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Vers un Etat producteur de la norme

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  • Vers un Etat producteur de la norme


    Intervention de Jean-Luc Gréau, Economiste, auteur de « La trahison des économistes », au colloque du 9 décembre 2008, L'Etat face à la crise.



    Je dis d’emblée que je vais avoir une grosse difficulté : je me situe à la fois sur le plan national et sur le plan européen dont Jean-Michel Quatrepoint a dit qu’il n’existait actuellement pratiquement pas. Il a fait un tableau très pessimiste qui correspond à ce que nous pouvons constater au jour le jour.

    Un mot au préalable sur les plans de relance européens et nationaux. Ce qui s’est passé, ce qui se passe encore - du fait principal mais pas exclusif d’Angela Merkel - montre que l’hypothèse d’un gouvernement économique européen reste très aléatoire, une hypothèse d’école. Il ne s’agit pas de s’en réjouir mais c’est un fait.
    J’évoquerai très brièvement les différents plans - ou absences de plans - en essayant de vous faire saisir un point essentiel : tout ce qui a été décidé à l’échelon des Etats correspond à des diagnostics et des stratégies anciennes de ces Etats avant la crise. Il faut répéter que cette crise est une crise de la demande. Madame Parisot devrait savoir que l’investissement est une composante essentielle de la demande même s’il prépare la production du futur. C’est un problème théorique de fond, de diagnostic, toujours évacué à l’occasion des sempiternelles discussions sur le « subprime rate » l’organisation des marchés financiers etc.

    L’Allemagne est attentiste. Sauf si Angela Merkel devait être acculée par les membres de sa coalition à faire des réductions d’impôt sur le revenu ou de nouvelles dépenses d’infrastructures, elle persiste dans sa politique qui consiste essentiellement à accentuer les dépenses dans le domaine environnemental, domaine où l’Allemagne a pris les devants à l’échelon européen dans les techniques de l’isolation, de la biomasse, du solaire. C’est donc une orientation stratégique qui est accompagnée par le plan de relance actuel. Mais cela signifie en même temps que l’Allemagne attend le retour de la prospérité mondiale pour pouvoir de nouveau exporter à tout va, sur les cinq continents, ses biens d’équipements (exportations actuellement très atteintes par la crise économique). La position allemande est d’autant plus étonnante que nous avons d’ores et déjà une récession mondiale de l’industrie, en attendant une récession mondiale tout court.

    Un mot sur l’Espagne dont Jean-Michel Quatrepoint avait, lors d’un colloque précédent (1), montré l’extrême fragilité de la prospérité, du système économique, ce qui est démontré : actuellement l’Espagne s’effondre, elle n’est plus au stade de la récession mais à celui de la dépression. Or l’Espagne fait du logement (ce pays, il y a deux ans, faisait autant de logements que la France, l’Allemagne et l’Angleterre réunies) et des travaux publics le domaine d’application de sa relance, alors que le bâtiment doit écouler des centaines de milliers de logements invendus et que les infrastructures espagnoles, financées par le contribuable européen, sont neuves.

    Le Royaume-Uni, pour essayer de renouer avec la consommation qui se dérobe, baisse la TVA (opération lourde et difficilement réversible) et prépare discrètement un plan de relance du mortgage (c’est-à-dire des emprunts hypothécaires qui ont été à la base de la prospérité anglaise depuis environ quinze ans). Un comité de travail, présidé par l’ancien président d’HBOS, une banque anglaise aujourd’hui en faillite, et quasiment nationalisée, a proposé que l’Etat émette 100 milliards de livres sterling d’obligations dont les ressources seraient ensuite confiées aux banques pour relancer le marché hypothécaire. C’est donc toujours la même stratégie de soutien de la consommation des ménages pour essayer d’obtenir le plein emploi et la prospérité apparente.

    L’Etat italien, en plus grande difficulté du point de vue budgétaire que la plupart de ses partenaires, fait aussi des plans partiels de soutien, sans se préoccuper de la stratégie à mener dans le long terme.

