Le royaume chérifien ambitionne de devenir la destination phare du nearshore francophone. Si toutes les grandes SSII ont traversé la Méditerranée, il leur reste à gérer le risque de pénurie de compétences.
Xavier Biseul et Olivier Discazeaux, 01 Informatique (n° 1965), le 09/10/2008
Oubliez les cartes postales du Club Med à Agadir, le Maroc n'est pas seulement une terre d'accueil pour le tourisme de masse. Depuis trois ans, tous les grands noms du service informatique se sont donnés rendez-vous à Rabat ou à Casablanca. Des sociétés françaises - Capgemini, Atos Origin, Steria, GFI... - aux Américaines - Accenture, EDS - en passant par les Indiennes - Tata Consultancy Services -, elles sont venues, elles sont toutes là.
Proximité géographique, culturelle et linguistique, volontarisme étatique et stabilité géopolitique... le Maroc a tout, sur le papier, pour devenir la destination phare de l'offshore francophone. « C'est la bonne fenêtre de tir , juge Christian Nibourel, président d'Accenture France. La France est à maturité sur la question de l'offshore et le Maroc offre un bassin d'emploi étendu, à la différence de Maurice. » Le royaume chérifien monte dans la chaîne de valeur tandis que la Tunisie, le Sénégal ou Madagascar se positionnent d'avantage dans le centre d'appel.
La plupart des sociétés de services proposent ainsi des prestations de développement d'applications, souvent sur les nouveaux langages JavaEE et.Net. Capgemini revendique un partenariat avec une grande banque française, qu'elle accompagne dans la réalisation de ses projets de développement et de maintenance applicative en langue française. La SSII conçoit également depuis le Maroc le système d'administration des ventes d' « un opérateur de téléphonie majeur » . Le centre Accenture de Casablanca dessert, lui, huit entreprises ibériques, dont Carrefour Espagne, et deux clients français dans le domaine de l'énergie et de la santé.
EDS s'est positionnée sur un créneau peu occupé : la gestion d'infrastructures. En un an, elle a réussi à attirer une vingtaine de clients, souvent en transférant des parcelles de contrats d'infogérance existants, aux tarifs renégociés, dans son centre de services à Rabat. Une partie des équipes de back office qui exécutent les services quotidiens (tels les traitements batches) pour le centre de données global de Carrefour a ainsi été transférée au Maroc. Tandis que l'équipe front office et l'infrastructure technique restent hébergées en France. Un contrat comprenant l'exploitation des applications finances, ressources humaines, et décisionnelles qu'EDS détient depuis 2001. Confiante en la richesse des ressources sur place, la SSII SQLI revendique, quant à elle, des prestations « haut de gamme » . Elle délègue une partie de ses travaux de recherche et développement à ses structures marocaines. Son centre d'Oujda, ouvert en partenariat avec l'université Mohamed Premier, est ainsi dévolu à la création de solutions métier et à l'innovation dans le domaine du logiciel libre.
Un pays victime de ses effets d'annonce
Le Maroc subit néanmoins une première crise de croissance. Se pose tout d'abord la question des locaux. Comment accueillir tous ces prestataires ? Copiant l'Inde ou la Chine, le royaume a entrepris de développer des zones dédiées à l'offshore avec toutes les infrastructures ad hoc. La plus avancée s'appelle Casanearshore. Sur un parc de 53 hectares, à cinq kilomètres du centre de Casablanca, se construit un immense complexe immobilier devant accueillir à terme jusqu'à 30 000 emplois.
Le programme a toutefois pris du retard. Officiellement, la première phase de plus de 50 000 m 2 devait s'achever mi puis fin 2007. Pour l'heure, seuls deux bâtiments sont sortis de terre. Rabat Technopolis serait mieux engagé, en attendant d'autres pôles prévus à Marrakech, Tanger ou dans le « triangle de l'innovation » que constituent les villes universitaires de Fès, Ifrane et Meknès.
