Le philosophe lance un cri d’alerte contre le « totalitarisme courtois » qui nous opprime, fondé sur la marchandisation des corps et des esprits.
e présent selon Michel Onfray ? Un cauchemar digne des dystopies de George Orwell et d'Aldous Huxley. Dans un essai d'une grande noirceur, le philosophe relit 1984 et Le Meilleur des mondes, récits d'anticipation des deux romanciers britanniques, pour définir le nouveau « totalitarisme » qui nous oppresse en douceur : la marchandisation des corps et des esprits. Avec la certitude que notre aliénation est irrémédiable. Entretien.
Le Point : En quoi nos sociétés contemporaines ressemblent-elles à celles anticipées dans 1984, de George Orwell, et Le Meilleur des mondes, d'Aldous Huxley ?
Michel Onfray : Par le contrôle de Big Brother effectué aujourd'hui par les algorithmes des Gafam en ce qui concerne Orwell. Par l'hédonisme consumériste et le gouvernement par les stupéfiants et la pharmacie anxiolytique en ce qui concerne Huxley. Le totalitarisme militarisé de la société orwellienne a laissé place au « totalitarisme courtois » de Huxley. La dictature casquée, armée, bottée de l'auteur de La Ferme des animaux fait place, du moins en Europe, à un néototalitarisme souriant, poli, parfumé, bien peigné, qui fonctionne avec des méthodes de persuasion et de fabrication de l'opinion qui génèrent la servitude volontaire de citoyens conditionnés par l'usage addictif des objets transitionnels que sont leurs téléphones portables, auxquels la plupart confient tout de leur vie devenue un pactole numérique et politique pour les Gafam, qui gouvernent ainsi les consciences.
À vous lire, l'Europe maastrichtienne est un « État totalitaire » qui endort les citoyens par le recours à l'eugénisme, la dépendance aux drogues, au sexe, à la pornographie, aux écrans… N'est-elle pas, à l'inverse, un espace de liberté inouï à l'échelle de l'Histoire ?
Vous pouvez passer sous silence l'usage politique de l'alcool, des drogues, de la pornographie, des écrans qui contribuent à transformer le peuple de Michelet en populace de Plus belle la vie si le cœur vous en dit, car l'époque dans laquelle tout était politique a laissé place à une époque où plus rien ne le serait, alors que tout l'est toujours.
De là à parler de l'« espace de liberté inouï » ouvert par l'Europe maastrichtienne, les bras m'en tombent ! Liberté inouïe du renard de vivre dans des poulaillers, oui. Liberté inouïe d'acheter et de vendre des enfants, de louer des utérus, liberté inouïe de fabriquer des enfants illettrés mais idéologisés à l'école, liberté inouïe de produire des biens culturels bas de gamme et de remplacer les classiques par des mangas, liberté inouïe de mourir aux urgences des hôpitaux ou de s'y faire refouler, liberté inouïe d'acheter de la viande mise sous antivol dans les supermarchés si vous avez l'argent, liberté inouïe d'attendre quatre mois pour obtenir une radio du sein quand vous avez détecté une grosseur après palpation personnelle. À l'échelle de l'histoire, en effet, nous dirons un jour, pour les plus retardataires, que nous avions vécu, en ces temps-là, une régression inouïe des libertés.
Pour vous, nous vivons dans une « démocratie illibérale […] qui fait du profit sa seule loi, sa seule religion ». Le choix du « quoi qu'il en coûte » face au Covid, les sacrifices endurés pour préserver les personnes les plus fragiles, ne montrent-ils pas le contraire ?
Ce choix est un coup de billard à trois bandes qui n'abuse que les naïfs : il a permis au président Macron de jouer d'abord médiatiquement la carte de l'État protecteur afin d'arrimer politiquement plus fort encore la France à l'État maastrichtien en faisant du pays un obligé plus durablement engagé à cet État à cause des prêts contractés qu'il va falloir rembourser. Ce prêt a resserré les liens de ce qui nous étouffe déjà.