    En France, le plan qui nous a été présenté n’est pas le plus mauvais. Il comporte des mesures astucieuses : construire des logements qui étaient programmés mais pour lesquels le financement se dérobe, accélérer les remboursements aux PME pour améliorer leur trésorerie, ce qui est très important dans la conjoncture actuelle si difficile, tenter d’accélérer les investissements dans le domaine de l’énergie, là aussi c’est une bonne chose. Je ne regrette qu’une chose, en plein accord avec Jean-Michel Quatrepoint : les dépenses de biens d’équipement militaires, des dépenses keynésiennes par excellence, sont oubliées. C’est le point noir. On doit faire un deuxième porte-avions, on doit livrer les Rafale comme on l’avait envisagé.

    Tout cela révèle que, là encore, les trajectoires nationales anciennes se prolongent dans les plans de relance instantanés. L’euro-divergence persiste à travers ces plans de relance, même s’ils témoignent d’une prise de conscience partielle de la gravité de la situation. L’Europe continue à diverger.

    Il me faut maintenant aborder un premier domaine où un changement d’orientation politique s’impose, avec le bénéfice de l’expérience ; celui de la doctrine de la concurrence européenne et de son application. Nous avons vu, à l’occasion de la crise financière, comment la doctrine de la concurrence a été mise en défaut par la faillite des banques. Il a fallu que l’Etat intervienne lourdement : nationalisations, transfert du passif vers l’Etat, recapitalisation des banques. La formule française – qui n’est pas la meilleure – consiste à subventionner, à substituer par des procédures indirectes de l’endettement public au passif que les banques ont accumulé dans le passé. Toutes ces interventions reviennent à injecter du cash pour éponger une partie du passif des acteurs concernés, en difficulté ou en faillite. Il est démontré que la doctrine de la concurrence ne tient pas la route dans une conjoncture difficile.

    L’énergie en fournit un autre exemple : Comment a-t-on pu libéraliser, dérèglementer le marché de l’énergie électrique en Europe après l’expérience décevante qui, aux Etats-Unis, n’a abouti qu’à donner aux acteurs les plus puissants une rente de situation ?

    Autre exemple : sachez qu’Airbus est contraire à la politique de la concurrence européenne. Si celle-ci avait été établie à la fin des années 60, au moment où fut lancé le programme franco-allemand, avec des sous-traitances anglaise et espagnole, Airbus n’aurait jamais vu le jour. On peut imaginer l’impact sur les économies concernées si Boeing avait gardé le monopole de la production des avions de ligne à l’échelon mondial.

    Une dernière illustration : l’arbitraire complet de la décision concernant les verriers, Saint-Gobain et deux verriers japonais produisant sur le territoire de l’Union, ont été lourdement sanctionnés par la Commission de Bruxelles pour s’être entendus en matière de prix. Or, sur certains produits, les ententes sont pratiquement inévitables, si l’on veut éviter une guerre des prix qui vouent les producteurs même performants à perdre de l’argent.

    Nous sommes fondés à nous étonner lorsque le commissaire européen vient au secours des acheteurs que sont les constructeurs automobiles ou de directeurs d’achat tout à fait aptes à négocier des prix convenables avec leurs fournisseurs. Les personnes qui s’occupent de concurrence à la Commission européenne ne savent pas ce qu’est la concurrence dans le domaine économique, qu’elle n’est pas d’abord une compétition en matière de prix mais une bataille pour la qualité et l’innovation. Elles ne savent pas non plus que les grands donneurs d’ordres et leurs grands fournisseurs sont dans une relation de partenariat plutôt que d’affrontement sur les conditions contractuelles.

    Le problème est qu’il n’existe pas de texte qui permette de faire référence à une doctrine de la concurrence digne de ce nom. Il est urgent de concevoir un texte qui soit une sorte de charte référentielle, un texte normatif précisant les domaines dans lesquels il faut agir en faveur de la lutte contre les ententes, ceux dans lesquels il faut au contraire favoriser les ententes dans un but d’intérêt collectif, enfin ceux où la puissance publique (l’Etat, les Etats) doit intervenir pour développer certaines stratégies de développement. La doctrine de la concurrence est un cancer de la politique européenne, je pèse mes mots.

