L’histoire des riches du Maroc
Le : 2008-12-24
HAKIM ARIF
Néanmoins, de plus en plus de riches se défont de cette tradition de discrétion au profit d’un mode de comportement calqué sur les riches occidentaux prispour modèle suprême. Ceux-là, on les appelle, comme dans toutes les sociétés, les nouveaux riches. Ils veulent démontrer qu’ils le sont, à n’importe quel prix. Ils achètent des Hammer, construisent des villas gigantesques et se font voir partout où on peut les remarquer. Heureusement qu’il y a le bon riche. Le riche utile. L’entrepreneur. Celui qui tire sa richesse d’un travail intelligent, qui distribue des revenus et répartit les richesses. Les grands patrons qui ont fait l’histoire économique du Maroc, les Benjelloun, Bensalah, Lamrani-Karim, Sefrioui, Akhannouch, Zniber, Chaabi, etc, ne roulent pas que pour eux-mêmes. Quand ils investissent, ils en font profiter les autres. Ils créent toute une économie autour d’eux. Plus ils s’enrichissent, plus ils investissent, et ainsi de suite. L’Etat ne s’en trouve pas plus mal, puisqu’il ramasse à chaque bon coup des impôts utiles à sa gouvernance. Pourtant, nos riches ne sont pas people. Loin de là. Ils ont au contraire tendance à fuir les médias. S’ils veulent communiquer, c’est uniquement autour de leurs entreprises, leurs investissements et leurs nouveautés. Rien d’autre. On ne les verra jamais par exemple dans une émission sur les riches. Ou alors une seule fois lorsqu’une émission internationale a diffusé un reportage sur Zniber, le propriétaire des Celliers de Meknès. Chose nouvelle pour le public. Les autres, tous les autres, restent loin des caméras. La richesse se consomme dans la discrétion. Ce n’est pas parce qu’elle aurait quelque chose d’interdit ou de rejeté par la société. Les riches vivent cachés parce qu’il est inconvenant d’étaler ses richesses devant un monde qui n’en a pas. Cette discrétion nous laisse dans le flou le plus total. Ailleurs, ceux qui présentent la vie des riches ont un prétexte. Ils disent qu’ainsi, ils montrent la voie aux jeunes qui pourront réaliser autant de succès. Or, on le sait de plus en plus aujourd’hui, tout le monde ne peut pas être riche. Au Maroc encore moins. L’origine des richesses marocaines est bien entendu très diverse. Othman Benjelloun a poursuivi une entreprise créée par son père dans le commerce automobile. La carte Volvo leur a servi de première accumulation. Anas Sefrioui a poursuivi l’exploitation minière laissée par son père, mais a vite développé le groupe vers l’immobilier social d’abord et le haut standing ensuite. Les Akhannouch ont prospéré dans les produits pétroliers, les Berrada sont très diversifiés : dans l’hôtellerie, la distribution, l’industrie… Les grands entrepreneurs marocains sont généralement sur plusieurs fronts et bénéficient de la proximité des centres de décision aussi bien économique que politique. De la sorte, ils sont très bien informés sur les tendances des marchés et sur les meilleures opportunités. Certains vont même s’investir personnellement en politique et prennent des positions clés dans des formations politiques. C’est ce que fait Miloud Chaabi, passant d’un parti à l’autre au grè des contingences. C’est ce que fait également Hassan Derhem, notable du Sud «recruté» par l’Union socialiste des forces populaires, au grand dam des puristes. Les riches marocains sont par ailleurs les premiers contacts avec la civilisation occidentale. Et ce sont eux qui ont les moyens d’en rapprocher les Marocains. On les considère comme les agents du changement. Ils importent des produits et des services, mais aussi des modes de vie et des comportements, à travers les différentes franchises qu’ils exploitent. Leur rôle dans la modernisation du pays est bien évidemment visible dans leurs propres entreprises qu’ils gèrent selon les meilleurs standards internationaux.
La longue marche de la bourgeoisie
ahmed charai
La bourgeoisie Marocaine d’aujourd’hui n’est pas uniquement constituée de grandes familles. Ce dernier vocable d’ailleurs est impropre, parce qu’il n’est pas lié à la situation financière et que souvent il désigne un rang social, plus que l’état de la fortune.
A l’aube de l’indépendance, l’Etat a dû se substituer à une bourgeoisie. Contrairement à la légende, de 1856 aux années 90, le Maroc n’était pas un pays libéral. L’économie était non seulement encadrée, mais animée par l’Etat. Celui-ci était le plus grand investisseur. Y compris dans des secteurs aujourd’hui ouverts à la concurrence et qui ne faisaient en rien partie de ses fonctions régaliennes.
Cependant, à côté, le privé avait un rôle encouragé par l’Etat. Pire, c’est l’Administration qui surdéterminait les investissements, en encourageant fiscalement, un secteur plutôt qu’un autre. Cette relation incestueuse, mais dont on peut comprendre l’utilité voire la nécessité a posteriori, a donné lieu à des rentes.