Un pays dont les dépenses publiques s'élèvent à plus de 58 % de la richesse nationale peut-il être qualifié d'économiquement libéral, comme vous le faites souvent ?
Par idéologie, vous avez une conception erronée du libéralisme, comme si nous étions encore à l'époque de Mandeville ou d'Adam Smith ! La main invisible qui régule le marché, la théorie du ruissellement en vertu de laquelle la richesse des riches rend possible l'enrichissement des pauvres, La Fable des abeilles qui enseigne que les vices privés font les vertus publiques, les guerres rendues impossibles par l'urbanité des échanges commerciaux, dixit Montesquieu : voilà une idéologie qui a montré sa fausseté. Le libéralisme ne produit que de la paupérisation.
Quant à l'Europe maastrichtienne, je vous rappelle que son éloge de « la concurrence libre et non faussée » qui fait la loi en France est loin de permettre qu'on l'assimile à un État soviétique, comme il est souvent dit par certains libéraux.
La gauche, c'est pour vous la « résistance à la réification du monde ». Comment expliquez-vous qu'elle ait à ce point trahi cette mission ?
Parce qu'elle a échoué deux fois : une première le 21 mars 1983, quand Mitterrand constate qu'il ne sait pas gérer la France à gauche une fois devenu président de la République et qu'il ouvre une parenthèse libérale qui n'est rien moins que l'adoption du programme libéral européiste de Giscard, une parenthèse jamais fermée ; une deuxième avec la chute de l'Empire soviétique le 26 décembre 1991, qui laisse le PCF Gros-Jean comme devant. La social-démocratie et le communisme français se retrouvaient veufs d'idées. Aucun socialiste, aucun communiste n'a été capable de proposer une idéologie alternative. Par facilité, tout à la jouissance d'exercer le pouvoir et désireux d'y rester, ils ont opté clé en main pour l'idéologie wokiste qui passait pour être de gauche sur les campus américains. Grâce à cette idéologie de substitution, la gauche a pu rester au pouvoir avec la complicité d'une droite qui, sur l'essentiel, pensait comme elle, jusqu'à ce jour – Macron compris.
Votre essai est extrêmement sombre. Tout était-il vraiment mieux avant ?
D'abord je n'ai jamais pensé, dit ou écrit que tout était vraiment mieux avant, c'est une caricature de me faire dire ça.
Ce qui ne m'empêche pas de penser que certaines choses étaient en effet meilleures avant : qu'un fils d'ouvrier agricole et d'une femme de ménage comme moi puisse s'en sortir grâce à l'école républicaine alors que ça n'est plus possible aujourd'hui pour un enfant de classes modestes, oui, c'était mieux avant. Qu'un malade puisse être soigné dès son arrivée à l'hôpital, quel que soit son statut social, oui, c'était mieux avant. Que l'homophobie, la phallocratie, la misogynie, l'antisémitisme aient été criminalisés dans l'absolu alors qu'aujourd'hui, sous couvert de religion, on tolère ces choses-là, oui, c'était mieux avant. Etc.
Auteur d'un Traité d'athéologie en 2005, vous déplorez aujourd'hui le déclin de la civilisation judéo-chrétienne. Avez-vous changé ? Pourquoi ?
On peut distinguer la religion chrétienne de la civilisation chrétienne ! Pour le dire plus simplement : on n'est pas obligé de croire que Marie était vierge bien qu'ayant enfanté pour aimer les cantates de Bach ou la peinture de Rembrandt.
J'ai si peu changé que je finis un livre qui s'appelle Théorie de Jésus et qui tâchera de prouver qu'il n'a pas existé historiquement, alors qu'un autre livre intitulé Patience dans les ruines, à paraître lui aussi, invite au compagnonnage avec ceux qui défendent la civilisation judéo-chrétienne attaquée de toute part.