    Ajoutons in fine sur ce chapitre la nécessité évidente pour les Européens de réclamer une réciprocité sans concessions, en matière de soumission aux marchés publics, à leurs partenaires commerciaux. Si les entreprises canadiennes peuvent remporter des appels d’offre en France, leurs concurrentes françaises doivent pouvoir le faire au Canada.

    Le deuxième domaine, adjacent, est celui de l’organisation des marchés financiers. Nous avons assisté aussi à la faillite, au sens propre, de la régulation par les marchés financiers et leurs opérateurs. La subordination des marchés économiques et de leurs opérateurs (essentiellement des entreprises et ceux qui y travaillent) aux marchés financiers et à leurs opérateurs (principalement les traders des salles de marché) a fait faillite sans quoi nous n’aurions pas les désordres actuels.
    Dernière modification par jawzia, 21 janvier 2009, 20h52.

  • #2
    Je traiterai deux points essentiels en laissant hélas de côté, du fait de sa complexité, la question de la titrisation qui mérite cependant qu’on y porte une très grande attention.

    1° Le régime des OPA. Toutes les entreprises massacrées à la bourse deviennent « OPAbles », en particulier par des fonds d’investissements lointains, souverains ou non. Nos entreprises peuvent, par exemple, être achetées par un fonds souverain chinois ou coréen. La vulnérabilité de nos entreprises européennes avec leur savoir-faire, leur technicité, leur capital de production est un problème essentiel. Michel Rocard, qui n’est pas un collectiviste militant, a proposé l’interdiction des OPA sur les entreprises européennes ; c’était il y a dix-huit mois, on l’a oublié. Il avait déjà foncièrement raison, l’actualité nous donne des raisons supplémentaires de le suivre.

    Les OPA doivent donc être interdites ou encadrées. Une OPA ne doit pas être financée sur fonds d’emprunt, car il est trop facile de racheter une entreprise en s’endettant au préalable. On doit aussi proscrire l’échange d’actions, il est trop facile de proposer des OPE qui permettent de faire main basse sur certaines entreprises. Le problème des OPA c’est que le marché boursier permet le rachat d’entreprises performantes par des entreprises éventuellement moins performantes (rachat de Péchiney par Alcan, d’Arcelor par Mittal). C’est la concurrence à l’envers. Le moins performant peut, par des moyens appropriés, s’emparer de la capacité technique et industrielle de sa cible, se rendant maître de moyens économiques qu’il n’aura pas eu besoin de constituer par lui-même.
    Ce problème est donc une priorité absolue, surtout dans ce contexte où les raids sont facilités par la dévalorisation des actions des sociétés cotées.

    2° Le domaine du LBO, c’est aussi le rachat d’entreprises sur fonds d’emprunts mais il s’agit d’entreprises non cotées rachetées par les fonds dits de private equity. Là aussi, il est nécessaire de corriger le mécanisme des private equity qui a les mêmes effets que la doctrine de la création de valeur pour l’actionnaire en bourse sur les entreprises cotées. En effet, les fonds de private equity rachètent des entreprises non cotées en s’endettant au préalable, ce qui aboutit, dans les faits, à faire porter la charge de l’emprunt sur les entreprises rachetées, en sacrifiant souvent les dépenses d’investissement ou de recherche. La crise donne un singulier relief à cet aspect financier, car il est probable que la récession va empêcher les remboursements de nombreux emprunts de type LBO, avec le risque de voir un nouveau séisme financier sur un gisement de crédit spécifique.

    Dans ces domaines, OPA, LBO, je préconise le retour de l’Etat producteur de la norme qui encadre le LBO en limitant l’endettement à 20% ou 25% au plus du capital racheté. Ce sont des mesures très simples qui montreraient qu’on change d’optique et qu’on s’en donne les moyens.

