Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Ahmed Ben Triqui : une œuvre caressée par le génie d’un faiseur de romance.

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Ahmed Ben Triqui : une œuvre caressée par le génie d’un faiseur de romance.

    Né à Tlemcen, à Derb Méliani, dans le quartier ‘’Haoumet bab el-djiad ‘’ (La porte des coursiers), vers 1650, Ahmed Ben Triqui fait partie de ce groupe qu’on appelle Kouloughlis, de sang mêlé, turco-autochtone, constituant les deux factions ethniques les plus importantes de la société tlemcenienne. Il fréquente très jeune les différentes écoles ‘’katatib’’ qu’offrait Tlemcen à cette époque. Il fréquenta particulièrement celle appelée ‘’Msid el mâada’’, à derb à Méliani, non loin du quartier des cavaliers Bab El Djiad qu’il évoque dans plusieurs de ses compositions, particulièrement dans sa complainte ‘’tâl nahbi’’ (Mes souffrances n’ont que trop duré). L’enseignement dispensé à cette époque offrait quelques disciplines tournant autour de la langue arabe, de la grammaire, du droit musulman et des sciences religieuses avec aussi, quelques personnalités qu’il cite dans ses œuvres dont Cheikh Benaissa, probablement son maitre-formateur. Ses goûts l’ont tôt porté vers la poésie. Très jeune, il va faire la connaissance de celui qui va être son véritable maitre ; le poète Said Benabdellah El Mandassi, véritable fondateur du genre poétique appelé Hawzi. Cette rencontre eut lieu probablement au début de sa carrière alors qu’il était encore jeune, au moment du retour définitif à Tlemcen du poète Said El Mandassi. Bentriqui, ce poète de la cité, est la cime lumineuse, voilée quelques fois par de magnifiques orages, de la période à laquelle nous nous arrêtons. Il est une résultante appartenant, comme héritiers des poètes qui l’ont précédé ; il résume et concentre dans tous les genres tout l’art du XVIIème siècle.

    Au commencement ; un milieu fascinant, un talent prodigieux, un paradis galant.