La force d'attraction de l'islam témoigne-t-elle d'une résistance à la marchandisation du monde que vous dénoncez ?
De quel islam parlez-vous ? De celui des dealers de banlieues, antisémite et homophobe, phallocrate et misogyne, ou de celui, éclairé et tolérant, des imams de Bordeaux et de Drancy ? De celui du roi du Maroc, un monarque occidentalisé, ou de celui des talibans, médiéval à souhait ? Celui des Frères musulmans ou celui de feu Malek Chebel ? Le Coran interdit l'usure par une dizaine de versets répartis dans l'œuvre. De ce fait, il devrait constituer une réelle critique du capitalisme libéral. Mais le libéralisme ne le gêne pas…
Les territoires perdus de la République incarnent le libéralisme à l'état pur : le marché fait la loi, la morale n'existe pas, le business seul importe. Profits et bénéfices d'abord, l'intendance suit…
Vous estimez que les nations sont appelées à périr dans l'Europe de Maastricht. La vogue du « populisme », du Brexit à la victoire de Giorgia Meloni en Italie, est-elle un sursaut des nations ?
Le populisme est l'insulte utilisée par les populicides contre les démocrates quand ils leur rappellent que la démocratie, c'est le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple. Par exemple, quand le pouvoir jette aux orties le résultat du référendum de 2005 contre le traité européen et demande au Congrès majoritairement maastrichtien de voter contre le vote du peuple en 2008 avec le traité de Lisbonne, on entre dans une ère illibérale. Je ne vois pas de sursaut des nations là où je vois des politiques soucieux du peuple au pouvoir.
L'incroyable résistance ukrainienne à l'invasion russe n'est-elle pas la preuve de la persistance du sentiment patriotique et de l'aspiration à la démocratie sur le continent européen ?
C'est la preuve que la nation contre l'Empire, le nationalisme contre l'impérialisme, est une excellente chose en Ukraine – comme partout ailleurs, France comprise… Le nationalisme, ça n'est donc pas la guerre, comme le répète bêtement une vulgate initiée par Mitterrand au Bundestag, mais la réponse aux menées impérialistes qui supposent le désir de conquérir des espaces nouveaux, des États nouveaux. L'État maastrichtien est impérialiste.
Vous insistez sur le rôle essentiel des États-Unis dans la construction d'un « État total » qui s'annonce. Quid de la Chine, où la société de surveillance est une réalité, et qui est appelée à devenir rapidement la première puissance économique mondiale ? Est-ce que vous n'avez pas un combat de retard ?
L'impérialisme est du côté des Américains, c'est dans leur ADN depuis le génocide des Amérindiens jusqu'à leur implication en Ukraine. Je ne sache pas que les Chinois aient en tête un impérialisme idéologique planétaire. Ils font du commerce et les États faibles, dont la France, les laissent faire… au nom du libéralisme !
Par ailleurs, si vous voulez avoir un combat d'avance, vous pouvez imaginer que la véritable révolution planétaire n'est pas bêtement économique mais transhumaniste et que, dans le secret, les Chinois travaillent à ce projet, comme les Américains sur la côte ouest. Le combat de retard, c'est celui des libéraux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur idéologie.
Le sentiment amoureux peut-il survivre au « nihilisme de la chair », favorisé par le numérique, que vous évoquez ?
Ce sentiment naturel est inséparable des constructions sociales. Dans le temps, on n'aime pas au Moyen Âge comme au XVIIIe siècle ; dans l'espace, on n'aime pas pareillement dans un village de campagne et dans le VIe arrondissement de Paris, dans la Chine rurale et dans les mégapoles mondiales. La révolution numérique, le projet transhumaniste, la fin du judéo-christianisme, l'avènement du nihilisme qui lui est consubstantiel, tout cela rebat les cartes. L'amour doit désormais compter avec le virtuel. Il sauvera des individus, comme dans 1984 et dans Le Meilleur des mondes, mais pas des sociétés ou des civilisations.
e présent selon Michel Onfray ? Un cauchemar digne des dystopies de George Orwell et d'Aldous Huxley. Dans un essai d'une grande noirceur, le philosophe relit 1984 et Le Meilleur des mondes, récits d'anticipation des deux romanciers britanniques, pour définir le nouveau « totalitarisme » qui nous oppresse en douceur : la marchandisation des corps et des esprits. Avec la certitude que notre aliénation est irrémédiable. Entretien.