    3° Je serai très prudent sur le sujet de l’harmonisation fiscale à l’échelon européen. Je ne parlerai pas de la TVA ni des impôts sur le revenu. Schumpeter disait qu’en lisant le code des impôts, on pourrait reconstituer l’histoire d’un pays d’un point de vue économique, social et politique. Cela est vrai, ce qui veut bien dire que le code des impôts n’est pas totalement arbitraire. Mais il y a un domaine sur lequel s’impose une certaine harmonisation, c’est l’impôt sur le bénéfice des sociétés. Il est anormal qu’en Europe, les impôts varient de 10% ou 12% dans certains pays à 26%, 33% ou 34% dans d’autres. Il faut mettre fin à cette concurrence inacceptable par la fiscalité. Sachez qu’un pays comme l’Irlande abrite des multinationales étrangères (Général Electric par exemple) qui viennent y optimiser leur imposition en installant sur le territoire de ce pays des profits réalisés ailleurs. Là on a un besoin d’action, il faut d’abord unifier l’assiette de l’impôt sur le bénéfice des sociétés (un travail ardu qui demanderait de longs mois) et ensuite établir une fourchette entre 20% et 35% (ou 25% et 35%) selon les différents pays.

    4° Il est un point sur lequel les Européens doivent s’engager collectivement (s’ils ne sont pas capables de le faire, c’est que Jean-Michel Quatrepoint a raison et que l’Europe n’existe vraiment pas du tout), c’est la parité monétaire. D’un côté nous avons des monnaies artificiellement reliées au dollar par un lien fixe comme le yuan chinois, d’un autre côté des variations absolument aberrantes des monnaies soumises au marché des changes. Vous avez vu comment l’euro s’est apprécié avant de se déprécier vis-à-vis du dollar, ne reflétant absolument pas la compétitivité des économies concernées ; vous avez vu comment le won coréen a pu se déprécier de plus de 20% et remonter de 20% en un seul jour ; vous ne savez peut-être pas que l’euro s’est apprécié vis-à-vis du yuan chinois de 23% au cours des sept dernières années alors que la Chine est en pleine phase de rattrapage. Ma proposition serait que l’Europe milite pour le rétablissement de parités monétaires stables et ajustables, comme dans le cas du système établi à Bretton Woods, dont il semble au demeurant que plus personne ne sache en quoi cette grande réunion a consisté. L’ambition n’est évidemment pas de réunir toutes les monnaies du monde - pas les monnaies des pays émergents en tout cas - mais celles des pays anciennement industrialisés : Japon, Amérique du nord, Europe occidentale et Dragons asiatiques (NPI). On peut faire un SMI (comme il y avait un SME en Europe) avec ces parités monétaires ajustées de façon correcte. La parité monétaire est un paramètre fondamental pour une entreprise qui a des marchés internationaux, pour savoir où elle va implanter ses sites de production, où elle va développer sa force commerciale etc. Or les parités perpétuellement flottantes détruisent le calcul économique rationnel. Très bizarrement, les partisans de la concurrence, du libre échange n’en semblent pas conscients.

    Mais si l’on veut que ces questions majeures puissent être introduites et traitées dans le débat européen, il faudra bien accepter de sortir du postulat du consensus, qui exclut toute action en profondeur, et en passer, si nécessaire, par le conflit d’idées, sans craindre d’assombrir le climat des cénacles européens. L’affrontement convaincu et loyal des conceptions fait partie intégrante de la démocratie.

    Ces quatre propositions étant faites, je dois vous dire que des éléments à venir risquent de bouleverser la donne.

    Je n’exclus pas une crise de l’euro dans les années à venir. Je m’appuie essentiellement sur la pression des spreads (écarts de taux) sur les obligations d’Etat qui font figure de référence pour l’ensemble des emprunts. Ces écarts, insignifiants il y a un an, ne sont plus négligeables au jour d’aujourd’hui : sur des emprunts à dix ans, 3,1% pour l’Allemagne, 3,5% pour la France, 3,8% pour l’Espagne et 4% pour l’Italie (l’Espagne selon moi va dépasser l’Italie). Ces écarts de taux indiquent que les grands débiteurs que sont les Trésors publics sont considérés désormais comme plus ou moins fiables, indépendamment de leur inclusion dans l’euro. Non seulement l’Europe n’est pas économiquement homogène mais la fiabilité de ses Trésors publics commence à être mise en doute. Je n’exclus donc pas une crise interne de l’euro, ouvrant la voie à la sortie de certains pays.

