Après avoir publié No Logo en 1999, Naomi Klein poursuit sa réflexion critique du néolibéralisme dans La Stratégie du Choc. La montée d’un capitalisme du désastre (2007). Résultat d’une enquête percutante menée par la journaliste, l’ouvrage remet en question la notion de crise, si répandue aujourd’hui.
Contrairement aux apparences, ces crises auxquelles nous avons fait face ne sont pas, selon la journaliste, des catastrophes naturelles. Naomi Klein montre, exemples à la main, comment elles ont été provoquées, au détriment des populations et au profit d’une certaine élite politique ultralibérale.
Ce qu’il faut retenir :
Depuis Milton Friedman, les crises, période de vulnérabilité des populations, sont exploitées par les élites pour imposer des politiques économiques néolibérales impopulaires, autrement dit, leur propre vision du capitalisme. L’état de choc des populations est utilisé pour faire passer des réformes, souvent au détriment des plus vulnérables, creusant les inégalités socio-économiques des citoyens concernés.
Mais une reconstruction populaire est possible, par la voie des mouvements sociaux et des alternatives solidaires qui s’opposent à ces vagues de privatisations et de déréglementations.
Biographie de l’auteur
Naomi Klein (1970) est une auteure, journaliste et militante canadienne. Connue pour sa critique du capitalisme moderne et des politiques néolibérales, elle est devenue l’une des voix les plus influentes de l’altermondialisme et de l’anti-consumérisme. Elle est également professeur à l’Université américaine Rutgers, où elle occupe la chaire Gloria Steinem en Média, Culture et Études féministes.
Elle connaît un premier succès avec la publication de son ouvrage No Logo (1999), puis avec celle de La Stratégie du Choc (2007), pour lequel elle obtiendra le Warwick Prize for Writing, prix littéraire international.
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Plan de l’ouvrage
Partie 1. Deux docteurs chocs
Partie 2. Le premier test
Partie 3. Survivre à la démocratie
Partie 4. Perdu dans la transition
Partie 5. Des temps qui choquent
Partie 6. Irak : la boucle est bouclée
Partie 7. La zone verte mobile
Synthèse de l’ouvrage
Partie 1. Deux docteurs chocs
Les premières stratégies du choc sont les expériences du premier « docteur choc », le psychiatre Ewen Cameron, qui furent financées par la CIA dans les années 1950 et 1960. Souhaitant trouver le moyen de « reconstruire » l’esprit humain, Cameron expérimenta des techniques brutales, incluant des électrochocs à haute intensité, des privations sensorielles ou encore l’administration de drogues. Son objectif était de briser la personnalité de ses patients pour les ramener à un état primaire, afin de les « reprogrammer ». Selon lui, « en faisant régresser ses patients jusqu’à un état chaotique, il créerait les conditions nécessaires à leur “renaissance” en tant que citoyens modèles et sains d’esprit ».
Si ces méthodes inspirèrent certainement les pratiques de torture mises en œuvre par la CIA, elles peuvent aussi être mises en parallèle avec les stratégies de choc des politiques économiques néolibérales. En effet, tout comme Cameron détruisait l’esprit de ses patients pour les reconstruire selon ses propres idéaux, les économistes néolibéraux ont cherché à profiter des moments de vulnérabilité des populations pour restructurer leurs économies en état de crise et leur imposer des réformes profondes et souvent destructrices.
Milton Friedman fut ainsi le deuxième « docteur choc ». Économiste de l’École de Chicago, il voit dans les crises des opportunités pour mettre en pratique ses théories économiques radicales. Son objectif est, en pratique, « de déstructurer les sociétés et de rétablir un capitalisme pur ». À la recherche d’une telle occasion, Friedman et ses disciplines trouvent leur premier grand laboratoire au Chili, après le coup d’État de Pinochet en 1973, soutenu par les États-Unis. « Friedman conseilla [alors] à Pinochet de procéder aussitôt à une transformation en profondeur de l’économie – réductions d’impôts, libéralisation des échanges commerciaux, privatisation des services, diminution des dépenses sociales et déréglementation ». L’économiste appela cette tactique le « traitement de choc ».
Partie 2. Le premier test
Les réformes économiques de Friedman sont ainsi imposées au Chili, avec l’appui du gouvernement américain, dans un contexte d’extrême violence et de répression. Ainsi, on associe souvent le Chili de Pinochet à une guerre corporatiste, qui prit la forme d’une lutte sans merci entre « une alliance d’un État policier et de grandes entreprises » et le « troisième secteur : les travailleurs ».