Aujourd’hui, officiellement, les énergies sont libérées, même si des poches de rentes, des comportements de rentier perdurent. On peut dire aujourd’hui que l’Etat ne contrôle plus l’économie, que s’il apporte des corrections c’est dans son rôle régalien.
Mais la bourgeoisie dans son ensemble n’a pas encore acquis une expression politique, autonome et définie comme telle. La CGEM, censée jouer ce rôle, reste timide et surtout assujettie à des rapports softs avec le pouvoir.
Le sens de l’histoire
Cela n’a pas toujours été le cas. Une grande partie de la bourgeoisie a intégré et joué un rôle essentiel dans le mouvement national. Certains choix de celui-ci sont inspirés des idées libérales portées par cette bourgeoisie.
Cependant, à l’indépendance, la radicalisation des luttes de pouvoir l’a poussée au silence. La majorité s’est retrouvée dans le camp du régime pour sauvegarder ses intérêts, une faible partie restant à l’Istiqlal et portant un projet de bourgeoisie nationale, c'est-à-dire luttant contre les intérêts étrangers.
Cette attitude ne va changer qu’après la marocanisation et l’élargissement des bases sociales de la bourgeoisie. Ces nouveaux détenteurs de moyens de production vont se retrouver dans les partis de l’Administration, justement parce que celle-ci contrôlait l’économie et les voies vers la richesse.
Cet étau s’est desserré depuis les années 90 et a libéré quelques énergies. La CGEM a acquis des lettres de noblesse, malgré les réserves citées plus haut, en tant que syndicat des potions. Des partis se réclament directement du libéralisme. Les dénonciations de quelques situations de rente sont devenues coutumières. Nous sommes face à l’émergence d’une bourgeoisie combative en tant que classe, porteuse d’un projet qui va au-delà des intérêts particuliers. C’est une excellente nouvelle pour la démocratie marocaine.
Elle ne pourra cependant y arriver pleinement si elle ne se résout pas à rompre les derniers liens avec l’Administration. L’évasion fiscale, la corruption sont les dernières chaines que la bourgeoisie doit casser pour devenir crédible dans son rôle de porteuse de projet libéral. La transparence n’est pas seulement un leit-motiv éthique, c’est surtout le moyen le plus sûr d’émanciper la bourgeoisie de la tutelle des pouvoirs, grands et petits.
Un récent sondage de Transparency montre qu’on est loin du compte. Une grosse majorité de patrons reconnaît avoir toujours recours à la corruption. C’est dans cette optique que l’engagement des structures professionnelles doit être appréhendé.
Le : 2008-12-24
HAKIM ARIF
Néanmoins, de plus en plus de riches se défont de cette tradition de discrétion au profit d’un mode de comportement calqué sur les riches occidentaux prispour modèle suprême. Ceux-là, on les appelle, comme dans toutes les sociétés, les nouveaux riches. Ils veulent démontrer qu’ils le sont, à n’importe quel prix. Ils achètent des Hammer, construisent des villas gigantesques et se font voir partout où on peut les remarquer. Heureusement qu’il y a le bon riche. Le riche utile. L’entrepreneur. Celui qui tire sa richesse d’un travail intelligent, qui distribue des revenus et répartit les richesses. Les grands patrons qui ont fait l’histoire économique du Maroc, les Benjelloun, Bensalah, Lamrani-Karim, Sefrioui, Akhannouch, Zniber, Chaabi, etc, ne roulent pas que pour eux-mêmes. Quand ils investissent, ils en font profiter les autres. Ils créent toute une économie autour d’eux. Plus ils s’enrichissent, plus ils investissent, et ainsi de suite. L’Etat ne s’en trouve pas plus mal, puisqu’il ramasse à chaque bon coup des impôts utiles à sa gouvernance. Pourtant, nos riches ne sont pas people. Loin de là. Ils ont au contraire tendance à fuir les médias. S’ils veulent communiquer, c’est uniquement autour de leurs entreprises, leurs investissements et leurs nouveautés. Rien d’autre. On ne les verra jamais par exemple dans une émission sur les riches. Ou alors une seule fois lorsqu’une émission internationale a diffusé un reportage sur Zniber, le propriétaire des Celliers de Meknès. Chose nouvelle pour le public. Les autres, tous les autres, restent loin des caméras. La richesse se consomme dans la discrétion. Ce n’est pas parce qu’elle aurait quelque chose d’interdit ou de rejeté par la société. Les riches vivent cachés parce qu’il est inconvenant d’étaler ses richesses devant un monde qui n’en a pas. Cette discrétion nous laisse dans le flou le plus total. Ailleurs, ceux qui présentent la vie des riches ont un prétexte. Ils disent qu’ainsi, ils montrent la voie aux jeunes qui pourront réaliser autant de succès. Or, on le sait de plus en plus aujourd’hui, tout le monde ne peut pas être riche. Au Maroc encore moins. L’origine des richesses marocaines est bien entendu très diverse. Othman Benjelloun a poursuivi une entreprise créée par son père dans le commerce automobile. La carte Volvo leur a servi de première accumulation. Anas Sefrioui a poursuivi l’exploitation minière laissée par son père, mais a vite développé le groupe vers l’immobilier social d’abord et le haut standing ensuite. Les Akhannouch ont prospéré dans les produits pétroliers, les Berrada sont très diversifiés : dans l’hôtellerie, la distribution, l’industrie… Les grands entrepreneurs marocains sont généralement sur plusieurs fronts et bénéficient de la proximité des centres de décision aussi bien économique que politique. De la sorte, ils sont très bien informés sur les tendances des marchés et sur les meilleures opportunités. Certains vont même s’investir personnellement en politique et prennent des positions clés dans des formations politiques. C’est ce que fait Miloud Chaabi, passant d’un parti à l’autre au grè des contingences. C’est ce que fait également Hassan Derhem, notable du Sud «recruté» par l’Union socialiste des forces populaires, au grand dam des puristes. Les riches marocains sont par ailleurs les premiers contacts avec la civilisation occidentale. Et ce sont eux qui ont les moyens d’en rapprocher les Marocains. On les considère comme les agents du changement. Ils importent des produits et des services, mais aussi des modes de vie et des comportements, à travers les différentes franchises qu’ils exploitent. Leur rôle dans la modernisation du pays est bien évidemment visible dans leurs propres entreprises qu’ils gèrent selon les meilleurs standards internationaux.