    Un dernier point, le dollar. La relance massive par Barak Obama après le plan Paulson, après tout ce qui a été décidé en matière de garanties de dépôts, implique un engagement de l’Etat américain sans précédent (même au moment de la grande dépression). On peut donc estimer aux alentours de 10% du PIB le déficit de l’exercice qui a commencé le 1er octobre et s’achèvera le 30 septembre prochain. Les États-Unis connaissent actuellement une décroissance de leur activité qui correspond à pratiquement 4% en termes annuels (calculé à partir des chiffres de l’emploi et de la durée du travail de ces trois derniers mois). Il s’agit d’une véritable chute aux enfers que le plan Obama tente d’enrayer. Mais cela signifie aussi que les États-Unis n’étant pas capables de financer eux-mêmes cet énorme déficit, ils vont être plus dépendants encore de l’épargne étrangère. Jusqu’ici le mécanisme qui amène le fournisseur (asiatique essentiellement) à faire en sorte que son client ne soit pas en faillite a fonctionné. Néanmoins prendre des actifs libellés en dollars aujourd’hui, c’est prendre un risque très lourd (sauf, à la rigueur, sur certains segments du marché immobilier, très déprécié, mais pas plus). Personnellement, je n’achèterais aucune action ni obligation américaine libellée en dollars.

    Cette hypothèse me paraissait tout à fait excessive il y a encore un an ou deux, mais je n’exclus pas une crise internationale du dollar qui serait au demeurant cataclysmique pour l’Europe. Si le dollar s’effondre, ce qui reste de la compétitivité européenne sera détruite.

    Nous entrons dans un monde nouveau. Nous subissons une récession sévère, les chiffres annoncés par les conjoncturistes (-0,5% ou -1% du PIB) sont fantaisistes, il faut s’attendre à -3%,-4%,-5%, peut-être -8% ou -10% du PIB pour certains pays. Sachez qu’un petit pays comme la Lettonie est déjà à -5% et l’Espagne doit y être en tendance (quand on supprime cinq emplois sur cent en l’espace de treize mois, c’est qu’on a déjà perdu 3% ou 4% du PIB.

    Nous entrons donc dans une situation nouvelle où les Etats sont désarmés intellectuellement avant d’être désarmés politiquement parce qu’ils n’ont pas prévu la situation et n’ont pas de diagnostic exhaustif. Ils ont, il faut le dire, d’assez mauvais conseillers avec les économistes qui gardent la faveur des grands médias. De plus, les Etats sont cernés par les banquiers, ces naufrageurs naufragés de la sphère financière qui les orientent toujours dans la même direction.
    Dernière modification par jawzia, 21 janvier 2009, 21h00.

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    • #3
      Epilogue

      Je suis réellement pessimiste. Espérons que nous ne subirons qu’une très sévère récession et qu’après une sorte de stagnation longue (trois ou quatre années), une réorientation globale des pays entraînera une amélioration.

      L’impulsion de la demande (je parle essentiellement de la rémunération du travail) est fondamentale pour l’avenir, non seulement en Europe et aux Etats Unis mais aussi dans les pays émergents. La crise est avant tout imputable à la déflation salariale qui mine le système économique mondial. Les pays qui, comme la Chine, le Japon et les Dragons asiatiques, ont choisi le modèle exportateur à tout va doivent abandonner ce modèle pour retrouver un équilibre entre la demande intérieure et la demande externe.