Le Point : En quoi nos sociétés contemporaines ressemblent-elles à celles anticipées dans 1984, de George Orwell, et Le Meilleur des mondes, d'Aldous Huxley ?
Michel Onfray : Par le contrôle de Big Brother effectué aujourd'hui par les algorithmes des Gafam en ce qui concerne Orwell. Par l'hédonisme consumériste et le gouvernement par les stupéfiants et la pharmacie anxiolytique en ce qui concerne Huxley. Le totalitarisme militarisé de la société orwellienne a laissé place au « totalitarisme courtois » de Huxley. La dictature casquée, armée, bottée de l'auteur de La Ferme des animaux fait place, du moins en Europe, à un néototalitarisme souriant, poli, parfumé, bien peigné, qui fonctionne avec des méthodes de persuasion et de fabrication de l'opinion qui génèrent la servitude volontaire de citoyens conditionnés par l'usage addictif des objets transitionnels que sont leurs téléphones portables, auxquels la plupart confient tout de leur vie devenue un pactole numérique et politique pour les Gafam, qui gouvernent ainsi les consciences.
À vous lire, l'Europe maastrichtienne est un « État totalitaire » qui endort les citoyens par le recours à l'eugénisme, la dépendance aux drogues, au sexe, à la pornographie, aux écrans… N'est-elle pas, à l'inverse, un espace de liberté inouï à l'échelle de l'Histoire ?
Vous pouvez passer sous silence l'usage politique de l'alcool, des drogues, de la pornographie, des écrans qui contribuent à transformer le peuple de Michelet en populace de Plus belle la vie si le cœur vous en dit, car l'époque dans laquelle tout était politique a laissé place à une époque où plus rien ne le serait, alors que tout l'est toujours.
De là à parler de l'« espace de liberté inouï » ouvert par l'Europe maastrichtienne, les bras m'en tombent ! Liberté inouïe du renard de vivre dans des poulaillers, oui. Liberté inouïe d'acheter et de vendre des enfants, de louer des utérus, liberté inouïe de fabriquer des enfants illettrés mais idéologisés à l'école, liberté inouïe de produire des biens culturels bas de gamme et de remplacer les classiques par des mangas, liberté inouïe de mourir aux urgences des hôpitaux ou de s'y faire refouler, liberté inouïe d'acheter de la viande mise sous antivol dans les supermarchés si vous avez l'argent, liberté inouïe d'attendre quatre mois pour obtenir une radio du sein quand vous avez détecté une grosseur après palpation personnelle. À l'échelle de l'histoire, en effet, nous dirons un jour, pour les plus retardataires, que nous avions vécu, en ces temps-là, une régression inouïe des libertés.
Pour vous, nous vivons dans une « démocratie illibérale […] qui fait du profit sa seule loi, sa seule religion ». Le choix du « quoi qu'il en coûte » face au Covid, les sacrifices endurés pour préserver les personnes les plus fragiles, ne montrent-ils pas le contraire ?
Ce choix est un coup de billard à trois bandes qui n'abuse que les naïfs : il a permis au président Macron de jouer d'abord médiatiquement la carte de l'État protecteur afin d'arrimer politiquement plus fort encore la France à l'État maastrichtien en faisant du pays un obligé plus durablement engagé à cet État à cause des prêts contractés qu'il va falloir rembourser. Ce prêt a resserré les liens de ce qui nous étouffe déjà.