La longue marche de la bourgeoisie
ahmed charai
La bourgeoisie Marocaine d’aujourd’hui n’est pas uniquement constituée de grandes familles. Ce dernier vocable d’ailleurs est impropre, parce qu’il n’est pas lié à la situation financière et que souvent il désigne un rang social, plus que l’état de la fortune.
A l’aube de l’indépendance, l’Etat a dû se substituer à une bourgeoisie. Contrairement à la légende, de 1856 aux années 90, le Maroc n’était pas un pays libéral. L’économie était non seulement encadrée, mais animée par l’Etat. Celui-ci était le plus grand investisseur. Y compris dans des secteurs aujourd’hui ouverts à la concurrence et qui ne faisaient en rien partie de ses fonctions régaliennes.
Cependant, à côté, le privé avait un rôle encouragé par l’Etat. Pire, c’est l’Administration qui surdéterminait les investissements, en encourageant fiscalement, un secteur plutôt qu’un autre. Cette relation incestueuse, mais dont on peut comprendre l’utilité voire la nécessité a posteriori, a donné lieu à des rentes.
Aujourd’hui, officiellement, les énergies sont libérées, même si des poches de rentes, des comportements de rentier perdurent. On peut dire aujourd’hui que l’Etat ne contrôle plus l’économie, que s’il apporte des corrections c’est dans son rôle régalien.
Mais la bourgeoisie dans son ensemble n’a pas encore acquis une expression politique, autonome et définie comme telle. La CGEM, censée jouer ce rôle, reste timide et surtout assujettie à des rapports softs avec le pouvoir.
Le sens de l’histoire
Cela n’a pas toujours été le cas. Une grande partie de la bourgeoisie a intégré et joué un rôle essentiel dans le mouvement national. Certains choix de celui-ci sont inspirés des idées libérales portées par cette bourgeoisie.
Cependant, à l’indépendance, la radicalisation des luttes de pouvoir l’a poussée au silence. La majorité s’est retrouvée dans le camp du régime pour sauvegarder ses intérêts, une faible partie restant à l’Istiqlal et portant un projet de bourgeoisie nationale, c'est-à-dire luttant contre les intérêts étrangers.
Cette attitude ne va changer qu’après la marocanisation et l’élargissement des bases sociales de la bourgeoisie. Ces nouveaux détenteurs de moyens de production vont se retrouver dans les partis de l’Administration, justement parce que celle-ci contrôlait l’économie et les voies vers la richesse.
Cet étau s’est desserré depuis les années 90 et a libéré quelques énergies. La CGEM a acquis des lettres de noblesse, malgré les réserves citées plus haut, en tant que syndicat des potions. Des partis se réclament directement du libéralisme. Les dénonciations de quelques situations de rente sont devenues coutumières. Nous sommes face à l’émergence d’une bourgeoisie combative en tant que classe, porteuse d’un projet qui va au-delà des intérêts particuliers. C’est une excellente nouvelle pour la démocratie marocaine.
Elle ne pourra cependant y arriver pleinement si elle ne se résout pas à rompre les derniers liens avec l’Administration. L’évasion fiscale, la corruption sont les dernières chaines que la bourgeoisie doit casser pour devenir crédible dans son rôle de porteuse de projet libéral. La transparence n’est pas seulement un leit-motiv éthique, c’est surtout le moyen le plus sûr d’émanciper la bourgeoisie de la tutelle des pouvoirs, grands et petits.
Un récent sondage de Transparency montre qu’on est loin du compte. Une grosse majorité de patrons reconnaît avoir toujours recours à la corruption. C’est dans cette optique que l’engagement des structures professionnelles doit être appréhendé.
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