      Ces réorientations très importantes ne vont pas se faire en quelques mois, il faudra au moins trois ou quatre ans, mais elles représentent un impératif catégorique. En attendant il faut que la puissance publique réapparaisse, pas seulement en tant que domestique chargé d’éteindre l’incendie ou de réparer les dégâts des eaux, pas seulement en tant que pilote, même si c’est absolument essentiel, mais aussi en tant que producteur de la norme, c'est-à-dire l’Etat au sens propre du terme dans le contexte de l’Histoire.

      Commentaire


      • #4
        Débat final

        Interventions prononcées lors du colloque du 9 décembre 2008, L'Etat face à la crise.

        Dans la salle
        Je suis frappé par le fait que pendant que l’Allemagne continue à avoir un excédent commercial, le déficit commercial de la France se creuse. Difficile de faire une politique européenne avec ça !
        Par ailleurs je crois que Engels disait que l’Etat c’est avant tout des hommes armés. On le voit en Grèce qui connaît ces jours-ci une espèce de mai 68 qui n’est pas uniquement dû à la volonté de quelques anarchistes mais qui est largement une conséquence d’un craquement de l’euro fort parce que la Grèce est, encore moins que la France, capable de supporter un euro fort. On voit aussi des petits craquements en Guadeloupe, en Guyane, des régions ultrapériphériques de l’Europe qui supportent encore plus mal que nous un euro fort pour des raisons que je ne détaille pas.


        Jean-Pierre Chevènement
        En ce qui concerne l’Allemagne, je crois avoir vu que les exportations allemandes diminuaient fortement. Reportez-vous au cahier publié par la Fondation Res publica sur ce sujet (1), vous y lirez que les exportations allemandes sont au trois quarts réalisées vers l’Europe (ses exportations vers les pays émergents font moins de 20% du total) et quand la conjoncture va mal en Italie, en France, en Espagne, en Grande-Bretagne, les exportations allemandes souffrent. Il me semble un peu étonnant que le déficit commercial français se creuse, la baisse du prix du pétrole devrait se répercuter sur nos statistiques. Tout cela mérite examen.

        Quant à la crise de la zone euro, nous l’avons toujours eue à l’esprit. Jean-Luc Gréau a insisté tout à l’heure sur les euro-divergences qui frappent la Grèce comme elles frappent d’autres pays. Si l’Allemagne ne change pas de politique, si elle ne comprend pas que l’intérêt européen bien compris - et celui de l’Allemagne - est dans une relance massive à l’échelle de notre continent et dans le choix de mesures qui rompent avec une certaine orthodoxie, nous irons malheureusement vers l’éclatement de la zone euro, une réalisation certes critiquable mais qui avait de bons côtés. On ne peut pas avoir une zone monétaire sans gouvernement économique. Je laisse Jean-Luc Gréau compléter mon propos.


        Jean-Luc Gréau
        Concernant l’Allemagne, il faut d’abord savoir que ce pays, certes surpuissant à l’échelon international, est le premier exportateur mondial. Tout le monde ne peut pas être premier exportateur mondial mais tout le monde ne peut pas être en excédent. S’il y a des excédents d’un côté, il doit y avoir des déficits de l’autre.
        Deuxième observation : l’Allemagne a connu une croissance proche de zéro entre 2001 et 2008. Donc les pays qui ne consomment pas importent moins. Les pays qui consomment encore un peu comme la France et, jusqu’à une date récente, l’Espagne et le Royaume-Uni, importent plus. Il est frappant de voir que hors l’Allemagne et les Pays-Bas, toute la zone est déficitaire vis-à-vis de l’extérieur. Elle est déficitaire vis-à-vis de l’Asie émergente (comme l’Allemagne d’ailleurs), elle est déficitaire vis-à-vis de l’Allemagne et d’autres pays. Il y a effectivement une défaillance partielle de la compétitivité française depuis 2004, concentrée sur le secteur automobile mécanique et le secteur des biens dits intermédiaires. C’est là que se situent à la fois la récession industrielle française et le recul historique. En même temps il ne faut pas oublier que notre production automobile, pour les petites voitures, se fait d’abord dans les pays d’Europe centrale : Slovénie, Slovaquie, Roumanie et Turquie. La moitié des petites voitures françaises sont produites dans ces pays. On les exportait, on les importe désormais.