Un pays dont les dépenses publiques s'élèvent à plus de 58 % de la richesse nationale peut-il être qualifié d'économiquement libéral, comme vous le faites souvent ?
Par idéologie, vous avez une conception erronée du libéralisme, comme si nous étions encore à l'époque de Mandeville ou d'Adam Smith ! La main invisible qui régule le marché, la théorie du ruissellement en vertu de laquelle la richesse des riches rend possible l'enrichissement des pauvres, La Fable des abeilles qui enseigne que les vices privés font les vertus publiques, les guerres rendues impossibles par l'urbanité des échanges commerciaux, dixit Montesquieu : voilà une idéologie qui a montré sa fausseté. Le libéralisme ne produit que de la paupérisation.
Quant à l'Europe maastrichtienne, je vous rappelle que son éloge de « la concurrence libre et non faussée » qui fait la loi en France est loin de permettre qu'on l'assimile à un État soviétique, comme il est souvent dit par certains libéraux.
La gauche, c'est pour vous la « résistance à la réification du monde ». Comment expliquez-vous qu'elle ait à ce point trahi cette mission ?
Parce qu'elle a échoué deux fois : une première le 21 mars 1983, quand Mitterrand constate qu'il ne sait pas gérer la France à gauche une fois devenu président de la République et qu'il ouvre une parenthèse libérale qui n'est rien moins que l'adoption du programme libéral européiste de Giscard, une parenthèse jamais fermée ; une deuxième avec la chute de l'Empire soviétique le 26 décembre 1991, qui laisse le PCF Gros-Jean comme devant. La social-démocratie et le communisme français se retrouvaient veufs d'idées. Aucun socialiste, aucun communiste n'a été capable de proposer une idéologie alternative. Par facilité, tout à la jouissance d'exercer le pouvoir et désireux d'y rester, ils ont opté clé en main pour l'idéologie wokiste qui passait pour être de gauche sur les campus américains. Grâce à cette idéologie de substitution, la gauche a pu rester au pouvoir avec la complicité d'une droite qui, sur l'essentiel, pensait comme elle, jusqu'à ce jour – Macron compris.
Votre essai est extrêmement sombre. Tout était-il vraiment mieux avant ?
D'abord je n'ai jamais pensé, dit ou écrit que tout était vraiment mieux avant, c'est une caricature de me faire dire ça.
Ce qui ne m'empêche pas de penser que certaines choses étaient en effet meilleures avant : qu'un fils d'ouvrier agricole et d'une femme de ménage comme moi puisse s'en sortir grâce à l'école républicaine alors que ça n'est plus possible aujourd'hui pour un enfant de classes modestes, oui, c'était mieux avant. Qu'un malade puisse être soigné dès son arrivée à l'hôpital, quel que soit son statut social, oui, c'était mieux avant. Que l'homophobie, la phallocratie, la misogynie, l'antisémitisme aient été criminalisés dans l'absolu alors qu'aujourd'hui, sous couvert de religion, on tolère ces choses-là, oui, c'était mieux avant. Etc.
Auteur d'un Traité d'athéologie en 2005, vous déplorez aujourd'hui le déclin de la civilisation judéo-chrétienne. Avez-vous changé ? Pourquoi ?
On peut distinguer la religion chrétienne de la civilisation chrétienne ! Pour le dire plus simplement : on n'est pas obligé de croire que Marie était vierge bien qu'ayant enfanté pour aimer les cantates de Bach ou la peinture de Rembrandt.
J'ai si peu changé que je finis un livre qui s'appelle Théorie de Jésus et qui tâchera de prouver qu'il n'a pas existé historiquement, alors qu'un autre livre intitulé Patience dans les ruines, à paraître lui aussi, invite au compagnonnage avec ceux qui défendent la civilisation judéo-chrétienne attaquée de toute part.
La force d'attraction de l'islam témoigne-t-elle d'une résistance à la marchandisation du monde que vous dénoncez ?