    Le XVIIème siècle a eu un éclat d’une renaissance ; il a renouvelé ce rayonnement de l’influence andalouse que nous avons si souvent observé pendant et depuis le moyen âge arabe. Il a fait du langage des sons une puissance d’expression ; que de chef d’œuvres il a produit. Cette nouvelle production sait émouvoir profondément, elle sait peindre. Elle apparait désormais comme une grande force morale et sociale ; en même temps, elle est la révélation d’une catégorie unique de la beauté. Les causes de ce renouvellement sont multiples ; des changements sociopolitiques de plus en plus profonds restent les plus marquants, et qui vont dominer cette production, laissant transparaitre dans tous les poètes de cette période des sentiments et des données socio politiques et historiques non négligeables. Le génie des compositions, en cette période, se joue sur un fond d’expérience très riche ; leur imagination a plus de champs et de liberté, leur sensibilité réagit à un flot d’impressions venues de tous les points de l’horizon. Ce changement de tendances entraine nécessairement des modifications profondes de la technique. On les observe d’abord dans la langue qui se renouvelle par l’enrichissement des modifications de timbres, dans le plan de certaines compositions, et dans ce qu’on pourrait appeler les lois de la syntaxe, c’est à dire les règles du langage poétique et de l’harmonie. Une période qui a fait naitre dans les âmes des sentiments qui semblent être du domaine propre ou préféré de l’expression musicale : une lassitude désenchantée, l’amour de la rêverie et de la nature, le gout de la solitude, une mélancolie poussée jusqu’à une tristesse poignante et au désarroi de la volonté de vivre.
    C’est alors la naissance du genre poético-musical le Hawzi, un art arrivé à maturité et à la pleine conscience de sa fonction qui a pu se passer des ressources empruntées à des arts voisins en mettant en œuvre des éléments d’expression tout à fait spécifiques. En tant que genre musical, il va développer son propre rythme, ses propres pensées et sa propre fantaisie en combinant langage et musique. La dimension linguistique du contenu poétique va se manifester à travers le discours mais surtout à travers la musique. Les compositions Hawzi vont être associé par ses propres production au domaine du ‘’chant’’. Dans les œuvres enfièvreuses des maitres producteurs du Hawzi passent tous les frissons et se déchainent tous les rêves de l’âme moderne. Ce qu’on ne saurait nier, c’est la richesse éblouissante sur le plan production littéraire et poétique de cette période de l’histoire de notre pays. L’héritage poético-musical de Bentriqui est composé de poèmes d’une riche palette (descriptifs, panégyriques, printanières, complaintes et érotiques), d’une forte saveur lyrique. Sous le couvert de l’art, le ‘’hawzi’’ est l’expression d’une sincérité et d’une fantaisie enfin, d’un tempérament qui exprime un certain savoir - vivre dans la cité. Le ‘’Hawzi’’ marque le temps d’une grande époque et cela, par sa fécondité. Les nombreuses pensées contenues dans ces poésies chantées, entrées dans la tradition, ont fait font partie intégrante de l’éducation et de la morale populaire.
    Dans le répertoire des chansons de Bentriqui les poèmes érotiques sont légions. Une de ses premières chansons fut sans doute ‘’fiq ya nayam ousthayqad minal manem‘’ (Réveille – toi ô endormi, sors de ton sommeil), une œuvre d’un lyrisme pur. Elle fait partie d’un ensemble de Vingt poèmes, traitant de l’amour. Elle est une peinture vivante et gracieuse de la société de son époque avec ses émotions, ses chagrins, ses blessures, sa sensibilité, ses séductions. Une narration poétique des plus belles de sa production avec une infinie délicatesse, un raffinement distingué et une finesse de la forme et du fond rendant compte des ivresses du cœur. Elle crée une atmosphère de rêve et de spleen, emplissant son œuvre de l’élégance d’une vie de joie, en cette période si particulière où les artistes-poètes semblent développer une seule et même obsession : mettre l’amour en exergue. Un grand appétit d’amour se développe alors dans la poésie.
    ‘’ Réveille – toi ô endormi, sors de ton sommeil,
    Prête l’oreille à mes paroles, ô mon frère, et saisis en le sens.
    Cœur mortifié, Je me heurte aux tourments de la vengeance,
    Ne peux davantage dissimuler la pesanteur de ce secret.
    O filles de la radieuse, Tlemcen, cessez la remontrance vaine,
    Inclinez-vous à la grâce désirable des belles filles d’El Mechouar.

    O filles de la radieuse, Tlemcen, cessez cette réprimande fugace,
    La grâce d’une telle beauté ne mérite-elle pas un porte-parole!
    Beauté de qui la grâce étonne la nature, en tout apaisement et sérénité,
    Triomphant maintien, parures finement choisis dissimulant délicatesse et élégance.
    Nulle crainte, nulle peine, les tourments se rétractent le temps d’un bonheur,
    Dans des logis et cours d’eau s’offrant divertissement et ébats.
    Gazelles, oies, tourterelles et pigeons,
    Incessants appels lance le ramier et, autres oiseaux en émoi se livrent aux gazouillements.
    Des roses, des églantines et des fleurs épanouissants, lancent des sourires,
    Basilic et giroflée embaument l’univers de senteurs ensorcelantes.
    O filles de la radieuse, Tlemcen, cessez la remontrance vaine,
    Inclinez-vous à la grâce désirable des belles filles d’El Mechouar