Mais la pénurie n'est pas tant immobilière qu'humaine. L'arrivée des ténors du service a créé des tensions sur le marché de l'emploi, faute d'ingénieurs en nombre suffisant. Lancé en 2006, le plan Emergence, qui prévoit de former 10 000 ingénieurs par an, toutes disciplines confondues à l'horizon 2010, n'a pas encore produit ses effets. « Cela ne se décrète pas sur un papier , estime, dubitatif, Laurent Bervas, agent immobilier à Casablanca et ancien dirigeant de SSII. Il faut attendre que les promotions sortent. »
En attendant, il assiste à une flambée des salaires. « Un ingénieur débutant gagne près de 1 000 euros net, puis 1 300 euros au bout d'un an ou deux. Rien à voir avec l'Inde. Cela n'est tenable que si la prestation est vendue chère. Seules une dizaine de sociétés offshore prospèrent réellement. » Du coup, la destination Maroc perdrait de son attractivité. Ce que constate sur son blog Frédéric Lasnier, PDG du prestataire Pentalog, basé en Roumanie et en Moldavie : son comparatif Maroc-Roumanie penche en faveur, bien sûr, de cette dernière.
Si les grandes SSII qui ont communiqué sur leur implantation au Maroc sont là pour quelques années, certaines auraient déjà revu à la baisse leurs prétentions. Présente depuis 2001 dans ce pays, Steria n'aligne que 150 ingénieurs. Quant aux PME, Laurent Bervas en a vu beaucoup dans son agence « tester le marché et tourner casaque au bout de six mois ou un an » . A l'image de Félix Hassine, cofondateur de Netik, qui faisait récemment état dans les colonnes de L'Express de sa demi-déception depuis son installation à Rabat en 2005. La moindre compétitivité des informaticiens marocains et le coût de l'encadrement l'ont conduit à redéployer des forces à... Laval. Laurent Bervas fait le parallèle entre le Maroc et une start up de la période de la bulle internet : « On fait un beau business plan, on communique bien, on fait venir les investisseurs mais, au final, le potentiel de business est plutôt faible. » Certaines SSII ont pour l'instant trouvé une parade aux tensions qui s'annoncent sur le marché de l'emploi : elles s'associent avec un acteur local, disposant d'une notoriété évidente, pour attirer plus facilement les profils recherchés. Depuis son échec relatif, Steria a fondé en début d'année une société commune, Steria Medshore, détenue à parts égales avec le Groupe Financecom. La SSII a, du même coup, relancé ses ambitions : elle prévoit pour Steria Medshore un effectif de 500 personnes à l'horizon 2012.
Xavier Biseul et Olivier Discazeaux, 01 Informatique (n° 1965), le 09/10/2008
Oubliez les cartes postales du Club Med à Agadir, le Maroc n'est pas seulement une terre d'accueil pour le tourisme de masse. Depuis trois ans, tous les grands noms du service informatique se sont donnés rendez-vous à Rabat ou à Casablanca. Des sociétés françaises - Capgemini, Atos Origin, Steria, GFI... - aux Américaines - Accenture, EDS - en passant par les Indiennes - Tata Consultancy Services -, elles sont venues, elles sont toutes là.
Proximité géographique, culturelle et linguistique, volontarisme étatique et stabilité géopolitique... le Maroc a tout, sur le papier, pour devenir la destination phare de l'offshore francophone. « C'est la bonne fenêtre de tir , juge Christian Nibourel, président d'Accenture France. La France est à maturité sur la question de l'offshore et le Maroc offre un bassin d'emploi étendu, à la différence de Maurice. » Le royaume chérifien monte dans la chaîne de valeur tandis que la Tunisie, le Sénégal ou Madagascar se positionnent d'avantage dans le centre d'appel.
La plupart des sociétés de services proposent ainsi des prestations de développement d'applications, souvent sur les nouveaux langages JavaEE et.Net. Capgemini revendique un partenariat avec une grande banque française, qu'elle accompagne dans la réalisation de ses projets de développement et de maintenance applicative en langue française. La SSII conçoit également depuis le Maroc le système d'administration des ventes d' « un opérateur de téléphonie majeur » . Le centre Accenture de Casablanca dessert, lui, huit entreprises ibériques, dont Carrefour Espagne, et deux clients français dans le domaine de l'énergie et de la santé.
