finances, A.Benachenhou, a pu ironiser à propos de la situation des Algériens en disant : «l’Algérie est un pays pauvre qui se prend pour un pays riche». Cette dernière assertion, assénée comme une vérité ou même un lourd verdict, possède son pesant de réalité économique imparable en ce sens que l’économie du pays repose presque exclusivement sur la rente pétrolière dont la redistribution pose plus de problèmes qu’elle n’en résout.
Quant à Ahmed Benbitout, ancien Premier ministre, son analyse d’économiste lui fait dire que, dans cette phase de transition où l’économie algérienne cherche encore ses repères, « l’Algérie importe de la pauvreté».
Après plus de trois décennies de navigation à vue, de mauvaise gestion, de rapine et de clientélisme, les classes sociales produites par cette rente ont globalement respecté le trinôme de la stratification classique observée dans toutes les économies dirigistes et rentières : la nomenklatura et ses satellites- brocardés un certain moment du nom de mafia politico-financière-, la classe moyenne et la classe pauvre.
Le système politique algérien et l’ordre socioéconomique en vigueur qui se nourrissaient sous forme de vases communicants étaient largement frappés d’obsolescence lorsque, au milieu des années 90, le Plan d’ajustement structurel était venu remettre de l’ordre dans le système économique algérien en l’astreignant à une transition vers l’économie de marché au prix de profonds chamboulements socio-économiques qui ont fragilisé fortement la cohésion sociale et retardé les vraies réformes politiques.
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