    Evocatrice d’admiration, d’amour passionnel, de désir ardent, la femme du XVIIème siècle y est décrite avec minutie dans toute sa splendeur, sublimée par une pléiade de poètes célèbres. Bentriqui avait l’œil de l’observation. Sa description de la femme, d’un génie tout neuf, est un habillement de mots d’une coquetterie, d’un beau au-delà du beau physique exaltant la plénitude du désir entièrement comblé par les mots et la poétique qu’elle suggère. Elle est insérée dans un procédé de stylisation où on la voit, dans sa nonchalance et dans la cadence de ses poses, dans ses ondulations et la coquetterie du geste, la grâce du visage et les heureuses fortunes du maintien, telle une peinture vivante s’offrant aux yeux des lecteurs dans des champs emplis de musique. Désirée, la femme aimée va servir à la mise en œuvre de l’amour du dire poétique qui l’a brode et la magnifie avec un désir portant sublimement la parole lyrique qui va s’accomplir dans les mots et l’écriture poétique. C’est une rêverie sur toutes les affinités électives qu’offre la nature. Elle est souvent mise en corrélation avec les éléments de la nature, le cosmos qui va impacter l’ensemble de sa production. Véritable paradis galant. Dans cette optique, Bentriqui décrit la femme, dans cette composition, la mettant dans une communion parfaire avec la nature qui inspire tant ses compositions, il dit :
    ‘’ O fille de la radieuse (Tlemcen), l’éclat des joues sangle mon corps tenaillé et ensanglanté.
    Qui pourra décrire le coquelicot et les fleures qui illuminent ce visage? Pleine lune habitant les cieux enchantés
    Ou un soleil au petit matin laissant entrevoir l’ataraxie se répand au matin et diffuse ses rayons flamboyants.
    Journée limpide vide de tout nuage laissant entrevoir sa lumière et répandant ses parfums diffuses.
    Des lèvres semblables à un corail rouge, ô honorable gens ou une goute de sang sur du
    cristal formant un anneau
    Accordez grâce aux belles gazelles’’.

    Ame sensible, Il y a chez lui ce gout délicat qui sait associer l’expression de la beauté du sentiment de la nature et à l’observation, conçu avec intelligence et équilibre, avec aussi, en filigrane, souvent des hommages rendus à la femme honorée par des mots séduisants et des mélodies charmantes. Sa musique est douée de cette vertu d’entrainement et d’attraction qui fait qu’une première entrée d’idées fait attendre et presque deviner les idées qui suivront. On glisse, sans heurts de passion et sans pauses pour la rêverie, sur des pentes gazonnées et doux fleurantes. Un discours poétique d’une portée charnel émaillé d’une élégance dans le dire des mots avec une symbolique emprunte aussi, des coutumes en matière de langage et d’habillement toutes aussi chargée d’histoire pour donner plus de couleurs et d’éclat à ses productions. Il dit :
    ‘’ Celle aux beaux traits ornée d’un foulard sur lequel se dresse un diadème légèrement incliné sur la frange.
    Une serviette ceinture sa taille aux couleurs chatoyantes, rouge et dorée, ô l’affligeante
    Le poignet cristal blanchâtre et limpide, le coup orné de perles d’Alep nul commerçant n’en fit possession
    Un tatouage bleuté formant de jolis motifs, œuvre de maitre, de pur indigo, ô l’affligeante’’