EDS s'est positionnée sur un créneau peu occupé : la gestion d'infrastructures. En un an, elle a réussi à attirer une vingtaine de clients, souvent en transférant des parcelles de contrats d'infogérance existants, aux tarifs renégociés, dans son centre de services à Rabat. Une partie des équipes de back office qui exécutent les services quotidiens (tels les traitements batches) pour le centre de données global de Carrefour a ainsi été transférée au Maroc. Tandis que l'équipe front office et l'infrastructure technique restent hébergées en France. Un contrat comprenant l'exploitation des applications finances, ressources humaines, et décisionnelles qu'EDS détient depuis 2001. Confiante en la richesse des ressources sur place, la SSII SQLI revendique, quant à elle, des prestations « haut de gamme » . Elle délègue une partie de ses travaux de recherche et développement à ses structures marocaines. Son centre d'Oujda, ouvert en partenariat avec l'université Mohamed Premier, est ainsi dévolu à la création de solutions métier et à l'innovation dans le domaine du logiciel libre.
Un pays victime de ses effets d'annonce
Le Maroc subit néanmoins une première crise de croissance. Se pose tout d'abord la question des locaux. Comment accueillir tous ces prestataires ? Copiant l'Inde ou la Chine, le royaume a entrepris de développer des zones dédiées à l'offshore avec toutes les infrastructures ad hoc. La plus avancée s'appelle Casanearshore. Sur un parc de 53 hectares, à cinq kilomètres du centre de Casablanca, se construit un immense complexe immobilier devant accueillir à terme jusqu'à 30 000 emplois.
Le programme a toutefois pris du retard. Officiellement, la première phase de plus de 50 000 m 2 devait s'achever mi puis fin 2007. Pour l'heure, seuls deux bâtiments sont sortis de terre. Rabat Technopolis serait mieux engagé, en attendant d'autres pôles prévus à Marrakech, Tanger ou dans le « triangle de l'innovation » que constituent les villes universitaires de Fès, Ifrane et Meknès.
Mais la pénurie n'est pas tant immobilière qu'humaine. L'arrivée des ténors du service a créé des tensions sur le marché de l'emploi, faute d'ingénieurs en nombre suffisant. Lancé en 2006, le plan Emergence, qui prévoit de former 10 000 ingénieurs par an, toutes disciplines confondues à l'horizon 2010, n'a pas encore produit ses effets. « Cela ne se décrète pas sur un papier , estime, dubitatif, Laurent Bervas, agent immobilier à Casablanca et ancien dirigeant de SSII. Il faut attendre que les promotions sortent. »
En attendant, il assiste à une flambée des salaires. « Un ingénieur débutant gagne près de 1 000 euros net, puis 1 300 euros au bout d'un an ou deux. Rien à voir avec l'Inde. Cela n'est tenable que si la prestation est vendue chère. Seules une dizaine de sociétés offshore prospèrent réellement. » Du coup, la destination Maroc perdrait de son attractivité. Ce que constate sur son blog Frédéric Lasnier, PDG du prestataire Pentalog, basé en Roumanie et en Moldavie : son comparatif Maroc-Roumanie penche en faveur, bien sûr, de cette dernière.
Si les grandes SSII qui ont communiqué sur leur implantation au Maroc sont là pour quelques années, certaines auraient déjà revu à la baisse leurs prétentions. Présente depuis 2001 dans ce pays, Steria n'aligne que 150 ingénieurs. Quant aux PME, Laurent Bervas en a vu beaucoup dans son agence « tester le marché et tourner casaque au bout de six mois ou un an » . A l'image de Félix Hassine, cofondateur de Netik, qui faisait récemment état dans les colonnes de L'Express de sa demi-déception depuis son installation à Rabat en 2005. La moindre compétitivité des informaticiens marocains et le coût de l'encadrement l'ont conduit à redéployer des forces à... Laval. Laurent Bervas fait le parallèle entre le Maroc et une start up de la période de la bulle internet : « On fait un beau business plan, on communique bien, on fait venir les investisseurs mais, au final, le potentiel de business est plutôt faible. » Certaines SSII ont pour l'instant trouvé une parade aux tensions qui s'annoncent sur le marché de l'emploi : elles s'associent avec un acteur local, disposant d'une notoriété évidente, pour attirer plus facilement les profils recherchés. Depuis son échec relatif, Steria a fondé en début d'année une société commune, Steria Medshore, détenue à parts égales avec le Groupe Financecom. La SSII a, du même coup, relancé ses ambitions : elle prévoit pour Steria Medshore un effectif de 500 personnes à l'horizon 2012.
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