De quel islam parlez-vous ? De celui des dealers de banlieues, antisémite et homophobe, phallocrate et misogyne, ou de celui, éclairé et tolérant, des imams de Bordeaux et de Drancy ? De celui du roi du Maroc, un monarque occidentalisé, ou de celui des talibans, médiéval à souhait ? Celui des Frères musulmans ou celui de feu Malek Chebel ? Le Coran interdit l'usure par une dizaine de versets répartis dans l'œuvre. De ce fait, il devrait constituer une réelle critique du capitalisme libéral. Mais le libéralisme ne le gêne pas…
Les territoires perdus de la République incarnent le libéralisme à l'état pur : le marché fait la loi, la morale n'existe pas, le business seul importe. Profits et bénéfices d'abord, l'intendance suit…
Vous estimez que les nations sont appelées à périr dans l'Europe de Maastricht. La vogue du « populisme », du Brexit à la victoire de Giorgia Meloni en Italie, est-elle un sursaut des nations ?
Le populisme est l'insulte utilisée par les populicides contre les démocrates quand ils leur rappellent que la démocratie, c'est le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple. Par exemple, quand le pouvoir jette aux orties le résultat du référendum de 2005 contre le traité européen et demande au Congrès majoritairement maastrichtien de voter contre le vote du peuple en 2008 avec le traité de Lisbonne, on entre dans une ère illibérale. Je ne vois pas de sursaut des nations là où je vois des politiques soucieux du peuple au pouvoir.
L'incroyable résistance ukrainienne à l'invasion russe n'est-elle pas la preuve de la persistance du sentiment patriotique et de l'aspiration à la démocratie sur le continent européen ?
C'est la preuve que la nation contre l'Empire, le nationalisme contre l'impérialisme, est une excellente chose en Ukraine – comme partout ailleurs, France comprise… Le nationalisme, ça n'est donc pas la guerre, comme le répète bêtement une vulgate initiée par Mitterrand au Bundestag, mais la réponse aux menées impérialistes qui supposent le désir de conquérir des espaces nouveaux, des États nouveaux. L'État maastrichtien est impérialiste.
Vous insistez sur le rôle essentiel des États-Unis dans la construction d'un « État total » qui s'annonce. Quid de la Chine, où la société de surveillance est une réalité, et qui est appelée à devenir rapidement la première puissance économique mondiale ? Est-ce que vous n'avez pas un combat de retard ?
L'impérialisme est du côté des Américains, c'est dans leur ADN depuis le génocide des Amérindiens jusqu'à leur implication en Ukraine. Je ne sache pas que les Chinois aient en tête un impérialisme idéologique planétaire. Ils font du commerce et les États faibles, dont la France, les laissent faire… au nom du libéralisme !
Par ailleurs, si vous voulez avoir un combat d'avance, vous pouvez imaginer que la véritable révolution planétaire n'est pas bêtement économique mais transhumaniste et que, dans le secret, les Chinois travaillent à ce projet, comme les Américains sur la côte ouest. Le combat de retard, c'est celui des libéraux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur idéologie.
Le sentiment amoureux peut-il survivre au « nihilisme de la chair », favorisé par le numérique, que vous évoquez ?
Ce sentiment naturel est inséparable des constructions sociales. Dans le temps, on n'aime pas au Moyen Âge comme au XVIIIe siècle ; dans l'espace, on n'aime pas pareillement dans un village de campagne et dans le VIe arrondissement de Paris, dans la Chine rurale et dans les mégapoles mondiales. La révolution numérique, le projet transhumaniste, la fin du judéo-christianisme, l'avènement du nihilisme qui lui est consubstantiel, tout cela rebat les cartes. L'amour doit désormais compter avec le virtuel. Il sauvera des individus, comme dans 1984 et dans Le Meilleur des mondes, mais pas des sociétés ou des civilisations.
Si la pulsion de mort guide la démarche de l'intelligence artificielle, elle produira d’incroyables effets destructeurs.
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