        Dans la salle
        J’aimerais revenir sur le retour de l’Etat à l’occasion de cette crise. Il me semble que, comme dans tout processus de crise il y a forcément une indétermination et une incertitude sur ce qui va se passer dans le futur. Des tendances contradictoires apparaissent : d’un côté il y a bien une espèce de retour de l’Etat béquille, plus ou moins prisonnier du marché. On l’a bien vu au niveau de la Réserve fédérale qui est intervenue pour des banques d’affaires alors que ce n’était pas du tout son mandat. Il est clair que l’Etat a joué un rôle de béquille vis-à-vis du marché et a permis de sauver des institutions bancaires qui n’auraient pas dû l’être. En même temps, la gravité de la crise, l’aggravation de la crise, la récession et la dépression qui s’installent font qu’il y a des pressions en sens inverse. Donc, à mon avis il n’est pas du tout certain qu’on n’assiste pas à un retour beaucoup plus significatif de l’Etat qui aille bien au-delà des intentions proclamées par les uns et les autres, tout simplement parce que la crise a aussi une dynamique qui peut très bien générer des ruptures auxquelles les agents ne sont pas préparés.


        Dans la salle
        Puisqu’on évoque les risques d’éclatement de la zone euro, quelles sont les possibles conséquences de l’adoption unilatérale par des pays comme l’Islande ou l’Ukraine (grillant les étapes, au grand dam de la Commission européenne) sur la masse monétaire de l’euro, compte-tenu de la situation de ces pays ?


        Jean-Pierre Chevènement
        Ils tiendront le temps qu’ils pourront tenir. On ne peut pas décréter unilatéralement son adhésion à la zone euro. On a vu en Amérique latine certains Etats décréter que leur monnaie serait alignée sur le cours du dollar jusqu’au jour où ces Etats ne le peuvent plus, ce qui fut le cas de l’Argentine, mais ce n’est pas la même chose que l’inclusion dans la zone euro.


        Dans la salle
        Je pensais au Kosovo qui, comme le Monténégro a adopté l’euro sans qu’il y ait pour autant création de masse monétaire.


        Jean-Luc Gréau
        C’est la Banque centrale qui émet la monnaie en dernier ressort. Il faudrait que ces pays intègrent vraiment la zone euro et puissent s’incorporer aux processus de contrôle de la Banque centrale et ils ne peuvent le faire unilatéralement. Ils peuvent se lier à l’euro, c’est le cas d’un pays comme la Lettonie, en faillite actuellement (la Lettonie a vu son PIB chuter de 5% sur un an). Le FMI la soutient, il a un plan pour sauver la Lettonie et l’une des questions qui survient est de savoir si la Lettonie va garder sa parité avec l’euro. Je pense qu’elle devrait l’abandonner pour faciliter la gestion de la crise, néanmoins elle souhaite maintenir ce lien. La seule chose qu’un pays puisse faire c’est garder un lien externe avec l’euro. Le Royaume–Uni pourrait par exemple souhaiter garder une parité monétaire avec l’euro. Un pays ne peut pas décider d’adopter le dollar ou l’euro parce qu’il n’a pas le pouvoir d’émettre cette monnaie.

        Commentaire


        • #5
          Dans la salle
          Ma question, qui a un aspect économique et politique, s’adresse surtout à Monsieur Gréau. En tant que keynésien je suis d’accord pour faire des investissements et accepter un déficit de l’Etat. Mais ceci entraîne une augmentation indéfinie de la dette publique, la dette américaine est monstrueuse, la dette française est importante, je crois savoir que la charge de la dette est déjà le deuxième poste du budget. En plus l’Etat garantit les banques privées. L’Etat garantit la Banque centrale qui garantit la banque privée, donc l’Etat s’endette sans arrêt. Est-ce que finalement ça n’aboutirait pas à mettre l’Etat sous la coupe de la finance mondiale qui lui prête de l’argent ?