    Les vieilles traditions d’habillement sont souvent rapportées par une riche littérature d’une poétique narrative qui décrit la société dans tous ses rapports. On y lit dans ces poésies, véritables bibliothèques culturelles, tout un ensemble d’éléments nous rappelant l’élégance féminine; le ‘’caftan’’, ‘’frimla’’, ‘’ghlila’’ , ‘’abrouk’’, ‘’Medjounah’’, ‘’chachia’’ , ‘’açaba’’, ‘’khorça’’ (pendentifs traditionnels), ‘’fouta’’, ‘’mendil’’, ‘’h’zam’’ à glands, ‘’srawal’’ , ‘’haïk’’ ou voile, ‘’bachmâk’’ et ‘’rihiya’’ ou ballerines brodées. Cette culture est, elle-même, d’une sédimentation originale, au croisement de plusieurs cultures : berbère, arabe, ottomane… et de trois aires culturelles : l’Occident, l’Afrique et l’Orient. Dans le style raffiné, les artistes et les poètes étaient certes, les arbitres de l’élégance et du bon goût. Au sujet du costume dans le royaume de Tlemcen (Trémicen) le vénitien Cesare Vecellio (1530-1601) note : ’’Les dames de ce pays s’habillent avec magnificence. Elles portent une chemise noire à larges manches avec un pantalon de toile noire ou bleu, dont les bords sont découpés en dentelures, et qui s’attache sur les épaules au moyen de boucles d’argent ou d’or d’un beau travail’’. Tel décrit, l’habit en question ressemblerait fort bien au costume de cérémonie que les tlemceniennes portent toujours du nom de ‘’R’da ‘’, littéralement en arabe ‘’ Rida’’.
    par Salim el Hassar

  • #2
    2eme partie

    Ahmed Bentriki est un poète en pleine possession des moyens de cet art. Chez ce poète très policé, l’on sent un ton de dignité et de noblesse. A cette narration poétique sublime de ce narrateur aimant et désaimé, mariant l’œil aiguisé et passion non déguisée, se rajoute un autre motif, récurrent dans plusieurs de ses poésies, l’allusion faite à un obstacle freinant l’élan de la passion. Cet obstacle est désigné dans cette poésie sous la désignation de ‘’Ahl had essâa’’, qui pourrait correspondre aux tenants de l’ojdak turc, (les gens du temps présent) ; ‘’Les gens d’aujourd’hui commettent beaucoup d’injustice. On m’a jeté dans les mers de la souffrance et de la tyrannie, tant d’injustice que je ne peux qualifier! Les gazelles sont toutes parties en direction d’El Mechouar’’. Un passage qui illustre fort bien les sentiments du poète représentant une franche de la société dite couloughli vivant le drame d’une marginalisation entre les tenants du pouvoir et arabes autochtones. C’était un témoin passionné des événements ayant secoué sa patrie ; il va exprimer ses émotions et ses idées.
    ‘’Sahm f qaws chbelyani’’ (un arc sévillan), un caprice d’art, est une autre conception de génie, unique dans son analogue dans toute la littérature populaire dite haouzi. Construite sur un débat du cœur et de l’œil, elle tourne autour d’une opposition de deux arguments, l’attaque et la défense, développés dans cette poésie de plus de 50 vers. Un texte important car nous n’avions pas jusqu’ici le cœur dans une fonction évidente : l’amour. Cette œuvre, où mille fééries se sont envolées, est hautement esthétique, pleine de signification et d’un réel intérêt documentaire. Le poète a tiré des visions, amoureuses et lumineuses, enchantées de son imagination pour la joie délicate des vivants poétiques. Ce qui dominait chez lui, avec la noblesse du cœur, c’est l’imagination. Cette faculté eut assez souvent chez lui une fonction créatrice et inspirée ; elle fut surtout un formidable pouvoir d’assimilation au service d’une intelligence très large et d’une adresse de main tellement exceptionnelle que, pour s’exercer, elle dut agrandir tout ce qu’elle touchait. Par son respect de la forme, par la netteté de dessin et la sobriété de couleur qu’il donne à ses œuvres, Bentriki fait surtout penser à son maître El Mandassi à qui il vouait une grande admiration. Ahmed Bentriki dit ‘’Benzengli‘’ est cité, avec son maître El Mandassi, comme parmi les plus vieux compositeurs du ‘’Beldi-Haouzi’’. Son génie se nourrit en profondeur du modèle de son précurseur Said al-Mandassi, poète de la cour du roi sâadien, Ahmed El Mansour (1568-1603), à Meknès (Maroc), et précepteur de son fils le roi Mouley Errachid, auteur du merveilleux poème intitulé Akikiyâ (la cornaline), où il avait choisi d’y émigrer à l’instar d’autres poètes et savants et cela, à l’avènement des Ottomans. Leur poésie était très proche des poèmes versifiés dans langue populaire andalouse ou zadjal sous la forte influence des poètes d’Andalousie exercée par la voie des émigrés andalous, depuis la reconsquista en 1492 et, l’arrivée des Morisques poursuivie jusqu’au début du XVIIe s, sous le roi Philipe X. A son époque, la notion d’art andalou ne se restreignait pas déjà à la seule musique classique andalouse, mais s’étendait à tous les autres genres connexes, nés plus tard, avec l’évolution des goûts, de l’élégance et de la distinction. Mais Ahmed Bentriki est profondément pénétré par le contexte sociopolitique du XVIIème siècle qui vient assez souvent s’interposer entre le sujet qu’il traite et sa pensée personnelle.