Les premiers résultats des réformes chiliennes inclurent une augmentation massive du chômage et une chute des salaires réels. Les statistiques montrent également une augmentation dramatique de la pauvreté et des inégalités. Par exemple, le chômage grimpa à 20 %, et les salaires réels chutèrent de 40 % en l’espace de quelques années. En 2007, le Chili était à la huitième place du classement des sociétés les moins égalitaires fait par les Nations Unies sur 123 pays. Cette augmentation des inégalités se traduisit également par une concentration extrême de la richesse dans les mains de quelques-uns. En effet, seuls les grandes entreprises et les investisseurs étrangers – surtout américains – profitèrent de cette situation pour acheter des actifs chiliens à des prix bradés, renforçant ainsi la dépendance économique du pays et la marginalisation des populations locales. Cela, sans compter la répression violente de la population (incluant torture et assassinats), afin d’éliminer l’opposition et d’imposer ces réformes impopulaires dans une atmosphère de terreur.
On observe une expérience similaire en Argentine, où la junte militaire utilisa également la terreur pour démanteler les structures sociales et économiques existantes et imposer des réformes néolibérales. En effet, les militaires argentins, soutenus par les États-Unis, lancèrent une campagne de torture et de disparition forcée contre les militants de gauche et les opposants politiques, créant ainsi un climat de peur qui facilita l’adoption de réformes économiques radicales. Les coupes sévères dans les dépenses sociales, la privatisation des industries nationales et la libéralisation du marché entraînèrent des résultats similaires à ceux observés au Chili : augmentation des inégalités et de la pauvreté, avec des bénéfices concentrés entre les mains d’une petite élite. Ici également, les entreprises multinationales profitèrent de la situation. Entre autres, les grandes entreprises américaines et européennes purent acheter des actifs argentins à des prix bradés pendant la période de privatisation massive.
Face aux répressions violentes, les défenseurs des droits de l’homme firent preuve d’une incapacité choquante. Se concentrant uniquement sur les aspects politiques et sociaux de la répression, ils ne surent pas reconnaître que les politiques économiques imposées par la force constituaient en elles-mêmes une forme de violence. Cette dissociation permit aux idéologies néolibérales de se propager sans opposition significative, même lorsqu’elles étaient associées à des régimes répressifs. Ainsi, les dictatures d’Amérique latine purent à mettre en œuvre des réformes économiques radicales sans subir de condamnation internationale majeure pour leurs politiques, malgré les violations flagrantes des droits de l’homme. D’ailleurs, les régimes répressifs utilisèrent souvent des discours sur la modernisation économique pour justifier leurs actions, trouvant un soutien tacite ou explicite de la part des puissances occidentales et des institutions financières internationales.
Pour construire une résistance efficace contre ces politiques de choc, il est essentiel d’adopter une approche plus holistique des droits de l’homme, incluant les dimensions économiques et sociales des atteintes, en plus des dimensions politiques et civiles. Reconnaître les liens entre réformes économiques et violations des droits de l’homme est l’unique moyen de construire une résistance efficace.
Partie 3. Survivre à la démocratie
Friedrich Hayek, un autre membre de l’École de Chicago, fit part à Margaret Thatcher de la réussite du « miracle chilien ». Selon lui, une transformation comme celle du Chili était inacceptable pour une société démocratique comme la Grande-Bretagne : « la thérapie de choc économique devait, pour avoir des chances de réussir, bénéficier d’une secousse d’un autre ordre – coup d’État ou recours à la torture ». La Première ministre britannique s’inspirera ainsi du mythe chilien et instrumentalisa la guerre des Malouines pour imposer des mesures économiques impopulaires, comprenant des privatisations massives et une réduction des dépenses sociales.
Les théories de Friedman se sont alors propagées partout dans le monde, avec le soutien des institutions internationales comme le FMI ou la Banque mondiale. Après la Seconde Guerre mondiale, les missions de la Banque mondiale et du FMI étaient respectivement, d’investir à long terme dans le développement, afin d’extraire certains pays de la pauvreté, et d’agir comme amortisseur des chocs mondiaux en promouvant l’instauration de certaines politiques économiques. Si Friedman était philosophiquement opposé à ces institutions – les qualifiant « d’exemples classiques de court-circuitage des délicats indices du libre marché par l’État tentaculaire » – ses élèves, appelés les Chicago Boys, se retrouvaient pourtant souvent à occuper des postes clés dans ces structures. Les plus puissantes institutions financières du monde furent alors guidées par la logique de l’exploitation des crises : chaque choc n’était pas perçu comme un problème, mais comme une occasion d’implanter le marché libre. Ainsi, l’aide financière apportée par ces institutions était conditionnée par l’adoption de réformes néolibérales chez les pays demandeurs, la dette étant utilisée comme un levier de persuasion.
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