          Jean-Luc Gréau
          Vous soulevez un pan caché de l’épisode en cours, c’est-à-dire que les dettes publiques des Etats (Japon, Italie - qui sont les plus endettés du monde - et même Pays-Bas, France, Allemagne, Grande-Bretagne, États-Unis) ont passé ou sont en train de passer le cap de la remboursabilité. Elles ne seront plus remboursables après les interventions massives pour empêcher le séisme total des banques et des économies. Cela veut dire qu’il va falloir un jour monétiser la dette publique. On s’y est refusé pendant ces trente dernières années, l’Etat était le seul agent économique à ne pas pouvoir monétiser sa dette. On va très probablement se trouver exposé à la question de la monétisation de la dette. Elle se pose différemment selon que la nation concernée a ou non une dette vis-à-vis de l’extérieur. Ont une dette vis-à-vis de l’extérieur les États-Unis, le Royaume-Uni, qui, ayant leur monnaie propre, doivent réfléchir avant de décider - comme ce sera probablement le cas en 2009 pour les États-Unis - de monétiser la dette publique. En revanche, le Japon qui a des réserves de change considérables, n’a pas de dette publique extérieure ; la France n’a pas de dette publique extérieure mais, au train où va notre commerce extérieur, nous pourrions en avoir une d’ici 2010.

          N’oubliez pas que l’euro nous interdit de monétiser la dette des Etats membres. C’est une menace qui pèse sur l’euro. L’Etat italien saisi à la gorge, pour faire face à ses échéances, pourrait être tenté de sortir de l’euro. Je ne parle pas de façon désinvolte de cette question : l’euro arrive à un instant de vérité, la gravité de la situation et le caractère massif des interventions décidées par la plupart des Etats mettent en doute la viabilité de l’euro sous sa forme actuelle. C’est une des grandes interrogations des deux ou trois années à venir et je n’ai évidemment pas la réponse.


          Dominique Garabiol
          Je voudrais d’abord revenir sur la question de l’adoption unilatérale de l’euro par un pays périphérique à la zone euro. Il est vrai que des convois de pièces et de billets en euros sont organisés vers le Kosovo pour la circulation monétaire ; le Kosovo est effectivement monétisé avec l’euro mais c’est dans le cadre d’une administration exceptionnelle, une administration de conflit, quasiment une administration de guerre. Cela me fait davantage penser aux billets que les Américains avaient prévu d’introduire en France en 1945 qu’à une véritable monnaie nationale par adhésion à un système monétaire externe. C’est possible pour un pays par rapport à la zone couverte par la monnaie de référence. Qui plus est, l’économie de ce pays n’étant pas très développée, les phénomènes monétaires ne jouent probablement pas de rôle majeur. Cela reste un cas d’école. Israël avait tenté d’adopter le dollar mais ça n’avait pas tenu très longtemps.

          Je voulais revenir aussi sur la question de l’endettement des Etats. L’endettement de l’Etat a un sens s’il se substitue à l’endettement des autres agents économiques. Par exemple, le rétablissement relatif des finances publiques américaines a eu pour contrepartie la dégradation dramatique de l’épargne des ménages qui se sont retrouvés très endettés. L’intelligence de l’endettement public c’est l’utilisation des ressources. Il est tout à fait clair que les abus de la financiarisation ont tenu à l’utilisation de l’endettement à des fins financières. Tout à l’heure Jean-Luc Gréau a parlé des LBO : on a emprunté pour financer des rachats de capitaux à crédit, on a fait des empilements de crédits. En réalité, la productivité de l’endettement s’est effondrée de façon monumentale durant les vingt dernières années. On peut attendre que l’Etat utilise ses ressources avec davantage de préoccupations de long terme, en les réorientant vers des biens collectifs et il est possible d’attendre de cette utilisation-là un modèle de croissance différent.


          Jean-Pierre Chevènement
          Merci. L’heure est venue de conclure.
          Je vous remercie de votre écoute d’être studieuse et attentive. Si nous n’avons pas fait le tour de la question, au moins avons-nous fait un certain débroussaillage.

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