    Production ‘’Zadjal’’ : Dans la continuité de l’art de la chanson andalouse

    Tout comme son maître al-Mandassi, sa poésie est tantôt versifiée sur le mode ‘’zadjal’’ qui fait référence à la langue andalouse de la veine populaire, tantôt dans le ‘’haouzi’’, expression plus populaire encore, du courant littéraire du cru algérien avec ses strates langagières nouvelles. Tant l’influence andalouse des grands poètes du zadjal est toujours là, tant aussi, le ‘’haouzi ‘’ s’invente comme référent littéraire et musical nouveau produit d’un mixage culturel, un succédané par rapport à l’évolution de la langue avec, sur le plan musical, cette touche locale, de sensibilité andalouse attachée toujours au rythme et au chant du vieux patrimoine structuré de la çanaa. Ce genre nouveau était certes en parfaite harmonie avec la culture de l’époque comme manière de vivre dans la cité avec ses exigences de goût exprimant des sentiments universels et réalisant dans cette expression un certain concept de la beauté. D’un côté, il y avait déjà la musique finement bourgeoise, la ‘’Sana’a’’, et de l’autre la musique populaire avec plus de verve, le ‘’Beldi-Haouzi’’. La rupture avec ce genre poético-musical fort ancien le ‘’zadjal’’, ne s’est pas faite brusquement, car elle continuait d’inspirer les poètes du XVI, XVII et XVIII ème siècle en donnant à la postérité des œuvres originales faisant partie pleinement du projet ‘’Sana’a-Gharnata’’, mais une fois sur la voie, la pensée musicale saura conquérir bientôt sa pleine indépendance.
    Dans cet ordre d’idée, Ahmed Bentriki était capable d’écrire dans les deux styles d’où ses chefs d’œuvres et par là aussi, ses titres de gloire. Sa production est tantôt zadjal tantôt Haouzi, il arrive difficilement à se défaire du zadjal à qui il donna de somptueuses poésies témoignant son savoir-faire et sa sensibilité andalouse. Le professeur Abderahmane Mahdjoub disait dans ce sens : ‘’La poésie de Bentriki est proche de l’arabe littéraire. Elle ne s’en éloigne que par la non-application des désinences de cas et l’usage parfois de mots puisés dans la langue du peuple. Cette caractéristique apparait clairement dans son poème "Printanière’’. Par ces qualités, Bentriki apparait d’abord comme le continuateur d’El Mandassi, et comme l’auteur d’une poésie purement XVIIème siècle. L’une de ses poésies de type zadja, nous citons, entre autres, ‘’Harqa dâna mouhdjâti’’ (La douleur a consumé mon âme);

    ‘’ La douleur a consumé mon âme, je n’arrive plus à trouver sommeil.
    L’amour attise davantage ma peine, brandissant son sabre au clair affûté.
    ô, pupilles lumineuses de mes yeux, mon corps est anéanti par la blessure.
    ô, silhouette élancée tel un rameau fleuri, fascinant, mon admiration est grande.
    ô, celle aux yeux enchantés, je suis las de l’étreinte du désir, ô objet de mon amour.

    ô, celle aux yeux endormis, tu affligé un lourd châtiment à mon triste cour.
    Je m’incline et me tourmente de reproches, Dieu, l’éternel, m’a inscrit ce destin.
    Obéissant à tes ordres tel un enfant, ô supplice des amoureux.
    Abandonné, je ne t’accorderai pas pardon, par Dieu pourquoi un tel mépris ?
    ô, celle aux yeux enchantés, je suis las de l’étreinte du désir, ô objet de mon amour.

    Tourmenté, je le suis, ô belle âme, aux tréfonds de mon âme.
    Tes ravissantes joues rouges éclatantes ne m’ont pas laissées indifférents, ô lumière de Jupiter.
    Charmant sourire aux dents de perles, une éclosion de senteurs agrémentée de marguerites.
    ô, étendard annonçant la guerre, ce doux regard a été la cause.
    ô, celle aux yeux enchantés, je suis las de l’étreinte du désir, ô objet de mon amour.

    Envoutante, aux longs cils battants, élégante, à la démarche raffinée.
    Flâne ô beauté, et sois en fière, ta voix mélodieuse me rappelle le rossignol.
    Ton charme fascine l’être humain, ô pleine lune, sois indulgente envers moi, je suis épris.
    Sois indulgente et guéris mes maux, les flammes de ma brûlure s’atténueront.
    ô, celle aux yeux enchantés, je suis las de l’étreinte du désir, ô objet de mon amour.

    Mon corps est meurtri par la blessure affligée, et mon esprit n’a plus la raison.
    Privé de mon sommeil, cautère de l’abandon, mon mal se consume à petit feu.
    Errant dans les océans de la passion, patient, je me livre au jugement de l’éternel.
    Il s’est rebellé contre moi, aucun pardon, je suis désespéré ô celle que j’ai désirée.
    ô, celle aux yeux enchantés, je suis las de l’étreinte du désir, ô objet de mon amour ‘’.

    Mais, il dépasse de bonheur la tradition qu’il suit ; il y ajoute sa personnalité puissante : étant d’une époque où ce qu’on appelait "nature " ne suffit plus et où ce mot a un sens beaucoup plus profond pour un homme de génie tel que lui, il ne se contente pas d’ajouter des nouvelles et plus riches arabesques aux faciles divertissements. Il partage en commun avec son maitre El Mandassi, dont il a hérité le talent, cette tendance à composer dans les deux langages, zadjel et haouzi, sa nature foncière étant sentimentale, et, par suite, très naïve, mais son intelligence était toujours occupée d’idées sublimes. Cette caractéristique est toujours associée à une belle pensée musicale qui l’a fait accepter et en est comme l’excuse ; elle laisse deviner un génie grand et noble, une âme généreuse qui s’adonne naïvement à sa tendance naturelle vers la beauté, vers l’harmonie sereine du beau langage et les sentiments héroïques. Cette faculté, il l’a tient de son maitre qu’il reconnait dans sa composition « ana el madjrouh bel mhabba » (Je suis meurtri par les affres de l’amour), il dit : « Tous les Cheikh et moi reconnaissons la suprématie d’al-mandassi ». L’œuvre poétique de Ahmed Bentriki dit Benzengli fit incursion dans la conception de la ‘’Sana’a’’ à Tlemcen, Alger, Constantine et cela, à l’instar des grands poètes andalous, voire entre autres les poésies identifiées étant sa création : ‘’Ya man sakan sadri’’ (ô toi, qui habite mon cœur) (mçeddar mezmoum, mdenba), ‘’rani nahwek’’ (je suis épris de ton amour) (insraf raml âchya), ‘’ya ôuyoun errym’’ (ô yeux de gazelle) (insraf raml âchya), ‘’qad ata waqtou el hana‘’ (le temps du bonheur est arrivé) (insraf raml âchya), ‘’ma yâati qalbou lil milah’’ (celui qui donne son cœur aux belles filles) (derj h’sin, insraf ghrib, insraf h’sin, inqlab mouel), ‘’ama tara dama’i sakib’’ (ne voyez-vous pas mes larmes couler ?) (mçedder sika, derj h’sin, insraf ghrib), ‘’qom naghnamou el âachya’’ (viens apprécier la soirée) (insraf h’sin), ‘’kam li ya lakhouan’’ (jusqu’à quand mes frères ?) (insraf rasd), ‘’rabbi ya moudib âabdou’’ (insraf/mokhles raml maya), ‘’selli houmoumek fi del âachya’’ (Distraits-toi en cette soirée) (b’taihi/derdj raml maya, m’çeddar zidene, insraf darka), ‘’Hark dhana mouhdjati’’ (b’taihi raml âachya, insraf ghrib) recensées à ce jour, très appréciées par les hommes de goût, à l’esprit cultivé amateurs de la ‘’Sana’a’’ ou ‘’Gharnata’’.

    Sa production zadjal, qui embaume les jardins sonores de la Sana'a, est une note burlesque, d’une puérilité charmante où on retrouve le sentiment de la nature dans plusieurs de ses productions chantées voir entre autres : « Qom yassir lana el qitân » (remplis nous les coupes) (insraf dil, rasd dil, maya, sika, mezmoum), « dakhalto erryad madhoch » (je suis entré au jardin émerveillé) (insraf raml maya), « âchya fi rawdin âdjib » (soirée dans un jardin magique) (insraf raml âachya). Des poésies qui chantent la grâce de la nature, ce qui transparait dans le style élégant, fluide du poème. Le sentiment profond de la nature, la rêverie, la couleur rare, le tour romanesque et les tendances mystiques de la pensée relèvent de son registre verbal et esthétique.

    ‘’ Une soirée dans un jardin ébouriffant, a donné à mon cœur plus de passion.
    Je me languis de l’ombre de la bien-aimée, à chaque instant, à chaque heure.
    Les larmes coulent de mes yeux à flot, pendant que les oiseaux orchestrent de belles œuvres.
    Abandonné, délaissé suis-je, aies conscience de tes actes, toi qui a choisi la ruse au lieu de la droiture.
    Par quelle raison m’as-tu dépossédé, ô gazelle, de ton amour, Dieu réprimandera les usurpateurs.

    Une soirée aux couleurs pétillement dorées, à l’heure du coucher, dans des cieux bleus clairs.
    Au moment du coucher, elle s’enflamme de lumière scintillante, à ma grade peine et douleur.
    Quel émerveillement, ô frère ! Je m’adonnerai entièrement à ce spectacle et y laisserai mes habits.
    Abandonné, délaissé suis-je, aies conscience de tes actes, toi qui a choisi la ruse au lieu de la droiture.
    Par quelle raison m’as-tu dépossédé, ô gazelle, de ton amour, Dieu réprimandera les usurpateurs.

    Celui qui donne son cœur aux belles, seule la patience le consolera.
    Ensorcelante avec ses yeux pleins de charme, et le pincement des cils battants.
    Ton éloignement m’est insupportable, je ne peux me résigner à cet état.
    Abandonné, délaissé suis-je, aies conscience de tes actes, toi qui a choisi la ruse au lieu de la droiture.
    Par quelle raison m’as-tu dépossédé, ô gazelle, de ton amour, Dieu réprimandera les usurpateurs.

    Que Dieu puisse m’accorder faveur, Je désire, impatiemment, embrasser tes tendres joues.
    Comment l’amant peut-il oublier sa bien-aimée ? Je ne pourrais supporter ta séparation.
    Abrupt châtiment affligé à un cœur éploré, pris à l’étreinte de ton amour.

    Commentaire

    Chargement...
    X